Le logement et la sauvegarde de justice

Le logement et la sauvegarde de justice

– Évolution historique. – La loi du 3 janvier 1968 cantonnait la sauvegarde de justice dans un rôle transitoire. Elle n'était vue que comme l'antichambre provisoire de la tutelle ou de la curatelle, et ne comportait pas d'autre intervention que celle du juge.
La loi du 5 mars 2007, au contraire, apporte à la sauvegarde de justice deux aménagements stratégiques, dont on a pu regretter le faible écho dans la pratique :
D'une part, elle ouvre au juge la possibilité de désigner un mandataire spécial pour représenter la personne protégée dans l'accomplissement des actes d'administration ou de disposition qu'il détermine (§ I).
D'autre part, elle en fait une mesure de protection à part entière, dont la caractéristique essentielle est de répondre à une incapacité ponctuelle, et non d'accompagner durablement une situation (§ II). Il s'ensuit une durée maximale que la loi a voulue brève : un an, renouvelable une seule fois et pour la même durée.
L'une et l'autre de ces dispositions peuvent impacter le logement de la personne confrontée à une incapacité temporaire. Redécouvrons-les successivement.

Premier aménagement apporté par la réforme du 5 mars 2007 au régime de la sauvegarde de justice : la possibilité de l'assortir d'une désignation de mandataire spécial

Conséquences et limites de la sauvegarde de justice sans mandataire spécial

– Principe général. – Placer un majeur sous sauvegarde de justice sans désignation d'un mandataire équivaut à maintenir la pleine capacité contractuelle de la personne tout en prenant acte de sa vulnérabilité. Pour cette raison, des recours sont ouverts contre les contrats auxquels le majeur vulnérable a pu souscrire, et qui s'avéreraient préjudiciables à ses intérêts. Selon la nature de l'acte accompli, il peut agir en nullité, rescision ou réduction. Les mêmes recours sont ouverts au tuteur ou au curateur ultérieurement désigné. Enfin, après le décès du sauvegardé, l'article 414-2, 2o du Code civil confère à ses héritiers une action en nullité pour altération des facultés mentales de leur auteur. Il en résulte une fragilisation potentielle de tous les actes accomplis par le majeur placé sous sauvegarde de justice. Peu de cocontractants étant prêts à braver le risque de tels recours, la protection recherchée se mue, en pratique, en une restriction de sa liberté contractuelle.
– Cas particulier des actes relatifs au logement. – S'agissant spécifiquement du logement du protégé, l'article 426 du Code civil, applicable sans distinction à tous les régimes de protection des majeurs, soumet à autorisation judiciaire tout acte de gestion (bail d'habitation, par exemple) ou de disposition (mutation de propriété, constitution de garantie) dont il serait l'objet. Conclu sans ce sésame, l'acte accompli est nul, de plein droit et même en l'absence de tout préjudice. Sont seules dispensées de cette autorisation judiciaire préalable les conventions qui, par hypothèse, se doivent de rester précaires (convention d'occupation précaire, prêt à usage de très courte durée…). La notion est à apprécier par le praticien avec une extrême prudence.
– Effet pervers. – Il en résulte que, lorsque certaines décisions graves deviennent nécessaires en raison de l'état, certes temporaire, du sauvegardé, la sauvegarde de justice sans désignation d'un mandataire est un outil inadéquat. C'est d'ailleurs pourquoi, avant que la loi de 2007 n'autorise la désignation d'un mandataire spécial, il n'y avait guère d'autres solutions pour l'entourage du protégé que de solliciter la mise en œuvre d'une procédure plus lourde de curatelle ou de tutelle, afin qu'un curateur ou un tuteur puisse se charger de réaliser ces démarches. Passage obligé, générateur de contraintes parfois disproportionnées, tant pour l'intéressé que pour le tribunal, en présence d'une situation purement transitoire appelée à cesser à court ou moyen terme.

Un exemple : le logement de la personne temporairement empêchée

Cette hypothèse, pas forcément théorique, pourrait être celle d'une personne victime d'un grave accident, par exemple un traumatisme crânien lors d'une collision ou d'une chute, ou un AVC : les séquelles physiques de l'accident apparaissent irréversibles (paralysie, hémiplégie, etc.), et la conduiront à devoir manifestement quitter un logement devenu inadapté aux divers appareillages dont elle devra désormais être assistée (par ex. une maison isolée et difficile d'accès, comme un chalet en montagne, ou aux volumes complexes et peuplés d'escaliers, etc.). En revanche, les capacités cérébrales momentanément atteintes (amnésie, mutisme, surdité, confusion mentale…) sont analysées par les médecins comme indemnes pour l'essentiel, et vouées à retrouver leur plein exercice après une période de convalescence et de rééducation de plusieurs mois.
Dans une telle hypothèse, la sauvegarde de justice est suffisante, sans infliger ni à cette personne ni aux services judiciaires la mise en place d'une mesure plus alourdie, dont les délais d'instruction pourraient d'ailleurs coïncider avec l'extinction des symptômes d'inaptitude. Mais prononcée sans mandataire spécial, elle est inopérante pour traiter la problématique d'une cession du logement, le sauvegardé n'étant pas en mesure de solliciter l'autorisation d'agir auprès du juge des contentieux de la protection.

