La souplesse du rapport de compatibilité : focus sur les orientations d'aménagement et de programmation

La souplesse du rapport de compatibilité : focus sur les orientations d'aménagement et de programmation

– L'urbanisme de projet. – Vincent Villette définit l'urbanisme de projet comme « une approche où la règle de droit se met au service de la réalisation des ambitions urbanistiques d'une collectivité ». Les orientations d'aménagement et de programmation en sont la traduction, même si force est de constater que les communes, par méconnaissance de leur finalité ou à dessein, détournent cet outil de son objet premier.
Les opérateurs quant à eux se trouvent fort dépourvus face au rejet des services instructeurs de se prêter à l'exercice de l'analyse du projet dans un rapport de compatibilité.
– Les orientations d'aménagement et de programmation au service de l'urbanisme de projet . – Instaurées par la loi SRU du 13 décembre 2000 comme composante du projet d'aménagement et de développement durable (PADD) du PLU, les orientations d'aménagement et de programmation acquirent leur indépendance par la loi no 2003-590, dite « Urbanisme et Habitat » du 2 juillet 2003 qui en fit la promotion comme vecteur de l'urbanisme de projet. Elles furent complétées par la loi portant engagement national pour l'environnement du 12 juillet 2010, dite « Grenelle II », et constituent aujourd'hui le principal outil de mise en œuvre du projet d'aménagement et de développement durable (PADD).
Si Gilles Godfrin titrait en 2017, dans les colonnes de l'AJDA, « Insaisissables orientations d'aménagement et de programmation », c'est bien que le contour et le régime juridique de cet outil programmatique et son champ matériel tel que défini aux articles R. 151-6 à R. 151-8-1 du Code de l'urbanisme ont pu paraître à la doctrine, aux acteurs de la planification urbaine, aux élus et au praticien, difficiles à maîtriser dans leur esprit comme dans leur finalité.
Aussi nous paraît-il nécessaire, alors même que d'autres auteurs ont pu se prêter à l'exercice, d'opérer une présentation de l'objet des différents types d'OAP, alors même que seule l'OAP prévue à l'article R. 151-8 du Code de l'urbanisme retiendra plus particulièrement notre attention eu égard à l'utilisation inappropriée qui peut en être faite.

Les OAP des articles R. 151-6, R. 151-7 et R. 151-8-1 du Code de l'urbanisme

– OAP sectorielles, thématiques et OAP ZAC. – Nous en reprenons ci-après les grandes lignes :
  • Article R. 151-6 du Code de l'urbanisme : OAP sectorielles.
  • Ces OAP ne posent pas réellement de difficultés en ce sens qu'elles s'appliquent à donner le cadre et le parti pris des grandes orientations d'aménagement dans des secteurs larges comme les polarités urbaines, les entrées de ville.
  • Article R. 151-7 du Code de l'urbanisme : OAP thématiques.
  • Aux termes de l'alinéa 2 de l'article R. 151-7, ces OAP ont vu leur champ d'application élargi avec la possibilité d'identifier des zones préférentielles pour la renaturation et la désartificialisation. Elles ont un périmètre généralement large et doivent répondre à des objectifs d'ordre culturel, historique, architectural ou écologique. Les OAP patrimoniales et les OAP relatives à la gestion des trames vertes et bleues relèvent de cette catégorie. Là encore, ce type d'OAP ne pose pas de difficultés particulières et n'est qu'exceptionnellement source de contentieux.
  • Article R. 151-8-1 du Code de l'urbanisme : OAP ZAC.
  • Déclinaison de l'article L. 151-7-1, l'OAP ZAC peut valoir acte de création de la ZAC en application de l'article R. 151-2-1 du Code de l'urbanisme. Une telle OAP présente en réalité un intérêt dans le cadre des ZAC multi-sites en contribuant « à la cohérence de l'opération en fixant les principes d'aménagement communs aux différents sites et en prévoyant les équipements et aménagements reliant les différents secteurs de la zone ».

L'OAP de secteur d'aménagement (C. urb., art. R. 151-8) : une obligation pour les zones AU1 et AU2, une option pour les zones U

