Le droit de préemption pour l'adaptation des territoires au recul du trait de côte (DPRTC)

Le droit de préemption pour l'adaptation des territoires au recul du trait de côte (DPRTC)

– L'apport de la loi Climat et Résilience. – Le droit de préemption est un outil de ma îtrise foncière évolutif ; il n'est donc pas surprenant que le législateur utilise cet outil et l'adapte aux préoccupations environnementales. Ainsi un nouveau droit de préemption, calqué sur le droit de préemption urbain, a été créé pour l'adaptation des territoires au recul du trait de côte (DPRTC), et ce afin de contrôler les mutations des immeubles menacés. Son régime est prévu aux articles L. 219-1 à L. 219-13 du Code de l'urbanisme . Nous examinerons successivement son champ d'application (I) et sa procédure (II).

Champ d'application

– Le champ d'application territorial. – Le droit de préemption concerne les communes mentionnées à l'article L. 121-22-1 du Code de l'urbanisme, c'est-à-dire celles dont la liste a été fixée par décret en application des dispositions de l'article L. 321-15 du Code de l'environnement.
Ce droit de préemption s'applique de plein droit dans l'intégralité de la zone exposée au recul du trait de côte, telle que définie par le 1° de l'article L. 121-22-22 du Code de l'urbanisme, soit dans la zone concernée par l'horizon temporel de trente ans.
S'agissant de la zone exposée à un risque entre trente et cent ans, définie par le 2° dudit article, elle peut être concernée par ce droit de préemption si la commune ou l'EPCI compétent le décide, par délibération. Le droit est institué au profit de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale dont elle est membre, lorsque ce dernier est compétent en matière de PLU ou de carte communale. Le renvoi prévu par l'article L. 219-12 du Code de l'urbanisme à l'article L. 213-3 du même code permet aussi d'envisager la délégation du droit.
– Articulation avec les autres droits de préemption. – L'article L. 219-1 du Code de l'urbanisme traite de la question, et prévoit :
  • que ce nouveau droit de préemption écarte le droit de préemption urbain, le droit de préemption en ZAD, et le droit de préemption défini à l'article L. 214-1 du Code de l'urbanisme, uniquement en cas d'aliénation à titre onéreux du terrain (ce qui signifie que reste ouverte la possibilité de préempter des fonds artisanaux, des fonds de commerce, des baux commerciaux et des terrains faisant l'objet de projets d'aménagement commercial, sauf en cas d'aliénation à titre onéreux de terrain) ;
  • que ce nouveau droit de préemption ne prime pas le droit de préemption relatif aux espaces naturels sensibles.
Quid du droit de préemption de la SAFER ? La question avait donné lieu à amendements lors des débats parlementaires, afin d'exclure les biens à usage ou à vocation agricole du champ d'application de ce nouveau droit. Ces amendements ont été rejetés, et le texte adopté prévoit une solution de conciliation, puisque « le droit de préemption institué (...) peut s'exercer en coopération avec la [SAFER] sur les biens immobiliers non bâtis à usage ou à vocation agricole ainsi que les bâtiments d'exploitation agricole, au sens de l'article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime » .
– Champ d'application matériel. – Sont visées tant les aliénations à titre onéreux que les aliénations à titre gratuit.
L'article L. 219-2 du Code de l'urbanisme a la même structure que l'article L. 213-1 dudit code. Sont concernées les aliénations à titre onéreux :
  • la cession de tout immeuble ou ensemble de droits sociaux donnant vocation à l'attribution en propriété ou en jouissance d'un immeuble ;
  • les cessions de droits indivis, sauf lorsqu'elles sont consenties à l'un des coïndivisaires, et les cessions de tantièmes contre remise de locaux à construire ;
  • les cessions de parts de SCI ou les cessions conduisant un acquéreur à détenir la majorité des parts de ladite société, lorsque le patrimoine de cette société est constitué par une unité foncière, bâtie ou non, dont la cession serait soumise au droit de préemption (hors les cessions de parts de SCI constituées exclusivement entre parents et alliés jusqu'au quatrième degré inclus) ;
  • les immeubles construits ou acquis par les organismes mentionnés à l'article L. 411-2 du Code de la construction et de l'habitation et qui sont leur propriété, sous réserve des droits des locataires définis à l'article L. 443-11 du même code, à l'exception des immeubles ayant fait l'objet d'une décision d'agrément du représentant de l'état dans le département en vue de la construction ou de l'acquisition de logements neufs faisant l'objet d'un contrat de location-accession régi par la loi no 84-595 du 12 juillet 1984 définissant la location-accession à la propriété immobilière ;
  • les adjudications.
Cependant, les exemptions sont réduites, compte tenu du but de sécurité poursuivi par le DPRTC. D'une comparaison avec l'article L. 213-1 précité, on s'aperçoit qu'il ne reste que les aliénations qui correspondent à la mise en œuvre de procédures de délaissement ou liées à des politiques d'aménagement.
L'article L. 219-3 du Code de l'urbanisme précise ensuite que les donations d'immeubles ou de droits sociaux mentionnés au 1° de l'article L. 219-2 sont également concernées, sauf si la donation est effectuée entre ascendants et descendants, ou entre collatéraux jusqu'au sixième degré, ou entre époux ou partenaires liés par un PACS, ou enfin entre une personne et les descendants de son conjoint ou de son partenaire de PACS ou entre ces descendants.
L'article L. 219-4 vise les apports en nature à une SCI d'immeubles ou de droits sociaux dans les conditions précédemment citées.
L'article L. 219-5 vise enfin les situations dans lesquelles seule une partie de l'unité foncière est soumise au DPRTC : le titulaire peut préempter la partie préemptable, mais le propriétaire peut exiger de l'administration qu'il réalise l'acquisition de l'ensemble de l'unité foncière .

