Le retrait

Le retrait

Les conditions du retrait

– Deux conditions pour retirer une autorisation d'urbanisme. – L'article L. 424-5 du Code de l'urbanisme pose deux conditions au retrait d'une autorisation d'urbanisme :
  • une condition de fond : son illégalité (condition également imposée par l'article L. 242-1 du Code des relations entre le public et l'administration) ;
  • une condition de délai : le retrait doit intervenir dans le délai de trois mois de la décision (délai de trois mois qui, en matière d'urbanisme, déroge au délai de droit commun de quatre mois prévu par l'article L. 242-1 précité). Rigoureux, le Conseil d'État a précisé que la décision de retrait devait être notifiée dans ce délai de trois mois.
Dans la mesure où le délai de trois mois n'est pas prorogeable – sous réserve de l'hypothèse de la fraude (V. infra, II, nos et s.) –, le bénéficiaire connaît avec certitude la date à partir de laquelle son autorisation n'est plus susceptible d'être retirée. Il s'agit d'un délai non franc, insusceptible de suspension ou de prorogation, calculé de jour à jour, au-delà duquel le retrait ne peut plus intervenir sous peine d'être lui-même illégal.
Au surplus, le Code des relations entre le public et l'administration impose comme condition de forme et de procédure que le retrait :
  • soit motivé, c'est-à-dire qu'il comporte « l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision » ;
  • respecte une procédure contradictoire préalable (CRPA, art. L. 121-1). Ainsi, la décision de refus ne peut intervenir « qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales » (CRPA, art. L. 122-1), dans un délai suffisant (une semaine minimum).

