La liberté de création des droits réels
La liberté de création des droits réels
Burdignes, « un village dans le vent »
Burdignes est un village du sud du département de la Loire, dans le parc régional du Pilat. Ce
village est destiné à recevoir un parc de dix grandes éoliennes. Les vents y ont été mesurés à 7,52
m/s de vitesse moyenne, à 70 mètres de hauteur, sur deux ans ; ce qui fait espérer une production
annuelle de 66 GWh pour une puissance installée de 30 MW. Dit plus simplement, le champ d'éoliennes
est susceptible, en théorie, de produire l'électricité domestique de la moitié de la population du
parc régional. Ce projet, dont l'idée remonte à 2009, subit les retards habituels en pareille
matière : étude initiale de développement de l'éolien en 2009, autorisation préfectorale en 2018,
rejet du recours par le tribunal administratif en 2020, confirmation en appel en 2023 ; de sorte que
rien de concret n'existe encore.
Le projet n'en reste pas moins intéressant par sa dynamique, qui laisse présager ce que pourraient
être des « communs » modernes – ici pour la question stratégique de l'énergie. En effet, le projet
est conduit par une SAS à l'actionnariat « participatif » : la moitié détenue par un professionnel
de l'éolien, un quart par une société d'économie mixte représentant les collectivités locales, un
quart de citoyens et d'associations. La participation reste toutefois symbolique car, en phase
opérationnelle, après augmentation de capital, la participation des deux derniers est destinée à
être diluée au profit du premier. En tout cas, le montage n'a pas été suffisant pour éviter les
recours – pas plus, d'ailleurs, que la menace de dommages et intérêts pour « recours abusif ». Il
est incontestable que l'éolienne porte atteinte au voisinage : pollution visuelle, risques
d'incendie, modification des sols (il faut imaginer la taille du socle béton enterré sous le mât,
et la voirie à créer pour emmener les éléments à installer). Or, du côté des voisins immédiats, le
bénéfice à retirer est essentiellement la satisfaction morale de participer à la transition
énergétique ; ceux-ci ne sont pas intéressés financièrement aux profits de l'opération, et ils sont
déjà desservis par le réseau électrique national.
Là encore, le conflit est une illustration du phénomène « NIMBY », abréviation de <em>not in my
backyard
</em> (« pas dans mon jardin »), soit la situation où les personnes tirent profit de la technologie
moderne, mais ne veulent pas dans leur voisinage les nuisances corrélatives
.
La forêt et le réchauffement climatique
La forêt française couvre 31 % du territoire français, et appartient aux trois quarts à des
propriétaires privés (l'autre quart étant des forêts domaniales et des forêts communales, pour
l'essentiel). Or, la forêt française se dégrade : la mortalité des arbres a augmenté de 80 % en dix
ans
. La cause est la prolifération des insectes nuisibles, la baisse des précipitations et le
réchauffement climatique
. La surface touchée par le dépérissement est équivalente au cumul des feux de forêt des trente-cinq
dernières années. En conséquence de quoi, la capacité de la forêt à stocker du CO<sub>2</sub> a
sérieusement diminué
.
Les aspects juridiques de la forêt ont été traités par la 2<sup>e</sup> commission du 114<sup>e</sup> Congrès
des notaires : il convient de renvoyer à son rapport, toujours d'actualité
. L'ensemble de la matière peut se résumer au constat suivant : pour compenser la faible part de
forêt en gestion durable (18 % de la forêt seulement fait l'objet d'un plan simple de gestion), le
droit a multiplié droits de préférence et droits de préemption, dans l'espoir de regrouper la
propriété des forêts (actuellement émiettée entre 3,3 millions de propriétaires)
. Ce qui conduit à un millefeuille à neuf étages d'empilement de droits de préférence et de droits
de préemption
. Au vu de la faible fréquence des mutations, le système est voué à l'échec. Ce qui n'empêche pas le
législateur de rajouter, depuis peu, un dixième étage et un nouveau droit de préemption pour la
commune, en cas de vente d'un bois dans le périmètre d'un plan de protection des forêts contre les
incendies, si les parcelles forestières vendues ne sont pas soumises à un document de gestion
durable
.
La solution n'est certainement pas dans un illusoire regroupement de propriétés, d'autant qu'il
faut compter avec les biens non délimités et les propriétaires dont les successions n'ont jamais été
réglées. Si l'on veut organiser la forêt de manière durable, il faut pouvoir dissocier le droit de
propriété de la gestion de la ressource. Le modèle consommé d'un « commun » contemporain est le
système des associations communales de chasse agréées (ACCA), issu de la loi dite « Verdeille »
. L'ACCA permet, sous certaines conditions, de rendre collectif le droit de chasser normalement
attaché au droit de propriété
. Le système initial fut condamné par la Cour européenne des droits de l'homme, notamment pour
atteinte au droit de propriété
. Aussi désormais, sous condition, un opposant à la chasse peut obtenir le retrait de sa propriété
de l'ACCA. Il n'empêche que le système a l'avantage de pouvoir fonctionner en cas de silence ou
d'absence des propriétaires, afin de gérer en commun cette ressource, <em>res nullius</em>, qu'est
le gibier
. Et un tel système gagnerait à inspirer le législateur en matière de forêts, plutôt que multiplier
inutilement les droits de préemption.