– Les zones à urbaniser sont dites « zones AU ». – Elles peuvent être classées en zone à urbaniser de type AU1 ou AU2 selon que ces secteurs destinés à être ouverts à l'urbanisation sont immédiatement urbanisables du fait de la proximité des réseaux et des équipements publics (AU1) ou, à défaut, dont l'urbanisation est subordonnée à une modification préalable du document de planification urbaine (AU2).
Dans les deux situations, le recours à l'orientation d'aménagement et de programmation (OAP) est obligatoire.
L'article R. 151-8 du Code de l'urbanisme en définit les contours dans les termes suivants :
« Les orientations d'aménagement et de programmation des secteurs de zones urbaines ou de zones à urbaniser mentionnées au deuxième alinéa du R. 151-20dont les conditions d'aménagement et d'équipement ne sont pas définies par des dispositions réglementaires garantissent la cohérence des projets d'aménagement et de construction avec le projet d'aménagement et de développement durables.
Elles portent au moins sur :
  • La qualité de l'insertion architecturale, urbaine et paysagère ;
  • La mixité fonctionnelle et sociale ;
  • La qualité environnementale et la prévention des risques ;
  • Les besoins en matière de stationnement ;
  • La desserte par les transports en commun ;
  • La desserte des terrains par les voies et réseaux.
Ces orientations d'aménagement et de programmation comportent un schéma d'aménagement qui précise les principales caractéristiques d'organisation spatiale du secteur ».
L'article R. 151-8 du Code de l'urbanisme traite et organise le régime juridique des OAP dites de « secteurs d'aménagement ». Alternatives au règlement d'urbanisme, ces OAP doivent porter sur au moins six thématiques qui en constituent le socle irréductible, outre qu'elles doivent par ailleurs comporter un schéma d'aménagement définissant les principales caractéristiques de l'organisation du secteur.
– Des « coups de loupe ». – Ce sont ces OAP qui, à proprement parler, sont des « coups de loupe », pour reprendre l'expression du professeur Pierre Soler-Couteaux et de notre rapporteur de synthèse Élise Carpentier. Depuis leur création jusqu'à une période récente, elles ne furent, à de rares exceptions près, l'objet d'aucun contentieux susceptible d'en retirer une quelconque méthodologie, nourrissant ainsi une relative incompréhension des parties prenantes de l'aménagement, publiques comme privées, quant à leur opposabilité.
Plus que le renvoi aux considérants des arrêts des juges du Palais-Royal sur la question, il nous est apparu plus astucieux, et nous encourageons sincèrement nos confrères à en prendre l'habitude, de nous reporter aux conclusions des rapporteurs publics à l'occasion de trois affaires portées devant la Haute juridiction en matière d'OAP. Ces conclusions permettent d'entrevoir aujourd'hui la grille de lecture des OAP et, en creux, leurs éventuelles fragilités pour tenter d'en circonscrire, sinon limiter le contentieux à l'avenir. Il s'agit en effet d'un véritable outil de l'aménagement opérationnel et de l'urbanisme de projet qui autorise la prise en compte des composantes environnementales des projets.
– Qu'est-ce qu'implique concrètement l'exigence de compatibilité des autorisations d'urbanisme avec les orientations d'aménagement du PLU ? La problématique posée par l'institution d'une orientation d'aménagement et de programmation est qu'elle est une norme de droit souple. À ce titre, comme le souligne le GRIDAUH, la différence entre ces deux notions peut être définie de la manière suivante : l'obligation de conformité interdit toute différence entre la norme et la mesure d'exécution ; au contraire, celle de compatibilité implique seulement qu'il n'y ait pas de contrariété majeure entre elles.
Ainsi l'OAP ne peut pas être prescriptive et contenir des dispositions qui fixent des règles voire qui rendent inconstructible un terrain, et constituer ainsi un détournement de pouvoir, seul le règlement pouvant proscrire certains types de constructions ou d'aménagements sauf à user des outils étudiés ci-dessus (servitudes et emplacements réservés notamment). Comme le relève Charles Touboul, rapporteur public, rappelant à cette occasion la jurisprudence et la similitude du rapport de compatibilité qu'entretient le PLU avec le schéma de cohérence territoriale (SCoT) : « Ce rapport distancié ne peut l'être que si la norme supérieure laisse des marges à la norme inférieure, ce qui suppose que la première se borne à fixer des orientations et des objectifs (…) ».
Certes la notion de compatibilitén'est pas intuitive, pas plus qu'elle n'est facilement assimilée par les services de planification urbaine. En effet, et nous rejoignons Pierre Soler-Couteaux dans son analyse, les services instructeurs sont plus volontiers habitués à raisonner en termes de conformité qu'en termes de compatibilité.
Aussi est-il indispensable pour la planification de se conformer, dans la rédaction des OAP, à la ratio legis et pour les services instructeurs d'apprécier in concreto en quoi le projet développé serait susceptible de contrarier les lignes fixées par l'OAP. Un évident travail rédactionnel s'impose, l'OAP ne pouvant être le moyen de reporter ad vitam l'urbanisation d'une zone, notamment les zones AU1 déjà pourvues en équipements publics.
Pour autant la pratique des OAP sectorielles pose une autre difficulté.
