Bien que très favorable aux investisseurs institutionnels, le régime des logements locatifs intermédiaires (LLI) s’avère « piégeux » ; il mériterait quelques correctifs.
Les pièges du régime
Les pièges du régime
Difficile équilibre économique du modèle LLI dans les communes en très forte tension
Dans les zones très tendues, les opérateurs du logement intermédiaire doivent résoudre une équation infernale :
- le produit LLI bénéficie de deux avantages importants, sur la TVA et la TFPB, qui permettent d’offrir des loyers inférieurs de l’ordre de 15 à 20 % par rapport au marché libre ;
- mais les sociétés qui le portent sont soumises à l’impôt sur les sociétés de manière classique ;
- un promoteur qui monte une opération a des obligations LLS, mais pas d’obligation LLI (sauf exception sur certaines communes) : le LLI entre donc en concurrence directe avec les logements libres en accession, les logements locatifs libres acquis en bloc par les autres investisseurs, et les logements « Pinel » ;
- le modèle économique LLI institutionnel compte tenu des plafonds de loyers permet de payer des prix maxima de l’ordre de 6 000 € TTC par mètre carré. Or, plus le marché est tendu, plus le LLI serait pertinent, mais moins les investisseurs LLI peuvent supporter les prix d’acquisition en compétition avec d’autres investisseurs.
En Île-de-France, l’étude de l’ORHH évoquée en tête de ce chapitre (V. supra, no
), et que cite Benoist Apparu dans son article précité, permet de fixer les critères suivants de pertinence pour cibler les communes : accessibilité aux emplois, écarts de loyers significatifs avec le logement social et le logement libre, diversification du parc, concurrence avec l’accès à la propriété. Il en ressort malheureusement, selon Benoist Apparu, que « 60 % des besoins ne peuvent plus être couverts par le modèle économique et fiscal actuel » des investisseurs en logements intermédiaires.
Ce difficile équilibre économique du logement intermédiaire ressort assez nettement du rapport IGF/CGEDD remis en 2019 consacré à l’évaluation du dispositif d’aide fiscale à l’investissement locatif Pinel, qui avait estimé que 70 % des biens construits dans le cadre de ce dispositif se situaient en zone B1, les 30 % restant étant en zone A et A bis. Un constat similaire concernant le dispositif Duflot a également été dressé dans le rapport 2021 sur le logement intermédiaire. La répartition constatée pour les logements LLI institutionnels agréés entre 2014 et 2020 est meilleure : les deux tiers l’ont été en zone A ou A bis ; la zone B1, qui regroupe 55 % des logements mis en location par des particuliers dans le cadre du dispositif Pinel, ne représente que 33 % des logements agréés pour les investisseurs institutionnels.
Ce qui illustre un problème de cible territoriale de ces dispositifs bénéficiant aux particuliers, et un meilleur ciblage des investissements institutionnels.
Pour éviter la surenchère inflationniste (augmenter les loyers pour permettre de payer des prix plus chers) et maintenir l’équilibre actuel des investisseurs LLI, une des solutions préconisées serait d’inciter les collectivités locales à imposer un pourcentage de LLI dans les opérations sur leurs territoires, afin de mieux contenir les prix fonciers. Certaines communes ont commencé à le faire. Certaines communes ont commencé à le faire. Ce sujet est évoqué par la première commission.
Une cible de ménage en concurrence avec les logements sociaux PLS
Second piège du système : le rapport de l’IGF et du CGEDD d’avril 2021, précité (V. supra, no
), permet de constater, à partir d’analyses ciblées sur l’Île-de-France, que le cœur de cible du régime LLI est constitué des ménages très largement en dessous des plafonds du PLS et toujours nettement en dessous des plafonds réglementaires du logement intermédiaire. Le statisticien et économiste Jean Bosvieux constate que cela pose une vraie difficulté, car si ces deux segments de l’offre s’adressent aux mêmes tranches de revenus, ils ont des régimes très différents : la loi SRU considère que les premiers font partie du parc social, mais pas les seconds. Faut-il alors privilégier le développement du parc PLS au détriment du LLI ? Le rapport ne répond pas à cette problématique, car la lettre de mission était d’élaborer « des propositions opérationnelles pour permettre une montée en puissance des investisseurs institutionnels sur le marché du logement locatif intermédiaire, avec une utilisation plus efficace des deniers de l’État et sans éviction de l’offre sociale ou privée ». Mais le constat est posé, et est essentiel non seulement au regard de la réglementation des logements sociaux, mais aussi au regard de la fiscalité locale.
Impact négatif de la fiscalité locale
Si l’exonération de la TFPB est une bonne chose pour les investisseurs LLI en leur permettant effectivement une économie significative qui rend possible une offre de loyer attractive, celle-ci est un piège car elle dissuade de nombreuses communes d’accepter les logements intermédiaires. En effet, cette exonération de la TFPB n’est en pratique pas compensée par l’État à un niveau satisfaisant, et se trouve confrontée à la disparition de la taxe d’habitation sur les résidences principales. Cette réforme organise une compensation en affectant aux seules communes tout le produit de la TFPB, qui était auparavant partagé entre le département, l’intercommunalité et les communes. Toutes collectivités confondues, une étude publiée en juillet 2022 par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) indique que, en intégrant les compensations versées par l’État (PSR VLEI, delta entre surcompensations et sous-compensations suite à l’application du coefficient correcteur), la TFPB reste la ressource principale des collectivités locales avec un produit de 36,8 Md€. Elle est suivie de la TVA (32 %), dont le produit s’élève à 32,6 Md€. L’effet pervers de ce système de compensation est que le coût pour les communes de l’exonération de TFPB peut devenir prohibitif pour les budgets municipaux, ce qui est très peu incitatif pour créer des logements intermédiaires. Benoist Apparu, dans l’article déjà cité, après avoir identifié les communes n’acceptant pas l’exonération de TFPB pour le LLI, estime sur la base de l’étude précitée de l’ORHH que 15 % des besoins en LLI ne peuvent plus désormais être satisfaits.
Rappelons également qu’en matière d’investissement « Pinel », l’exonération de TFPB n’est que de deux ans, ce qui est un autre avantage pour les communes qui pourraient privilégier ce mode de logement intermédiaire à celui des institutionnels. Le rapport de l’IGF et du CGEDD, précité (V. supra, no
), en est bien conscient et propose de substituer à l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) un crédit d’impôt.