L'absence de définition concrète de la notion de « construction existante », source d'insécurité juridique

L'absence de définition concrète de la notion de « construction existante », source d'insécurité juridique

– Notion de construction existante. – Si le sujet est abordé à plusieurs reprises par le Code de l'urbanisme, il ne donne pour autant aucune définition précise de ce que doit être une construction « existante ».
C'est donc le juge administratif qui s'est attelé à la tâche, en identifiant des critères qui permettent de discerner si l'on est en présence d'une construction existante ou non. Une distinction doit être faite entre l'existence physique d'une construction (I) et son existence juridique (II).

L'existence physique d'une construction

– Plan. – La jurisprudence a mis en lumière plusieurs situations permettant d'identifier l'existence physique d'une construction (a). Il convient également d'examiner le cas particulier des travaux de surélévation d'une construction existante (b).

Les situations dans lesquelles a été confirmée l'existence physique d'une construction

– Une distinction à opérer. – Comme l'a exposé Francis Polizzi, il y a lieu de distinguer selon, d'une part, que la construction est ancienne et très dégradée ou récente et peu avancée ou, d'autre part, que la construction est ancienne et peu dégradée ou récente et suffisamment avancée. Nous distinguerons le cas du bâtiment dégradé de celui du bâtiment en cours de travaux.
– Le cas du bâtiment dégradé. – Il est possible d'assimiler une construction ancienne et très dégradée à une construction en ruine. Le juge administratif considère que tel est le cas d'une construction dont les murs existent mais dont la toiture a disparu. Il a également été jugé que la transformation d'un bâtiment délabré en une maison d'habitation ne constitue pas un bâtiment d'habitation existant. Le Conseil d'État considère aussi que la reconstruction d'un bâtiment incendié ne peut pas être vue comme une simple opération de réparation, même si les matériaux épargnés par le feu sont réemployés.
Dans toutes ces situations, le bâtiment initial ne sera pas considéré comme préexistant.
À l'inverse, la jurisprudence semble s'accorder sur le fait qu'une construction est peu dégradée lorsque seulement une partie de l'ouvrage (mur ou toiture) est manquante. Dans ce cas, l'existence de la construction d'origine est reconnue.
– Le cas du bâtiment en cours de travaux. – Une construction est considérée comme étant peu avancée si seule une partie des murs a été réalisée, sans que la toiture ait été posée. Il a également été décidé que la reprise du gros œuvre d'un bâtiment existant, dont il est apparu au cours des travaux que les murs devaient être arasés à un mètre de hauteur, équivalait à une reconstruction.
Dans ces situations, la construction ne sera pas considérée comme existante. De sorte qu'en cas de travaux, le pétitionnaire devra déposer une demande portant sur la totalité, en ce compris ce qui a déjà été édifié.
En revanche, une construction est considérée comme suffisamment avancée lorsqu'elle comprend l'ensemble de ses murs et se trouve en bon état apparent.
Dans ces cas de figure, la construction sera considérée comme existante.
Comme le soulignait Patrick Hocreitère dans un article paru sur la question en 2000, « en règle générale, si la structure et le gros œuvre du bâtiment existent, on a à faire à une construction existante. Dans le cas contraire, il y a lieu de considérer que la construction n'existe plus. On n'a plus à faire à une construction existante ».
– Date d'appréciation de l'existence d'une construction. – La demande de permis de construire étant appréciée au regard des règles d'urbanisme applicables à l'époque de la demande, il n'est pas exclu que dans ce cas les éléments de construction d'origine ne soient plus conformes aux règles d'urbanisme en vigueur. Cela sera à n'en pas douter source de difficulté, comme il sera vu plus loin.
En revanche, l'appréciation de l'existence d'une construction doit se faire à la date de la délivrance du permis de construire.
– Critères d'appréciation relevant d'autres législations. – L'existence physique d'une construction peut également s'apprécier à la lumière de critères fixés par d'autres législations.
Il en va ainsi par exemple :
  • de la législation relative aux bâtiments qui ne présentent pas les conditions de sécurité normale ou de solidité nécessaire : l'autorité compétente a le pouvoir d'imposer des travaux de réparation, voire la démolition de tout ou partie de l'immeuble ;
  • de la législation relative à la salubrité des bâtiments, qui renvoie aux dispositions du Code de la construction et de l'habitation en ce qui concerne les pouvoirs de l'autorité compétente pour faire cesser le trouble constaté.

Le cas particulier de la surélévation d'une construction existante

– Problématique. – Les travaux d'extension et de surélévation concourent-ils à la réalisation d'une construction nouvelle ou bien des travaux sur existant ? La question a son importance étant donné que les possibilités de réaliser les travaux sont différentes dans un cas ou dans l'autre.
– Les critères récemment fixés par le juge. – Le Conseil d'État, saisi récemment de la question, a décidé que « lorsque le règlement d'un plan local d'urbanisme ne précise pas, comme il lui est loisible de le faire, si la notion d'extension d'une construction existante, lorsqu'il s'y réfère, comporte une limitation quant aux dimensions d'une telle extension, celle-ci doit, en principe, s'entendre d'un agrandissement de la construction existante présentant, outre un lien physique et fonctionnel avec elle, des dimensions inférieures à celle-ci ».
Il en résulte deux cas de figure :
  • soit le PLU prévoit les dimensions maximales d'une construction pour que celle-ci soit considérée comme une extension de la construction existante : dans ce cas, les règles du PLU devront naturellement s'appliquer ;
  • soit le PLU ne précise pas ces règles : dans ce cas, une construction sera considérée comme une extension de l'existant si trois critères cumulatifs sont réunis : le lien physique, le lien fonctionnel et les dimensions de l'ouvrage.
Il est intéressant de relever que contrairement à la cour administrative d'appel de Versailles dont l'arrêt a été cassé, le Conseil d'État ne retient pas le terme de « continuité » et lui préfère celui de « lien ».
À la lecture de la décision de 2023, trois critères doivent être retenus.
– Premier critère : le lien physique. – Ce critère nous paraît évident, en ce sens que des travaux ne peuvent être qualifiés d'extension d'une construction existante que dans la mesure où ils sont réalisés dans son prolongement de sorte à former un ensemble matériellement unique.
Il est conforme à la jurisprudence du Conseil d'État qui exclut la qualification d'extension pour les travaux physiquement indépendants de l'existant.
Qu'en est-il si le lien physique est ténu ? Le juge administratif a jugé à plusieurs reprises que pour le cas où un bâtiment n'était relié à un autre que par une galerie, un couloir ou une passerelle, sa réalisation ne pouvait pas être considérée comme une extension mais comme une construction nouvelle.
Il en résulte que le lien physique doit être suffisamment important pour être considéré comme une extension de l'existant, et un simple accès commun n'est pas suffisant.
Pour autant, la proximité immédiate d'une construction et le fait qu'elle présente un même ensemble architectural avec une construction existante ont pu suffire au juge pour la qualifier d'extension.
– Deuxième critère : le lien fonctionnel. – Ce critère implique que les deux constructions réunies, l'existante et l'extension, doivent être interdépendantes l'une de l'autre dans leur fonctionnement.
Cela peut consister en des accès ou des communications communes, mais aussi des réseaux ou des installations techniques communes (chauffage, climatisation, etc.).
On est également tenté de penser que ce lien fonctionnel peut être également juridique. Tel serait le cas par exemple d'une extension réalisée dans un lot transitoire en copropriété ou dans un volume avec les servitudes croisées nécessaires à son existence.
– Troisième critère : les dimensions de l'extension. – Ce critère pouvait à première vue être plus difficile d'appréciation de par son caractère subjectif. Il n'existe en effet aucun seuil légal permettant de déterminer si des travaux seront à ce point importants qu'ils devront être considérés comme une construction nouvelle, quand bien même les critères de la continuité physique et fonctionnelle seraient réunis.
Tout est question d'appréciation au cas par cas, le juge administratif disposant en la matière d'un pouvoir souverain d'appréciation.
Le Conseil d'État considère que l'extension doit nécessairement être d'une dimension inférieure à la construction existante.
Cette décision, qui vient à l'encontre d'anciennes décisions qui n'avaient pas retenu ce critère pour qualifier des travaux d'extension, soulève la question de l'appréciation de la notion de « dimension ».
On est en effet en droit de se demander si le fait de ne pas utiliser le terme de « surface » laisse la possibilité qu'une extension puisse avoir une surface supérieure à la construction existante. Il ne nous semble pas impossible en effet qu'une construction nouvelle puisse être de dimension équivalente voire inférieure à celle d'origine, mais qu'elle comporte une plus grande surface.
À s'en tenir à cette lecture, la notion de dimension s'interpréterait au sens de « volumétrie » ou de « proportion », pour reprendre les termes des juges d'appel.
Une porte semble ainsi laissée ouverte, mais seule une nouvelle décision de la Haute assemblée permettrait de trancher définitivement le sujet.

L'existence juridique d'une construction

– Existence matérielle d'une construction ne signifie pas existence juridique. – Le fait qu'une construction existe matériellement emporte-t-il nécessairement reconnaissance de son existence d'un point de vue juridique ? Cette question se pose en particulier lorsque la construction d'origine sur laquelle sont envisagés les travaux est elle-même irrégulière et/ou non conforme aux règles en vigueur à la date de la décision prise sur la demande d'autorisation d'urbanisme.
Cette importante question a donné lieu à la jurisprudence Thalamy abondamment commentée par la doctrine.
Il résulte de cette décision que lorsqu'un ouvrage a été édifié sans autorisation de construire, l'autorité administrative saisie d'une nouvelle demande d'autorisation d'urbanisme portant sur cet ouvrage est tenue de la rejeter et doit inviter son auteur à déposer une nouvelle demande portant sur l'ensemble du bâtiment, et ce quand bien même ces travaux pris isolément seraient conformes à la réglementation d'urbanisme et n'aggraveraient pas la situation existante.
Une construction, si elle existe matériellement, n'a donc aucune existence juridique si elle a été réalisée sans aucune autorisation de construire.