La compensation sectorielle

La compensation sectorielle

– Compensation collective agricole et forestière. – Deux régimes particuliers de compensation sont prévus par les textes : la compensation collective agricole (A) et la compensation forestière (B).

La compensation collective agricole

– Plan. – La loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt a introduit dans le Code rural et de la pêche maritime un article L. 112-1-3 qui prévoit l'obligation pour certains porteurs de projet en milieu agricole d'intégrer la séquence ERC.
Nous examinerons successivement le champ d'application de cette obligation (I), les formes de compensation agricole (II) et leurs modalités de mise en œuvre (III). Nous terminerons par une analyse du dispositif au vu des retours d'expérience dix ans après son entrée en vigueur (IV).

Champ d'application

– Projets concernés. – L'article L. 112-1-3 du Code rural et de la pêche maritime prévoit que sont concernés par l'obligation d'intégrer la séquence ERC les projets susceptibles d'avoir des conséquences négatives importantes sur l'économie agricole. Sont également concernés, depuis 2023, les projets d'installations agrivoltaïques au sens de l'article L. 314-36 du Code de l'énergie.
– Étude d'impact agricole. – Pour toutes ces opérations, il est fait obligation au porteur de projet d'établir une étude préalable (dite « étude d'impact agricole »). Cette étude doit comprendre une description du projet, une analyse de l'état initial de l'économie agricole du territoire concerné, l'étude des effets du projet sur celle-ci, les mesures envisagées pour éviter et réduire les effets négatifs notables du projet ainsi que des mesures de compensation collective visant à consolider l'économie agricole du territoire.
L'article D. 112-1-18 du Code rural et de la pêche maritime précise les conditions devant être réunies pour qu'un projet soit soumis à étude d'impact agricole. Elles sont au nombre de trois et sont cumulatives :
  • tout d'abord, sont concernés les projets soumis à étude d'impact compte tenu de leur nature, leur dimension ou leur localisation ;
  • il convient également que le projet soit situé dans l'une des zones ci-dessous :
  • dernière condition : la surface prélevée de manière définitive est supérieure ou égale à un seuil fixé par défaut à cinq hectares. Étant précisé que le préfet peut déroger à ce seuil en fixant un ou plusieurs seuils départementaux compris entre un et dix hectares, tenant notamment compte des types de production et de leur valeur ajoutée.
– Contenu de l'étude d'impact. – L'étude d'impact agricole comprend notamment les mesures envisagées et retenues pour éviter et réduire les effets négatifs notables du projet et, le cas échéant, les mesures de compensation collective envisagées pour consolider l'économie agricole du territoire concerné, l'évaluation de leur coût et les modalités de leur mise en œuvre.
Si le texte ne diffère en rien du régime général de la séquence ERC concernant les mesures d'évitement et de réduction, il introduit en revanche une nouveauté en ce qui concerne la compensation.

Les formes de compensation agricole

– Compensation foncière ou financière. – La compensation agricole peut prendre plusieurs formes.
Les porteurs de projet peuvent ainsi mettre en œuvre une compensation collective foncière qui consiste à identifier des fonciers disponibles non exploités afin de permettre de les réhabiliter à des fins agricoles. Cela peut concerner des friches notamment. La condition étant que les terrains ainsi réhabilités doivent avoir une valeur économique équivalente à celle des terrains agricoles prélevés.
Il est également possible de mettre en œuvre une compensation financière qui consiste à ce que le porteur de projet verse une somme d'argent afin de compenser les atteintes que son opération peut entraîner sur le milieu agricole. Elle peut donner lieu soit à une participation financière directe à des équipements agricoles, soit à un versement sur un fonds de compensation collective. À cet effet, les maîtres d'ouvrage peuvent consigner les fonds nécessaires à la réalisation des mesures de compensation auprès de la Banque des Territoires.

