Le lotissement : d'inévitables points d'attention

Le lotissement : d'inévitables points d'attention

– La cristallisation des droits à construire. – À l'instar du certificat d'urbanisme qui permet une stabilisation ou « cristallisation » des règles d'urbanisme et de la fiscalité applicables sur une période de dix-huit mois, l'article L. 442-14 du Code de l'urbanisme permet la cristallisation des règles d'urbanisme pendant cinq ans dans les opérations de lotissement. En pratique, cela signifie que les permis de construire déposés sur les lots issus de la division sont, pendant une durée de cinq années, instruits au regard des règles d'urbanisme applicables à l'autorisation de diviser.
La détermination du point de départ de ce délai de cinq ans est essentielle.
– Lotissement soumis à la procédure du permis d'aménager . – Après quelques hésitations doctrinales et dans la suite de la jurisprudence du Conseil d'État, la loi ELAN a confirmé que le point de départ du délai de cinq ans court à compter de l'achèvement des travaux de viabilisation du lotisseur. Il est toutefois précisé qu'en cas de lotissement réalisé par tranches, le délai court de façon distincte à partir de l'achèvement de chacune des tranches concernées.
– Lotissement soumis à déclaration préalable. – Pour un lotissement soumis à la procédure de la déclaration préalable, le délai de cinq ans court à compter de la non-opposition préalable. Cependant le Conseil d'État, dans un arrêt Société la Gariguette du 13 juin 2022, apporte une précision complémentaire essentielle.
Il conditionne la reconnaissance d'un lotissement, et par conséquent la cristallisation des droits qui y sont attachés, à la consommation de la division : en somme la réalisation juridique de cette dernière. La matérialisation juridique de la division posée comme corollaire à la constatation d'une opération de division est à distinguer de la matérialisation physique de la division qui suppose la réalisation d'un document d'arpentage, voire un bornage. Comme le rappelle dans ses conclusions Arnaud Skzryerbak, rapporteur public, aucune règle nouvelle ne résulte de cet arrêt. La division procède bien, en propriété ou en jouissance, du transfert du droit de construire, de la constatation d'une mutation ou d'une location assortie du droit de construire.
– Impact sur les effets de la cristallisation de l'annulation rétroactive d'un document d'urbanisme. – L'annulation des documents de planification pour un motif étranger aux règles d'urbanisme applicables au lotissement est sans incidence sur ce dernier. En effet, la loi ELAN a modifié l'article L. 442-14 du Code de l'urbanisme en prévoyant dorénavant (dernier alinéa) que : « L'annulation, totale ou partielle, ou la déclaration d'illégalité d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme, d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale pour un motif étranger aux règles d'urbanisme applicables au lotissement ne fait pas obstacle, pour l'application du présent article, au maintien de l'application des règles au vu desquelles le permis d'aménager a été accordé ou la décision de non-opposition a été prise ».
– Les entorses au principe de la cristallisation. – La garantie de stabilité des règles d'urbanisme de l'article L. 442-14 du Code de l'urbanisme ne fait, en premier lieu, pas obstacle à l'application de l'article R. 111-2 du même code. Aux termes de cette disposition, un permis peut être refusé si les constructions, par leur situation ou leurs dimensions, sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publiques. Après la crise de la Covid-19, la pression sur les terrains a pu conduire certains acquéreurs à régulariser des actes d'achat sans condition de permis de construire. Il s'est alors avéré indispensable de réaliser une analyse fine des aléas naturels susceptibles d'affecter la constructibilité du terrain concerné.
En second lieu, ainsi que le précise le troisième alinéa de l'article L. 442-14, les articles L. 442-10, L. 442-11 et L. 442-13 du Code de l'urbanisme autorisent les modifications des règles d'un lotissement nonobstant la cristallisation.
– La sollicitation tardive voire inexistante de l'expertise notariale : un risque avéré d'insécurité juridique. – Dans des opérations de renouvellement urbain, il arrive que les dossiers de division parviennent à l'analyse du notaire à un stade tardif, les propriétaires et opérateurs n'ayant pas pris la peine de le consulter auparavant. Deux conséquences principales pouvant résulter d'un retard de ce type méritent d'être soulignées.
Si le régime de la division préalable n'est pas nécessairement porté par un professionnel tel qu'un géomètre ou un architecte, les services instructeurs se contentent généralement d'instruire la demande au vu de la réglementation d'urbanisme applicable sans intégrer la composante liée aux règles de droit privé, notamment l'existence de cahier des charges. Les dispositions de ces derniers peuvent constituer un obstacle à la concrétisation de la division. Les parties pourraient alors de bonne foi se retrouver à avoir engagé des frais, lesquels seraient irrépétibles en cas d'opposition d'un riverain. Nous renvoyons sur ce sujet aux développements du 119e Congrès des notaires de France.
La seconde problématique tient au contournement du contrôle des divisions soumises à permis d'aménager par l'artifice de la division des réseaux. La situation est la suivante : un propriétaire constitue délibérément autant de voies d'accès et de réseaux distincts qu'il y a de lots (généralement deux). L'artifice semble résulter de la lacune de l'article R. 441-10, c) du Code de l'urbanisme qui n'impose pas en cas de lotissement soumis à déclaration préalable d'autre information qu'un plan figurant la division projetée. Aucune information sur les dessertes des lots n'est imposée. Or, il nous semble que l'autorité compétente doit disposer de ces informations afin de contrôler que cette procédure n'est pas abusivement utilisée.
Rappelons en outre que le permis d'aménager protège l'acquéreur par rapport à une simple déclaration préalable et que le notaire prêtant son concours à une telle opération verrait certainement sa responsabilité engagée.
– De l'utilisation hasardeuse de l'article R. 442-2 du Code de l'urbanisme. – L'article R. 442-2 du Code de l'urbanisme traite de ce que d'aucuns ont connu comme étant le « lotissement un îlot » ou le « lotissement effet » avant la réforme de 2007/2012. Il prévoit que : « Lorsqu'une construction est édifiée sur une partie d'une unité foncière qui a fait l'objet d'une division, la demande de permis de construire tient lieu de déclaration préalable de lotissement dès lors que la demande indique que le terrain est issu d'une division ».
Il peut concerner deux situations bien distinctes.
En premier lieu, à la différence d'un permis de construire, une division susceptible de relever de la réglementation des lotissements peut ne porter que sur partie d'une unité foncière. L'article R. 442-2 du Code de l'urbanisme règle alors la question du reliquat qui pourrait faire l'objet ultérieurement d'une autorisation de construire. En effet il serait superfétatoire d'imposer, préalablement au dépôt d'un permis de construire sur le reliquat de la parcelle, le dépôt d'une autorisation de diviser (en l'espèce une déclaration préalable).
En second lieu, il convient de remarquer que la maîtrise de la chronologie des opérations de division (détachement de la propriété bâtie en vue de sa vente et conservation du reliquat non bâti sans manifester une quelconque intention de construire ; puis dépôt d'un permis de construire sur le reliquat) peut permettre de bénéficier des effets de l'article R. 442-2 du Code de l'urbanisme et, partant, d'exonérer le détachement d'un terrain à bâtir de tout contrôle avant le dépôt d'un permis de construire sur son assiette.
Le sujet nourrit beaucoup de débats et positions contradictoires de la part des professionnels (notaires, géomètres…) et des services instructeurs. Il est surtout risque de responsabilité pour le notaire qui apprécierait mal les conséquences de la segmentation chronologique des opérations de division.

