L'empiètement végétal par des branches et racines

L'empiètement végétal par des branches et racines

– Plan. – L'article 673 du Code civil traite de l'empiètement végétal par des branches et racines (A), si essentielles au maintien des arbres et à leur vitalité. Mais ses dispositions, qui n'ont pas de caractère d'ordre public, peuvent être écartées (B). Si la question de la constitutionnalité de l'article 673 du Code civil n'est pas jugée sérieuse à ce stade par la Cour de cassation, il n'est pas interdit de s'interroger sur une éventuelle évolution de sa jurisprudence (C).

Les règles fixées par le Code civil

– Une application rigoureuse de la règle par le juge. – L'article 673 du Code civil confère au propriétaire du fonds subissant le dépassement la possibilité de contraindre son voisin à couper les branches et à couper lui-même les racines à la limite de la ligne séparative de propriété, et ce même si la plantation respecte la distance légale. La rigueur de cette sanction est accrue par le fait que le droit de couper les racines, ronces et brindilles ou de faire couper les branches est imprescriptible.
La Cour de cassation ne prend pas en considération le préjudice que l'élagage pourrait causer à l'arbre. Ainsi, dans le cadre d'une demande d'élagage d'un chêne monumental d'une hauteur de quinze à vingt mètres, bicentenaire et répertorié comme arbre remarquable dans le plan vert de la commune, elle a refusé de prendre en considération le fait que « toute taille mettrait en danger son devenir, causant ainsi un dommage irréparable à l'écosystème ». Par ailleurs, la Cour de cassation a ordonné l'élagage des branches d'un cèdre de grande hauteur plus que centenaire, sans prendre en considération la circonstance selon laquelle ce dernier était situé dans un lotissement créé dans un objectif de valorisation d'un site boisé classé autour de ce cèdre. Peu importe également l'absence de préjudice subi par le voisin.
Dans un arrêt récent, la cour d'appel de Colmar a jugé que « même si l'empiètement est minime au regard de la superficie de la parcelle Balbine et, si les arbres en question constituent un patrimoine arboré remarquable, la défense du droit de propriété contre l'empiètement ne constitue pas un abus de droit, tel que le soutiennent les époux [W], qui invoquent vainement le principe de proportionnalité, dès lors qu'ils n'indiquent pas à quel droit fondamental, ayant valeur supranationale, l'abattage de l'arbre porterait atteinte.
Si la convention passée avec la ville de [Localité 18] interdit aux propriétaires de l'arbre d'intervenir sur celui-ci sans l'accord préalable de la Ville, cette convention s'agissant d'un arbre non classé au plan local d'urbanisme n'est pas opposable aux tiers, dont les voisins.
Il est aussi vain d'affirmer que si l'enlèvement de cet arbre risque de nuire à la pérennité de l'autre, qui lui est protégé, la protection des articles L. 113-1 et L. 113-2 doit lui être étendue.
Par conséquent, au vu de l'ensemble de ces motifs, c'est par une analyse circonstanciée résultant d'une lecture fidèle et sans dénaturation des pièces du dossier et des motifs particulièrement pertinents qu'il convient d'adopter, qu'en présence d'une atteinte au droit de propriété, le premier juge a ordonné l'abattage du séquoia le plus éloigné de la voirie ».
Il convient enfin de noter que la Cour de cassation considère que l'action en élagage ne peut constituer un abus de droit.
Il semblerait toutefois que, « dans une perspective de préservation de l'environnement, de survie de l'arbre », l'élagage doive être réalisé à un moment opportun de l'année, en tenant compte notamment de la meilleure période de taille, et en sollicitant l'avis d'un technicien qui pourra élaborer un calendrier de travaux d'élagage « en douceur ».
Enfin, il est important de signaler une décision récente du tribunal judiciaire de Nantes, qui a débouté un propriétaire de sa demande d'étêtage d'un arbre sur le fondement d'arguments liés à la préservation de l'environnement.
En l'espèce, un propriétaire assignait son voisin dont l'arbre (un tulipier du Japon) surplombait son fonds afin que celui-ci soit condamné à élaguer l'ensemble des branches de l'arbre le surplombant, à couper les racines passant sous le muret mitoyen et à procéder à l'étêtage à deux mètres maximum de l'arbre litigieux. Se plaignant de divers désagréments liés à l'arbre, il sollicitait également le versement de dommages-intérêts. Le demandeur fondait de manière classique ses prétentions sur les articles 671, 672 et 673 du Code civil notamment. Le propriétaire de l'arbre développait en défense des arguments écologiques et affectifs et soulignait que la réduction à deux mètres de hauteur serait fatale au tulipier.
Saisi de ce litige, le tribunal judiciaire de Nantes déboute le demandeur de ses demandes en élagage, coupe et étêtage de l'arbre dans une décision rendue au visa des articles 671, 672 et 673 du Code civil. Il indique que le propriétaire du tulipier l'entretient de sorte que seule une branche n'a pas encore été élaguée, qu'il n'est pas démontré que les racines passent sous le muret, mais que le tulipier ne respecte pas les distances légales de l'article 671 du Code civil. Le tribunal ne fait pourtant pas pour autant droit à la demande d'étêtage, mais souligne que l'arbre litigieux « présente à ce jour une importance sur le plan environnemental écologique indéniable faisant partie d'un ensemble végétalisé participant à la préservation de l'écosystème local [et qu'] il apporte un bénéfice à la collectivité (…) par les bienfaits environnementaux qui s'évincent de toute végétation », et, qu'« à ce titre, il doit être préservé conformément à l'article 2 de la Charte de l'environnement selon lequel « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement ». Après avoir exposé ces arguments forts fondés sur l'intérêt environnemental de l'arbre et le devoir de préservation de l'environnement prescrit par la Charte de l'environnement, la juridiction de première instance indique que la coupe du tulipier à hauteur de deux mètres causerait un préjudice écologique au sens de l'article 1247 du Code civil et que seul un entretien régulier – auquel il est déjà procédé – est nécessaire.
Enfin, notons que le demandeur se voit refuser l'octroi de dommages-intérêts, tant sur le fondement de l'article 1240 du Code civil en l'absence de faute du voisin, que sur le fondement des troubles anormaux du voisinage, puisqu'aucun préjudice n'est démontré (seule une branche surplombait le fonds du demandeur et n'obstruait pas le velux et la perte d'ensoleillement n'était pas certaine).
Cette décision infléchit ainsi la rigueur de la jurisprudence rendue sur le fondement des articles 671, 672 et 673 du Code civil, faisant primer sur les règles de distance légales la préservation du potentiel écologique et environnemental de l'arbre litigieux, et ce, en se fondant directement sur l'objectif de préservation de l'environnement inscrit dans la Charte de l'environnement et en invoquant la notion de préjudice écologique.

La possibilité d'y renoncer

– Le notaire, la servitude et le promoteur. – L'article 673 du Code civil n'est pas d'ordre public. Il est possible de mettre en place une servitude conventionnelle.
Dans le cadre de lotissements, l'éviction de l'article 673 semble même ne pas devoir être explicite, pouvant procéder de « l'économie générale de la convention ».
À cet égard, ainsi que l'indique J. Dubarry, « on peut imaginer des politiques publiques incitatives à des projets de promotion immobilière écoresponsables, qui conduiront les acteurs privés à contractualiser cette dimension, contractualisation qui amputera in fine des prérogatives aux propriétaires afin d'empêcher que l'exercice du droit de propriété affecte l'intérêt général à la préservation de l'environnement ».
Les notaires ont de toute évidence un important rôle à jouer vis-à-vis de leurs clients vendeurs, promoteurs, aménageurs pour les inciter à intégrer cette dimension dans la mise en œuvre de leur projet.

La constitutionnalité de l'article 673 du Code civil

– L'examen du juge constitutionnel pourrait-il évoluer à la faveur du changement climatique ? – La Cour de cassation a été saisie en 2015 d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Les demandeurs s'interrogeaient sur la conformité de l'article 673 du Code civil « aux droits et libertés garantis, d'une part, par le préambule, les articles 1 à 4 et 6 de la Charte de l'environnement et, d'autre part, par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ».
Elle a toutefois refusé de transmettre la QPC, en considérant notamment qu'elle ne constitue une question ni nouvelle ni sérieuse au regard des articles 2 et 17 de la Déclaration du 26 août 1789 « dès lors que les dispositions législatives en cause, qui n'ont ni pour objet ni pour effet de priver le propriétaire des arbres de son droit de propriété, mais seulement d'en restreindre l'exercice, tendent à assurer des relations de bon voisinage par l'édiction de règles relatives aux végétaux débordant les limites de propriété, proportionnées à cet objectif d'intérêt général ».
Elle a également jugé qu'elle n'avait pas de caractère sérieux au regard des articles 1 à 4 de la Charte de l'environnement au motif que l'article 673 du Code civil « qui édicte des règles relatives aux arbres, arbustes et arbrisseaux situés en limite de propriété et dont les branches surplombent le fonds voisin, a un caractère supplétif, n'autorise l'élagage des branches que sous réserve que ces plantations ne fassent pas l'objet de stipulations contractuelles ou d'une protection en application de règles particulières et qu'eu égard à l'objet et à la portée de la disposition contestée, l'élagage des branches qu'elle prévoit ne peut avoir de conséquences sur l'environnement ».
La Haute juridiction ne semble pas, du moins à ce stade, prendre en considération la protection des arbres, ni pour refuser une demande de réduction ou d'arrachage d'un arbre implanté en méconnaissance des règles de distance légales du Code civil, ni pour refuser une demande d'élagage. Elle paraît ainsi faire primer le « sacro-saint » droit de propriété sur la protection des arbres.
Mais il convient de constater que, face à l'accélération des conséquences liées au réchauffement climatique, les gouvernements prennent de plus en plus conscience de la nécessité de préserver l'environnement. La position de la jurisprudence pourrait-elle être amenée à évoluer, au regard de cette prise de conscience ?
Il est intéressant de noter qu'en matière d'empiètement par une construction, si la Cour de cassation a admis un contrôle de proportionnalité de la sanction de la démolition dans quelques décisions récentes concernant des empiètements sur l'assiette d'une servitude, atténuant la rigueur de la sanction de la démolition, elle n'a pas encore fait évoluer sa position en matière d'empiètement en pleine propriété aux termes de laquelle la démolition doit être ordonnée si elle est demandée, sans que la proportionnalité de la mesure soit contrôlée.
Néanmoins, l'on ne retrouve pas en matière de construction, du moins pas de la même manière, l'urgence climatique qui impacte les arbres. Pourrait-on aujourd'hui admettre qu'un chêne bicentenaire remarquable, dont la taille entraînerait un dommage à l'écosystème, soit élagué pour un simple dépassement minime de ses branches sur le fonds voisin ? C'est ce que paraît laisser présager la décision du tribunal judiciaire de Nantes précitée.
– Se saisir du sujet pour préserver l'avenir. – En toute hypothèse, comme le préconise J. Dubarry, il est fondamental qu'en l'état du droit positif les parties prenantes et notamment les notaires se saisissent du sujet pour préserver l'avenir. Par ailleurs, cela permettra également de traiter des troubles anormaux de voisinage, source importante de contentieux, et de l'abattage des arbres.