Mise en œuvre

– L'encadrement des mesures de compensation par l'autorité administrative. – L'article D. 112-1-21 du Code rural et de la pêche maritime décrit la démarche à entreprendre par le maître d'ouvrage dont le projet remplit les conditions précédemment rappelées.
Sans entrer dans le détail, on peut noter que l'étude préalable doit être adressée par le maître d'ouvrage au préfet, qui la transmet à la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) afin qu'elle donne son avis sur les mesures prises au titre de la séquence ERC, en particulier les mesures de compensation.
La CDPENAF peut proposer des adaptations ou des compléments à ces mesures et émettre des recommandations (qui n'ont pas force contraignante) sur leurs modalités de mise en œuvre.
Si le préfet estime que l'importance des conséquences négatives du projet sur l'économie agricole impose la réalisation de mesures de compensation collective, son avis et l'étude préalable sont publiés sur le site internet de la préfecture. Cela n'ouvre pas une procédure de participation du public, mais permet une simple publicité.

Appréciation du mécanisme de compensation collective agricole

– Retours d'expérience. – Les modalités particulières de compensation analysées ci-dessus montrent que l'objectif poursuivi par le législateur n'est pas de permettre de compenser un espace par un autre, comme c'est le cas de la compensation dans le cadre général de la séquence ERC, mais de compenser la valeur perdue pour le monde agricole par une contribution au profit de la filière agricole locale.
La compensation collective agricole n'est donc pas un outil de préservation des espaces agricoles ni réellement de reconstitution du potentiel de production.
Elle n'est pas non plus rattachée à une procédure devant conduire à la délivrance ou non d'une autorisation administrative permettant la poursuite du projet sous certaines conditions.
La doctrine considère d'ailleurs que l'insuffisance, voire l'absence de l'étude préalable, n'est pas un motif de refus d'un projet. Tout au plus le préfet pourrait-il émettre des observations sans caractère contraignant.
Il a pu être souligné la vertu pédagogique de l'étude préalable, en ce sens qu'elle permet une prise de conscience par le maître d'ouvrage des impacts de son projet sur l'économie agricole du territoire.
Comme le souligne le rapport conjoint du Conseil général de l'environnement et du développement durable et du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux du 16 mars 2021 : « Le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation a réalisé un bilan qui montre que, au 31 décembre 2018, 121 projets ont fait l'objet d'une étude préalable agricole. 71 % des projets font l'objet de mesures de compensations avec un montant moyen par projet de 200 000 €. En 2019, 116 dossiers d'étude préalable agricole ont donné lieu à un avis de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Les mesures proposées sont essentiellement des mesures de soutien aux investissements (équipements, travaux agricoles, etc.) ».
– Difficultés de mise en œuvre. – Plusieurs séries de difficultés ont été identifiées dans ce dispositif singulier :
  • le fait de ne pas prévoir de régime d'autorisation administrative, ni d'engagement formalisé du maître d'ouvrage, ni de contrôle ;
  • le seuil de soumission d'un projet à l'obligation d'étude préalable agricole est de 5 hectares dans près de la moitié des départements, ce qui a pour conséquence d'exclure un grand nombre de projets de son champ d'application ;
  • le fait que seuls les projets à étude d'impact systématique soient éligibles limite aussi fortement le nombre de projets soumis au dispositif ;
  • il est également malaisé de parvenir à évaluer l'effet négatif d'un projet sur l'économie agricole d'un territoire et les filières aval ;
  • ce dispositif n'a pas de caractère réellement contraignant.
– Un renouveau à venir ? – En définitive, le mécanisme de la compensation collective agricole a très peu été mis en œuvre. Il mériterait probablement d'être réexaminé afin d'en faire une procédure intégrée à la séquence ERC. Espérons que son ouverture aux projets d'agrivoltaïsme permettra d'en voir des applications plus nombreuses.

La compensation forestière

– Plan. – La compensation forestière se distingue des autres mécanismes de compensation par plusieurs aspects. Il est donc utile dans ce cadre de rappeler la place de la séquence ERC dans la procédure de délivrance des autorisations de défrichement (I), les formes de compensation possibles (II) et le rôle prépondérant du préfet à l'initiative de la mesure (III). Nous porterons pour finir un regard critique sur le dispositif afin de mettre en lumière les points qui mériteraient une évolution des textes (IV).