– Est-ce qu'ensemble, c'est tout ? – La question posée par Vincent Villette en introduction de ses conclusions est la question à laquelle sont confrontés les opérateurs lors de l'étude du développement d'un projet sur une zone identifiée comme OAP. Plus précisément, il s'agit de se poser la question de l'appréciation de la compatibilité d'un projet portant sur une unité foncière comprise dans une OAP en comprenant plusieurs. Nous savons dorénavant qu'une OAP doit fixer les orientations d'un aménagement en déclinant chacun des six items prévus par l'article R. 151-8 du Code de l'urbanisme.
Sous l'ancienne réglementation antérieure à 2007, les projets d'aménagement d'ensemble (PAE ; toutefois distincts des OAP en ce qu'ils constituaient un outil de financement des équipements publics dans le cadre de l'ouverture à l'urbanisation d'une zone) permettaient de lancer une opération, nonobstant l'absence de maîtrise foncière des parcelles comprises dans le PAE, dès lors que cette opération ne contrariait pas l'aménagement du reliquat. Ensemble ne signifiait alors pas nécessairement tout.
S'agissant de l'OAP, la situation est un peu plus complexe.
Premier exemple : celui d'une OAP fixant (item 2°) un pourcentage de mixité sociale à l'échelle de l'OAP. Ce pourcentage doit-il être appliqué à l'échelle de chaque opération ou bien une première opération pourrait-elle ne pas répondre à cette exigence, repoussant sur les autres fonciers cette obligation alors augmentée ?
Second exemple : celui d'une OAP fixant un nombre maximum de logements (en réalité il ne peut réellement s'agir d'un maximum, mais plutôt d'une tendance autour de laquelle les projets pourront graviter). Est-il imaginable qu'un opérateur « consomme », tout en respectant les orientations fixées, la totalité de la constructibilité affectée à la zone au détriment des autres propriétaires fonciers ?
– Les solutions. – Dans chacune de ces situations, il est possible d'esquisser des solutions.
La première solution est la moins satisfaisante en ce qu'elle consiste à subordonner l'urbanisation de la zone à la maîtrise foncière de l'ensemble des terrains. Dans ce genre de situation, l'OAP ZAC de l'article R. 151-8-1 semble alors plus appropriée.
La deuxième solution est de convaincre les services de planification de composer avec cette situation de fait. Il s'agira de fixer une règle de proportionnalité pour favoriser l'émergence de projets compatibles avec l'OAP, tout en assurant une sorte de paix sociale entre les différents propriétaires de la zone dans le cas des OAP pour lesquelles il y a plusieurs propriétaires fonciers et une absence de volonté politique d'accompagner l'aménagement par le truchement de la ZAC.
La troisième solution relève de l'urbanisme « post-120e » et aura donc naturellement notre préférence. Il s'agira d'adjoindre à l'article R. 151-8 du Code de l'urbanisme un septième item : celui de la prise en compte de la valeur environnementale des terrains compris dans l'OAP. Ainsi les terrains impactés par l'OAP comme devant supporter une voirie structurante, un espace vert, une perméabilité piétonne, voire une absence de construction faute de maîtrise foncière, verraient leur valorisation appréciée au titre des externalités positives qu'elles accordent aux parties de terrains destinées à supporter les constructions.
Il s'agirait d'une sorte de protocole multipartite, d'adhésion obligatoire par l'ensemble des propriétaires de terrains concernés par l'OAP, d'initiative publique ou privée, permettant d'assurer une péréquation entre les différents terrains et une répartition de la valeur de la charge foncière.
En parallèle, l'utilisation du PUP de secteur comme outil obligatoire du financement de l'urbanisation de la zone serait affirmée.
– L'urbanisme de projet : une approche où la règle de droit se met au service de la réalisation des ambitions urbanistiques d'une collectivité . – L'arrêt Commune de Lavérune du 30 décembre 2021 annonce-t-il les prémices d'un mouvement jurisprudentiel tendant à donner toute sa dimension, après la loi ALUR, à l'urbanisme de projet, contraignant ainsi l'autorité administrative à tirer les conséquences et se voir opposer les choix programmatiques arrêtés dans le PLU ? Le débat portait sur la reconnaissance qu'un EHPAD réalisé par une société privée était compatible avec une OAP fixant comme orientation la réalisation d'équipements publics. Cet arrêt est une pierre de plus vers la reconnaissance de l'utilité de l'OAP, le juge devant procéder en une qualification juridique des faits pour apprécier la compatibilité du projet avec l'OAP. Comme l'a relevé Vincent Villette, rapporteur public, « la question d'espèce nous paraît assez emblématique de l'utilité des OAP (…) et donc une bonne illustration de l'utilité de l'OAP, dont la souplesse permet à une collectivité d'adapter son projet aux circonstances sans avoir à modifier au préalable son document d'urbanisme ».
D'autres auteurs relèvent que « le Conseil d'État s'attache à apprécier le rapport de compatibilité entre un projet et une OAP avec une souplesse plus qu'élastique, et éminemment casuistique ».
C'est bien le sens de l'urbanisme de projet que de raisonner au cas par cas en privilégiant l'esprit de la norme au détriment d'une application trop exégétique de cette dernière. Ce qui est la fonction du règlement dont l'application devrait être limitée à certains secteurs restreints au profit d'OAP de secteur.
Si des OAP sont effectivement des loupes, osons changer de focale.