L'annulation partielle

L'annulation partielle

– Plan. – Le législateur a facilité le recours au mécanisme de l'annulation partielle d'origine jurisprudentielle (A), dont la portée pratique est considérable comme une illustration suffira à le montrer (B).

La présentation du dispositif légal

– Les principales caractéristiques de l'annulation partielle. – Traditionnellement les autorisations d'urbanisme et, en premier lieu, les permis de construire, étaient considérées comme indivisibles. Sur le plan contentieux, cette indivisibilité emportait une conséquence fâcheuse et souvent disproportionnée : le permis vicié était annulé en totalité.
De longue date, la jurisprudence avait modéré ce principe en admettant des cas d'annulation partielle en raison de la divisibilité de l'autorisation. Ainsi en était-il « lorsque les éléments d'un projet de construction ou d'aménagement ayant une vocation fonctionnelle autonome auraient pu faire, en raison de l'ampleur et de la complexité du projet, l'objet d'autorisations distinctes, le juge de l'excès de pouvoir peut prononcer une annulation partielle de l'arrêté attaqué en raison de la divisibilité des éléments composant le projet litigieux » ; ou lorsque le bénéficiaire se voyait imposer des participations financières.
Cependant, les juges considéraient que les prescriptions non financières formaient un tout avec le permis.
En janvier 2005, s'appuyant sur les dispositions de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative qui autorisent le juge des référés à ordonner la suspension de l'exécution d'une décision « ou de certains de ses effets », le rapport Pelletier « recommande d'admettre la divisibilité des autorisations d'occupation du sol, de telle sorte qu'un permis de construire puisse n'être annulé qu'en tant que (expression qui sera consacrée), par exemple, il autorise un balcon non réglementaire ou comporte un nombre d'emplacements de stationnement insuffisant ».
La loi ENL du 13 juillet 2006 y a donné suite en légalisant le dispositif, tandis que l'ordonnance du 18 juillet 1993 et la loi ELAN l'ont complété pour lui donner son cadre actuel.
Aujourd'hui, sur la base de l'article L. 600-5 du Code de l'urbanisme, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé, limite à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce.
La nouveauté tient à ce que l'annulation partielle est prononcée alors même que l'élément du projet affecté par l'illégalité n'est pas dissociable au sein de l'opération. Ce nouveau pouvoir s'ajoute aux cas d'annulations partielles précédemment admises en jurisprudence.
– Depuis la loi ELAN et l'emploi du terme « limite », le juge du fond a l'obligation de mettre en œuvre le dispositif d'annulation partielle. – Le juge du fond doit toutefois s'assurer que le vice affectant l'autorisation peut être régularisé, sans n'être plus enfermé dans les contraintes d'un permis modificatif.
Le juge fixe, le cas échéant, le délai dans lequel le permis de régularisation pourra être demandé. Ce permis de régularisation pourra être délivré même après l'achèvement des travaux à la condition qu'il ne bouleverse pas la nature du projet. En pratique, le titulaire du permis « annulé en tant que » devra donc demander à l'autorité d'urbanisme un arrêté modificatif tenant compte de la décision juridictionnelle devenue définitive. Néanmoins, « la fixation d'un délai de régularisation par le juge n'étant qu'une faculté, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la régularisation serait irrégulière faute pour les premiers juges d'avoir prescrit un délai de régularisation ».
Même si l'autorité compétente ou le bénéficiaire de l'autorisation peuvent demander le bénéfice de l'annulation partielle, c'est au juge qu'il appartient d'apprécier la possibilité de régularisation. Toutefois, le juge a l'obligation de motiver son refus de faire droit à une telle demande.
Le juge d'appel doit, lorsqu'il prononce une annulation partielle, indiquer les raisons pour lesquelles il a écarté les autres moyens invoqués en première instance et susceptibles d'entraîner une annulation totale de l'autorisation. L'appréciation par le juge du fond du caractère régularisable ou non du vice échappe au contrôle du juge de cassation.
Après avoir présenté le dispositif, pour une bonne compréhension, il nous paraît essentiel de l'illustrer.

L'illustration jurisprudentielle du dispositif

– Exemple. – Un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 3 février 2022, publié au recueil, illustre bien la portée du mécanisme de l'annulation partielle dans sa dimension législative.
L'espèce concerne un arrêté du 2 juillet 2019 du maire de la commune de Cavalaire-sur-Mer, par lequel a été délivré un permis de construire à la SAS Ségéprim en vue de la construction d'un immeuble collectif.
Un recours en annulation a été formé devant le tribunal administratif de Toulon.
Par jugement du 8 janvier 2021, le tribunal administratif de Toulon a fait partiellement droit à la requête. Plus précisément, usant des dispositions de l'article L. 600-5 du Code de l'urbanisme, les juges ont annulé le permis « en tant que le projet autorisé portait sur l'escalier d'accès aux appartements de l'immeuble, l'escalier d'accès aux sous-sols et le muret encerclant les façades sud-ouest et sud de l'immeuble ».
Le maire de la commune de Cavalaire-sur-Mer a alors délivré un permis de régularisation à la SAS Ségéprim par arrêté du 12 avril 2021.
Le jugement du tribunal administratif de Toulon a été frappé d'appel par une requête demandant également l'annulation du permis de régularisation.
Entre autres moyens, les appelants soutiennent que le jugement est irrégulier au regard des dispositions de l'article L. 600-5 du Code de l'urbanisme dès lors que les vices affectent l'ensemble du projet et que le tribunal n'a pas fixé le délai prévu pour la régularisation. Ils soutiennent que les vices concernant l'escalier d'accès aux appartements de l'immeuble, l'escalier d'accès aux sous-sols et le muret encerclant les façades sud-ouest et sud de l'immeuble ne pouvaient faire l'objet d'une régularisation sur le fondement de l'article L. 600-5 du Code de l'urbanisme en tant qu'ils portaient sur des parties non divisibles du projet ; que le permis de régularisation ne régularise pas les vices tirés de la méconnaissance du règlement du plan local d'urbanisme en ce qui concerne la nouvelle rampe d'accès et les murs intérieurs.
La cour administrative d'appel juge que :
  • « les vices précités affectent bien des parties identifiées et divisibles du projet, et pouvaient donc être régularisés par un permis modificatif. En outre, la fixation d'un délai de régularisation par le juge n'étant qu'une faculté, les requérants ne sont pas plus fondés à soutenir que la régularisation serait irrégulière faute pour les premiers juges d'avoir prescrit un délai de régularisation » ;
  • le permis de construire du 2 juillet 2019 est irrégulier seulement en tant que l'escalier d'accès à l'immeuble méconnaît des dispositions du plan local d'urbanisme, de même que le muret et l'escalier d'accès au sous-sol ;
  • le permis du 12 avril 2021 régularise les vices relevés et, par suite, que les conclusions des appelants contre ce permis doivent être rejetées.
D'évidence, une annulation partielle ne peut être prononcée lorsque l'irrégularité affecte le permis dans son entier. Le pétitionnaire et le juge doivent alors se tourner vers le sursis à statuer prévu à l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme.