Arbitrer le logement en usant de la mesure conventionnelle de protection

Arbitrer le logement en usant de la mesure conventionnelle de protection

Mandatum, mot latin issu du verbe mandare : littéralement donner la main, confier, remettre, ordonner quelque chose, donner instruction de…
Face à la pluralité des mesures judiciaires de protection des personnes, il n'existe qu'une seule méthode de nature conventionnelle pour anticiper les conséquences de l'incapacité : le mandat de protection future. Cherchons à comprendre quel profond changement son avènement a induit (Sous-section I). En quoi peut-il fournir la plus efficace des réponses dans l'anticipation des risques qu'une inaptitude peut provoquer sur l'adaptation d'un logement ? (Sous-section II). Quels sont les freins qui ont pu jusqu'à présent entraver la croissance de son usage et de sa notoriété (Sous-section III), et quelles sont les voies de solution (Sous-section IV) ?

Genèse d'un instrument révolutionnaire

– Naissance en 2007. – Le contrat permettant d'anticiper une éventuelle incapacité future a été salué comme l'innovation la plus importante de la loi du 5 mars 2007. Néanmoins, il a fallu attendre 2009 pour que soient activés les premiers mandats de protection future.
– Un besoin ancestral… – Dans sa thèse soutenue devant l'Université de Montpellier le 24 novembre 2016, Mme Coll de Carrera voit en Homère le précurseur du mandat d'inaptitude. Dans L'Odyssée, Ulysse demande à ses matelots de l'attacher solidement au mât du navire, pour qu'il puisse écouter le chant irrésistible des sirènes. Mais, afin de ne point y succomber, il leur donne un ordre formel : « quand, ayant perdu la raison, je vous ordonnerai de me détacher, vous resserrerez mes liens ». Donner ses instructions d'avance pour parer aux conséquences d'une situation future, encore inexistante, telle est la raison d'être du mandat de protection future.
– … ignoré du Code civil. – Pourtant, sans l'affirmer avec autant de clarté qu'il le faisait à l'égard des pactes sur successions futures, le Code civil a longtemps nourri la même méfiance à l'égard de conventions écrites « à l'aveuglette », à une époque où l'on ignore de quoi sera fait l'avenir au cours duquel elles auront à prendre effet. Pourtant, la naissance d'un outil conventionnel anticipant les conséquences d'une incapacité non encore survenue était appelée par de nombreuses voix. D'abord par les sujets de droit eux-mêmes (qui parfois, avant son avènement, pensaient par erreur pouvoir loger cette anticipation au sein d'un testament). Mais aussi par l'ensemble des praticiens, désireux de pouvoir apporter leur plume et leur conseil à l'appui d'une demande récurrente.

Cinq fois sur le métier remettez votre ouvrage ! Le rôle du Congrès dans l'institution du mandat de protection future

L'institution d'un mandat d'inaptitude a été évoquée lors :
  • du 80e Congrès des notaires de France, Le notariat et les personnes protégées, Versailles, 1984, 3e commission, nos 160 et suivants ;
  • du 94e Congrès des notaires de France, Le contrat, Lyon 1998, 2e commission proposition no 4 ;
  • du 95e Congrès des notaires de France, Demain la famille, Marseille, 1999, 2e commission, nos 2149 et suivants ;
  • du 102e Congrès des notaires de France, Les personnes vulnérables, Strasbourg, 2006, 3e commission, nos 3094 et suivants.
Et encore, après l'instauration du mandat de protection future :
• par le 113e Congrès des notaires de France, Familles, solidarité, numérique, Lille, 2017, 2e commission, nos 2691 et suivants.
Soit, tout de même, cinq congrès pour un seul mandat !
– Une nécessité budgétaire. – Enfin, la conception d'un instrument alternatif aux réponses administratives était recherchée par les pouvoirs publics eux-mêmes, sous la pression d'impératifs budgétaires prévisibles. En effet, la projection de croissance du nombre de personnes âgées d'ici 2050 fait entrevoir une multiplication par quatre, ce qui dépasse de très loin les ressources imaginables des services judiciaires en charge de la protection des majeurs.
Un article sur la loi du 5 mars 2007 et la réforme des incapacités est accessible ici :

Extrait d'une interview de M Pierre-Jean Meyssan (vice-président du Conseil supérieur du notariat) et M Pierre Tarrade (président de la section de droit international privé de l'IEJ du CSN) ( 31 janv. 2022).

« En 2050, un cinquième de la population européenne présentera une forme de handicap. Au-delà du défi financier majeur que pose cette projection d'Eurostat, c'est la dimension humaine qui est au cœur de la question universelle de la protection des majeurs. L'Europe doit aujourd'hui en prendre la mesure, et fédérer ses moyens et ses outils juridiques.
(…) Ce dispositif est disponible depuis 2007. Il a aussi été créé pour désengorger la justice. Un juge des tutelles doit aujourd'hui traiter des dizaines de dossiers par jour. Il lui est impossible d'exercer un contrôle effectif sur chacun d'entre eux. Le mandat de protection future permet donc à la fois d'alléger le travail des magistrats et de donner la possibilité à chaque citoyen de décider de son avenir en toute liberté. Cet outil est gagnant-gagnant ! »
– L'incidence du droit comparé et international. – Mais c'est aussi sous l'incitation de sources internationales que se mit en branle le mouvement législatif. La Convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes, ratifiée par la France, reconnaissait les conventions de représentation volontaire anticipant une incapacité future. Or, de nombreux États signataires de la convention connaissaient déjà de tels dispositifs. Dès lors que la France avait ratifié la convention rédigée en ces termes, elle ne pouvait plus opposer l'ordre public à l'application, sur son territoire, de tels mandats, plaçant de fait ses nationaux (alors inaptes à y recourir) en situation d'inégalité, ce qui ne manquait pas de surprendre.

Mandat de protection future :

L'article 15 de la Convention de La Haye du 13 janvier 2000, ratifiée par la France, dispose : « L'existence, l'étendue, la modification et l'extinction des pouvoirs de représentation conférés par un adulte, soit par un accord soit par un acte unilatéral, pour être exercés lorsque cet adulte sera hors d'état de pourvoir à ses intérêts, sont régies par la loi de l'État de la résidence habituelle de l'adulte au moment de l'accord ou de l'acte unilatéral (…) ».

Le mandat de protection future, un objet juridique venu d'ailleurs !

À consulter, à l'international :
  • le site du Sénat, rubrique « Europe & International », Étude de législation comparée no 148, juin 2005, La protection juridique des majeurs : www.senat.fr/lc/lc148/lc1482.html">Lien ;
  • le site développé par le Conseil des notariats de l'Union européenne (CNUE) – Notaires d'Europe, regroupant les mesures de protection applicables aux mineurs et aux adultes dans vingt-deux pays européens, et régulièrement mis à jour : http://the-vulnerable.eu/?lang=fr">Lien.
À remarquer, à l'international :
  • Aux États-Unis, la matière se scinde entre :
  • Le droit suisse offre lui aussi, depuis le 1er janvier 2013, un exemple abouti de mesure extrajudiciaire d'anticipation, à travers son mandat pour cause d'inaptitude, permettant de couvrir tant les questions patrimoniales que médicales ou de vie du quotidien.
  • Et, précurseur, le modèle québécois, entré en vigueur le 15 avril 1990, source d'inspiration pour plusieurs autres législations désireuses de permettre à leurs citoyens l'élaboration d'un instrument large et ouvert à une anticipation sur mesure, ne nécessitant pas d'intervention judiciaire.
  • Par ailleurs au sein de l'Union européenne, nombreux sont les États ayant institué, parmi les axes de leur législation relative aux droits des personnes vulnérables, des dispositifs d'anticipation volontaire et contractuelle de l'incapacité. En cela, ils ont été incités par la recommandation no R. 99 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe du 23 février 1999, exprimant l'idée directrice que :
  • Enfin, même sans valeur normative, la Convention internationale du droit des personnes handicapées, signée le 13 décembre 2006, a sans doute eu sa part d'influence : élaborée à l'instigation du Comité des droits de l'homme, elle contient des recommandations visant à purement et simplement supprimer toutes mesures de représentation, et y substituer des mesures d'accompagnement.
Apparu dans ce contexte, en quoi le mandat de protection future peut-il déployer son efficacité, voire sa supériorité, quand il s'agit de pérenniser la puissance d'action d'un propriétaire vulnérable sur son logement ?

Un instrument de puissante souveraineté patrimoniale

Permettant une représentation parfaite (§ I), le mandat de protection future est un mandat général doté d'un régime dérogatoire au droit commun (§ II).

Un mandat de représentation parfaite

Tout ou presque a déjà été écrit sur les vertus du mandat de protection future et l'intérêt de son usage, et celui de lui conférer la forme authentique. Sa force vient de sa nature, en l'occurrence la nature d'un mandat, mais pas n'importe lequel !
– Un reflet de la volonté du mandant. – Le mandat de protection future est un contrat de représentation parfaite. Le représentant y agit non seulement pour le compte du représenté, mais également en son nom. Dès lors, le représenté est non seulement partie au contrat de mandat, mais aussi à tous les autres contrats conclus en son nom par le représentant, lesquels créent directement à son égard tous les droits et obligations qu'ils stipulent. Les effets de ces conventions se rattachent à la source (c'est-à-dire au mandat conclu entre mandant et mandataire), et c'est bien là une intense différence avec toutes les mesures de protection judiciaire, y compris l'habilitation familiale (qui, rappelons-le, n'a pas su choisir clairement entre mandat et mesure judiciaire). L'intervention médicale (certificat médical circonstancié établi par un médecin expert) ne fait que constater la nécessité d'activer le mandat ; et la supervision judiciaire, simple récépissé émanant du greffier du tribunal judiciaire, ne fait que conférer l'opposabilité erga omnes à cette constatation. Aucune décision, gracieuse ou contentieuse, n'est plus nécessaire. En un mot : quand il était en possession de ses moyens, le mandant a tout dit, et nul ne peut ni y ajouter ni y retrancher quoi que ce soit.
– Un instrument d'autoprotection. – C'est là, selon nous, toute la vertu du mandat de protection future : loin d'afficher la perte de capacité de la personne vulnérable, il pose aux yeux de tous un acte de volonté claire et lucide, émanant de la personne elle-même, mais qui ne sera connu de la société qu'au moment voulu. Cette noblesse unique de l'institution est reconnue par deux éminents auteurs, considérant qu'il « semble humaniser l'humiliation résultant fatalement de la diminution mentale, et de la meilleure manière, en associant la personne à sa propre protection : une autoprotection ». Celui qui se défend contre l'adversité conserve ainsi toute dignité. Voilà sans doute pourquoi la loi de 2019 a instauré « le primat du mandat de protection future sur tout autre dispositif de protection, y compris sur le droit commun de la représentation, ainsi que sur le régime primaire et les régimes matrimoniaux, ce qui est nouveau ».
Le mandat de protection future assume donc pleinement sa nature de mandat, et de la manière la plus aboutie, celle de la représentation parfaite. Mais cela suffit-il à investir le mandataire de tous pouvoirs, même les plus décisifs ?

