Tandis que le droit antérieur à la réforme de 2005-2007 permettait à l'administration de « jouer » aisément avec les délais d'instruction des demandes d'autorisation d'urbanisme, notamment en égrenant les demandes de pièces complémentaires, il en va – sous réserve des procédures de pré-instruction évoquées plus haut – très différemment aujourd'hui. Les pouvoirs publics ont rigoureusement encadré les possibilités pour l'administration d'accroître le temps de l'instruction des autorisations d'occupation du sol. En effet, l'administration ne peut aujourd'hui allonger le délai d'instruction que si elle en informe le pétitionnaire dans le premier mois suivant le dépôt de la demande, et seulement dans deux hypothèses précisément réglementées : l'incomplétude du dossier (A) et la nécessité de suivre une procédure particulière (B).
L'allongement du délai d'instruction
L'allongement du délai d'instruction
L'incomplétude du dossier
– Un motif de report du démarrage de l'instruction. – Il est un principe classique en droit administratif que l'administration ne peut commencer à instruire une demande qu'à partir du moment où elle est en possession d'un dossier complet. Une demande de pièce(s) complémentaire(s) a donc pour effet d'interrompre le cours du délai d'instruction (automatiquement déclenché à la réception de la demande, on l'a vu), qui recommence à courir, pour l'intégralité de sa durée, à la réception des pièces demandées.
– Un report strictement encadré. – Afin de mettre un terme aux pratiques parfois abusives de l'administration en la matière, les pouvoirs publics ont strictement encadré cette possibilité, en la soumettant à deux conditions cumulatives. D'une part, la demande de pièce(s) doit être notifiée dans le premier mois de l'instruction. D'autre part, elle ne peut porter que sur les pièces limitativement listées par le Code de l'urbanisme pour la demande concernée. Le pouvoir réglementaire s'est en effet attaché à définir, pour chaque type de demande, les pièces que doit fournir le pétitionnaire et qu'est en droit de réclamer l'administration.
Si cette double contrainte n'a pas été immédiatement intégrée par la jurisprudence, elle l'est parfaitement depuis la décision de section du 9 décembre 2022, Commune de Saint-Herblain, qui pose que « le délai d'instruction n'est ni interrompu, ni modifié par une demande, illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n'est pas exigée en application (…) code de l'urbanisme. Dans ce cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l'expiration du délai d'instruction, sans qu'une telle demande puisse y faire obstacle ». Le délai n'est pas davantage affecté par une demande portant sur une pièce exigible mais notifiée au-delà du premier mois. Cependant, dans une telle hypothèse, le pétitionnaire aura tout intérêt à tout de même fournir à l'administration la pièce sollicitée avant l'expiration du délai d'instruction initialement annoncé, de telle sorte que le dossier soit effectivement complet à la date de naissance de l'autorisation tacite. L'absence de fourniture de la pièce ne ferait pas obstacle à la naissance de cette autorisation, mais pourrait la fragiliser.
– L'incomplétude n'est pas systématiquement sanctionnée. – Ainsi que le rappelle régulièrement le Conseil d'État, la circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du Code de l'urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, ne serait susceptible d'entacher d'illégalité le permis de construire que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier auraient été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.
– Les conséquences de l'absence de fourniture des pièces régulièrement demandées. – Ainsi que doit l'indiquer la demande de pièces complémentaires, en l'absence de fourniture des éléments sollicités dans les trois mois suivant la notification, un refus d'autorisation naît tacitement. L'application de cette règle suppose évidemment que la demande soit intervenue dans le premier mois de l'instruction et ait concerné des pièces réglementairement exigibles.
– La nécessité de dresser des listes de pièces exigibles adéquates. – Le régime mis en place en 2007 est certes très protecteur des pétitionnaires et l'on ne peut que s'en réjouir. Il pourrait toutefois s'avérer périlleux pour l'intérêt général si les listes de pièces exigibles n'étaient pas régulièrement mises à jour, pour tenir compte de l'évolution des règles de fond et permettre à l'administration d'examiner complètement la régularité des projets dont elle est saisie. Cela est d'autant plus important que le Conseil d'État impose à l'administration d'apprécier la consistance des projets au regard des seuls éléments devant figurer au dossier. Elle ne peut légalement refuser une autorisation en se fondant sur la consistance du projet au vu d'une pièce ne relevant pas de la liste limitative des pièces devant être fournies. À titre d'exemple, il est loin d'être évident que les listes actuelles permettent à la Ville de Paris de s'assurer du respect de l'ensemble des règles inscrites dans son (futur) PLU bioclimatique.
– La possibilité pour le pétitionnaire de modifier le contenu de sa demande en cours d'instruction. – La modification de la consistance du dossier à l'initiative du pétitionnaire est une pratique largement répandue, que le Code de l'urbanisme ne proscrit pas mais ne réglemente pas non plus. La jurisprudence s'est attachée à le faire, avec pragmatisme, dans un arrêt Commune de Gorbio rendu par le Conseil d'État le 1er décembre 2023, qui apporte un éclairage important pour les maîtres d'ouvrage.
