– Plan. – Le sursis à statuer permet de régulariser un permis de construire dont une partie est entachée d'illégalité (A). La portée de ce mécanisme est considérable, comme une illustration suffira à le montrer (B).
Le sursis à statuer
Le sursis à statuer
Présentation du dispositif
– Surseoir à statuer pour permettre au pétitionnaire de régulariser
. – Lorsqu'un vice n'affecte qu'une partie d'un projet, en plus de l'annulation partielle, le juge dispose également de la faculté de surseoir à statuer sur les recours dirigés contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou encore contre les décisions de non-opposition à déclaration préalable.
Lorsque le vice affecte le projet dans sa totalité, c'est nécessairement vers le sursis à statuer que le juge se tournera pour régulariser la situation. Ainsi, le mécanisme de l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme permet de régulariser la plupart des vices de légalité externe : vice d'incompétence, vice tenant à la composition du dossier de demande, à la méconnaissance d'une formalité préalable à la délivrance du permis ; mais aussi des illégalités affectant le projet lui-même. La régularisation peut également porter sur des constructions achevées. Mais le sursis à statuer ne peut être prononcé lorsque le pétitionnaire n'a pas, contrairement aux exigences de la jurisprudence Thalamy, fait porter sa demande sur l'ensemble des éléments irrégulièrement édifiés.
Avant de prononcer le sursis, le juge doit écarter tous les moyens qui ne lui paraissent pas fondés et acquérir la conviction que, une fois la régularisation effectuée, il rejettera tout autre moyen d'annulation.
– Modalités d'application du sursis à statuer. – Dans un avis no 438318 du 2 octobre 2020, le Conseil d'État précise les modalités d'application de l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme : « Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires, que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme, dont l'annulation est demandée, sont susceptibles d'être régularisés, le juge doit surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation. Il invite au préalable les parties à présenter leurs observations sur la possibilité de régulariser le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme. Le juge n'est toutefois pas tenu de surseoir à statuer, d'une part, si les conditions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme sont réunies et qu'il fait le choix d'y recourir, d'autre part, si le bénéficiaire de l'autorisation lui a indiqué qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation. Un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même ».
Dans la mesure où la possibilité de régularisation s'apprécie au moment où le juge statue, il en résulte que « la légalité du permis pourra au final résulter d'un panachage entre les règles applicables à la date de délivrance de l'acte initial et les règles plus favorables édictées ultérieurement et applicables à la mesure de la régularisation ». Le Conseil d'État a également jugé que la régularisation pouvait intervenir par une dérogation et par une évolution favorable des circonstances de droit, à condition d'obtenir un permis de construire modificatif. Toutefois, les vices de légalité externe doivent être réparés « selon les modalités prévues à la date de la décision litigieuse ».
– Jugement avant dire droit. – Sur le plan de la procédure, le sursis à statuer constitue un jugement avant dire droit susceptible d'appel en tant qu'il a écarté comme non fondés les moyens dirigés contre l'autorisation initiale et en tant qu'il a fait application des dispositions de l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme jusqu'à la délivrance du permis de régularisation. Alors, le jugement avant dire droit a produit ses effets et le juge doit prononcer un non-lieu à statuer.
– C'est au juge qui a prononcé le sursis à statuer d'apprécier tant l'effet régularisateur que la légalité de la mesure de régularisation. – Plus largement, l'article L. 600-5-2 du Code de l'urbanisme, inspiré des préconisations du groupe de travail présidé par Maugüé, dispose que : « Lorsqu'un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation intervient au cours d'une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d'aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue et que ce permis modificatif, cette décision modificative ou cette mesure de régularisation ont été communiqués aux parties à cette instance, la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance ».
Ainsi l'utilisation du dispositif est-elle particulièrement intéressante pour le bénéficiaire du permis puisqu'elle lui permet de « vider le litige » et de lui donner une issue définitive dans le cadre de l'instance initiale. La mesure de régularisation ne fait alors « qu'un » avec le permis initial puisque la jurisprudence considère de manière constante qu'il s'incorpore avec le permis initial.
Faisant œuvre de souplesse, le Conseil d'État a décidé que « si, à l'issue du délai qu'il a fixé dans sa décision avant dire droit pour que lui soient adressées la ou les mesures de régularisation du permis de construire attaqué, le juge peut à tout moment statuer sur la demande d'annulation de ce permis et, le cas échéant, y faire droit si aucune mesure de régularisation ne lui a été notifiée, il ne saurait se fonder sur la circonstance que ces mesures lui ont été adressées alors que le délai qu'il avait fixé dans sa décision avant dire droit était échu pour ne pas en tenir compte dans son appréciation de la légalité du permis attaqué ». Autrement dit, le délai fixé par le juge n'est pas impératif, mais le pétitionnaire prend le risque que le juge statue à tout moment une fois le délai expiré et annule le permis.
Après avoir présenté le dispositif, pour une bonne compréhension, il nous paraît essentiel de l'illustrer.
Illustration jurisprudentielle du dispositif
– Exemple. – Un arrêt du Conseil d'État du 3 juin 2020 permet d'illustrer la mécanique du sursis à statuer en matière d'urbanisme.
L'espèce concerne la délivrance, le 30 janvier 2017, d'un permis de construire par le maire de la commune de Fréjus à la société Compagnie Immobilière Méditerranée en vue de la réalisation d'un ensemble immobilier de 208 logements.
Ce permis a été attaqué devant le tribunal administratif de Toulon, qui l'a annulé par un jugement du 11 décembre 2018 en retenant que l'étude d'impact prescrite par l'article L. 122-1-1 du Code de l'environnement n'avait pas été mise à la disposition du public avant la délivrance du permis. Le tribunal a refusé de faire application des dispositions de l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme.
La société Compagnie Immobilière Méditerranée s'est pourvue devant le Conseil d'État en soutenant que le tribunal administratif aurait dû surseoir à statuer dès lors que le vice était régularisable.
Le Conseil d'État reconnaît le bien-fondé de son pourvoi, et annule le jugement. Il estime que le vice tiré de ce que l'étude d'impact prescrite par l'article L. 122-1 du Code de l'environnement, jointe au dossier de demande de permis de construire, n'a pas été mise à la disposition du public avant la délivrance de ce dernier ne mettait en cause qu'une formalité préalable à la délivrance du permis de construire. Et d'en conclure que ce vice était susceptible de faire l'objet d'une mesure de régularisation en application de l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme.