Les sanctions de la violation d’un cahier des charges

Les sanctions de la violation d’un cahier des charges

Les cahiers des charges de lotissements étant des documents relevant du droit privé, le contentieux se rapportant à leur exécution et leur violation relève alors de la compétence du juge civil et non de l’ordre administratif. De ce fait, le juge civil, s’il reconnaît le caractère contractuel du cahier des charges objet du litige d’après les critères que nous avons étudiés, fera application des sanctions propres à la violation des contrats. La plus emblématique et problématique sera l’action en démolition (§ I). Alternativement à cette sanction, le contrevenant s’exposera également à une réparation financière du préjudice causé (§ II).

L’action en démolition

Les conditions de l’action en démolition

À l’égard des parties

Rappelons en préambule que s’agissant de la violation d’un document contractuel, par l’effet relatif des contrats, les actions relatives aux cahiers des charges ne peuvent intervenir qu’entre colotis, à l’exclusion d’un tiers au lotissement.
S’agissant du demandeur
Dès lors que le demandeur pourra démontrer la violation de l’une des dispositions du cahier des charges, sur le fondement des article 1221 et 1222 du Code civil, il pourra obtenir réparation sans avoir à établir de préjudice.
Il importe peu que le demandeur, qui agirait en démolition contre un coloti, soit lui-même en situation irrégulière à l’égard du cahier des charges. Ce demandeur à l’action, mais qui serait en situation irrégulière, sera à l’abri de toute action si sa propre irrégularité a plus de 30 ans.
Il sera pareillement indifférent de relever que, au moment où il devient membre du lotissement, le demandeur avait parfaitement connaissance du caractère irrégulier de la construction de son coloti, dès lors que le délai de prescription n’est pas atteint.
Enfin le demandeur n’aura pas à démontrer que la construction qui viole les stipulations du cahier des charges a un caractère irrégulier au titre du droit de l’urbanisme. Il s’agit d’ailleurs là d’une grande insécurité pour le contrevenant puisque ce dernier aura très bien pu édifier sa construction dans le respect d’une autorisation d’urbanisme qu’il aura sollicitée et obtenue. Les autorisations d’urbanisme étant délivrées sous réserve du droit des tiers et la violation d’une clause de cahier des charges relevant du droit privé, l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme n’est pas applicable.
À la lecture de ces éléments, on touche du doigt la dangerosité de la position de la Cour de cassation relativement à la « sacralisation » de la nature contractuelle des cahiers des charges. Cela ne se dément d’ailleurs pas lorsqu’on analyse la situation du coloti contrevenant.
S’agissant du contrevenant
Les stipulations d’un cahier des charges étant par principe constitutives de servitudes réciproques ayant caractère réel, elles sont opposables à tous les colotis, peu importe qu’elles figurent à l’acte de vente ou que le document y soit annexé.
Le seul élément qui importe pour les Hauts magistrats est qu’il puisse être démontré que le coloti contrevenant ait été en mesure de pouvoir prendre connaissance du cahier des charges et qu’il y a adhéré. Cela peut résulter notamment de la publication au service de la publicité foncière dudit cahier des charges.

Cahier des charges et responsabilité notariale

Les patriciens et en premier lieu les notaires doivent avoir conscience des risques encourus de responsabilité à l’égard des cahiers des charges de lotissement. Dès lors que ceux-ci ne pourront être reproduits ou annexés à l’acte de vente, le notaire s’expose à voir sa responsabilité engagée par l’acquéreur s’il ne peut être établi que celui-ci a pu en prendre connaissance par un autre moyen.

La vigilance du notaire devra être d’autant plus grande qu’il aura connaissance d’un projet de travaux par l’acquéreur.

Le délai d’action : action réelle ou personnelle ?

