Le partage des communs

Le partage des communs

La force du droit des contrats : vers la contractualisation d'un droit de voisinage aux finalités environnementales

– La déclinaison à l'infini du droit des contrats. – Force est d'observer aujourd'hui que les techniques des droits réels sont assez rudimentaires : la décomposition de l'usus, du fructus et de l'abusus entre deux personnes correspond à des situations simples. En fait, il faudrait pouvoir décomposer non pas les prérogatives du propriétaire, mais les utilités mêmes des choses et les distribuer à une pluralité de parties prenantes : l'accès, l'usage économique, l'usage non économique, l'entretien, l'amélioration, l'aliénation… En pratique, le droit des contrats, par l'octroi de droits personnels, permet de faire – même sur le long terme – ce que le droit des biens peine à proposer.
Le droit des servitudes illustre cet état de fait. D'un côté, il permet « aux propriétaires d'établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble » (C. civ., art. 686). Mais, de l'autre, il refuse d'admettre qu'on crée, à titre principal, une servitude de faire par laquelle le propriétaire du fonds grevé devrait accomplir une prestation positive (servitus in faciendo non potest).
– Des contrats entre voisins pour la protection de l'environnement. – Les voisins ne doivent plus attendre l'intervention du législateur pour intégrer la protection de l'environnement dans leurs rapports au quotidien. La contractualisation de ce droit du voisinage peut être laissée au gré de l'inventivité des rédacteurs d'actes. Il est possible ainsi de mettre en place des contrats de voisinage imposant des obligations en lien avec l'environnement de faire ou de ne pas faire. Pourraient figurer au rang de ces obligations : la végétalisation des espaces libres, l'entretien des végétaux, la taille des haies, l'installation d'ouvrages nécessaires à recevoir des nids, l'occupation d'un terrain afin d'éviter le retour à la friche, la lutte contre les risques d'incendie. Cette contractualisation des rapports de voisinage n'est pas sans rappeler les obligations réelles environnementales. Reste que le contrat demeure l'instrument adéquat afin d'organiser au mieux et sur mesure le lien entre relations de voisinage et protection de l'environnement. La technique contractuelle est au service d'une protection et d'une circulation de la biodiversité freinées jusqu'alors par le droit des clôtures. Le droit du voisinage protecteur de l'environnement trouve alors sa source dans le contrat en multipliant les obligations aux finalités environnementales, et ce, dans l'intérêt collectif.

L'utilisation du droit de jouissance pour traiter des communs

– L'intérêt du droit de jouissance spéciale. – Afin de désigner le droit de jouissance le plus à même de réaliser une jouissance partagée d'un bien, il convient d'en rechercher la nature idoine. Autrement dit, entre les droits réels et personnels : lesquels choisir ? Au regard de l'opposition structurelle entre ces deux types de droits, la réponse semble évidente. Les droits réels, opposables erga omnes par nature, sont tout désignés pour assurer une jouissance partagée durable. Mieux, certains auteurs ont relevé les bénéfices environnementaux d'une multiplication de droits réels sur un même bien.
Or, parmi les droits réels de jouissance, le droit réel de jouissance spéciale fait figure de candidat idéal. En effet, là où l'usufruit octroie à son titulaire une jouissance équivalente à celle du propriétaire, le droit réel de jouissance spéciale se distingue par la possibilité d'une jouissance réduite, limitée à un ou quelques usages précis. Ce partage d'utilités restreintes contient également en lui des virtualités environnementales. Le propriétaire est ainsi en mesure de déterminer, au regard de la destination environnementale de son bien, les utilités qui participent à sa préservation afin d'en consentir la jouissance à autrui.
– Le droit réel de jouissance spéciale ne peut être perpétuel. – Si certains auteurs ont appelé de leurs vœux la perpétuité de ces droits lorsqu'il est question de protection de l'environnement, la jurisprudence de la Cour de cassation reste ferme : les droits réels de jouissance spéciale ne peuvent être perpétuels. Une solution alternative est peut-être à trouver dans la détermination du terme du droit conféré. En effet, selon l'arrêt Maison de Poésie II , n'est pas considéré comme perpétuel le droit réel de jouissance spéciale consenti pour toute la durée de vie d'une fondation. Une association peut ainsi être constituée pour un temps illimité. Dès lors, concevoir un droit dont le terme est fixé sur la durée de vie d'une association, n'est-ce pas reconnaître une forme de perpétuité factuelle ? Un propriétaire pourrait donc concéder un droit réel de jouissance spéciale à une association de protection de l'environnement pour toute la durée de sa vie. Ce faisant, c'est la pérennité de la destination environnementale du bien qui serait assurée, et cela même après le décès du propriétaire.
– Affirmation du principe d'impossibilité de créer un droit réel de jouissance spéciale en dénaturation d'un droit réel nommé. – Julien Dubarry et Vivien Streiff soulignent que si la Cour de cassation encourage incontestablement l'utilisation de ce nouveau droit réel, la prudence est néanmoins de mise pour les rédacteurs d'actes, et dispensent le conseil suivant :
« Conseil pratique : À l'avenir, il conviendra pour les praticiens de vérifier que le type ou les modalités de la jouissance envisagée ne sont pas appréhendés par un droit réel connu et régi par un texte ».
Céline Kuhn abonde dans le même sens en ces termes : « S'il existe un flou autour de la qualification, comment être sûr des règles applicables et des effets juridiques qui seront produits ? ».

Bornages et clôtures peu compatibles avec la circulation de la biodiversité

– Le droit de clore, attribut du droit de propriété. – Les bornages ou clôtures épousent rarement les frontières naturelles. Aux découpages humains se superposent d'autres schémas : biotopes, aires de répartition… Or, le droit de se clore constitue un attribut du droit de propriété et est imprescriptible.
Pour les nouveaux projets, il ne tient qu'aux porteurs de projet et aux notaires qu'il en soit autrement. En effet, le droit de se clore n'est pas d'ordre public. La Cour de cassation a ainsi admis qu'un règlement de copropriété puisse interdire de poser une clôture.
Le droit de se clore peut être aménagé conventionnellement ; il est possible d'y renoncer à condition toutefois que la renonciation – qui ne se présume pas – ne soit ni incertaine ni équivoque. Elle doit être exprimée en termes formels.