Une limite à respecter

Une limite à respecter

Les dispositifs employés pour limiter l'endettement ont été divers. Historiquement ils furent d'abord orientés vers l'information de l'emprunteur et l'obligation du prêteur professionnel de s'assurer de la solvabilité de son cocontractant. Ensuite vint l'ère de la contrainte sur les prêteurs.
– Les textes organisant des obligations précontractuelles. – Le premier texte régulateur fut la loi dite « Neiertz », votée pour imposer au prêteur de deniers professionnel de vérifier la solvabilité de tout emprunteur avant d'accorder un crédit (immobilier ou autre). Cette loi a été abrogée, mais les instruments de régulation qu'elle avait instaurés (tels que le Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers [FICP] ou encore les commissions départementales de surendettement) lui ont survécu. Puis vint la loi dite « Scrivener 1 », dont l'objectif était d'améliorer l'information préalable du consommateur et de le protéger tout au long du remboursement de ses crédits.
– L'institutionnalisation de la régulation des crédits. – Votée dans le contexte post-traumatique de la crise de 2007-2009, la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013 instaure un Haut Conseil de la stabilité financière (HCSF). Cet organisme a pour objet de réguler le marché, et ce d'autorité. Il exerce une surveillance du système financier dans son ensemble, dans le but d'en préserver la stabilité et la capacité à assurer une contribution soutenable à la croissance économique. Précisons que le HCSF français est l'antenne domestique du Comité européen du risque systémique (CERS). Ce dernier a été institué par le règlement (UE) no 1092/2010 du 24 novembre 2010. Il a été doté du pouvoir de régir l'octroi des crédits.
Initialement le HCSF formulait des avis ayant valeur de recommandations, sans être assortis de sanction. En matière de crédit à l'habitat, il définissait un taux d'endettement maximal conseillé. Ainsi, l'avis du HCSF publié le 20 décembre 2019, que l'on peut consulter ci-après, conseillait un maximum d'endettement de 33 % des revenus du ménage, doublé d'un plafond de durée d'endettement calé sur vingt-cinq ans maximum.
Le 27 janvier 2021, cette préconisation s'infléchit légèrement pour hausser à 35 % des revenus le maximum du taux d'endettement et limiter la durée de remboursement à vingt-cinq ans dans le cas général et à vingt-sept ans pour l'achat en vente en état futur d'achèvement (Vefa), intégrant en cela une période de différé d'amortissement de deux ans. Par ailleurs, le HCSF admet également une marge d'un certain volume de crédits pouvant déroger à ces règles, dans la limite de 20 % de la production trimestrielle de nouveaux crédits immobiliers. Sachant que 80 % minimum de cette poche dérogatoire devaient être réservés aux acquéreurs de résidence principale, dont 30 % aux primo-accédants. Le Haut Conseil a souhaité par ce moyen préserver les possibilités d'accès des ménages aux crédits immobiliers tout en s'assurant que les banques suivraient ses recommandations.
Il s'agissait d'éviter l'explosion, en nombre et en montant, des crédits immobiliers dont l'encours total, d'après la Banque de France, approchait les dix-neuf milliards d'euros pour les prêts à l'habitat en avril 2021. De fait, on a observé une quasi-disparition des prêts de plus de vingt-cinq ans. En 2012, une fraction égale d'environ 1,3 % de la production de crédit immobilier concernait les prêts d'une durée supérieure à vingt-cinq ans : elle n'était plus que de 0,1 % en fin d'année 2021. Mais ces lignes directrices demeuraient facultatives pour les banques, et certaines s'en dispensaient, notamment les banques mutualistes.
– L'apparition d'une mesure coercitive. – Le 15 juin 2021, le HCSF confirma ses précédentes recommandations, mais décida, après avoir pris connaissance de leur application, de conférer désormais à ses recommandations la valeur d'une norme juridiquement contraignante. La décision fut prise et publiée en date du 29 septembre suivant, avec effet au 1er janvier 2022. Depuis cette date, les établissements de crédit qui ne respectent pas ces recommandations risquent des sanctions, prononcées par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui « (...) veille à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients, assurés, adhérents et bénéficiaires des personnes soumises à son contrôle ». L'ACPR est membre du Mécanisme de supervision unique (MSU) confié à la Banque centrale européenne, laquelle contrôle directement cent quinze banques européennes, soit environ 82 % des actifs bancaires.