Défrichement et séquence ERC

– L'autorisation de défrichement. – Les bois et forêts font l'objet en France d'une attention particulière et de mesures de préservation de longue date.
À ce titre, le Code forestier prévoit que le fait de défricher tout ou partie d'un bois ou d'une forêt oblige à requérir au préalable une autorisation administrative. Cette autorisation de défrichement est nécessaire à partir de 0,5 hectare.
Sa particularité est qu'elle est centrée sur l'intérêt forestier. L'autorité compétente pour délivrer l'autorisation ne porte donc pas d'appréciation sur le projet qui la motive.
– L'intégration de la séquence ERC dans le régime du défrichement. – Les deux premiers facteurs de la séquence ERC, à savoir l'évitement et la réduction, semblent à première vue absents du régime de l'autorisation de défrichement.
De telles mesures sont cependant induites par le régime du défrichement dès lors que l'autorisation elle-même n'est en définitive pas accordée sur la totalité de la surface envisagée, voire purement et simplement refusée.
Quant à la possibilité de conditionner la délivrance de l'autorisation de défrichement à des mesures de compensation, le texte prévoit à cet égard un régime particulier.
En conclusion, on peut observer que si la séquence ERC n'est pas explicite dans la procédure d'autorisation de défrichement, elle est pour autant bien présente.

Les formes de compensation forestière

Il existe deux formes de compensation prévues par les textes : la compensation en nature et la compensation financière.
Elles poursuivent le même objectif : sauvegarder ou reconstituer l'équivalent des fonctionnalités impactées par le défrichement.
– La compensation en nature. – Initialement, le Code forestier ne connaissait qu'une forme de compensation : la compensation en nature.
C'est ainsi que l'article L. 341-6 dudit code prévoit que l'autorisation de défrichement peut être subordonnée à plusieurs conditions :
  • l'exécution, sur d'autres terrains, de travaux de boisement ou reboisement pour une surface correspondant à la surface défrichée ou d'autres travaux d'amélioration sylvicoles d'un montant équivalent ;
  • la remise en état boisé du terrain lorsque le défrichement a pour objet l'exploitation du sous-sol à ciel ouvert ;
  • l'exécution de mesures ou de travaux de génie civil ou biologique en vue de réduire les impacts sur les fonctions définies à l'article L. 341-5 et exercées soit par les bois et forêts concernés par le défrichement, soit par le massif qu'ils complètent ;
  • l'exécution de travaux ou mesures visant à réduire les risques naturels, notamment les incendies et les avalanches.
Si le texte ne le dit pas explicitement, il s'agit bien pour autant de formes de compensation.
– La compensation financière. – La loi du 13 octobre 2014 a introduit dans le Code forestier un nouveau mécanisme : la compensation financière.
Selon les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 341-6, le demandeur d'une autorisation de défrichement peut s'acquitter de l'obligation d'exécuter des travaux de boisement, reboisement ou d'amélioration sylvicoles en versant une indemnité.
Le montant de la compensation financière est déterminé par l'autorité administrative et est notifié au demandeur en même temps que la nature de cette obligation.
Le produit de cette contribution financière est versé au fonds stratégique de la forêt et du bois.
Ce fonds a été créé par la loi de finances pour 2014 et son régime est organisé par les articles D. 156-12 et suivants du Code forestier. Son objet est de permettre de contribuer à des actions utiles à la forêt.

Fonds stratégique de la forêt et du bois

Comme le souligne le rapport conjoint du Conseil général de l'environnement et du développement durable et du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux du 16 mars 2021, le fonds stratégique de la forêt et du bois est, depuis sa création, monté en puissance.
La partie du fonds issue de la compensation financière liée au défrichement a vu son plafond réduire de 10 M€ à 2 M€ par an par la loi de finances de 2016, et les recettes complémentaires ne sont pas restituées à la forêt mais alimentent le budget général de l'État. En 2017, le montant des contributions de compensation au fonds stratégique de la forêt et du bois s'est établi à 4,172 M€ dont seuls 2 M€ ont permis de financer des projets forestiers.

Initiative de la mesure de compensation

– Rôle prépondérant du préfet. – Le préfet, chargé de délivrer l'autorisation de défrichement, est aussi l'autorité administrative qui peut conditionner cette autorisation à la réalisation de mesures de compensation en nature.
À cet effet, il dispose d'un pouvoir souverain, mais il doit pouvoir justifier le calcul de la compensation.
La compensation financière est quant à elle décidée par le demandeur de l'autorisation de défrichement.

