L’optimisation foncière en lotissement

L’optimisation foncière en lotissement

Depuis près d’une dizaine d’années, les pouvoirs publics ont commencé à appréhender les lotissements au travers d’une nécessaire consommation raisonnée et optimisée des espaces naturels. Cela s’est notamment traduit avec la loi Alur par la suppression d’une part du Coefficient d’Occupation des Sols (COS) et d’autre part de la surface minimum des terrains pour construire dans les PLU. Ces éléments, couplés à des considérations économiques (raréfaction du foncier disponible entraînant le renchérissement de sa valeur, coût des normes énergétiques de la construction…) et sociologiques (évolution du modèle de la cellule familiale et des modes de vie), ont amené à ce que les lotissements d’aujourd’hui soient conçus avec des parcelles de taille limitée (environ 300 m ²) adaptées aux projets de constructions individuelles.
Mais ce qui est fait aujourd’hui ne l’était pas hier…En effet, depuis les années 70, âge d’or de l’étalement urbain au travers du tissu pavillonnaire en lotissement, jusqu’à récemment, les parcelles de telles opérations dépassaient le plus souvent les 600 m ², voire les 1 000 m ². Ces lotissements sont alors aujourd’hui identifiés comme source de gisement en faveur du logement. Ils constituent en effet la base exploitable en faveur d’une optimisation foncière : la consommation d’espaces naturels par leur densification s’insèrera à l’intérieur d’un tissu déjà urbanisé ne pouvant être réaffecté à des activités propices à la préservation de l’environnement ou agricoles.
Pour autant, cet intérêt général doit faire face à l’addition des intérêts individuels le plus souvent en opposition et qui s’exprime au travers du phénomène NIMBY. Celui-ci est d’autant plus marqué et prégnant en matière de lotissement que les colotis ont, en soi, adhéré à un cadre de vie spécifique, propre à leur environnement. Sur un plan juridique, cette spécificité se traduit, dans une certaine mesure par le règlement du lotissement, mais essentiellement au travers de son cahier des charges.
Or ce sont justement ces derniers qui sont pointés du doigt comme le principal frein à l’optimisation foncière en matière de lotissement. Cela résulte de leur nature juridique et portée (Sous-section I), des sanctions qui en découlent en cas de contravention (Sous-section II) et enfin des modalités de leur modification (Sous-section III).

La nature juridique et la portée des cahiers des charges de lotissements

Définition et nature juridique des cahiers des charges

Par opposition au règlement du lotissement qui constitue un document règlementaire, approuvé par l’administration, ayant pour objet d’édicter des règles d’urbanisme propres au lotissement en complément de celles éditées par la commune,
Un cahier des charges de lotissement est un document de droit privé qui ne doit, en principe, contenir aucune règle d’urbanisme mais uniquement des obligations personnelles et/ou servitudes réelles régissant les intérêts privés, individuels ou collectifs des colotis. Il s’agit donc d’un document contractuel qui engage les colotis entre eux dans toutes ses stipulations.
Le brouillage de la frontière entre ces deux documents est apparu entre 1924 et 1977. Antérieurement aux lois de 1919 et 1924, les documents des lotissements étaient de nature purement contractuelle. Il en est de même à compter de 1978, seuls les règlements ayant valeur règlementaire, les cahiers des charges ayant pour leur part valeur contractuelle. Mais entre 1924 et 1977, les documents des lotissements, au nombre desquels figurent donc les cahiers des charges, ont été soumis à approbation de l’administration et contenaient alors aussi bien des règles d’urbanisme que des servitudes privées. On parle alors des cahiers des charges « approuvés » ; lesquels ont une double valeur juridique : règlementaire à l’égard de l’administration et contractuelle entre les colotis.
Ne se suffisant pas de ce premier écueil, à partir de 1978, la pratique a renforcé cet imbroglio. À compter de cette date, les cahiers des charges sont devenus facultatifs et n’ont plus été soumis à approbation de l’administration. Pour autant, dans les faits, les lotisseurs ont continué à insérer dans les cahiers des charges de véritables dispositions d’urbanisme ou faisaient rappel ou reproduction des documents d’urbanisme ou du règlement du lotissement en leur sein, bien souvent volontairement.
De fait, pour les praticiens, les cahiers des charges sont devenus des documents plus ou moins illisibles et sujets à interprétation ; source d’insécurité juridique eu égard à leur portée juridique.

Portée juridique des cahiers des charges

« Je t’aime, moi non plus… ». Telle pourrait être la maxime résumant le jeu de ping-pong entre le législateur et les hauts magistrats de la Cour de cassation sur la portée octroyée à la qualification juridique des cahiers des charges.

La jurisprudence constante de la Cour de cassation

Depuis 1978, les cahiers des charges n’étant plus soumis à l’approbation de l’administration, ils ne relèvent plus, dans le contrôle de leur application, que du droit privé et donc de la juridiction civile.
La Cour de cassation n’a alors eu de cesse de rappeler qu’un « cahier des charges, quelle que soit sa date, approuvé ou non, constitue un document contractuel dont les clauses engagent les colotis entre eux pour toutes les stipulations qui y sont contenues ». Par voie de conséquence, ils sont imprescriptibles et toute violation par un coloti d’une règle y figurant est sanctionnable à l’égard d’un autre coloti, dans les conditions que nous étudierons plus loin.
Pour ces hauts magistrats de l’ordre judiciaire deux critères doivent être pris en compte afin qu’un cahier des charges puisse avoir pleine portée.
Le critère formel
À la différence du Conseil d’État, la Cour de cassation ne s’attache pas à faire une analyse des cahiers des charges, clause par clause, pour savoir si la règle qui serait violée par un coloti aurait une nature règlementaire ou serait de pur droit privé. Elle ne s’attarde pas plus à regarder si le cahier des charges a été ou non approuvé.
Dès lors qu’il s’agit d’un document dénommé « cahier des charges » ou assimilé comme tel, sa portée contractuelle sera pleine et entière si le second critère est également rempli.
Le critère intentionnel
Pour qu’un cahier des charges ait une portée attachée à sa nature contractuelle en son entier, les Hauts magistrats s’attachent à vérifier qu’il relève bien d’une volonté claire et non équivoque des colotis de lui conférer une telle valeur contractuelle et donc imprescriptible.
L’appréciation de cette exigence relève du pouvoir souverain des tribunaux. C’est ainsi que dans un arrêt de principe du 21 mars 2019, la Cour de cassation a considéré que le fait pour des colotis d’avoir demandé le maintien du règlement du lotissement n’est pas de nature à manifester leur volonté de contractualiser les règles qu’il contient. Pareillement aux termes de ce même arrêt la volonté de contractualisation est exclue par la simple remise de l’ensemble des documents du lotissement à l’acte de vente aux termes duquel l’acquéreur reconnaît en avoir pris connaissance et s’engage à s’y soumettre.

Dualité civile et règlementaire des cahiers des charges

En application de la jurisprudence de la Cour de cassation, dans le cas typique d’un lotissement autorisé depuis plus de 10 ans avec un cahier des charges « contractuel » stipulant une interdiction de subdivision, une limitation du nombre de logements par lot ou une clause d’emprise au sol restrictive, un régime dual s’appliquera. Sur le plan du droit public, l’administration n’aura pas à prendre en considération ces contraintes et l’autorisation de division et/ou de construire pourra être délivrée (si elle respecte les documents d’urbanisme de la commune) mais celle-ci l’étant sous réserve du droit des tiers, sur le plan du droit privé, le projet ne sera pas réalisable ou du moins, s’il devait l’être malgré tout, encourait les sanctions appliquées par le juge civil se rapportant à la violation dudit cahier des charges.