Une liste d'exemptions réduite

Le praticien devra veiller à acquérir de nouveaux réflexes dans les zones concernées et ne pas
raisonner par analogie ou amalgame avec les exemptions habituelles au droit de préemption urbain
(DPU) : en effet, l'exception des ventes d'immeubles à construire ou les levées d'option dans le
cadre des crédits-bails ne sont pas reprises. La vigilance est de mise, et c'est là le risque
d'une rédaction d'article calquée sur celle du DPU.

La procédure

– Des règles expresses. – La procédure est décrite aux articles L. 219-6 à L. 219-10 et L. 219-12 du Code de l'urbanisme, et contient des règles expressément prévues, et des renvois à des dispositions relatives au DPU.
Les règles expressément prévues sont les suivantes :
  • à peine de nullité de l'aliénation , le dépôt, classique, de la déclaration en mairie comporte obligatoirement (sauf en cas de donation) l'indication du prix et des conditions de l'aliénation projetée (en cas d'adjudication l'estimation du bien ou sa mise à prix ; en cas de paiement en nature le prix d'estimation de cette contrepartie) ;
  • le délai d'instruction est de deux mois, et le silence du titulaire vaut renonciation. Ce délai peut être suspendu par une demande de pièces complémentaires. Une visite peut également être demandée, mais contrairement au DPU, elle ne suspend pas le délai .
Si une acquisition est envisagée par le titulaire du DPRTC, ce dernier transmet sans délai une copie de la déclaration d'intention d'aliéner (DIA) aux services fiscaux. La décision du titulaire fait l'objet d'une publication, indique l'estimation du bien par les services fiscaux, et est notifiée au vendeur, au notaire et, le cas échéant, à l'acquéreur potentiel mentionné dans la déclaration d'intention d'aliéner. Le notaire la transmet ensuite aux titulaires de droits d'emphytéose, d'habitation ou d'usage, aux personnes bénéficiaires de servitudes, aux fermiers et aux locataires mentionnés dans la DIA.
En cas de désaccord sur le prix, le texte prévoit que celui-ci sera fixé par le juge de l'expropriation, dans les conditions de l'article L. 219-7 du Code de l'urbanisme.
– Des renvois. – Les renvois quant à eux sont prévus par l'article L. 219-12 du Code de l'urbanisme et concernent les articles L. 213-3, L. 213-4-1, L. 213-4-2, L. 213-5, L. 213-7 à L. 213-10, L. 213-14 et L. 213-15.
Le droit de délaissement est prévu par l'article L. 219-10, permettant au propriétaire de proposer au titulaire l'acquisition du bien, en indiquant le prix demandé. Le délai de réponse est de deux mois. à défaut d'accord amiable sur le prix, renvoi est fait à l'article L. 219-7, le prix étant fixé par le juge de l'expropriation.

