Compréhension tardive et conséquences pécuniaires

Compréhension tardive et conséquences pécuniaires

– Mesures de police – versus travaux de défense. –Pour prévenir un risque de menace pour la sécurité publique, le maire peut intervenir au titre de son pouvoir de police administrative générale ou de son pouvoir de police administrative spéciale de la sécurité et de la salubrité des immeubles , plus couramment appelée « police des édifices menaçant ruine », en vue par exemple d'ordonner l'évacuation d'un immeuble ou d'interdire son accès.
La distinction des deux pouvoirs de police se fait en fonction de l'origine du danger. Les pouvoirs de police générale sont liés aux dangers extérieurs à l'immeuble, ceux de la police spéciale de la sécurité et de la salubrité aux dangers résultant de manière prépondérante d'une cause inhérente à l'immeuble. Mais, en présence d'un danger « grave et imminent » inhérent à l'immeuble, les pouvoirs de police administrative générale peuvent être employés.
C'est dans ce cadre que le maire de Biscarosse est intervenu pour prévenir le risque d'effondrement de la terrasse du « Grand hôtel » du fait de l'érosion marine. Mais le tribunal administratif de Pau a considéré que l'effondrement de la terrasse n'était susceptible d'intervenir que de manière évolutive. Il en a déduit qu'il n'y avait pas de « danger grave et imminent » justifiant une mesure de police administrative générale .
S'il appartient aux maires de prévenir les risques d'accident, une jurisprudence classique précise qu'il ne leur revient pas, de même qu'à l'état, d'effectuer des travaux visant à protéger les propriétés riveraines du domaine public maritime naturel . De tels travaux de défense incombent aux riverains . Et si la réalisation d'une digue à la mer est décidée, elle doit être financièrement « supportée par les propriétés protégées, dans la proportion de leur intérêt aux travaux » (L. 16 sept. 1807, relative au dessèchement des marais, art. 33).
– N'est pas « risque naturel majeur » qui veut. – Pour le risque de submersion marine, des mesures d'indemnisation sont disponibles au titre du « fonds Barnier » mentionné précédemment. Celui-ci permet, aussi, de soutenir des mesures de prévention ou de protection des personnes et des biens exposés aux risques naturels majeurs. Il peut être mobilisé par les collectivités territoriales, les entreprises, les particuliers, les établissements publics fonciers et les services de l'état afin de garantir la préservation des vies humaines et de mettre en place des démarches de prévention des dommages. à ce titre, il peut contribuer au financement des travaux, à hauteur de 80 % pour les biens à usage d'habitation, dans la limite de 50 % de leur valeur vénale, mais avec un plafond de 36 000 €.
En revanche, aucune mesure n'existe pour le risque d'érosion. Comme précédemment pour le « CatNat », la différence légale est justifiée par le caractère prévisible du risque.
– N'est pas « Signal » qui le souhaite. – La législation déjà évoquée (V. supra, n°) a fait que les propriétaires de l'immeuble « Le Signal » n'ont pu se prévaloir du « fonds Barnier ». Les soixante-quinze propriétaires ont néanmoins été indemnisés – en 2021, sept ans après leur évacuation de l'immeuble – à 70 % de la valeur de leur logement.
Ceci a été rendu possible par une loi d'espèce. En mai 2018, le Sénat a adopté, à la quasi-unanimité, la proposition de la sénatrice de la Gironde, Françoise Cartron, d'indemniser les propriétaires du « Signal » via le « fonds Barnier ». Puis les députés, dans le cadre de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 (!), ont validé le principe d'une somme de 7 millions d'euros pour l'indemnisation desdits propriétaires. En 2020 a lieu la signature d'un protocole d'accord entre la commune, l'intercommunalité et l'état, qui permet à la municipalité d'acquérir l'immeuble en vue de sa démolition. Cette dernière est intervenue en février 2023. Le site a désormais vocation à être renaturé et replanté.
Mais, pour les pouvoirs publics, il doit s'agir d'une indemnisation ad hoc. Le législateur n'affiche aucune volonté d'intervenir – c'est une litote – pour chaque immeuble menacé, nonobstant le poids de la « politique du précédent ».