Les échecs, errements et désaveux des pouvoirs publics

Conscients de ce que la position de la Cour de cassation peut représenter à la fois une source d’insécurité juridique et un frein à la densification des lotissements, les pouvoirs publics ont tenté à plusieurs reprises de faire échec à la velléité des Hauts magistrats, en vain…
L’échec de la réécriture de l’article L. 442-9 du Code de l’urbanisme par la loi Alur
La loi no 2014-366 du 24 mars 2014 dite loi Alur s’est voulue ambitieuse quant à la levée des contraintes posées par le caractère contractuel des cahiers des charges et la portée s’y attachant, entendant ainsi forcer la main à la Cour de cassation. Cela s’est manifesté aux travers de deux dispositions.
La réécriture dépourvue d’effet de l’article L. 442-9, alinéa 1
Antérieurement à la loi Alur, l’alinéa 1er de l’article L. 442-9 du Code de l’urbanisme instaurait une caducité automatique, sur le plan règlementaire (dans les relations entre les colotis et l’administration), des règles d’urbanisme contenues dans les documents approuvés des lotissements dix ans après la délivrance de l’autorisation de lotir, dès lors que la commune est couverte par un PLU ou un document d’urbanisme en tenant lieu.
Toutefois, comme déjà évoqué ci-avant, la Cour de cassation maintenait les effets contractuels des cahiers des charges dans leur intégralité au titre des rapports entre colotis.
La réécriture de cet aliéna au travers de la loi Alur a pris soin d’ajouter que cette caducité frapperait désormais « les clauses de nature règlementaire du cahier des charges s’il n’a pas été approuvé ». Pour la doctrine, la volonté du législateur était clairement d’emporter pareille caducité sur le plan civil (donc entre les colotis) de ces dispositions règlementaires insérées dans les cahiers des charges postérieurs à 1978, levant alors le carcan jurisprudentiel.
Peine perdue. Au visa de l’alinéa 3 de ce même article (qui n’a pas été impacté par la loi Alur), la Cour de cassation a réaffirmé, postérieurement à la réécriture de l’aliéna 1 par la loi Alur, sa jurisprudence constante quant à la valeur contractuelle des cahiers des charges (approuvés ou non) et leur imprescriptibilité entre les colotis.
L’insertion éphémère des alinéas 5 à 7 de l’article L. 442-9
Le second volet du dispositif de la loi Alur visant à mettre fin à l’hégémonie contractuelle des cahiers des charges résultait de l’insertion de nouveaux aliénas 5 à 7 à l’article L. 442-9. En substance ces textes prévoyaient une caducité (là aussi sur le plan civil) des dispositions non règlementaires des cahiers des charges non approuvés « ayant pour objet ou pour effet d’interdire ou de restreindre le droit de construire ou encore d’affecter l’usage ou la destination de l’immeuble », dès lors que lesdits cahiers des charges n’auraient pas fait l’objet d’une publication au fichier hypothécaire dans un délai de 5 ans à compter de la loi.
Un décret devait préciser les modalités d’application de ces textes. Là encore, ce dispositif sera resté sans effet puisque l’article 47 de la loi no 2018-1021 du 23 novembre 2018 (loi Elan) est venu abroger ces trois alinéas.
L’effet boomerang de l’article L. 115-1 du Code de l’urbanisme
Cet article prévoit que « la seule reproduction ou mention d’un document d’urbanisme ou d’un règlement de lotissement dans un cahier des charges, un acte ou une promesse de vente ne confère pas à ce document ou règlement un caractère contractuel ».
Il fait écho à la jurisprudence de la Cour de cassation analysée ci-avant sur la nécessité d’un critère intentionnel et non équivoque des colotis pour reconnaître la contractualisation des cahiers des charges. L’esprit de ce texte était donc d’éviter toute contractualisation « fortuite » d’un cahier des charges qui ferait notamment une simple reproduction d’un document d’urbanisme ou d’un règlement de lotissement ou, un simple renvoi.
Si l’on doit saluer l’intention louable du législateur de tenter de restreindre les possibilités pour la Haute juridiction de reconnaître une contractualisation des cahiers des charges contenant des règles d’urbanisme, on ne peut que relever que celui-ci s’est pris les pieds dans le tapis…Pour s’en convaincre, il suffit de lire a contrario cet article. Au travers de celle-ci l’on comprend alors que, par inadvertance, le législateur valide implicitement la possibilité d’insérer des dispositions d’urbanisme ou règlementaire au sein même d’un cahier des charges dès lors qu’il ne s’agira pas d’une simple reproduction stricto sensu ou d’un renvoi et valide donc leur valeur contractuelle. La réalité juridique engendrée est donc à l’inverse de l’effet escompté !
L’inconstitutionnalité de l’article 221 de la loi Climat et Résilience
La loi no 2021-1104 du 22 août 2021 (dite loi Climat et Résilience) comportait un article 221 prévoyant un abaissement de la majorité requise par l’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme, pour modifier les documents d’un lotissement dès lors que la décision a pour objet d’augmenter le nombre de lots autorisés afin de permettre une subdivision en application de l’article L. 442-12 du Code de l’urbanisme.
Cet article n’avait que pour seul but de faciliter l’optimisation foncière au sein des lotissements dans la perspective du ZAN. Pour autant, le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-825 DC du 13 août 2021 a déclaré cette disposition contraire à la constitution comme constitutive d’un cavalier législatif.
On constate bien, au travers de ce parcours législatif houleux depuis 2014, que les pouvoirs publics ne parviennent pas à faire sauter le verrou jurisprudentiel découlant du caractère contractuel des cahiers des charges. À tel point qu’au travers d’une réponse ministérielle du 9 juillet 2019, le gouvernement se reconnaît directement inféodé à la position de la Cour de cassation. Cette soumission est d’autant plus préjudiciable dès lors qu’on fait l’analyse des sanctions encourues lors de la violation d’une clause d’un cahier des charges.