L'hypothèse de la fraude

– Pas de délai de retrait en cas de fraude. – Le Conseil d'État considère de longue date qu'un acte administratif entaché de fraude ne crée pas de droit et peut être retiré à tout moment par l'administration.
Cette règle est désormais inscrite à l'article L. 241-2 du Code des relations entre le public et l'administration : « Par dérogation aux dispositions du présent titre, un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré ».
Le délai de trois mois n'est pas opposable aux décisions obtenues par fraude : de telles autorisations peuvent être retirées à tout moment sans condition de délai.
– La fraude clairement définie par le juge. – La fraude est caractérisée par la réunion de deux éléments. En premier lieu, un élément matériel qui consiste en des agissements de la part de l'administré visant à obtenir un avantage indu. En second lieu, un élément intentionnel tenant au fait que l'administré doit avoir la volonté ou au moins la conscience de tromper ou d'induire en erreur l'administration en agissant de la sorte.
Il est possible de distinguer deux types de fraude : la fraude par fausse déclaration et la fraude à la loi qui repose sur un montage donnant l'apparence de la légalité, mais dont le seul but est de permettre le contournement de la règle applicable.
La fraude ne se présume pas : le pétitionnaire doit avoir eu l'intention de tromper l'administration au moment de la délivrance de l'autorisation d'urbanisme.
Le Conseil d'État a jugé que la « caractérisation de la fraude résulte de ce que le pétitionnaire a procédé de manière intentionnelle à des manœuvres de nature à tromper l'administration sur la réalité du projet dans le but d'échapper àl'application d'une règle d'urbanisme », tout en précisant qu'une « information erronée ne peut, à elle seule, faire regarder le pétitionnaire comme s'étant livré à l'occasion du dépôt de sa demande à des manœuvres destinées à tromper l'administration ».
Ainsi, la fraude par fausse déclaration consiste pour le pétitionnaire à communiquer délibérément à l'administration des informations erronées afin d'obtenir son autorisation alors qu'il ne remplit pas les conditions pour l'obtenir.
C'est ce qu'a retenu le Conseil d'État en considérant que la fraude est caractérisée lorsqu'il ressort des pièces du dossier que le demandeur a eu l'intention de tromper l'administration pour obtenir une décision indue.
Ont notamment été jugés frauduleux le fait de joindre au dossier de demande de permis des plans de coupe représentant le terrain d'assiette comme étant plat alors qu'en réalité il était en pente ou encore le fait de soutenir que la construction en cause était depuis plus de dix ans une maison à usage d'habitation d'une surface de 75 m2 alors qu'en réalité la surface de la construction initiale avait été étendue de 35 à 75 m2 par des travaux réalisés en méconnaissance du plan local d'urbanisme. Autre élément important de cet arrêt : l'administration est fondée à retirer un permis de construire frauduleux même s'il est démontré qu'elle avait connaissance de la fraude au moment de l'instruction, et qu'elle aurait donc dû refuser ce permis de construire ab initio .
Pour le Conseil d'État, il revient aussi à une commune, « en cas de tentative de fraude en vue d'obtenir un permis de construire, d'y faire échec, alors même qu'est en cause un acte de droit privé ». En l'espèce, le pétitionnaire avait signé, le même jour, un acte de vente et un compromis de vente contraires pour des terrains, ce qui était de nature à constituer « une manœuvre destinée, aux seules fins d'obtenir un permis de construire indu », à présenter un dossier « pour un terrain d'assiette dont la surface et les caractéristiques étaient différentes de celles du terrain réellement envisagé pour asseoir la construction ».
Dans une autre affaire, une tentative de fraude a également été retenue pour un projet de construction sur un terrain issu d'une division foncière ayant eu pour seul objet d'en réduire la profondeur et de contourner le PLU. Il s'agissait, en l'espèce, d'un cas de fraude à la loi du fait de la concomitance de l'acte de vente et du compromis de vente contraire conclus le même jour, et la combinaison de leurs stipulations révélait une manœuvre destinée, aux seules fins d'obtenir un permis de construire indu, à présenter à l'administration une demande pour un terrain d'assiette dont la surface et les caractéristiques étaient différentes de celles du terrain réellement envisagé pour asseoir la construction.
Comme le rappelle le Conseil d'État dans sa jurisprudence, un permis de construire n'a d'autre objet que d'autoriser la construction d'immeubles conformes aux plans et indications fournis par le pétitionnaire. L'administration n'a pas à vérifier l'exactitude des déclarations relatives à la consistance du projet, à moins qu'elles ne soient contredites par les autres éléments du dossier de demande.
– Le retrait pour fraude, un élément d'insécurité pour le projet. – En arguant qu'il a été obtenu de manière frauduleuse, un tiers justifiant d'un intérêt à agir peut solliciter à tout moment le retrait d'un permis de construire. Si l'autorité d'urbanisme refuse de retirer l'autorisation, un tiers pourra former un recours pour excès de pouvoir contre cette décision, dans un délai de recours contentieux, quelle que soit la date à laquelle il l'a saisie de la demande de retrait.
Si un tiers justifiant d'un intérêt à agir est recevable à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle l'autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d'abroger ou de retirer un permis obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l'a saisie d'une demande à cette fin, le délai du recours contentieux qui lui est ouvert pour saisir la juridiction court dès la naissance de cette décision implicite, sans que l'absence d'accusé de réception de sa demande y fasse obstacle.
Saisi d'un recours en excès de pouvoir contre cette décision de refus de retrait de l'administration, le juge aura pour mission « de vérifier la réalité de la fraude alléguée puis, en cas de fraude, de contrôler que l'appréciation de l'administration sur l'opportunité de procéder ou non à l'abrogation ou au retrait n'est pas entachée d'erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien de l'acte litigieux soit de son abrogation ou de son retrait ».
Il convient de rappeler que le retrait d'un permis obtenu de manière frauduleuse reste soumis à procédure contradictoire.
– Propositions. – En résumé, il s'agit là d'un recours sans limite dans le temps, qui permet d'ouvrir des possibilités de contestation de la légalité de l'acte équivalentes à celles d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre cet acte.
Cette situation crée une insécurité considérable pour les pétitionnaires et ne trouve pas encore de solutions efficaces. À ce stade, on peut tout au plus noter que la démarche visant à demander un retrait pour fraude comme palliatif à l'échec d'une action contentieuse contre un permis de construire peut être considérée comme un recours abusif. La cour administrative d'appel en a jugé ainsi dans une affaire qu'il paraît intéressant de présenter.
Dans cette affaire, la Société Bouygues Immobilier a obtenu un arrêté de permis de construire le 9 mars 2017 en vue de la construction de deux bâtiments collectifs d'habitation à Caen. Un recours pour excès de pouvoir est formé par une SCI, lequel est rejeté par le tribunal administratif de Caen, puis sur appel par la cour administrative d'appel de Nantes. Le Conseil d'État, enfin, n'admet pas le pourvoi en cassation dans un arrêt du 7 juillet 2021. Mais la SCI ne s'en tient pas là. Dès le lendemain de l'arrêt du Conseil d'État, elle demande au maire de Caen de retirer pour fraude le permis de construire. Le maire rejette cette demande le 30 août 2021. La SCI demande au tribunal administratif de Caen, l'annulation de cette décision de rejet. Ce recours est rejeté par une ordonnance du 19 mai 2022, contre laquelle la SCI interjette appel. La cour administrative d'appel rejette le recours et condamne la SCI à une amende pour recours abusif après avoir constaté que les inexactitudes de la demande de permis de construire n'avaient pas d'incidence et qu'elles étaient dépourvues d'intention frauduleuse.
Ne pourrait-on pas envisager que ce recours puisse être limité dans le temps, comme en cas d'absence ou de caractère incomplet de l'affichage ou d'absence d'indication des délais de recours ? Ou alors ne faut-il pas élargir le champ d'application de l'article R. 600-3 au cas de la fraude ?