Les voies de solution

Les voies de solution

En l'état actuel de la controverse doctrinale exposée et de la pratique, les pistes de solution relèvent d'une part, du droit positif (§ I), d'autre part, du droit prospectif (§ II). Nous apporterons, enfin, quelques suggestions pour un mandat de protection future « libéré » (§ III).

Solution de droit positif

La seule solution de droit positif a été exprimée lors du 113e Congrès des notaires de France, dont la deuxième commission (#Solidarités) traite en détail la question. Elle consiste à faire application de l'article 426 du Code civil. Non par conviction enthousiaste, mais seulement par mesure de prudence.

Solution de droit prospectif

Deux aménagements ont déjà été proposés, l'un par l'Assemblée de liaison des notaires de France, l'autre par le 113e Congrès des notaires de France.
– Aménagement proposé par l'Assemblée de liaison. – Une simple précision pourrait être apportée à l'alinéa 3 de l'article 426 du Code civil, permettant de bâtir un lien solide et efficace avec le nouveau droit conventionnel des incapacités :
« (…) S'il devient nécessaire ou s'il est de l'intérêt de la personne protégée qu'il soit disposé des droits relatifs à son logement ou à son mobilier par l'aliénation, la résiliation ou la conclusion d'un bail, l'acte, sauf dispositions contraires prévues dans un mandat de protection future notarié, est autorisé par le juge ou par le conseil de famille s'il a été constitué, sans préjudice des formalités que peut requérir la nature des biens ».
– Aménagement proposé par le 113e Congrès des notaires de France. – Il s'agirait de renforcer l'efficacité du mandat de protection future, en complétant l'article 490 du Code civil en vue d'ouvrir au mandant la faculté d'accorder au mandataire le pouvoir de vendre sa résidence principale ou secondaire, mais en laissant subsister, en cette hypothèse, le principe selon lequel le logement de la personne et les meubles dont il est garni doivent être conservés à la disposition de celle-ci aussi longtemps que possible . Dans cette configuration, le mandataire aurait à répondre non seulement de sa gestion, mais en outre, et primordialement, du respect de cette condition d'ordre public.
– Rôle accru du rédacteur du mandat. – Quelle que soit la modification retenue (et, d'ailleurs, pourquoi ne pas les cumuler ?), il appartiendrait au mandant, aidé de son conseil, de définir, dans le mandat, une sorte de « feuille de route » relative aux actes de disposition sur le logement. Le lecteur trouvera, sur l'extension web qui suit, un projet de ce que pourrait être une telle convention ; son attention est attirée sur le caractère prospectif de cette formule, qui, en l'état des indications qui précèdent, ne peut se substituer à l'autorisation judiciaire que, pour l'instant, la prudence dicte au notaire de requérir.

Droit prospectif

Clauses pouvant servir à détailler, au sein d'un mandat de protection future établie sous forme authentique, la feuille de route fixée par le mandant en cas d'arbitrage sur son logement.
AVERTISSEMENT
L'attention du lecteur est attirée sur le caractère prospectif de cette formule, qui, à l'heure où nous écrivons ces lignes, ne peut se substituer à l'autorisation judiciaire que la prudence dicte au notaire de requérir.
– LOGEMENT DU MANDANT –
Orientation générale exprimée par le mandant :
Au cours de l'exécution du mandat, le mandataire conservera à la disposition du mandant, aussi longtemps qu'il est possible, le logement du mandant et les meubles le garnissant, qu'il s'agisse de la résidence principale ou de la résidence secondaire du mandant.
Pouvoir spécial conféré d'avance par le mandant :
Toutefois, désireux de ne pas soumettre le mandataire aux dispositions de l'article 426 du Code civil, prévoyant pour toute personne judiciairement protégée que les actes de disposition relativement au logement – principal ou secondaire – requièrent une autorisation du juge des contentieux de la protection, le mandant souhaite ici, alors qu'il est en pleine jouissance et possession de ses capacités, expressément conférer au mandataire le pouvoir de disposer des droits assurant son logement (principal ou secondaire) sans avoir besoin de recourir à l'autorisation préalable du juge, dès lors que le mandataire, en qui il déclare avoir toute confiance, jugera en son âme et conscience que l'opération est nécessaire.
Pour la mise en vente, la valeur estimative du bien devra toutefois être préalablement déterminée :
  • au moyen des estimations faites par trois agences immobilières différentes ; la valeur estimative minimale retenue sera alors la moyenne des trois estimations ;
  • ou par un expert agréé auprès des tribunaux ;
  • dans ces deux hypothèses, l'acquéreur retenu devra offrir un prix de vente conforme à la valorisation, et en tous cas qui n'en sera pas inférieur de plus de 10 %, faute de quoi l'accord préalable du juge des contentieux de la protection deviendra nécessaire pour en apprécier les raisons.
En cas d'offres similaires, le mandataire fera prévaloir, outre les autres paramètres qu'il pourrait juger bon de retenir pour l'intérêt du mandant, celle dont les conditions seront les plus propices à la sécurisation de ce dernier : prix payable comptant, absence de conditions suspensives, ou conditions suspensives les moins nombreuses ou les plus légères.
Si, pour une raison quelconque, en raison de l'exigence de telle ou telle partie à la vente ou de ses conseils, la régularisation ne pouvait intervenir sans obtenir préalablement l'autorisation du juge des contentieux de la protection, telle que prévue par l'article 426 du Code civil, et ce en dépit de ce qui précède, alors le mandataire aux présentes est investi de tous les pouvoirs nécessaires pour déposer le moment venu une requête en ce sens auprès dudit magistrat.
En matière de bail sur le logement, et le cas échéant sur le mobilier qu'il contiendra, les pouvoirs conférés au mandataire sont équivalents, et le montant du loyer sera déterminé selon la valeur locative du bien estimée selon le même processus.