Un mandat général dérogatoire

– Un mandat général. – Le plus souvent, le mandat de protection future est rédigé en termes larges, en conférant au mandataire une légitimité générale à agir. C'est la meilleure solution, pour ne pas dire la seule, en vue de permettre au représentant de s'adapter à toutes les circonstances et vicissitudes d'un avenir personnel et patrimonial que, par définition, le mandant ne maîtrise pas. Il s'agit donc le plus souvent d'un mandat général.
– Le principe de l'article 1988. – Or, l'article 1988 du Code civil tonne de façon constante depuis 1804 que : « Le mandat conçu en termes généraux n'embrasse que les actes d'administration. S'il s'agit d'aliéner ou hypothéquer, ou de quelque autre acte de propriété, le mandat doit être exprès » (nous soulignons). Ce qui implique que lorsqu'une personne veut déléguer le pouvoir de vendre un bien, comme un immeuble – et pourquoi pas le logement –, il faut alors l'indiquer clairement, identifier le bien à vendre avec précision, fixer ou, au moins, rendre déterminables le prix et les conditions de la vente. Or, être contraint d'atteindre ce degré de détail dans un mandat d'anticipation, appelé à n'être activé qu'après une durée indéterminée, qui peut être très longue, obligerait à sans cesse réécrire celui-ci, au gré de l'évolution du patrimoine ou de l'environnement économique.
– La dérogation au principe. – C'est bien pour éviter cela, et donner à sa création toute la souplesse nécessaire, que le législateur de 2007 a fait exception au principe général. L'article 490 du Code civil précise ainsi que : « Par dérogation à l'article 1988, le mandat, même conçu en termes généraux, inclut tous les actes patrimoniaux (...) » (nous soulignons). La suite de l'article exclut toutefois des pouvoirs potentiellement délégables au mandataire sans autorisation judiciaire les seuls actes de disposition à titre gratuit. Rien d'autre. Et le législateur ne saurait être plus clair quand il indique que le mandat de protection future « inclut tous les actes patrimoniaux que le tuteur a le pouvoir d'accomplir seul ou avec une autorisation » (nous soulignons, là encore).
– Un texte limpide. – Comment pourrait-on adopter formule plus ample pour exprimer que tous les pouvoirs peuvent être délégués par mandat de protection future, y compris pour accomplir des actes de disposition, puisque la barrière de l'article 1988 du Code civil est écartée ? Et tous les actes de disposition, même ceux qui nécessiteraient une autorisation sous le régime de la tutelle : c'est clairement ce que dit le texte. La volonté légale de distanciation entre le mandat de protection future et les mesures judiciaires est donc évidente, et il est clair que le premier a été voulu comme un instrument à part, affranchi des règles de contrôle s'imposant aux secondes. Cela ne veut pas dire qu'il est dépourvu de contrôle, mais les cadres de celui-ci seront de nature contractuelle, seuls étant imposés deux garde-fous, l'un à l'entrée (le certificat médical circonstancié déposé au greffe) puis annuellement, au cours de son exécution (l'analyse et la conservation de justificatifs par le notaire rédacteur du mandat et contrôleur des comptes de gestion).
Toutefois, malgré le contexte favorable dans lequel il s'est développé et toute la puissance dont le législateur l'a investi, le mandat de protection future ne connaît pour l'instant qu'un engouement limité.

Une regrettable controverse

– Premier bilan. – Il n'entre pas dans notre propos de dresser un bilan détaillé des premières années d'application du mandat de protection future. À cet égard, le lecteur trouvera l'essentiel sur l'extension web proposée ci-dessous. Le sentiment général est celui d'un faible engouement. Encore ne peut-il s'agir que d'une impression, car la réalité est rendue indiscernable par un défaut majeur de l'institution, que le législateur serait bien avisé de corriger : l'absence d'enregistrement de la conclusion des mandats de protection future dans un registre officiel. En l'état actuel de la réglementation, seule est en effet répertoriée leur activation.
Voir à ce sujet l'article de Frédérique Perrotin sur Lextenso Actu-Juridique.fr :
Accès direct vers le rapport complet de la mission Caron Déglise :

Le mandat de protection future : une institution pleine d'intérêt, mais qui peine à trouver sa place

