– Les trois dimensions des communs
ne nécessitent pas de bouleverser notre droit positif. – Elinor Ostrom, économiste américaine lauréate du prix Nobel en 2009, a permis de propulser sur le devant de la scène le concept de communs. Cette notion, qui compte une longue histoire, est ainsi revisitée. Les communs s'inscrivent aujourd'hui dans un mouvement général de réappropriation de l'espace pour repenser des villes face aux crises environnementales (effondrement de la biodiversité, épuisement des ressources, changement climatique, pollutions environnementales).
Ainsi, à la suite des travaux d'Elinor Ostrom, les communs sont définis par trois dimensions essentielles :
- la présence d'une ressource (commun good), espace, champ, source d'eau, tiers lieu, parc naturel régional, etc., la nature de cette ressource n'étant pas limitative ;
- la gestion par une communauté ouverte (commoners) d'habitants, d'agriculteurs, de voisins, etc., avec une gouvernance horizontale et inclusive, ce qui évite l'effet gated community, et fait appliquer les règles. L'accès à la communauté est gratuit et non discriminant ;
- le fonctionnement selon des règles transparentes, choisies par la communauté en toute autonomie, toujours sous le couvert de la loi du pays concerné. Des règles d'accès et d'usage qui ont pour but de partager et de préserver une ressource (commoning) afin d'éviter sa surexploitation et son épuisement.
Cette manière d'envisager les communs est très intéressante ; elle ne nécessite pas de bouleverser notre droit positif, mais simplement de l'utiliser ou de le penser différemment.
Dans la perspective de la protection de l'environnement, la ressource immédiate est l'environnement lui-même, constitué de l'ensemble des ressources naturelles. Le Code de l'environnement s'ouvre en ce sens sur l'affirmation que : « Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sons et odeurs qui les caractérisent, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l'air, la qualité de l'eau, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation ».
Bernard Grimonprez a étudié comment la théorie des communs d'Elinor Ostrom peut s'appliquer aux questions environnementales : « Par-delà l'unitaire et l'exclusif droit de propriété, Elinor Ostrom a distingué des droits d'accès ou de prélèvement qui constituent d'autres formes d'attributs sur un usage de la ressource. Le concept de Bundles of rights, traduit par faisceaux de droits, vient rendre compte de la grande variété des situations dans lesquelles différents acteurs ont des droits, de nature identique ou distincte, sur une même ressource. Si sa pensée sur ce point se situe dans le prolongement de réflexions amorcées dès la fin du XIX
e siècle par des auteurs américains tels John Commons et Wesley Hohfeld, on peut aussi y voir une résurgence de l'Ancien droit français qui ventilait entre différentes personnes les diverses utilités et usages des choses. Il n'est que de se rappeler que le droit des biens distinguait au Moyen Âge le domaine utile et le domaine éminent qui étaient attribués respectivement à l'exploitant de la terre et au seigneur. Dans le même sens, les villageois disposaient d'un droit de vaine pâture pour venir faire paître leur troupeau après les récoltes. Plus récemment, François Ost a proposé le concept de « transpropriation » pour désigner les situations dans lesquelles on assiste à « la superposition à propos d'une même ressource, d'un même bien ou d'une même portion de territoire, de plusieurs régimes juridiques distincts » selon une « logique complexe qui prend en compte les usages multiples que permettent les espaces et les ressources, et met en place des réseaux de droits d'accès, d'usage et de contrôle débordant les découpages issus de la propriété autant que de la souveraineté ». Quels que soient les termes employés, toutes ces hypothèses rendent compte du passage d'un droit de propriété compris comme nécessairement individuel et exclusif à un droit de propriété inclusif et partitionable où chaque attribut peut être alloué à des catégories de bénéficiaires variés (…).
Enfin, le troisième et dernier critère caractéristique des communs est leur mode de gouvernance : le commun repose sur une structure de gouvernance qui permet d'articuler les différents intérêts des différents acteurs tout en assurant le maintien de la ressource. C'est pourquoi la structure de gouvernance devra intégrer des modes d'arbitrage des conflits afin d'assurer le maintien de la coopération en vue d'atteindre les objectifs partagés par les participants au commun. Ce point sera d'autant plus crucial lorsque les communs opèrent dans des univers « complexes et multicentriques » et impliquent des agents nombreux et hétérogènes.
En conséquence, le commun ne pourra être ainsi qualifié lorsque seule l'autorité publique institue des règles d'accès ou d'entretien sur certains biens dans la perspective de protéger l'environnement. C'est pour cette raison qu'à notre sens, des obligations de dépollution ou des obligations de compensation établies par le législateur ne peuvent être rattachées à la catégorie des communs, leur finalité collective étant une condition nécessaire mais non suffisante à une telle qualification, à défaut de toute gouvernance plurielle ».
Dès lors, il convient de s'interroger sur les formes de communs qui émergent et contribuent au renforcement de la protection de l'environnement.