Les sanctions de la violation d’un cahier des charges

Les cahiers des charges de lotissements étant des documents relevant du droit privé, le contentieux se rapportant à leur exécution et leur violation relève alors de la compétence du juge civil et non de l’ordre administratif. De ce fait, le juge civil, s’il reconnaît le caractère contractuel du cahier des charges objet du litige d’après les critères que nous avons étudiés, fera application des sanctions propres à la violation des contrats. La plus emblématique et problématique sera l’action en démolition (§ I). Alternativement à cette sanction, le contrevenant s’exposera également à une réparation financière du préjudice causé (§ II).

L’action en démolition

Les conditions de l’action en démolition

À l’égard des parties
Rappelons en préambule que s’agissant de la violation d’un document contractuel, par l’effet relatif des contrats, les actions relatives aux cahiers des charges ne peuvent intervenir qu’entre colotis, à l’exclusion d’un tiers au lotissement.
S’agissant du demandeur
Dès lors que le demandeur pourra démontrer la violation de l’une des dispositions du cahier des charges, sur le fondement des article 1221 et 1222 du Code civil, il pourra obtenir réparation sans avoir à établir de préjudice.
Il importe peu que le demandeur, qui agirait en démolition contre un coloti, soit lui-même en situation irrégulière à l’égard du cahier des charges. Ce demandeur à l’action, mais qui serait en situation irrégulière, sera à l’abri de toute action si sa propre irrégularité a plus de 30 ans.
Il sera pareillement indifférent de relever que, au moment où il devient membre du lotissement, le demandeur avait parfaitement connaissance du caractère irrégulier de la construction de son coloti, dès lors que le délai de prescription n’est pas atteint.
Enfin le demandeur n’aura pas à démontrer que la construction qui viole les stipulations du cahier des charges a un caractère irrégulier au titre du droit de l’urbanisme. Il s’agit d’ailleurs là d’une grande insécurité pour le contrevenant puisque ce dernier aura très bien pu édifier sa construction dans le respect d’une autorisation d’urbanisme qu’il aura sollicitée et obtenue. Les autorisations d’urbanisme étant délivrées sous réserve du droit des tiers et la violation d’une clause de cahier des charges relevant du droit privé, l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme n’est pas applicable.
À la lecture de ces éléments, on touche du doigt la dangerosité de la position de la Cour de cassation relativement à la « sacralisation » de la nature contractuelle des cahiers des charges. Cela ne se dément d’ailleurs pas lorsqu’on analyse la situation du coloti contrevenant.
S’agissant du contrevenant
Les stipulations d’un cahier des charges étant par principe constitutives de servitudes réciproques ayant caractère réel, elles sont opposables à tous les colotis, peu importe qu’elles figurent à l’acte de vente ou que le document y soit annexé.
Le seul élément qui importe pour les Hauts magistrats est qu’il puisse être démontré que le coloti contrevenant ait été en mesure de pouvoir prendre connaissance du cahier des charges et qu’il y a adhéré. Cela peut résulter notamment de la publication au service de la publicité foncière dudit cahier des charges.

Cahier des charges et responsabilité notariale

Les patriciens et en premier lieu les notaires doivent avoir conscience des risques encourus de responsabilité à l’égard des cahiers des charges de lotissement. Dès lors que ceux-ci ne pourront être reproduits ou annexés à l’acte de vente, le notaire s’expose à voir sa responsabilité engagée par l’acquéreur s’il ne peut être établi que celui-ci a pu en prendre connaissance par un autre moyen.

La vigilance du notaire devra être d’autant plus grande qu’il aura connaissance d’un projet de travaux par l’acquéreur.

Le délai d’action : action réelle ou personnelle ?
Une autre source d’insécurité liée à la violation d’un cahier des charges tient au délai de prescription de l’action. Ce délai est-il quinquennal (actions personnelles de l’article 2224 du Code civil) ou trentenaire (actions réelles de l’article 2227 du Code civil) ?
Par un arrêt du 22 avril 2022, la Cour de cassation affirme que le délai de l’action en démolition est trentenaire, se rapportant à la « violation d’une charge réelle grevant un lot au profit des autres lots ». Par cet arrêt, il est donc établi que, par principe, les stipulations d’un cahier des charges sont des servitudes réelles et non des obligations personnelles. La Haute juridiction réserve toutefois la possibilité d’une appréciation souveraine des juges sur la qualification au cas par cas desdites stipulations.
S’agissant des stipulations qui nous intéressent au titre de nos développements en tant que frein à l’optimisation foncière des lotissements, à savoir : l’interdiction de subdivision, la limitation du nombre de logement par lot, les règles d’emprise au sol, prospect, destination des constructions…il ne fait de doute que celles-ci ont une nature réelle et non personnelle et de ce fait, soumises à prescription trentenaire en cas de violation.
Dès lors que les conditions seront réunies pour que l’action puisse prospérer, le coloti demandeur pourra obtenir réparation sur le fondement de l’action en démolition.