Pour un mandat de protection future libéré

Les suggestions formulées profiteraient tant aux mandants (A) qu'aux services judiciaires (B), et paraissent en outre d'intérêt général (C).

Pour les mandants

– Considérations générales. – Ne pas soumettre à l'article 426 du Code civil les pouvoirs de son mandataire constituera-t-il un danger pour le mandant ? À notre sens, pas plus que n'est le cas aujourd'hui pour l'exécution de tout mandat « de droit commun » qu'il peut déjà confier. Comparaison n'est certes pas raison, mais on ne peut s'empêcher de remarquer qu'il n'est pas toujours réaliste de faire du logement un objet de surprotection. Ainsi, les actes de disposition ayant pour objet les actifs professionnels du mandant tels qu'une entreprise, exploitée personnellement ou en société, ne requièrent, pour son mandataire de protection future, aucune autorisation judiciaire, alors même qu'il s'agirait de sa seule source de revenus. De même, le législateur n'autorise-t-il pas la délégation des directives anticipées à un tiers de confiance, habilité, conformément au Code de la santé publique, à prendre des décisions relatives aux affections critiques, aux interventions risquées, voire à la fin de vie ? En quoi la décision relative au logement serait-elle plus obérante ?
– En cas de vente. – La forme authentique, imposée à toute vente immobilière, garantit le contrôle scrupuleux du respect des conditions dictées par le mandant pour la vente de son logement.
– En cas de bail. – L'intervention d'un notaire n'est pas nécessaire. Le contrôle de l'exacte application de la volonté du mandant, actuellement entre les mains du juge, ne serait pas garanti si l'on supprimait son intervention. Dès lors, on pourrait concevoir que la forme authentique soit imposée à tous les baux à conclure par des personnes protégées (mesures judiciaires ou mandat de protection future activé). Magistrat de l'amiable, le notaire soulagera, sur ce point comme sur d'autres, le poids constamment accru qui pèse sur les juridictions dans un monde de plus en plus procédurier.
– Dans les deux cas. – Si cette suggestion fait accuser, bien à tort, les auteurs de ces lignes d'un corporatisme outrancier, on pourrait exiger que les actes de disposition sur le logement du mandant fussent soumis à l'approbation d'un ou plusieurs tiers contrôleurs de gestion, membres ou non de la famille.

Pour la justice (et son budget)

– Un notaire auxiliaire de la justice. – Est-ce faire outrage aux magistrats que de proposer cette dispense de l'autorisation de l'article 426 du Code civil, du moins en présence de l'intervention d'un notaire ? À notre sens, il n'en est rien. C'est répondre à leur besoin, les aider à se recentrer sur leur mission. Ce n'est pas autre chose que ce qui s'est passé, avec l'essor rapide de l'habilitation familiale, sorte de mandat judiciaire de protection présente. Eux-mêmes semblent désireux de favoriser les mesures d'autocontrôle, plutôt que revendiquer un tout-judiciaire qui n'aurait pas de sens ni de viabilité.
– Un notaire contrôleur investi d'un pouvoir d'alerte. – L'accomplissement actuel de la mission de contrôle des comptes des personnes protégées laisse à désirer. Réalité crûment révélée par un rapport de la Cour des comptes, délivré en septembre 2016, que l'on peut consulter ci-après dans sa version complète :
Ces conclusions accompagnèrent celles du Défenseur des droits, pointant « un contrôle des mesures judiciaires très insuffisant » : dans certaines juridictions, 1 à 2 % seulement des mesures judiciaires avaient fait l'objet d'un contrôle ! La Cour préconisait que soient confiés « à des professionnels du chiffre, sous la surveillance du juge et à des tarifs plafonnés, l'établissement et le contrôle des inventaires et des comptes des majeurs dont la situation financière est complexe ou présente des risques ». Pourquoi ne pas envisager un contrôle à double détente, d'abord celui de l'officier public, puis, seulement dans le cas où ce dernier décèle ou suspecte un abus, celui du juge des contentieux de la protection ? Le tout sans préjudice des dispositions du mandat, pouvant imposer l'intervention d'un contrôleur ou d'un expert.

Dans l'intérêt général

– L'enjeu de la dépendance. – Comme on l'a vu, de nombreux logements sont actuellement détenus par une frange de population âgée, qui rencontrera dans les années à venir de plus en plus de situations de dépendance, et qui aura besoin mécaniquement de procéder à des arbitrages sur ce patrimoine pour faire face à ses nouveaux besoins (travaux d'aménagement du logement, déménagement, entrée en établissement médicalisé, etc.). Ces personnes devraient être sensibles à l'idée de pouvoir graver à l'avance leurs desiderata dans un marbre authentique, en vue d'une telle éventualité.
– Conclusion : protéger sans figer. – Tout ce qui peut promouvoir une mesure conventionnelle d'anticipation contribuera non seulement à la préservation de l'exercice des libertés individuelles, mais aussi à la fluidité du marché du logement. En préservant pour chacun la maîtrise de son logement, on peut aussi contribuer à en faire, sinon un Bien commun, à tout le moins un actif circulant au service de l'Homme. Un logement résolument tourné vers le bien-être social.