1. On peut s'étonner de constater que l'unique mesure d'anticipation complète de l'incapacité ne rencontre, en France, qu'un succès d'estime, alors même que :
  • elle était attendue de tous depuis longtemps, spécialement ceux touchés par le handicap parmi leurs proches ;
  • elle est offerte comme un espace de liberté conventionnelle, à la seule condition de prendre soin de s'attacher les conseils d'un professionnel responsable (soit le notaire pour la version totale du mandat, soit un avocat pour contresigner sa version centrée sur les actes d'administration) ; monopoles d'intervention qui n'ont rien de choquant ni de surprenant, vu l'importance des enjeux et la nécessité d'être parfaitement éclairé pour agir en conscience ;
  • elle est issue de l'observation de modèles et d'exemples étrangers qui eux, fonctionnent de façon très dynamique dans leur pays de conception.
2. Certes, l'essor n'est pas le même qu'ailleurs, notamment si l'on considère les cas par exemple de la Belgique ou de Québec. Et ceci sans doute pour les raisons que nous évoquerons ci-dessous. Mais là encore, il est bon de relire notre confrère Jacques Combret pour remettre toutefois les choses en perspective. Ce dernier observait en effet en 2017, à l'occasion du dixième anniversaire de la réforme du droit des personnes vulnérables, qu'il n'était pas crédible de parler de succès ou d'insuccès, aucune statistique fiable n'existant alors ; et c'est toujours le cas ! En effet, malgré la décision formelle prise au cœur de la loi du 28 décembre 2015 d'organiser un fichier central des mandats de protection future signés mais non activés, le décret auquel fut alors renvoyée la mise en œuvre n'existe toujours pas…
3. Les seuls chiffres publiés émanent de la mission sur l'évolution de la protection juridique des personnes, présidée par Mme Anne Caron Déglise et qui fit grand bruit, lorsqu'elle a rendu son rapport le 21 septembre 2018 à la ministre des Solidarités et de la Santé et à la ministre de la Justice. Chiffres qui remontent donc déjà à un certain nombre d'années. Mais qui, surtout, ne sont relatifs qu'au nombre total de mandats de protection future en cours d'exécution, en indiquant qu'il ne s'élève qu'a 4 600, et progresse lentement : « Les statistiques du ministère de la Justice, difficiles a établir en l'absence de publicité [nous soulignons], semblent attester seulement d'une lente progression : 140 mandats mis en œuvre en 2009, 968 en 2016, la majorité sous forme notariée ». Il faut sans doute se féliciter s'il n'y a que peu de mandats activés immédiatement après leur conclusion ; cela peut en effet signifier que leurs auteurs font preuve d'une saine anticipation, et évitent ainsi la zone grise qui contaminerait la signature in extremis d'un mandat.
4. Pour autant, l'absence de publicité des mandats de protection future ne cesse d'être critiquée. L'ensemble des praticiens, notamment notaires et magistrats, ont alerté les pouvoirs publics sur les dangers d'une telle lacune, car si le juge doit faire prévaloir le mandat sur toute autre mesure, et donc vérifier qu'aucun mandat ne préexiste avant de prononcer d'autres mesures, encore faut-il qu'il ait les moyens de cette vérification, autrement que par les déclarations des proches, lesquelles peuvent être volontairement ou involontairement lacunaires.
5. De plus, le risque n'est pas inexistant de voir un mandant, éventuellement dans un intervalle de lucidité, réaliser un acte sur tel ou tel poste de son patrimoine ou phase de sa vie, alors que le mandataire en aura également réalisé un de son côté, potentiellement contradictoire et à des conditions différentes. Il en découle une insécurité juridique pour les tiers, qui donne un goût d'inachevé à une mesure pourtant conçue et assumée comme révolutionnaire et porteuse de nombreux espoirs.
6. Ainsi « alerté sur l'une des faiblesses majeures du mandat de protection future », le législateur a réagi à l'occasion de la loi no 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement : un article 477-1 nouveau du Code civil énonce en effet depuis lors que : « Le mandat de protection future est publié par une inscription sur un registre spécial dont les modalités et l'accès sont réglés par décret en Conseil d'État ». Le garde des Sceaux de l'époque ayant confirmé quelques mois plus tard, au sujet dudit décret, qu'il était « actuellement en cours d'élaboration et sera publié d'ici l'été. Ces dispositions contribueront à assurer la sécurité juridique de ce dispositif, en permettant aux professionnels du droit d'avoir connaissance de l'expression de volonté du mandant et ainsi d'éviter le prononcé d'une mesure de protection judiciaire ». Près de huit ans plus tard, rien n'est encore advenu, et c'est bien regrettable. Car il y a là un frein mis à l'accès à ce dispositif. On ose donc espérer l'institution très prochaine d'un répertoire qui ne fasse pas que recenser les seuls mandats activés, mais qui organise tout autant la publicité des mandats simplement conclus. Le notariat ayant plusieurs fois proposé son expertise en matière de tenue et d'alimentation de fichiers numérisés, la mise en place de celui-ci pourrait rapidement s'effectuer et à coût nul pour l'État, pour le plus grand bénéfice des justiciables et des juridictions.
7. Avec nos confrères Pierre Tarrade et Pierre-Jean Meyssan, on se prend même à rêver que l'on puisse d'emblée profiter d'un registre connecté international : « Oui. Nous l'avons proposé au congrès de Bruxelles en 2019. À l'époque, nous parlions du mandat de protection future, ou mandat d'inaptitude. Il existait déjà en France, et le Code civil indiquait qu'un fichier allait être créé, mais ce n'était pas fait. (...). C'est exactement le même système que le fichier des testaments, dont l'utilité n'est plus à prouver ! Quelles sont les embûches à la création de ce fichier, donc à cette harmonisation européenne ? J'en vois peu ! Éventuellement une certaine susceptibilité des États, qui tiennent à leur souveraineté, mais c'est un faux problème. La création de règles communes donnerait des compétences soit à la loi du pays, soit à celle de la juridiction, mais nous avons tous à peu près les mêmes règles en Europe. Autre point d'achoppement, la protection des données, et là encore nous avons su gérer cette problématique pour le fichier des testaments. En réalité, le sujet est que la France est en retard sur son propre fichier national, il est donc difficile d'envisager une interconnexion ! En effet, le mandat de protection future existe, mais il n'est pas assez connu ni utilisé, et nous attendons toujours le décret d'application sur le fichier. Dans ce contexte, autant d'ores et déjà imaginer des mesures supplémentaires pour en préparer l'exportation ».
8. Jacques Combret insistait aussi à juste titre sur le temps nécessaire à l'incubation, ou plutôt la maturation et l'appropriation, dans la pratique et les mœurs, de toute réforme aussi profonde que celle du 5 mars 2007, et d'un outil aussi inédit que le mandat de protection future. Même si ce temps long paraît difficilement supportable dans un monde contemporain inondé par la frénésie d'actualité médiatique et déshérité de patience.
9. Cela étant, le mandat de protection future ne trouve pas suffisamment ses apôtres parmi les notaires eux-mêmes. Nous devrions pourtant être les premiers à promouvoir cet instrument d'anticipation, comme nous le faisons sans difficulté ni réticence pour tout ce qui concerne l'anticipation du décès (dispositions testamentaires, donations au dernier vivant, avantages matrimoniaux, etc.). Il s'agit d'un instrument où la liberté rédactionnelle est immense (trop peut-être, par rapport aux habitudes générées par une législation très poussée dans l'encadrement, au cours des dernières décennies), et dont la version la plus aboutie, la seule efficace en fait, est mise entre les mains du notaire : quel vecteur rêvé pour conserver ou reconquérir une image, et surtout un rôle réel et récurrent, de conseil familial irremplaçable ! Certes, la responsabilité est à l'avenant, tout comme l'énergie à développer pour concevoir au cas par cas des conventions ciselées et personnalisées. Mais c'est aussi renouer avec le cœur du métier de notaire, qui consiste à sculpter avec soin un accompagnement intime et pérenne, trop souvent devenu accessoire du fait d'un certain ensevelissement sous de multiples tâches administratives ponctuelles. Dès lors, par quoi la plume et le sceau des notaires sont-ils retenus quant aux mandats de protection future ?
10. Les notaires n'ont pas peur de la responsabilité, puisqu'ils assument la lourdeur de leurs obligations professionnelles au quotidien, avec le devoir d'efficacité qui s'applique à toutes leurs opérations. Mais la rémunération de cette mission devrait être plus en adéquation avec la charge de travail que son accomplissement implique. Sur ces sujets, dans un article déjà cité, notre confrère Pierre-Jean Meyssan indiquait, à propos du mandat de protection future : « Le notariat n'en fait pas suffisamment la promotion, car il considère ne pas avoir les moyens d'en assurer le contrôle de gestion. Aujourd'hui, de nombreux actes ont été transférés du bureau du juge à l'office du notaire, à raison, mais à moindre coût. Par exemple, le dépôt d'une convention de divorce par consentement mutuel ne rapporte presque rien au notaire. Ce n'est pas grave, car l'acte est en général peu chronophage. En revanche, l'ouverture d'un mandat de protection future, avec ses arbitrages patrimoniaux, est une autre affaire. Le temps et la responsabilité engagés par le notaire devraient être rémunérés ».
Au-delà de ce problème purement statistique, quoique porteur de conséquences juridiques, une controverse est apparue quant à l'application de l'article 426 du Code civil à l'arbitrage du logement par un mandataire de protection future. Nous allons étudier l'origine (§ I), les effets (§ II), ainsi que la portée de cette controverse (§ III).