Du bon usage de l'article R. 442-2 du Code de l'urbanisme

<strong>La problématique est la suivante :</strong> en l'état actuel de la réglementation des lotissements, une division de terrain n'est constitutive (dès le premier détachement) d'un lotissement que si la division intervient en vue de l'implantation d'une construction. Le détachement d'un terrain supportant un bâtiment en vue de sa vente et la conservation par le propriétaire foncier du reliquat sans manifester une quelconque intention de construire dans l'immédiat seraient de nature à dispenser le détachement de tout contrôle.

Ainsi, le dépôt ultérieur d'un permis de construire sur le terrain conservé emporterait, en application de l'article R. 442-2 du Code de l'urbanisme, régularisation au titre de la réglementation des lotissements.

Pour autant que la technique semble empreinte de bon sens, son utilisation peut se révéler particulièrement dangereuse. En effet, la déclaration préalable permet à la collectivité de se prononcer sur la constructibilité et les conditions de desserte en réseau et équipements d'un terrain. De surcroît, et comme cela a été rappelé, la mise en œuvre du détachement sanctuarise la constructibilité et cristallise les droits.

Tel n'est pas le cas lorsqu'une division s'opère sans déclaration préalable et sous couvert ultérieur de l'article R. 442-2 du Code de l'urbanisme.

Une telle pratique est source d'une grande insécurité juridique tant pour le propriétaire du terrain (qui pourrait ne pas pouvoir vendre comme terrain à bâtir le reliquat conservé) que pour l'acquéreur, qui pourrait ne pas se voir autorisé son permis de construire et engagerait de nombreux frais voire achèterait sans condition d'obtention du permis de construire compte tenu de la pression foncière.

Une rédaction appropriée des clauses relatives aux opérations de division et une parfaite connaissance des règles s'imposeront au notaire à peine de voir, certainement, sa responsabilité engagée.