Le bail réel d'adaptation à l'érosion côtière (BRAEC)

Le bail réel d'adaptation à l'érosion côtière (BRAEC)

– Un outil de gestion temporaire de biens voués à la disparition. – Solution douce ou de transition, dans l'attente d'une recomposition du territoire et d'une relocalisation, le bail réel d'adaptation à l'érosion côtière (BRAEC) est un nouveau type de bail réel de longue durée, conclu entre une personne publique et un preneur, sur des ouvrages et bâtiments situés dans les zones exposées au recul, afin de permettre, notamment, la poursuite de certaines activités, liées au tourisme ou à l'économie du littoral, sur les littoraux concernés.
Il a été créé par l'ordonnance du 6 avril 2022. Il permet d'offrir aux collectivités une possibilité de continuer à gérer et exploiter les biens menacés. Il s'agit d'un nouvel outil, inspiré par les autres titres constitutifs de droits réels, mais qui comporte de nombreuses spécificités tant son objet est particulier. Le bail réel d'adaptation à l'érosion côtière (BRAEC) est défini par l'article L. 321-18 du Code de l'environnement, et son régime est précisé par les articles L. 321-18 à L. 321-33 du même code. La plupart de ces articles sont d'ordre public, puisque l'article L. 321-31 précise que les baux et les cessions qui sont conclus au mépris de ces dispositions sont frappés de nullité.
– Champ d'application, qualité des parties et publicité préalable. – L'article L. 321-18 du Code de l'environnement précité renvoie, s'agissant du champ d'application du BRAEC, à l'article L. 121-22-2 du Code de l'urbanisme : les zones concernées sont donc celles définies par l'horizon temporel de trente ans, et par l'horizon temporel de trente à cent ans.
Cet article précise également qu'une « publicité préalable » obligatoire doit intervenir avant la conclusion du contrat. Le contenu et les modalités de la publicité ne sont pas encore précisés. Doit-on faire un parallèle avec la domanialité du bien, et renvoyer aux dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques ? En ce sens que les biens objet du bail ne seraient que les immeubles dépendant du domaine public du bailleur, et que la finalité de la publicité est uniquement d'assurer le respect des dispositions relatives à la publicité et mise en concurrence ?
Doit-on considérer que ce contrat ne portera que sur les biens préemptés par la mise en œuvre du DPRTC ? Il appara ît que non, puisque le Code de l'environnement indique que ce bail peut être proposé par « l'état, une commune, ou un groupement de communes, un établissement public y ayant vocation [tels que les établissements publics fonciers ou le Conservatoire du littoral] ou le concessionnaire d'une opération d'aménagement » . Le BRAEC n'est donc pas forcément consécutif à une préemption sur le fondement du DPRTC. Cela est corroboré par le fait que le champ d'application géographique visé regroupe les deux horizons temporels ; or le DPRTC est optionnel, on l'a vu, dans la zone à horizon « 30-100 ans ». Par suite, il est permis d'indiquer que le bail pourra porter indifféremment sur des biens dépendant du domaine privé ou du domaine public des personnes précitées, qu'elles en soient déjà propriétaires ou qu'elles les aient acquis suite à l'exercice du DPRTC .
Aucune précision n'est apportée par les textes sur la qualité du preneur. On peut imaginer, par exemple, qu'il s'agira du propriétaire du bien préempté, qui sera désireux de rester dans les lieux le plus longtemps possible.
– Durée du bail. – Le bail doit être conclu pour une durée comprise entre douze et quatre-vingt-dix-neuf ans . Le terme du bail est fixé « par le contrat en fonction de l'état des connaissances à la date de conclusion du bail quant à l'évolution prévisible du recul du trait de côte » . La durée « est donc dépendante de l'existence de cet événement naturel et aléatoire » . La durée est limitée. Elle ne peut être fixée arbitrairement, mais elle reste indéterminée. Comment sera apprécié techniquement l'état des connaissances lors de la conclusion du bail ? Peut-on imaginer que l'état des connaissances évoluant en cours de bail permettra d'en revoir le terme ? Toute reconduction tacite est à exclure. Toutefois, une prorogation est permise dans la mesure où la situation du bien, notamment au regard de l'évolution prévisible du trait de côte, permet de maintenir la destination, l'occupation et l'usage des installations, des constructions et des aménagements donnés à bail. Il faudra veiller toutefois à ce que la prorogation n'excède pas quatre-vingt-dix-neuf ans.
– Résiliation anticipée de plein droit. – L'article L. 321-20 du Code de l'environnement précise que le bail peut être résilié de plein droit, à la date de l'arrêté par lequel le maire ou le préfet prescrit les mesures nécessaires, lorsque l'état du recul du trait de côte est tel que la sécurité des personnes ne peut plus être assurée. En pareille hypothèse, le bailleur, qui n'est donc pas à l'origine de la décision de résiliation, est tenu malgré tout d'en informer « sans délai » le preneur. La clause du bail prévoyant que la résiliation du bail sur ce motif ne donne pas lieu à indemnité est réputée non écrite. C'est donc le bailleur qui devra indemniser le locataire, alors même qu'il n'est pas à l'origine de la fin anticipée du contrat. On ne peut dès lors que lui conseiller de limiter dans le temps la durée initialement consentie, quitte à la proroger par voie d'avenant par la suite .