Le premier apport de cette décision est de reconnaître qu'en l'absence de dispositions expresses du Code de l'urbanisme y faisant obstacle, la substitution de pièces à l'initiative du pétitionnaire est possible. Ainsi, il est loisible à l'auteur d'une demande de permis d'apporter à son projet, pendant la phase d'instruction de sa demande et avant l'intervention d'une décision expresse ou tacite, des modifications qui n'en changent pas la nature, en adressant une demande en ce sens accompagnée de pièces nouvelles qui sont intégrées au dossier afin que la décision finale porte sur le projet ainsi modifié. Cette demande est en principe sans incidence sur la date de naissance d'un permis tacite déterminée en application des dispositions mentionnées ci-dessus. Toutefois, lorsque du fait de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle ces modifications sont présentées, leur examen ne peut être mené à bien dans le délai d'instruction, compte tenu notamment des nouvelles vérifications ou consultations qu'elles impliquent, l'autorité compétente doit en informer par tout moyen le pétitionnaire avant la date à laquelle serait normalement intervenue une décision tacite, en lui indiquant la date à compter de laquelle, à défaut de décision expresse, la demande modifiée sera réputée acceptée. L'administration est alors regardée comme saisie d'une nouvelle demande se substituant à la demande initiale à compter de la date de la réception par l'autorité compétente des pièces nouvelles et intégrant les modifications introduites par le pétitionnaire. Il appartient le cas échéant à l'administration d'indiquer au demandeur, dans le délai d'un mois prévu par l'article R. 423-38 du Code de l'urbanisme, les pièces manquantes nécessaires à l'examen du projet ainsi modifié.
Comme le relève le professeur Pierre Soler-Couteaux : « La requalification d'une substitution de pièces est ainsi subordonnée à la condition qu'à raison de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle elle est intervenue, il apparaît que leur examen ne pourra être mené à bien dans le délai d'instruction initial, compte tenu notamment des vérifications ou nouvelles consultations que cette production implique ».
Les modifications pour suivre une procédure particulière
– Une possibilité doublement conditionnée. – Il n'est pas rare que l'autorité compétente ne puisse se prononcer sur une demande d'autorisation qu'après avoir recueilli l'avis de telle ou telle autorité (architecte des Bâtiments de France par exemple), ou plus généralement après qu'a été suivie telle ou telle procédure (enquête publique par exemple), ce qui permet de parfaire le processus d'instruction de la demande.
Afin d'éviter les pratiques abusives et garantir ici encore plus de sécurité juridique au profit des pétitionnaires, le pouvoir réglementaire s'est attaché à encadrer cette faculté, de manière assez similaire à ce qui a été fait en matière de demande de pièces complémentaires. Ainsi, une modification n'est opposable au pétitionnaire que si elle est notifiée dans le premier mois de l'instruction et si elle correspond à l'une des hypothèses limitativement listées par le Code de l'urbanisme aux articles R. 423-24 à R. 423-33, qui indiquent précisément le quantum de la modification en même temps que son motif. Par exemple, il est prévu que le délai d'instruction est majoré d'un mois lorsque le projet est situé dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable ou dans les abords des monuments historiques (C. urb., art. R. 423-24, c) ; qu'il est majoré de deux mois lorsqu'il y a lieu de consulter une commission départementale ou régionale (C. urb., art. R. 423-25, a) ; qu'il est porté à cinq mois lorsque le permis concerne un immeuble inscrit au titre des monuments historiques ; ou encore que lorsque l'autorisation ne peut être délivrée qu'après enquête publique (sauf défrichement), le délai d'instruction est de deux mois à compter de la réception par l'autorité compétente du rapport du commissaire-enquêteur ou de la commission d'enquête (C. urb., art. R. 423-32).
Toute modification de délai notifiée au-delà du premier mois ou ne correspondant pas à l'une des hypothèses limitativement listées par le Code de l'urbanisme est inopposable. La jurisprudence est désormais formelle sur ce point : une modification de délai irrégulière ne peut faire obstacle à la naissance d'une autorisation tacite à l'expiration du délai d'instruction légalement applicable. Elle en déduit – ce qui n'était pas indispensable n'est pas forcément opportun – que la notification irrégulière d'une modification de délai n'est pas une décision faisant grief ; elle ne peut donc faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.
– Une exception concernant les prolongations exceptionnelles. – Tenant compte de l'impossibilité dans laquelle peut parfois se trouver le service instructeur d'identifier dès le premier mois l'ensemble des procédures particulières devant être suivies préalablement à la délivrance de l'autorisation, le pouvoir réglementaire a identifié un certain nombre d'hypothèses dans lesquelles l'allongement du délai pourra être notifié au-delà du premier mois. Afin de préserver un minimum de sécurité juridique, ces cas sont limitativement listés par le Code de l'urbanisme (art. R. 423-34 à R. 423-37-3). Une prolongation exceptionnelle qui ne correspondrait pas à l'une de ces situations serait inopposable et ne ferait donc pas obstacle à la naissance d'une autorisation tacite à l'expiration du délai initialement annoncé.
– Les consultations non prévues par les textes. – Il est évident, compte tenu de ce qui vient d'être dit, qu'une consultation non prévue par les textes ne saurait influer sur le délai d'instruction. Elle n'est pas proscrite par principe, mais ne saurait fonder un refus d'autorisation, quand bien même cette consultation serait prescrite (illégalement) par un document de planification urbaine.
Conséquences et effets du non-respect par l'administration des règles applicables à l'instruction : la reconnaissance de l'autorisation tacite