Le recul du trait de côte : une expropriation de fait

Nous avons déjà évoqué, plus haut, la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à propos de l'immeuble « Le Signal », dans le contexte du droit de préemption pour risques naturels et du « fonds Barnier ». Cette QPC comportait un second volet : elle reprochait une méconnaissance de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, sur la propriété, « droit inviolable et sacré ». Il était objecté que, par le recul du trait de côte, la propriété privée se trouvait intégrée au domaine public maritime, mais sans le versement d'une juste et préalable indemnité.
La réponse du Conseil constitutionnel est sans surprise. Celui-ci avait déjà estimé conforme à la Constitution, avec une réserve, le texte légal fixant la limite du domaine public maritime (dans le contexte d'une contravention de grande voirie contre un camping ayant réalisé un enrochement visant à éviter que son exploitation soit submergée par les flots) . Dans cette nouvelle affaire, le Conseil écarte, une fois encore, le grief d'inconstitutionnalité . Il note que le domaine public maritime est fixé par un critère physique objectif indépendant de la volonté de la puissance publique, exclusif d'une privation de propriété au sens de la Déclaration des droits de l'homme .
Pourtant, cette solution ne satisfait pas entièrement. à la décharge du Conseil constitutionnel, la question lui était posée dans des termes particulièrement bancals (les propriétaires désirant surtout, in fine, être payés du prix de leur appartement). D'abord, les pouvoirs de police du maire pour mettre fin à un péril sont distincts de la procédure d'expropriation. Ensuite, le domaine public maritime comprend le sol et le sous-sol de la mer, mais pas l'eau de mer elle-même . Autrement dit, la destruction de l'édifice n'est pas assimilable au dommage causé par un ouvrage public : il résulte d'un agent naturel dont personne n'a la garde. Le tout, sauf à agir en « contentieux climatique » contre les présumés responsables du réchauffement du globe, sur le modèle déjà évoqué précédemment.
Le domaine public maritime naturel de l'état comprend le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer. « Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles » . Jusqu'en 1973, la définition du rivage n'était pas encore partout la même . Pour le littoral atlantique comme pour les départements d'outre-mer (avec des règles particulières, comme celle des « cinquante pas géométriques »), était encore appliqué le texte de Colbert, l'ordonnance royale sur la marine d'août 1681 : le rivage de la mer est « tout ce qu'elle couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes et jusqu'où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves ». Pour le rivage de la Méditerranée, on faisait plus antique encore : on appliquait tel quel le droit romain, spécialement le § 3 du titre Ier du livre II des Institutes, et sa règle selon laquelle le domaine public maritime s'étend à tout ce qui est habituellement recouvert par le plus grand flot d'hiver.
Dans un arrêt d'assemblée du 12 octobre 1973, Kreitman, le Conseil d'état est venu unifier l'ensemble, sous couvert d'interprétation : la limite du domaine public maritime, quel que soit le rivage, est au point jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre, en l'absence de perturbations météorologiques . Cette définition a directement inspiré la règle du droit positif, rappelée précédemment, énoncée au Code général de la propriété des personnes publiques.
Ce rappel historique n'est pas neutre : les règles de détermination du domaine public maritime ont été édictées en un temps où l'on ignorait que le niveau de la mer pouvait monter (ou descendre), hors l'observation de phénomènes locaux. Comme nous le disions en introduction, le niveau de la mer était globalement stable depuis la Haute Antiquité. Aussi, les règles traditionnellement admises cherchaient à fixer la limite d'un domaine, mouvant en apparence au rythme des marées ; mais, il ne s'agissait pas de créer un mode d'acquisition des biens, ou alors seulement accessoirement, au gré d'une érosion côtière marginale. Or, avec le réchauffement climatique, c'est la mutation juridique radicale qui est en train de s'opérer .
Car tout le problème juridique se résume à cette question : que décide-t-on si la mer reflue et que la zone engloutie redevient la terre ferme ? Si l'on délaisse le droit public pour revenir au droit civil, l'hypothèse a fait l'objet d'une décision fameuse : l'affaire de l'étang de Napoléon . Il s'agit d'un plan d'eau de quinze hectares, à l'extrême sud-est de la Camargue. En 1872, une tempête détruit le cordon littoral ; l'étang, réuni à la mer, devient une baie du rivage de la Méditerranée. Mais, à partir de 1942, le cordon littoral se reconstitue progressivement, jusqu'à recréer l'étang séparé de la mer. L'affaire débute quand la SCI, successeur du propriétaire de jadis, revendique la propriété de l'étang. La cour d'appel de Montpellier rejette sa demande, en considérant que le droit ne reconna ît pas la propriété « potentielle », que la propriété a été incorporée au domaine public maritime par l'effet d'un phénomène naturel, et que le droit de l'ancien propriétaire ne peut pas revivre parce que l'étang est de nouveau séparé de la mer .