– Autres cas de résiliation anticipée. – Le bail pourra également être résilié selon le droit commun. Contrairement au cas précédent, le preneur sera alors indemnisé de la valeur des droits réels immobiliers selon les modalités prévues au contrat . Il semble dès lors possible ici de s'inspirer du mécanisme prévu en matière d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public, à savoir une indemnité calculée au regard de l'investissement réalisé par le preneur, et des sommes qui resteront à amortir, calculées prorata temporis de la durée d'amortissement restant à courir.
– Droits et obligations du preneur. – Le bail est conclu en vue de l'exploitation d'une destination précisée dans l'acte. Le cas échéant, des activités accessoires peuvent être exercées. Le bail précise la nature, la consistance et l'étendue des travaux que le preneur peut réaliser. Les travaux d'entretien et de réparation nécessaires à la conservation du bien en bon état lui incombent. On peut se demander si cette obligation a la même acuité lorsque l'issue du bail approche, ou lorsque l'évolution des connaissances laisse à penser que la résiliation anticipée est proche.
Le preneur, en revanche, n'est pas obligé de reconstruire s'il est prouvé par ses soins que les biens ont péri par cas fortuit, ou s'ils ont péri par l'effet d'un vice antérieur au bail. Le bail peut également interdire ou limiter l'extension des installations, des constructions ou des aménagements donnés à bail, au regard de l'évolution du trait de côte.
– La redevance. – Les biens remis à bail ou édifiés par le preneur en vertu du contrat ne pourront, et nous le verrons ensuite, constituer la rémunération du bailleur. Celui-ci ne pourra compter que sur la redevance due en cours de bail. L'article L. 321-21 du Code de l'environnement précise que le preneur s'acquitte d'un prix à la signature du contrat pour les droits réels consentis, et le cas échéant du paiement d'une redevance en cours d'exécution du contrat.
Le droit d'entrée et la redevance sont fixés notamment en tenant compte de facteurs antérieurs au bail (les conditions d'acquisition du bien par le bailleur), et des facteurs postérieurs (les coûts prévisionnels liés aux opérations de renaturation). La redevance éventuelle ainsi déterminée pourra faire l'objet d'une révision en cours de bail, au regard de l'évolution de certains facteurs, listés de façon non exhaustive dans le texte ; un complément de prix pourra également être exigé .
– Les sûretés et les servitudes. – Aucun texte n'évoque, comme pour d'autres baux, la liberté de consentir des hypothèques. L'article L. 321-26 du Code de l'environnement indique que les droits réels issus du bail ainsi que les installations, constructions et aménagements édifiés, rénovés ou réhabilités sur le terrain ou l'immeuble objet du bail peuvent être saisis dans les formes prescrites pour la saisie immobilière. Il est ajouté que les parties peuvent librement convenir de la date d'échéance des sûretés qu'elles constituent. à défaut de précision, leur terme correspond à la fin du contrat de bail.
L'article L. 321-23 du Code de l'environnement prévoit que le preneur peut acquérir des servitudes actives et consentir les servitudes passives indispensables à l'occupation, l'exploitation ou la réalisation des aménagements.
– Les titres d'occupation conférés par le preneur. – Cette question est traitée par l'article L. 321-24 du Code de l'environnement. Le preneur ne peut pas consentir de droits réels sur les installations, constructions et aménagements qui font l'objet du bail. Il est également possible pour le contrat de prévoir une occupation ou une exploitation personnelle par le preneur, auquel cas celui-ci ne pourra pas sous-louer. Si cette faculté est en revanche ouverte au preneur, celui-ci informe le bailleur de la conclusion d'un contrat avec un sous-occupant. Ce dernier ne pourra pas céder le contrat ou consentir de sous-sous-location. Le texte précise également que le contrat d'occupation ainsi consenti par le preneur doit :
  • reproduire les dispositions de l'article L. 321-24 du Code de l'environnement et des articles L. 321-18 à L. 321-22 du même code ;
  • mentionner le terme contractuel du BRAEC et son effet sur les contrats d'occupation, et le risque de résiliation par anticipation.
Toute mention contraire à ces dispositions est réputée non écrite, la sanction étant la nullité du contrat ou une possible réduction du loyer.
L'article L. 321-24 du Code de l'environnement poursuit en précisant que le locataire principal doit communiquer à l'occupant la copie du bail en cours. Enfin, le contrat d'occupation s'éteint de plein droit au terme du BRAEC. On retrouve en pareille hypothèse une rédaction similaire relative aux obligations du bailleur, puisque le preneur doit informer « sans délai » son occupant de la fin du contrat. Le sous-occupant ne peut se prévaloir d'aucun droit envers le bailleur.