Une autre source d’insécurité liée à la violation d’un cahier des charges tient au délai de prescription de l’action. Ce délai est-il quinquennal (actions personnelles de l’article 2224 du Code civil) ou trentenaire (actions réelles de l’article 2227 du Code civil) ?
Par un arrêt du 22 avril 2022, la Cour de cassation affirme que le délai de l’action en démolition est trentenaire, se rapportant à la « violation d’une charge réelle grevant un lot au profit des autres lots ». Par cet arrêt, il est donc établi que, par principe, les stipulations d’un cahier des charges sont des servitudes réelles et non des obligations personnelles. La Haute juridiction réserve toutefois la possibilité d’une appréciation souveraine des juges sur la qualification au cas par cas desdites stipulations.
S’agissant des stipulations qui nous intéressent au titre de nos développements en tant que frein à l’optimisation foncière des lotissements, à savoir : l’interdiction de subdivision, la limitation du nombre de logement par lot, les règles d’emprise au sol, prospect, destination des constructions…il ne fait de doute que celles-ci ont une nature réelle et non personnelle et de ce fait, soumises à prescription trentenaire en cas de violation.
Dès lors que les conditions seront réunies pour que l’action puisse prospérer, le coloti demandeur pourra obtenir réparation sur le fondement de l’action en démolition.

La portée de l’action en démolition

La position de principe : l’absence de prise en compte de la proportionnalité

De jurisprudence constante, les Hauts magistrats de la Cour de la cassation prononcent la démolition de l’ouvrage irrégulier dès lors qu’elle est matériellement possible.
Allant de pair avec la position ci-dessus, les juges n’ont pas à prendre considération la proportionnalité de la sanction au regard du trouble causé.
Lorsque l’on fait l’analyse des éléments relatifs à l’action en démolition assise sur la violation d’une stipulation liée à la nature contractuelle d’un cahier des charges, le couperet est implacable pour le coloti !

Vers une nouvelle voie jurisprudentielle ?

Par deux arrêts en date du 13 juillet 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation donne droit, pour la première fois, au contrôle de proportionnalité entre les conséquences de la demande en démolition pour le contrevenant et l’intérêt pour son demandeur ; lorsque cette demande est fondée sur la violation d’une stipulation d’un cahier des charges.
Dans le cas soumis, une SCI qui avait acquis un lot de lotissement y a édifié un immeuble collectif de six logements avec piscine. Les colotis voisins ont alors engagé une action en démolition sur le fondement de la violation de l’article 8 du cahier des charges qui imposait une servitude d’implantation (30 m × 30 m). Or, dans les faits cette construction ne respectait pas cette servitude.
Dans la droite ligne de sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation aurait reconnu le bien-fondé de la demande en démolition. Cependant, il n’en n’est rien. Elle donne droit aux juges de la Cour d’appel d’avoir rejeté la demande en démolition, au profit de dommages et intérêts.
La Cour reconnaît certes la violation du cahier des charges quant à la servitude d’implantation mais relève en parallèle que « le cahier des charges, qui n’avait pas prohibé les constructions collectives, autorisait la construction d’un édifice important sur le lot acquis ». Elle retient ensuite d’autres considérations d’espèce (absence de perte de vue, l’absence d’une situation objectivement préjudiciable mais seulement un ressenti négatif selon le rapport d’expertise). Elle en conclut alors à « l’existence d’une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour les créanciers ».
Par leur publication, la Cour de cassation a souhaité donner une portée particulière à ces arrêts. Sans pouvoir établir pour autant qu’il s’agisse d’un revirement de jurisprudence, il est certain qu’à tout le moins cette voie de la « proportionnalité » pourra désormais être retenue par les tribunaux selon les cas d’espèces. De quoi donc laisser entendre aux poursuivants que leurs actions ne seront plus sanctionnées systématiquement par la démolition. Alors, « wait and see »

L’action en réparation du préjudice

– Alternativement à l’action en démolition, le coloti s’estimant subir un préjudice par la violation d’une stipulation d’un cahier des charges contractuel peut solliciter réparation et demander des dommages et intérêts. Cette action sera le plus souvent fondée sur le trouble anormal de voisinage.
Cette action est exclusive de l’action en démolition. En effet, si le demandeur obtient réparation par le prononcé de la démolition, il ne peut plus demander de dommages et intérêts.
En outre, l’action en dommages et intérêts se prescrit par cinq ans ; étant une action personnelle.
En définitive, le coloti devra faire le bon choix lorsqu’il entendra obtenir réparation de la violation d’une stipulation d’un cahier des charges…
Quoiqu’il en soit, on ne peut que relever les incertitudes et insécurités générées par les stipulations d’un cahier des charges. Est-il alors possible d’y mettre fin par une modification qui supprimerait celles litigieuses ?