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Source : Géoportail
Cette solution d'appel est censurée par l'assemblée plénière de la Cour de cassation . Et, sans s'embarrasser d'explications juridiques, et en faisant comme si l'ancien propriétaire avait seulement été longtemps privé de l'usage de son bien, elle affirme : « Le propriétaire qui a été privé de ses droits par la perte de son immeuble sous le seul effet des forces de la nature, se trouve réintégré dans sa propriété, lorsque, de la même manière, l'obstacle qui l'en avait privé a disparu ». La doctrine civiliste voit dans cette décision une illustration de la perpétuité du droit de propriété . Mais la portée de cet arrêt n'est pas seulement là. En effet, si l'on s'attache à la solution de fond plus qu'à son énoncé, cet arrêt revient à affirmer que la propriété privée a survécu tout au long, en dépit de l'intégration un certain temps dans le domaine public maritime . Comme si la propriété avait subsisté, tel un domaine éminent ; le domaine public maritime étant alors réduit à une forme de domaine utile. En tout cas, la formule judiciaire est assez large pour recouvrir toute hypothèse relative au trait de côte.
Maintenant, si l'on en revient au droit public, la perspective change du tout au tout. Il est considéré conforme à l'intérêt général que la terre submergée intègre le domaine public sans indemnisation . Sur ce point, comme le souligne le Conseil constitutionnel à raison, le phénomène est indépendant de la volonté de l'autorité publique. On objecte, plus vainement, que la propriété privée a disparu avec le flot, de sorte que la protection par la Déclaration des droits de l'homme ou par la Convention européenne des droits de l'homme deviendrait sans objet . Et l'on avance, également, l'affaire Depalle, où la solution du Conseil d'état a ensuite été validée par la Cour européenne des droits de l'homme . Seulement, il ne s'agissait pas vraiment d'un problème de délimitation du domaine public mais de démolition, sans indemnisation préalable, de biens situés sur le domaine public maritime et ayant fait l'objet d'autorisations d'occupation temporaire successives arrivées à terme .
En fait, le problème « d'expropriation de fait » n'appara ît pas quand la mer recouvre la propriété privée, mais quand – hypothétiquement – elle se retire. Dans ce cas, la doctrine publiciste écarte la jurisprudence étang de Napoléon en considérant que la zone découverte continue d'être du domaine public, en tant que lais et relais de la mer . En effet, les lais et relais de la mer constitués à compter du 1er décembre 1963 composent aussi le domaine public maritime . Les lais sont les terres nouvelles constituées par des alluvions que la mer dépose sur le littoral et que le plus haut flot ne recouvre plus ; les relais sont les terrains que la mer découvre en se retirant et que ne submergent plus les hautes eaux. Au final, si le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution le 1° de l'article L. 2111-4 du Code général de la propriété des personnes publiques, le texte problématique est le 3° du même article.
– La recherche d'une indemnisation uniforme et pérenne. – Des solutions de financement sont à l'étude . C'est, avec la révision de la Stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte (SNGITC), l'une des priorités du Comité national du trait de côte (CNTC), créé en mars 2023. Ce dernier réunit cinquante-six membres (experts, élus, services de l'état, associations, acteurs économiques et sociaux, etc.). Le comité dispose d'un an pour anticiper l'avenir à l'horizon 2050, et proposer, relativement au financement, une solution dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025. Le remède à apporter nécessite au préalable de définir précisément les besoins.
Le rapport complet n'a pas encore été remis au moment de l'écriture de ces lignes. Toutefois, la députée en charge – Panonacle – en a dévoilé les premiers éléments. Elle conclut à un besoin de financement, en 2050, pour 5 200 logements (dont 2 000 résidences secondaires), d'une valeur de 1,1 milliard d'euros, outre 200 bâtiments publics et 1 400 locaux d'activité.
Trois modalités de financements seraient envisagées :
  • pour les logements particuliers : un accompagnement des communes par l'état, qui traiteraient ensuite avec les propriétaires via les outils du « dispositif trait de côte ». Début 2022, Panonacle avait proposé la création d'un fonds érosion côtière, alimenté par une taxe prélevée sur les droits de mutation à titre onéreux. Cette dernière proposition est sujette à critique, en ce qu'elle constitue finalement un appel à la solidarité nationale ;
  • pour la consolidation ou la construction des ouvrages défensifs : la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI), qui est une taxe facultative levée par les EPCI à fiscalité propre, pourrait être sollicitée. Mais son faible montant (40 € maximum) ne suffira pas ;
  • pour la stratégie de repli : le budget de l'état, mais aussi des départements et des régions pourrait être sollicité, ainsi que différentes taxes, notamment sur l'éolien en mer ou la taxe de séjour.
Tandis que le modèle de financement se cherche encore, le législateur a pu apporter une première réponse au travers d'un dispositif juridique et technique, par l'insertion de nouvelles dispositions au sein du Code de l'urbanisme et du Code de l'environnement.