La portée de l’action en démolition

La position de principe : l’absence de prise en compte de la proportionnalité
De jurisprudence constante, les Hauts magistrats de la Cour de la cassation prononcent la démolition de l’ouvrage irrégulier dès lors qu’elle est matériellement possible.
Allant de pair avec la position ci-dessus, les juges n’ont pas à prendre considération la proportionnalité de la sanction au regard du trouble causé.
Lorsque l’on fait l’analyse des éléments relatifs à l’action en démolition assise sur la violation d’une stipulation liée à la nature contractuelle d’un cahier des charges, le couperet est implacable pour le coloti !
Vers une nouvelle voie jurisprudentielle ?
Par deux arrêts en date du 13 juillet 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation donne droit, pour la première fois, au contrôle de proportionnalité entre les conséquences de la demande en démolition pour le contrevenant et l’intérêt pour son demandeur ; lorsque cette demande est fondée sur la violation d’une stipulation d’un cahier des charges.
Dans le cas soumis, une SCI qui avait acquis un lot de lotissement y a édifié un immeuble collectif de six logements avec piscine. Les colotis voisins ont alors engagé une action en démolition sur le fondement de la violation de l’article 8 du cahier des charges qui imposait une servitude d’implantation (30 m × 30 m). Or, dans les faits cette construction ne respectait pas cette servitude.
Dans la droite ligne de sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation aurait reconnu le bien-fondé de la demande en démolition. Cependant, il n’en n’est rien. Elle donne droit aux juges de la Cour d’appel d’avoir rejeté la demande en démolition, au profit de dommages et intérêts.
La Cour reconnaît certes la violation du cahier des charges quant à la servitude d’implantation mais relève en parallèle que « le cahier des charges, qui n’avait pas prohibé les constructions collectives, autorisait la construction d’un édifice important sur le lot acquis ». Elle retient ensuite d’autres considérations d’espèce (absence de perte de vue, l’absence d’une situation objectivement préjudiciable mais seulement un ressenti négatif selon le rapport d’expertise). Elle en conclut alors à « l’existence d’une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour les créanciers ».
Par leur publication, la Cour de cassation a souhaité donner une portée particulière à ces arrêts. Sans pouvoir établir pour autant qu’il s’agisse d’un revirement de jurisprudence, il est certain qu’à tout le moins cette voie de la « proportionnalité » pourra désormais être retenue par les tribunaux selon les cas d’espèces. De quoi donc laisser entendre aux poursuivants que leurs actions ne seront plus sanctionnées systématiquement par la démolition. Alors, « wait and see »

L’action en réparation du préjudice

– Alternativement à l’action en démolition, le coloti s’estimant subir un préjudice par la violation d’une stipulation d’un cahier des charges contractuel peut solliciter réparation et demander des dommages et intérêts. Cette action sera le plus souvent fondée sur le trouble anormal de voisinage.
Cette action est exclusive de l’action en démolition. En effet, si le demandeur obtient réparation par le prononcé de la démolition, il ne peut plus demander de dommages et intérêts.
En outre, l’action en dommages et intérêts se prescrit par cinq ans ; étant une action personnelle.
En définitive, le coloti devra faire le bon choix lorsqu’il entendra obtenir réparation de la violation d’une stipulation d’un cahier des charges…
Quoiqu’il en soit, on ne peut que relever les incertitudes et insécurités générées par les stipulations d’un cahier des charges. Est-il alors possible d’y mettre fin par une modification qui supprimerait celles litigieuses ?

La modification des cahiers des charges

La modification du cahier des charges du lotissement constitue à ce jour la seule possibilité permettant de lever les freins à l’optimisation foncière en matière de lotissement lorsque celui-ci stipulera des restrictions telles que l’interdiction de subdivision, une clause de destination, un nombre maximal de logement par lot, des règles d’implantation, prospect, coefficient d’emprise au sol…
Cette modification peut intervenir, soit à l’initiative des colotis (§ I), soit à celle de la collectivité publique (§ II).

La modification à l’initiative des colotis

Cette modification peut être soit conventionnelle (A), soit réglementaire (B).