L'évaluation du bien objet de la préemption

à défaut d'accord amiable sur le prix, l'article L. 219-7 du Code de l'urbanisme fixe la
méthode à retenir. Dans sa rédaction issue de la loi Climat et Résilience, cet article indiquait
jadis que : « à défaut d'accord amiable, le prix d'acquisition est fixé par la juridiction
compétente en matière d'expropriation, en tenant compte de l'exposition du bien au recul du
trait de côte ; ce prix est exclusif de toute indemnité accessoire, notamment de l'indemnité de
réemploi. Le prix est fixé, payé ou, le cas échéant, consigné selon les règles prévues en
matière d'expropriation publique ».

L'ordonnance du 6 avril 2022 a largement modifié et complété le dispositif. Ainsi, le prix
d'un bien immobilier situé dans une zone exposée au recul du trait de côte délimitée à horizon
temporel de trente ans, est fixé en priorité par référence à des mutations et accords amiables
portant sur des biens de même qualification et avec un niveau d'exposition similaire situés dans
cette même zone. à défaut de références suffisantes, le prix est fixé en priorité, dans les
mêmes termes que ceux énoncés précédemment, mais par référence à des biens de même qualification
situés hors de la zone en question. Le texte précise ensuite que dans ce cas, et pour tenir
compte de la durée limitée restant à courir avant la disparition du bien, un abattement est
pratiqué sur la valeur de ces références. Cet abattement peut, notamment, être déterminé par
application d'une décote calculée en fonction du temps écoulé depuis la première délimitation de
ladite zone (en application de l'article L. 121-22-2), rapporté à la durée totale prévisionnelle
avant la disparition du bien à compter de cette première délimitation.

La date de référence, à laquelle est pris en considération l'usage effectif des immeubles en
vue de leur estimation, est la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des
actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme ou la carte
communale et délimitant la zone exposée au recul du trait de côte dans laquelle il est situé

.

Comme le souligne un auteur, « avec un tel risque, l'on se demande si ces biens vaudront
encore quelque chose »

. Se pose donc la question de l'atteinte au droit de propriété, puisqu'en matière
d'expropriation « une juste » et préalable indemnité doit être versée au propriétaire. Or, en la
matière, il y a fort à parier que le bien aura été acquis à une valeur de marché très éloignée
de l'indemnité finalement déterminée. La tâche sera lourde pour les experts, qui devront fixer
une valeur sans avoir de réels précédents.

– Le devenir du bien préempté : la renaturation ou recomposition littorale. – Enfin, le sort du bien préempté est fixé par les articles L. 219-11 et L. 219-11-1 (hypothèse d'une décision de préemption annulée ou déclarée illégale) du Code de l'urbanisme. L'immeuble est géré par la personne publique qui en est devenue propriétaire, au regard de l'évolution prévisible du trait de côte. La renaturation est l'objectif fixé par le législateur. Notons à toutes fins utiles que le Code de l'urbanisme ne prévoit pas que le bien préempté puisse être revendu, ce qui semble logique au vu de la finalité du droit de préemption .
La personne publique peut également confier la gestion du bien à une personne publique ou privée y ayant vocation. Enfin, les biens peuvent également faire l'objet, avant leur renaturation, de convention d'occupation ou de bail, en vue d'occuper, d'exploiter, d'aménager, de construire ou de réhabiliter des installations, ouvrages ou bâtiments en tenant compte de l'évolution prévisible du trait de côte. Il s'agit notamment de pouvoir conclure un bail réel spécifique au trait de côte.