Origine de la controverse

Malgré la clarté, déjà soulignée, des propos du législateur, une doctrine aujourd'hui majoritaire fait application au mandat de protection future des articles 426 et 427 du Code civil. Il en découle que le mandataire de protection future ne peut, sans l'autorisation du juge des contentieux de la protection, ni ouvrir ou clôturer de comptes et livrets au nom du majeur vulnérable, ni vendre ou donner à bail le logement de la personne protégée.

Effets de la controverse

Ce point de vue rigoriste, apparu dans les années qui suivirent l'entrée en vigueur de la loi de 2007, est venu percuter le mandat de protection future au moment même où il prenait son envol. Avoir ainsi voulu relier ce que le législateur avait d'évidence voulu délier nous semble constituer l'une des entraves majeures au développement de l'institution. L'Assemblée de liaison des notaires de France a abordé le sujet au cours de sa 64e session tenue en décembre 2013, et consacrée à « l'accessibilité et la rationalisation du service public notarial ». Ses rapporteurs déplorèrent les effets de la controverse, soulignant que si pour la doctrine la réponse se trouverait dans le temps qui passe, grâce à la jurisprudence qui ne manquerait pas un jour de se forger, le praticien, lui, « prudent à regret car soucieux que son acte ne soit pas source de jurisprudence, se rangera hélas le plus souvent à l'idée que l'article 426 s'applique au mandat de protection future » Et de conclure : « Pour celui qui possède comme seul bien immobilier sa résidence principale, ce symbole de déjudiciarisation a perdu de son charme ».

L'application de l'article 426 du Code civil dans le mandat de protection future, une précaution inutile ?