La modification conventionnelle

Comme tout contrat, il est tout à fait possible pour les colotis de procéder à une modification conventionnelle d’un cahier des charges de lotissement.
On peut alors s’interroger sur l’utilité de tous développements réalisés ci-avant ? La réponse est malheureusement simple. Du fait de sa nature contractuelle, et peu importe la nature de la clause à supprimer ou à faire évoluer, toute modification conventionnelle peut mais aussi doit être réalisée à l’unanimité de ses cocontractants, c’est-à-dire des colotis.
Autant dire que cette voie est pour le moins illusoire et cela sera d’autant plus vrai que le lotissement sera important et ancien ! S’il n’existe en effet pas ou plus d’association syndicale qui aurait la charge du lotissement (alors en mesure d’identifier les colotis), la charge de travail que représenterait la simple identification des membres du lotissement peut déjà s’avérer insurmontable…alors quant à obtenir une unanimité…n’en parlons pas.
Qu’en est-il toutefois si le cahier des charges comporte en lui-même une règle de majorité pour sa modification, s’il renvoie aux règles de vote des statuts de l’association syndicale du lotissement ou si ces mêmes statuts prévoient une règle de majorité spécifique à la modification du cahier des charges ?
À deux reprises, récemment, la Cour de cassation a admis que la modification conventionnelle d’un cahier des charges pouvait s’opérer selon la règle de majorité prévue dans le lotissement et ne nécessitait pas, en outre, une approbation administrative de l’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme.
Les partisans de la nature purement contractuelle d’un cahier des charges, considèrent donc, et ce qu’elle que soit la nature de la clause en question (réglementaire ou purement privée), que ce document peut être modifié conventionnellement à la majorité instituée, si elle existe. Pour autant, il convient de mettre en perspective ces deux arrêts, la Cour de cassation n’ayant eu à statuer que sur des clauses ne pouvant avoir une nature réglementaire et n’intéressant alors que les relations entre les colotis.
Aussi, pour une partie de la doctrine un doute subsiste dès lors que la clause à modifier conventionnellement aurait une nature règlementaire. Dès lors, pour l’hypothèse qui nous importe de « faire sauter les verrous » de l’optimisation foncière, à défaut d’unanimité, il devrait être recouru à la modification réglementaire de l’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme.

La modification réglementaire

L’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme prévoit qu’une majorité qualifiée des colotis puisse saisir l’autorité compétente (pour statuer sur les demandes de permis d’aménager) afin de procéder à la modification, notamment, du cahier des charges du lotissement s’il a été approuvé ou ses dispositions de nature règlementaire s’il n’a pas été approuvé ; dès lors que cette modification est compatible avec la règlementation d’urbanisme applicable.
De prime abord cette procédure peut sembler répondre aux attentes exprimées de la nécessaire mobilisation du foncier en faveur du logement. À tout le moins tel en est son esprit.
Cependant dans la pratique la modification réglementaire des cahiers des charges se heurte à plusieurs écueils.
La règle de majorité édictée par le texte est de « la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie d’un lotissement ou les deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie ».
Même s’il ne s’agit plus ici d’une règle d’unanimité, il n’en reste pas moins que la majorité qualifiée requise puisse être difficile à établir avec exactitude, et a fortiori, à atteindre dans les mêmes lotissements que ceux évoqués précédemment, à savoir les lotissements sans ASL, anciens et pour lesquels tant le périmètre que le nombre de colotis ne seront pas précisément déterminés.
La nature des clauses modifiables pose également difficulté. Bien que sa constitutionnalité soit désormais établie, la procédure édictée par ce texte ne peut porter que sur les clauses dites « réglementaires » des cahiers des charges, qu’ils soient ou non approuvés et « ne permettent donc pas de modifier des clauses étrangères à cet objet, intéressant les seuls colotis ».
Il est donc nécessaire de procéder à la distinction des clauses réglementaires de celles relevant du pur droit privé. Or cette distinction est malaisée et ne relève que de l’appréciation souveraine des juges. Afin d’aider le praticien dans l’analyse de ces clauses retenons que :
  • pour l’administration, les clauses sont dites réglementaires lorsqu’elles édictent « des règles de portée générale, complétant les règles du document d’urbanisme ou plus généralement, relevant de dispositions d’urbanisme au sens de l’article L. 421-6 du Code de l’urbanisme ». Ce seraient donc les clauses « relatives à l’utilisation des sols, à l’implantation, la destination, la nature, l’architecture, les dimensions, l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords ».
  • Pour le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, une clause réglementaire s’apparente à une règle d’urbanisme, en ce qu’elle est susceptible de figurer dans un document d’urbanisme. Cette position est ainsi plus large que celle de l’administration.
À titre d’exemple dans un avis du 24 juillet 2019, le Conseil d’État énonce qu’une clause d’un cahier des charges approuvé limitant le nombre maximal de lots (et donc au demeurant interdisant possiblement de facto toute subdivision) constitue une règle d’urbanisme.
Sans pouvoir dresser un inventaire à la Prévert, on comprend alors que les clauses le plus habituellement rencontrées dans la pratique notariale tombent sous le joug de l’article L. 442-10. Ainsi en sera-t-il des règles relatives à la hauteur, le recul, l’emprise au sol…et donc pourquoi pas la subdivision. S’agissant des règles d’habitation bourgeoise ou de nombre de logements par lots des réserves plus importantes peuvent être émises.
Relevons également l’utilisation du terme « peut prononcer la modification » dans le texte. On doit comprendre que, même si la majorité qualifiée est atteinte et ne porte pas à discussion, même si les clauses soumises sont bien de nature réglementaire, et enfin que la modification demandée est compatible avec la réglementation d’urbanisme applicable, l’autorité administrative n’est pas en situation de compétence liée mais dispose d’un pouvoir discrétionnaire de prononcer ou non la modification. Le refus devra toutefois être motivé.
Nous rappellerons enfin au passage l’expérience malheureuse de l’article 221 de la loi Climat et Résilience qui avait tenté de réduire la majorité requise pour modifier à la hausse le nombre de lots afin de permettre une subdivision en application de l’article L. 442-12.
Devant les contraintes et incertitudes soulevées par les deux processus de modification à l’initiative des colotis, la procédure de mise en concordance à l’initiative de l’autorité locale peut-elle apporter une réponse pleinement efficace à la recherche de l’optimisation foncière en faveur du logement ?