Appréciation du dispositif de la compensation forestière

– Regard critique sur le mécanisme. – La procédure d'autorisation de défrichement est réalisée en amont d'un projet dans la mesure où l'autorisation doit être obtenue avant toute autre autorisation administrative nécessaire à la réalisation du projet impactant un bois ou une forêt. Elle est de ce fait déconnectée du projet lui-même.
De ce point de vue, les mesures de compensation gagneraient pourtant à être adaptées à la réalité du projet. Cela permettrait notamment de développer des pratiques de compensation in situ.
Le constat est aussi fait de l'ignorance fréquente des porteurs de projet, qui ne sollicitent l'autorisation de défrichement qu'après l'obtention des autorisations d'urbanisme permettant la construction envisagée.
Par ailleurs, dans la pratique, il est constaté que les refus d'autorisation de défrichement sont rares : 4,7 % des dossiers entre 2015 et 2017, sur 2 000 autorisations annuelles en moyenne. L'évitement est donc de fait rarement mis en œuvre.
Une place centrale est ainsi laissée à la compensation, ce que là aussi nous regrettons : dans le contexte actuel, une vigilance accrue nous semble être de mise et l'évitement ou la réduction devraient être plus fréquemment privilégiés.
Une autre difficulté s'est aussi fait jour dans la pratique : l'enchevêtrement des régimes d'autorisations.
En particulier, il convient de souligner que certains projets nécessitant une autorisation de défrichement impliquent aussi de mettre en œuvre une procédure d'évaluation environnementale. C'est le cas lorsque le défrichement est égal ou supérieur à 25 hectares.
À cet égard, les mesures d'évitement, de réduction et de compensation doivent être prévues dès le stade de l'étude d'impact, ainsi qu'il a été vu précédemment. Celle-ci devrait donc logiquement intégrer les mesures de compensation forestière, ce qui est contradictoire avec le fait que le préfet, compétent pour les déterminer, n'intervient qu'après la réalisation de cette étude.
Les textes gagneraient, nous semble-t-il, à être clarifiés de ce point de vue, de sorte à appréhender la séquence ERC de façon globale et en une seule étape, sans qu'une autorité administrative puisse en modifier le contenu pour la sécurité des projets.
En ce qui concerne l'utilisation des fonds collectés dans le cadre de la compensation financière, les auteurs du rapport conjoint du Conseil général de l'environnement et du développement durable et du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux du 16 mars 2021 susvisé ont alerté sur le fait que : « Selon une analyse des autorisations de défrichement entre 2014 et 2017, il apparaît que la compensation sous forme d'indemnité financière est prédominante avec 64 % des surfaces compensées en indemnité (contre 9 % en boisement ; 6 % sous forme de travaux sylvicoles et 21 % en travaux de génie civil/biologique). Ces indemnités avoisinent 4,2 M€ en 2019. Le ministère de l'Économie et des Finances écrête systématiquement depuis 2012 le versement dans le fonds à 2 M€, soit à moins de la moitié des recettes, le surplus étant reversé au budget général de l'État ».
Si la création du mécanisme de la compensation financière était au départ une idée louable, le constat fait ci-dessus, même s'il mériterait d'être mis à jour, montre que l'objectif initial a quelque peu dévié. Espérons toutefois que les préoccupations actuelles en matière de protection de la biodiversité permettront de réalimenter ce fonds avec les produits des compensations financières sans écrêtage afin que de plus nombreuses actions soient entreprises dans les forêts françaises.
– Propos conclusifs. – Pour terminer cette étude, rappelons que depuis janvier 2023 a été mis en place le Fonds Vert pour accélérer la transition écologique dans les territoires.
Ce fonds permet notamment de financer des opérations de renaturation urbaine, soit par la renaturation des sols et des espaces urbains, la restauration du réseau hydrographique, ou encore la végétalisation des bâtiments et équipements publics.
Seuls sont concernés les projets situés dans un espace urbanisé. En sont exclus les espaces naturels, agricoles et forestiers.
Ce fonds est exclusivement alimenté par les dotations de l'État. Il n'est donc pas possible en l'état actuel des choses de financer ces opérations de renaturation par des fonds privés.
Or, à l'heure où les projets de renaturation de la ville sont de plus en plus ambitieux, et dans lesquels la place de l'arbre est fondamentale, il nous semblerait intéressant que soit menée une réflexion pour permettre aux porteurs de projet impliquant une opération de défrichement de pouvoir alimenter le fonds vert au travers de la compensation financière.