L'article 426 du Code civil imposant une autorisation judiciaire préalable à la vente du logement d'une personne protégée est-il applicable à un mandataire de protection future régulièrement investi du pouvoir d'accomplir cet acte ? Deux thèses s'affrontent, dont il convient d'exposer l'argumentation.
Thèse favorable à l'application de l'article 426
Les arguments présentés au soutien de cette thèse sont logiques, audibles et respectables. Hauser lui-même, l'un des artisans de la loi de 2007, attribuait à l'article 426 du Code civil une portée absolue, considérant qu'il devait s'imposer dans la mesure conventionnelle comme dans les mesures judiciaires. La même analyse a été faite par nombre d'autres auteurs et de praticiens. Ces opinions s'autorisent d'un argument de codification : positionné à la suite du chapitre « Des mesures de protection juridique des majeurs », l'article 426 est intégré à la section « Des dispositions générales », et de ce fait laisse à penser qu'il irrigue de ses effets toute la gamme des mesures, qu'elles soient judiciaires ou conventionnelles.
Thèse défavorable à l'application de l'article 426
Néanmoins, une autre partie de la doctrine formule une opinion contraire, au soutien de trois arguments.
La date de formation du contrat de mandat
Cet argument a été présenté en premier lieu par M. Massip, rappelant que le mandat de protection future se trouve, comme tout mandat, soumis aux règles du droit des obligations. C'est dès lors au moment du consentement qui donne naissance à la convention qu'il convient d'apprécier la capacité du mandant. Or à cet instant-là, le mandant dispose de toute sa capacité à agir. Il jouit donc de la pleine liberté de déléguer les pouvoirs de son choix, y compris sur son logement. On ne peut nier que la formation du mandat de protection future se soit opérée à la date de la signature des parties, mandant et mandataire, et non pas au jour où survient l'une des causes d'inaptitude citées à l'article 425 du Code civil. Celles-ci ne font que déclencher l'activation d'un dispositif construit avant elles. Elles ne forment, en réalité, qu'une condition suspensive affectant le contrat et qui, comme toute condition suspensive, en diffère les effets, sans en altérer la substance ni l'existence. C'est pourquoi dès lors, qu'au jour où le contrat a pris naissance les conditions normales de formation des obligations étaient réunies (capacité, consentement, objet), l'article 426 du Code civil n'a aucune vocation à s'appliquer.
La comparaison avec le mandat ordinaire à fin de vente
On a ajouté à ces considérations théoriques une remarque pratique frappée au sceau du bon sens. Le mandant majeur et maître de ses droits qui exprime son consentement par un simple acte sous seing privé dont il a fait certifier la signature en mairie peut valablement habiliter son représentant à vendre son logement. À l'inverse, lorsque ce même mandant a signé, devant notaire, un mandat de protection future, depuis activé, son représentant doit, avant d'accomplir le même acte, se munir d'une autorisation judiciaire. N'est-il pas paradoxal, en ce cas, que le mandant jouisse d'une moindre liberté que s'il avait délégué le même pouvoir au moyen d'un vulgaire document sous seing privé ?
La capacité maintenue du mandant
Le paradoxe est à son comble si l'on considère, au surplus, que, même après l'activation du mandat de protection future, ce mandant demeure capable et libre d'agir. Rappelons en effet que l'Exécutif s'est opposé à la thèse contraire, qu'avait suggérée le Conseil supérieur du notariat dans son rapport d'activité pour l'année 2014, préconisant de « considérer le mandat de protection future comme une véritable mesure de protection qui, une fois mise en œuvre, entraîne l'incapacité juridique de la personne concernée ». Reprise par un parlementaire dans une question posée au gouvernement courant 2016, cette suggestion fut écartée en ces termes : « Il n'est pas envisagé de remettre en cause le principe de capacité du bénéficiaire du mandat, les dispositions de l'article 488 du Code civil permettant au juge de rescinder pour simple lésion ou réduire en cas d'excès les actes passés et les engagements contractés par une personne faisant l'objet d'un mandat de protection future, assurant ainsi un équilibre entre la protection de la personne et le principe d'une capacité juridique qui reste maintenue ». Dès lors qu'il n'y a pas d'incapacité même après l'activation du mandat, il n'y a pas lieu à application de l'article 426, lequel ne concerne que le logement des majeurs « incapables ». Un auteur, des plus autorisés, ajoute à juste titre que « l'article 426 est destiné à ceux qui administrent les biens d'autrui ; la règle ne s'applique pas à l'intéressé lui-même ».

Portée de la controverse

« Si notre sort était fixé d'avance, à quoi serviraient nos précautions ? »
Solon
En préambule, on consultera les enseignements toujours passionnants fournis par les constats de l'Insee, ici publiés fin 2021 sur la cartographie des propriétaires de logements en France, et son évolution :
On peut lire également l'étude de l'Insee sur la composition des patrimoines, notamment du patrimoine immobilier, par tranches d'âge :
Selon l'Insee, au 15 novembre 2021, le nombre de Français propriétaires de leur logement stagne à un peu moins de 58 %. 24 % seulement de ces ménages sont multipropriétaires ; dans 76 % des cas, leur logement est leur seule propriété immobilière. Si l'on explique à cette partie de la population que, dans l'occurrence d'une vulnérabilité, le fait pour elle d'avoir fait acte d'anticipation par mandat ne la dispensera pas d'un parcours judiciaire s'il y a lieu d'arbitrer son logement, elle s'interrogera, fort logiquement, sur l'intérêt de s'engager dans une telle démarche. À quoi bon adopter un dispositif de déjudiciarisation s'il ne peut être appliqué à la composante essentielle du patrimoine ? S'agirait-il d'une sorte de produit de luxe, réservé à l'heureuse frange la mieux nantie des 24 % de multipropriétaires ? Et que faut-il augurer en termes de surcharge de nos tribunaux, malgré les innovations de la loi de 2007 ?