On peut consulter ici la décision du HCSF en date du 29 septembre 2021, applicable au 1er janvier 2022 :
– Critiques et inquiétudes. – Dès lors, un certain nombre de voix s'interrogèrent sur les conséquences pour les emprunteurs en termes d'accès au crédit, notamment en cas de remontée des taux. Comme on le sait, ce qui n'était alors qu'une probabilité est aujourd'hui devenu une certitude, sans que, pour l'instant, il n'en résulte une baisse des prix.
Les juristes, quant à eux, ne peuvent s'empêcher de faire remarquer que la décision du 29 septembre 2021 n'a ni la nature d'une loi ni, semble-t-il, celle d'une décision réglementaire. Il en résulte quelques doutes sur la constitutionnalité des normes édictées par le HCSF.
À l'international, on a également observé que cette tendance à la restriction de la durée des crédits immobiliers n'est pas de mise dans nombre de pays économiquement comparables à la France, loin s'en faut.

L'endettement immobilier en France : comparaison avec d'autres pays d'économie mature

1. Montant des crédits immobiliers
1.1 – La Banque centrale européenne diffuse des statistiques d'endettement des ménages au sein de l'UE, qui ne sont pas approfondies, notamment déciles par déciles, comme pouvaient l'être celles de l'Insee menées en France en 2013. Mais elles expriment un taux moyen général par pays de la zone euro. Ce taux moyen d'endettement des ménages s'élève à 96,12 % du PIB à fin 2020, pour l'ensemble de la zone. En France, il se situe à 102,18 % du PIB. Pour l'Allemagne, il est de 87,16 %. Il atteint 173,01 % au Luxembourg ; 184,27 % aux Pays-Bas ; 171,16 % en Suède ; 208,37 % en Norvège, ou bien encore 214,60 % pour les ménages danois.
Eurostat publie régulièrement les données relatives au taux d'endettement brut des ménages :
https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/tec00104/default/table?lang=fr">Lien.
1.2 – Dans les États de l'UE, les emprunts immobiliers représentent 87 % des crédits souscrits par les ménages (les 13 % restants étaient constitués de crédits à la consommation), et 42 000 € en moyenne par ménage propriétaire. Cependant, le niveau des encours varie fortement d'un pays à l'autre : la France arrive en huitième position, avec près de 52 000 € par ménage. Sachant que dans notre pays, 98 % des crédits immobiliers distribués le sont à taux fixe.
1.3 – C'est en Europe du Nord (Danemark, Finlande, Irlande, Royaume-Uni et Suède) que les ménages sont les plus endettés (représentant à eux seuls 33 % du total des crédits immobiliers en Europe). En effet, l'encours moyen par ménage propriétaire dans ce groupe de pays s'élève à 81 800 €, soit deux fois la moyenne européenne. Les causes en sont diverses, notamment l'importance des prix et le dynamisme des marchés, les durées de crédit globalement plus longues que dans les autres pays, une fiscalité et des traditions culturelles plus favorables au crédit immobilier. Les encours des crédits immobiliers, soit les montants encore dus (capital et intérêts), représentent en France 67 % du revenu disponible brut des ménages, là où ils s'élèvent à 202 % de ce revenu brut au Danemark, ou 139 % aux Pays-Bas.
1.4 – L'Europe du Centre-ouest (Allemagne, Autriche, Belgique, France, Luxembourg et Pays-Bas) représente 46 % des encours des crédits immobiliers de l'Union européenne. L'encours moyen par ménage propriétaire y est de 56 800 €, soit 37 % de plus que la moyenne européenne. Là où l'Europe de l'Est (Bulgarie, Hongrie…), est en comparaison très peu endettée, tant au niveau du montant que du nombre : 8 % des ménages supportent un emprunt en cours, pesant à peine 4 % des encours de crédits immobiliers, avec 6 600 € par ménage propriétaire. Dans le sud de l'Europe (Chypre, Espagne, Grèce, Italie, Malte et Portugal), les ménages sont globalement moins endettés. On y recense 17 % des encours des crédits immobiliers et l'encours moyen par ménage propriétaire s'élève à 26 900 €, soit 35 % de moins que la moyenne européenne.