La mise en concordance à l’initiative de la collectivité

En recourant à l’article L. 442-11 du Code de l’urbanisme, les communes dotées d’un plan local d’urbanisme (ou d’un document d’urbanisme en tenant lieu) peuvent de leur propre chef « modifier (…) le cahier des charges, qu’il soit approuvé ou non approuvé, pour (le) mettre en concordance avec le plan local d’urbanisme ou le document d’urbanisme en tenant lieu, au regard notamment de la densité maximale de construction résultant de l’application de l’ensemble des règles du document d’urbanisme ».
Le texte prend soin de préciser que cette procédure n’est applicable que si le plan local d’urbanisme est approuvé postérieurement au lotissement dont le cahier des charges doit être mis en concordance. Il faut toutefois considérer que la procédure reste applicable s’il ne s’agit que d’une révision ou d’une modification du PLU approuvée. Dans le cadre de nos développements, cette exigence ne constituera donc pas un point d’achoppement.
On se doit de relever de suite les différences notables à l’égard de l’article L. 442-10. Il n’est pas fait état d’une nécessaire saisine préalable d’une majorité qualifiée des colotis ; l’autorité administrative intervenant de sa propre initiative.
Il n’est pas fait mention de la nature réglementaire de clauses des cahiers des charges (qu’ils soient approuvés ou non) pouvant être modifiées ou supprimées. Toutefois, force est de constater que cette procédure étant une mise en concordance avec les règles du PLU, implicitement seules les clauses urbanistiques des cahiers des charges seraient susceptibles d’être impactées, à l’exclusion des règles de pur droit privé.
L’emploi de l’adverbe « notamment » laisse le champ libre à ce que les clauses urbanistiques, autres que celles liées à la densité, puissent être modifiées ou supprimées.
On voit au travers de cet article la volonté affichée des pouvoirs publics d’exprimer une prédominance du droit public de l’urbanisme sur la règle privée du lotissement. En d’autres termes, l’urbanisme privé du lotissement ne saurait prévaloir sur l’intérêt général qu’est la production de logements exprimé au travers du Plan local d’urbanisme et de facto, son PLH. Et dès lors que l’on admet une approche extensive de la règle urbanistique pouvant faire l’objet de la mise en concordance, il devient illusoire de penser que le sacrosaint caractère contractuel d’un cahier des charges exclurait toute possibilité d’une évolutivité rendue nécessaire. De là à penser que les (trop) nombreux cahiers des charges « bloquants » que l’on rencontre dans la pratique sont en sursis, il n’y a qu’un pas…
Si la notion d’intérêt général guide à n’en pas douter ce texte, il n’en demeure pas moins qu’il est à la main des pouvoirs publics locaux. Dès lors est-il nécessaire, afin d’en garantir sa constitutionnalité, d’y apporter une contrepartie à l’égard des colotis.
Celle-ci se traduit par la nécessité de tenir une enquête publique (réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du Code de l’environnement">Lien) et de prendre une délibération en conseil municipal.
Cette mise en concordance est placée au sommet de la hiérarchie des procédures permettant de faire évoluer les cahiers des charges dans le sens d’une optimisation foncière (à l’exception de la modification conventionnelle à l’unanimité qui la domine, tout autant qu’elle est illusoire) mais pour autant est-elle réellement utilisée par l’autorité compétente autant qu’elle pourrait l’être ? À cette question, nous ne pouvons répondre faute de données exploitables…
Or une servitude réelle d’interdiction de subdivision ou de nombre maximum de logements par lot n’est pas de nature à figurer dans un document d’urbanisme et donc, a fortiori, ne peut être mise en concordance…
En conclusion, puisque les pouvoirs publics échouent systématiquement à lever les freins que constituent certaines stipulations des cahiers des charges par la contrainte législative, ne serait-il pas temps de tenter de le faire par l’incitation et notamment fiscale ?
Quel pourrait être ainsi le sort réservé par les colotis à l’annonce d’une exonération possible de plus-value, voire de taxe foncière (exonération temporaire) en contrepartie d’une levée des stipulations restrictives de leur cahier des charges ? Qui ne tente rien n’a rien…