Les voies de solution

En l'état actuel de la controverse doctrinale exposée et de la pratique, les pistes de solution relèvent d'une part, du droit positif (§ I), d'autre part, du droit prospectif (§ II). Nous apporterons, enfin, quelques suggestions pour un mandat de protection future « libéré » (§ III).

Solution de droit positif

La seule solution de droit positif a été exprimée lors du 113e Congrès des notaires de France, dont la deuxième commission (#Solidarités) traite en détail la question. Elle consiste à faire application de l'article 426 du Code civil. Non par conviction enthousiaste, mais seulement par mesure de prudence.

Solution de droit prospectif

Deux aménagements ont déjà été proposés, l'un par l'Assemblée de liaison des notaires de France, l'autre par le 113e Congrès des notaires de France.
– Aménagement proposé par l'Assemblée de liaison. – Une simple précision pourrait être apportée à l'alinéa 3 de l'article 426 du Code civil, permettant de bâtir un lien solide et efficace avec le nouveau droit conventionnel des incapacités :
« (…) S'il devient nécessaire ou s'il est de l'intérêt de la personne protégée qu'il soit disposé des droits relatifs à son logement ou à son mobilier par l'aliénation, la résiliation ou la conclusion d'un bail, l'acte, sauf dispositions contraires prévues dans un mandat de protection future notarié, est autorisé par le juge ou par le conseil de famille s'il a été constitué, sans préjudice des formalités que peut requérir la nature des biens ».
– Aménagement proposé par le 113e Congrès des notaires de France. – Il s'agirait de renforcer l'efficacité du mandat de protection future, en complétant l'article 490 du Code civil en vue d'ouvrir au mandant la faculté d'accorder au mandataire le pouvoir de vendre sa résidence principale ou secondaire, mais en laissant subsister, en cette hypothèse, le principe selon lequel le logement de la personne et les meubles dont il est garni doivent être conservés à la disposition de celle-ci aussi longtemps que possible . Dans cette configuration, le mandataire aurait à répondre non seulement de sa gestion, mais en outre, et primordialement, du respect de cette condition d'ordre public.
– Rôle accru du rédacteur du mandat. – Quelle que soit la modification retenue (et, d'ailleurs, pourquoi ne pas les cumuler ?), il appartiendrait au mandant, aidé de son conseil, de définir, dans le mandat, une sorte de « feuille de route » relative aux actes de disposition sur le logement. Le lecteur trouvera, sur l'extension web qui suit, un projet de ce que pourrait être une telle convention ; son attention est attirée sur le caractère prospectif de cette formule, qui, en l'état des indications qui précèdent, ne peut se substituer à l'autorisation judiciaire que, pour l'instant, la prudence dicte au notaire de requérir.

Droit prospectif

Clauses pouvant servir à détailler, au sein d'un mandat de protection future établie sous forme authentique, la feuille de route fixée par le mandant en cas d'arbitrage sur son logement.
AVERTISSEMENT
L'attention du lecteur est attirée sur le caractère prospectif de cette formule, qui, à l'heure où nous écrivons ces lignes, ne peut se substituer à l'autorisation judiciaire que la prudence dicte au notaire de requérir.
– LOGEMENT DU MANDANT –
Orientation générale exprimée par le mandant :
Au cours de l'exécution du mandat, le mandataire conservera à la disposition du mandant, aussi longtemps qu'il est possible, le logement du mandant et les meubles le garnissant, qu'il s'agisse de la résidence principale ou de la résidence secondaire du mandant.
Pouvoir spécial conféré d'avance par le mandant :
Toutefois, désireux de ne pas soumettre le mandataire aux dispositions de l'article 426 du Code civil, prévoyant pour toute personne judiciairement protégée que les actes de disposition relativement au logement – principal ou secondaire – requièrent une autorisation du juge des contentieux de la protection, le mandant souhaite ici, alors qu'il est en pleine jouissance et possession de ses capacités, expressément conférer au mandataire le pouvoir de disposer des droits assurant son logement (principal ou secondaire) sans avoir besoin de recourir à l'autorisation préalable du juge, dès lors que le mandataire, en qui il déclare avoir toute confiance, jugera en son âme et conscience que l'opération est nécessaire.
Pour la mise en vente, la valeur estimative du bien devra toutefois être préalablement déterminée :
  • au moyen des estimations faites par trois agences immobilières différentes ; la valeur estimative minimale retenue sera alors la moyenne des trois estimations ;
  • ou par un expert agréé auprès des tribunaux ;
  • dans ces deux hypothèses, l'acquéreur retenu devra offrir un prix de vente conforme à la valorisation, et en tous cas qui n'en sera pas inférieur de plus de 10 %, faute de quoi l'accord préalable du juge des contentieux de la protection deviendra nécessaire pour en apprécier les raisons.
En cas d'offres similaires, le mandataire fera prévaloir, outre les autres paramètres qu'il pourrait juger bon de retenir pour l'intérêt du mandant, celle dont les conditions seront les plus propices à la sécurisation de ce dernier : prix payable comptant, absence de conditions suspensives, ou conditions suspensives les moins nombreuses ou les plus légères.
Si, pour une raison quelconque, en raison de l'exigence de telle ou telle partie à la vente ou de ses conseils, la régularisation ne pouvait intervenir sans obtenir préalablement l'autorisation du juge des contentieux de la protection, telle que prévue par l'article 426 du Code civil, et ce en dépit de ce qui précède, alors le mandataire aux présentes est investi de tous les pouvoirs nécessaires pour déposer le moment venu une requête en ce sens auprès dudit magistrat.
En matière de bail sur le logement, et le cas échéant sur le mobilier qu'il contiendra, les pouvoirs conférés au mandataire sont équivalents, et le montant du loyer sera déterminé selon la valeur locative du bien estimée selon le même processus.