– La transmission des droits réels. – La liberté constitue un élément fondamental du bail réel. Toutefois, de nombreuses règles spécifiques existent, ainsi qu'on l'a évoqué précédemment. L'article L. 321-29 du Code de l'environnement traite des modalités de la cession. Il évoque la subrogation, dont le mécanisme laisse dubitatif . Pour tout projet de cession ou de donation, l'acquéreur ou le donataire reçoit, de la part du cédant ou du donateur, une offre préalable de cession ou de donation mentionnant expressément le caractère temporaire du droit réel, sa date d'extinction, ainsi que la possibilité que cette date soit avancée. Lorsque le bail est assorti du paiement d'une redevance, l'offre en précise les conditions de paiement. Il est évident que les droits réels proposés à la cession ou à la donation ne seront acquis ou reçus que pour la durée résiduelle du bail.
L'offre doit être maintenue pendant une durée de trente jours minimum à compter de sa réception par le destinataire cessionnaire ou donataire. Cette offre ne peut pas être acceptée avant l'expiration d'un délai de dix jours à compter de sa réception. Au surplus, notons que l'article L. 321-30 du Code de l'environnement prévoit que les articles L. 271-1 à L. 271-3 du Code de la construction et de l'habitation sont applicables aux actes conclus en vue de l'acquisition des droits réels afférents à un immeuble à usage d'habitation, objet du BRAEC.
Le bailleur doit être informé de l'intention du preneur de réaliser une telle opération, dans les trente jours qui suivent la réception par lui de l'acceptation de l'offre préalable de cession ou donation des droits réels. L'information délivrée précise les conditions de la cession ou de la donation, et doit comporter :
  • l'offre préalable de cession ou de donation mentionnant l'identité du preneur ;
  • le dossier de diagnostic technique prévu à l'article L. 271-4 du Code de la construction et de l'habitation.
– La fin du bail. – L'issue du contrat est prévue dans le bail, qui précise les conditions dans lesquelles le bien doit être libéré à terme. Le BRAEC nous fait penser immédiatement au bail à construction ou au bail emphytéotique. Néanmoins, le sort des constructions y est différent. En effet, le principe est calqué sur les autres baux constitutifs de droits réels : les constructions demeurent la propriété du preneur en cours de bail et deviennent, aux termes de l'article L. 321-22 du Code de l'environnement, celle du bailleur à l'issue du contrat.
Toutefois, l'article L. 321-18 du même code précise que, à l'issue du bail, le terrain d'assiette doit faire l'objet d'une renaturation, comprenant, le cas échéant, la démolition des constructions et assimilées, y compris celles réalisées par le preneur, et comprenant les opérations de dépollution nécessaires . Ces derniers termes interpellent : que pourrait-on imaginer comme activité polluante au sein ou sur un immeuble dont la vocationin fine est la renaturation, en vue d'une réintégration au domaine public maritime ? L'article L. 321-25 se fait l'écho de l'article L. 321-18 in fine, à la nuance près que le premier précise que la renaturation aura lieu, « sauf stipulation contraire ». Est-ce un oubli du législateur ?

La propriété « temporaire », un cas de plus

Le BRAEC n'est pas sans évoquer un autre bail réel immobilier, créé par l'ordonnance no 2014-159 du 20 février 2014 relative au logement intermédiaire : le bail réel immobilier relatif au logement (BRILO). Ce dernier instituait, pour la première fois en droit français, un régime général de propriété temporaire appliqué au logement . Dans le BRAEC, comme dans le BRILO, on retrouve la même logique de dissociation temporaire du foncier et du bâti. Ce qui n'empêchait pas le notariat de conna ître de longue date ce type de montage : ainsi, les fameux « baux » des Hospices civils de Lyon, baux emphytéotiques sui generis, particulièrement fréquents pour les copropriétés du 6e arrondissement de la ville .
Mais, au-delà de ces institutions spécialisées, ce qui se dessine en creux c'est une confirmation des intuitions d'une certaine doctrine civiliste, lyonnaise particulièrement. D'une part, que l'on affirme un peu rapidement que la propriété est par essence un droit perpétuel. Bien plutôt, la propriété est le droit qui assure l'exclusivité d'un bien, et ce droit n'a pas de terme. Mais, si la propriété a naturellement vocation à se prolonger indéfiniment, rien ne s'oppose à l'existence d'une propriété temporaire . D'autre part, au-delà des classiques démembrements du Code civil ou de la dissociation entre le tréfonds et la superficie, se confirme que la propriété est susceptible de multiples décompositions . Ou bien plutôt, ce sont les utilités de la chose que l'on peut démembrer à foison, raison pour laquelle le droit positif admet des montages qui sont autant d'hérésies pour la doctrine « classique » héritée de l'école de l'Exégèse : de la servitude sur un bail réel (dont le BRAEC), ou d'un bail réel au sein d'une copropriété (elle-même éventuellement créée au sein d'un bail réel, type BRAEC) .
L'époque devrait être prête pour redécouvrir certains des mécanismes de jadis, tels que l'opposition entre le domaine éminent et le domaine utile – nous en reparlerons au chapitre suivant. Et il n'est plus possible de regarder comme un exotisme bizarre la situation des pays de Common Law, où l'on a son logement plus souvent en leasehold (une sorte de bail réel conférant une quasi-propriété, pour le dire vite) qu'en freehold (l'équivalent, grosso modo, de notre pleine propriété) .