Le rôle du notaire dans l’édiction des cahiers des charges de lotissement

Lors de la réalisation d’un programme de lotissement, le notaire sera sollicité par le promoteur en amont du dépôt des pièces du lotissement. S’il est prévu d’instaurer un cahier des charges, cela lui permet d’en prendre connaissance avant même la réalisation de la première vente. Il pourra même lui être demandé d’en procéder à la rédaction, ce qui ne pourra qu’être favorable à la sécurité juridique. Dans un cas comme dans l’autre, le notaire sera avisé de faire une lecture attentive du projet de cahier des charges. Il prendra alors soin de s’assurer que le document ne comporte que des dispositions de droit privé propres à régir la vie du lotissement, à l’exclusion de toute clause ayant une nature urbanistique ; celles-ci devant figurer dans le règlement du lotissement.
Pareillement, il prendra garde à insérer ou proposer d’insérer des règles de majorité permettant une modification ultérieure des cahiers des charges et faire ainsi échec à la règle de l’unanimité.
Trop souvent les praticiens sont confrontés à un projet de cahier des charges « copié-collé », relevant alors plus du contrat « d’adhésion » qu’un véritable document de vie du lotissement auquel les futurs colotis ont un réel désir de souscrire. Le notaire pourra être avisé, en faisant l’analyse des autres pièces du programme, de s’assurer que l’ensemble forme un tout cohérent, en ce sens que le lotissement présente une réelle identité « marquée », voulue par le promoteur lors de sa conception et sa commercialisation.
À défaut, le maintien d’un tel document contractuel est-il réellement pertinent eu égard aux effets possiblement dévastateurs attachés à sa nature contractuelle (et surtout s’il ne prévoit pas de règles de modification à une majorité) ? Le rôle de conseil du notaire n’est-il alors pas de proposer sa suppression ou du moins son « adaptation » avant la réalisation du dépôt de pièces ?

Cahiers des charges de cession de terrain en ZAC

1. Jusqu’à une date récente, le praticien n’était pas confronté aux mêmes difficultés s’agissant des cahiers des charges de cession de terrain en ZAC.
L’article L. 311-6, alinéa 3 du Code de l’urbanisme opère en effet une distinction selon la date de signature du cahier des charges. Si elle est postérieure au 1er avril 2001, le cahier des charges est caduc de plein droit à la date de la suppression de la zone. En revanche, les cahiers des charges signés avant le 1er avril 2001 et annexés aux actes de vente continuent à s’appliquer à titre contractuel après la suppression de la zone, à moins qu’une de leurs clauses n’ait prévu leur caducité à compter de cet évènement.
2. Cependant, un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de la cassation en date du 4 mars 2021 (no 19-22.987) est venu semer le trouble. Il reconnaît en effet, à l’instar des cahiers des charges de lotissements, la possibilité pour les parties d’avoir voulu leur donner valeur contractuelle. La position de la troisième chambre civile de la Cour de cassation est donc cohérente que l’on soit en lotissement ou en ZAC, à notre grand regret… Avis aux praticiens d’y prêter attention.