Pour un mandat de protection future libéré

Les suggestions formulées profiteraient tant aux mandants (A) qu'aux services judiciaires (B), et paraissent en outre d'intérêt général (C).

Pour les mandants

– Considérations générales. – Ne pas soumettre à l'article 426 du Code civil les pouvoirs de son mandataire constituera-t-il un danger pour le mandant ? À notre sens, pas plus que n'est le cas aujourd'hui pour l'exécution de tout mandat « de droit commun » qu'il peut déjà confier. Comparaison n'est certes pas raison, mais on ne peut s'empêcher de remarquer qu'il n'est pas toujours réaliste de faire du logement un objet de surprotection. Ainsi, les actes de disposition ayant pour objet les actifs professionnels du mandant tels qu'une entreprise, exploitée personnellement ou en société, ne requièrent, pour son mandataire de protection future, aucune autorisation judiciaire, alors même qu'il s'agirait de sa seule source de revenus. De même, le législateur n'autorise-t-il pas la délégation des directives anticipées à un tiers de confiance, habilité, conformément au Code de la santé publique, à prendre des décisions relatives aux affections critiques, aux interventions risquées, voire à la fin de vie ? En quoi la décision relative au logement serait-elle plus obérante ?
– En cas de vente. – La forme authentique, imposée à toute vente immobilière, garantit le contrôle scrupuleux du respect des conditions dictées par le mandant pour la vente de son logement.
– En cas de bail. – L'intervention d'un notaire n'est pas nécessaire. Le contrôle de l'exacte application de la volonté du mandant, actuellement entre les mains du juge, ne serait pas garanti si l'on supprimait son intervention. Dès lors, on pourrait concevoir que la forme authentique soit imposée à tous les baux à conclure par des personnes protégées (mesures judiciaires ou mandat de protection future activé). Magistrat de l'amiable, le notaire soulagera, sur ce point comme sur d'autres, le poids constamment accru qui pèse sur les juridictions dans un monde de plus en plus procédurier.
– Dans les deux cas. – Si cette suggestion fait accuser, bien à tort, les auteurs de ces lignes d'un corporatisme outrancier, on pourrait exiger que les actes de disposition sur le logement du mandant fussent soumis à l'approbation d'un ou plusieurs tiers contrôleurs de gestion, membres ou non de la famille.

Pour la justice (et son budget)

– Un notaire auxiliaire de la justice. – Est-ce faire outrage aux magistrats que de proposer cette dispense de l'autorisation de l'article 426 du Code civil, du moins en présence de l'intervention d'un notaire ? À notre sens, il n'en est rien. C'est répondre à leur besoin, les aider à se recentrer sur leur mission. Ce n'est pas autre chose que ce qui s'est passé, avec l'essor rapide de l'habilitation familiale, sorte de mandat judiciaire de protection présente. Eux-mêmes semblent désireux de favoriser les mesures d'autocontrôle, plutôt que revendiquer un tout-judiciaire qui n'aurait pas de sens ni de viabilité.
– Un notaire contrôleur investi d'un pouvoir d'alerte. – L'accomplissement actuel de la mission de contrôle des comptes des personnes protégées laisse à désirer. Réalité crûment révélée par un rapport de la Cour des comptes, délivré en septembre 2016, que l'on peut consulter ci-après dans sa version complète :
Ces conclusions accompagnèrent celles du Défenseur des droits, pointant « un contrôle des mesures judiciaires très insuffisant » : dans certaines juridictions, 1 à 2 % seulement des mesures judiciaires avaient fait l'objet d'un contrôle ! La Cour préconisait que soient confiés « à des professionnels du chiffre, sous la surveillance du juge et à des tarifs plafonnés, l'établissement et le contrôle des inventaires et des comptes des majeurs dont la situation financière est complexe ou présente des risques ». Pourquoi ne pas envisager un contrôle à double détente, d'abord celui de l'officier public, puis, seulement dans le cas où ce dernier décèle ou suspecte un abus, celui du juge des contentieux de la protection ? Le tout sans préjudice des dispositions du mandat, pouvant imposer l'intervention d'un contrôleur ou d'un expert.

Dans l'intérêt général

– L'enjeu de la dépendance. – Comme on l'a vu, de nombreux logements sont actuellement détenus par une frange de population âgée, qui rencontrera dans les années à venir de plus en plus de situations de dépendance, et qui aura besoin mécaniquement de procéder à des arbitrages sur ce patrimoine pour faire face à ses nouveaux besoins (travaux d'aménagement du logement, déménagement, entrée en établissement médicalisé, etc.). Ces personnes devraient être sensibles à l'idée de pouvoir graver à l'avance leurs desiderata dans un marbre authentique, en vue d'une telle éventualité.
– Conclusion : protéger sans figer. – Tout ce qui peut promouvoir une mesure conventionnelle d'anticipation contribuera non seulement à la préservation de l'exercice des libertés individuelles, mais aussi à la fluidité du marché du logement. En préservant pour chacun la maîtrise de son logement, on peut aussi contribuer à en faire, sinon un Bien commun, à tout le moins un actif circulant au service de l'Homme. Un logement résolument tourné vers le bien-être social.