Responsabilité pour la délivrance du permis de construire ?

La commune qui délivre des permis de construire en zone inondable peut engager sa responsabilité
– même si la jurisprudence ne répare alors que les préjudices en lien direct et certain avec la
délivrance de l'autorisation d'urbanisme illégale

. En pratique, le juge administratif examine l'état des connaissances que pouvait avoir
l'administration au moment de la délivrance. On peut citer quelques jurisprudences, dans des
situations similaires au « Signal » (avec une délivrance du permis par le préfet). Ainsi, la
responsabilité a été écartée dans une affaire où la direction départementale de l'équipement (DDE)
ignorait que le terrain avait été précédemment reconnu en état de catastrophe naturelle

. Inversement, responsabilité engagée car la DDE n'avait pas tenu compte du caractère inondable de
la zone, alors que le maire lui avait signalé

.

Est particulièrement éclairante la jurisprudence relative à la catastrophe de la Faute-sur-Mer,
précédemment évoquée, lors de la tempête Xynthia

. Dans cette affaire, la requête souligne que la commune avait jadis connu des épisodes de
submersion marine, notamment, en mars 1928, en novembre 1940, en février 1941, ainsi qu'en octobre
et novembre 1960. Mais, pour les juges, ces données ne sont pas suffisantes pour établir que la
délivrance en 1975 du permis de construire en cause était entachée d'une erreur manifeste
d'appréciation. Pour eux, le point critique est la révélation du caractère insuffisant de la «
digue Est », ce qui est révélé par un diagnostic spécifique – mais en 2006 seulement. Dès lors,
aucune responsabilité n'est retenue au titre de l'instruction du permis.

Dans cette espèce, une responsabilité de l'administration est néanmoins bien retenue. Mais le
motif est autre. En effet, aucun PPRI n'était en vigueur au moment où frappe la tempête, alors que
la DDE avait déjà établi un atlas des zones potentiellement inondables huit ans auparavant. C'est
donc la responsabilité pour faute dans l'établissement du PPRI qui est retenue : le risque était
mal évalué, les mesures appliquées par anticipation étaient insuffisantes, et surtout la
municipalité avait agi en obstruction de l'adoption du plan (l'affaire s'est d'ailleurs doublée
d'un large volet pénal contre les édiles).