2. Durée des crédits immobiliers
2.1 – En France, nous l'avons vu, la durée moyenne d'un crédit immobilier varie entre vingt et vingt-cinq ans, et les emprunts d'une durée supérieure ont pratiquement disparu. Au Royaume-Uni en revanche, des prêts étalés sur trente, trente-cinq, voire quarante et même cinquante ans sont courants. Les prêts à taux fixe sont en général accordés pour deux, trois, cinq et parfois dix ans. À la fin de cette période, ils basculent en standard variable rates, souvent plus élevés, marquant là le moment d'une fréquente renégociation de l'emprunt. Tout comme en Espagne, où les emprunteurs se risquent plus à s'endetter jusqu'à l'âge de départ à la retraite, encouragés par une réforme du crédit hypothécaire. Au Portugal, ce n'est qu'en 2018 que la loi, face à l'explosion de l'endettement immobilier depuis 2016, a plafonné les durées d'emprunt à quarante ans maximum, avec un taux maximum d'endettement de 50 % du revenu net, tous prêts confondus. À propos de la Suède, le journal La Tribune titrait, en 2013 : 140 ans, c'est la durée moyenne de remboursement d'un prêt immobilier en Suède . La raison d'une telle amplitude étant le type de produits utilisés, à savoir les prêts in fine. Il résultait de cet article qu'environ 60 % des emprunteurs avec hypothèque ne payaient à leur banque que le montant des intérêts. Ajoutons la fiscalité locale très favorable à l'immobilier, 30 % des intérêts payés étant déductibles de l'impôt sur le revenu même pour son propre logement, et aucun impôt sur la plus-value n'étant déclenché par une revente si elle est réalisée pour être immédiatement réinvestie dans un autre logement : il apparaît donc plus intéressant pour les Suédois d'acheter leur logement plutôt que de le louer.
2.2 – En Suisse, le prêt hypothécaire est une somme d'argent prêtée pour l'achat d'un bien immobilier. Le bien acquis sert de garantie au prêt, et l'établissement prête jusqu'à 80 % de la valeur du bien, les 20 % restant devant être financés sur fonds propres. Or les prix des biens immobiliers en Suisse sont nettement plus élevés que dans les pays voisins, en raison notamment de trois facteurs que sont la rareté des terrains constructibles, les normes et standards de construction élevés, et le coût de la main-d'œuvre. Le remboursement échelonné de la dette représenterait le plus souvent une charge intenable. Aussi, la plupart des emprunts sollicités en Suisse sont divisés en deux parties, dénommées premier et deuxième rang. Le premier rang correspond à deux tiers de la valeur du bien. Il n'est pas obligatoire de le rembourser en cours de détention du bien, seule la revente entraînant l'exigibilité de la dette. Or, les perspectives de plus-values sont depuis de nombreuses années très importantes dans l'ensemble du pays. En attendant, seuls les intérêts sont payés sur cette somme pendant toute la durée du prêt. Tant qu'il n'y a pas revente, le prêt est quasi perpétuel, et peut donc très bien s'étager de manière intergénérationnelle. La banque y gagne la rente que constitue le montant des intérêts, et ne prend guère de risque compte tenu des fondamentaux du marché en terme d'évolution du prix du bien hypothéqué. Le solde du prêt, formant le deuxième rang, doit, quant à lui, être amorti (remboursé) à l'horizon de l'un des deux maxima suivants : soit au bout de quinze ans, soit à l'âge de la retraite.
3. Dans le reste du monde
3.1 – L'exemple américain. Aux États-Unis, le modèle préféré de crédit, et le plus populaire, est le crédit immobilier à trente ans à taux fixe, dont le taux moyen s'est d'ailleurs envolé pour atteindre 6,02 % en septembre 2022.
3.2 – L'exemple nippon. Avec un taux de chômage qui ne cesse de baisser (2,6 %, à comparer avec les 5,3 % de la zone OCDE) et une relative stabilité des carrières, les banques japonaises ont pour coutume de traiter sur le long terme avec les emprunteurs. Voire même à très long terme, avec des durées de crédit pouvant aller aisément jusqu'à trente-cinq ans, et sans grande difficulté jusqu'à cinquante années.