Avantages de la désignation d'un mandataire spécial, en matière de gestion du logement

– Avantages de la formule. – Le juge des contentieux de la protection dispose, depuis la réforme de 2007, de la faculté de désigner un mandataire spécial en même temps qu'il prononce l'ouverture de la sauvegarde de justice. Ce mandataire est chargé de représenter la personne protégée, et investi des pouvoirs que le juge détermine. Il peut s'agir d'actes personnels, patrimoniaux, ou se situant à la lisière des deux concepts, comme ceux relatifs au logement. Il peut s'agir encore d'actes de simple administration ou d'actes de disposition. Le magistrat peut donc, dès l'ordonnance institutive, autoriser le mandataire à vendre un bien immobilier constituant le logement ; il doit seulement prendre soin de viser l'article 426 du Code civil, pour les motifs cités plus haut. Voilà une mesure ponctuelle, rapide à mettre en œuvre, chirurgicale dans sa réalisation, propre à éviter à la fois la surcharge des tribunaux par l'instruction puis le contrôle d'une tutelle ou d'une curatelle, et, pour le majeur protégé, la perte d'une chance de trouver rapidement de nouvelles conditions d'hébergement, souvent urgentes.
– Faible impact pratique de la réforme. – Malgré ces avantages, dans leur bulletin d'information statistique publié en juin 2018, les services du ministère de la Justice indiquaient une baisse du nombre de sauvegardes prononcées en 2015 (1 500) par rapport à celui de l'année précédente (1 800). Ils y confessaient en outre que « l'entrée dans le dispositif juridique de protection s'opère le plus souvent par le degré le plus important, celui de la tutelle (55 %), sachant que très rares sont les cas de sauvegarde autonome précédant l'ouverture d'une de ces deux mesures (moins de 0,5 % des cas) ».
On regrettera la faiblesse de ce ratio avec le Défenseur des droits qui, dès septembre 2016, écrivait au sujet de la sauvegarde de justice : « Cette mesure permet, dans un temps assez court (en moyenne moins d'un an), au mandataire désigné (familial ou non) d'aider à la mise en place des nouvelles conditions de vie du majeur hors d'état d'exercer seul ses droits et de restructurer son patrimoine. Après ces démarches, le maintien d'une mesure d'assistance (à part un accompagnement personnel qui peut être accompli par des proches) ou de représentation n'est, le plus souvent, plus nécessaire ». Les conclusions du Défenseur des droits appelaient aussi à une utilisation plus large de la sauvegarde de justice en tant que mesure autonome, et non pas seulement comme un tremplin provisoire en direction d'autres mesures. Telle est, précisément, la seconde nouveauté apportée par la loi de 2007.

Second apport de la réforme pour la sauvegarde de justice : la consécration d'un régime autonome

– Provisoire n'est pas accessoire ! – Nonobstant sa durée de validité limitée, la sauvegarde de justice a conquis, avec la loi de 2007, une place pleine et entière au côté des autres instruments qu'étaient alors tutelle et curatelle. L'heure n'est plus à la considérer seulement comme permettant de parer simplement au plus pressé dans l'attente d'autres mesures (comme l'habitude s'en était installée depuis 1968). Au contraire, dans toutes les situations où la nature des altérations rend inutile le prononcé d'une mesure plus engageante, comme dans celles où le besoin de représentation n'est que limité et se concentre sur un seul ou sur quelques actes bien définis, le choix de la sauvegarde avec mandataire spécial est suffisant, et pertinent à tous égards. À sa façon, cette réorientation de la sauvegarde et de ses usages est une illustration de l'un trois fameux piliers érigés par la loi de 2007, à savoir le principe de subsidiarité : chaque fois que c'est possible, less is more .
– Invitation à la pratique. – De concert avec la doctrine la plus autorisée, nous invitons donc tous les praticiens concernés à ne pas hésiter à requérir, prononcer, appliquer et contrôler des mesures de sauvegarde de justice avec désignation d'un mandataire spécial. En termes d'adaptation du logement à la perte de capacité de son occupant, entraînant des besoins renouvelés (financement de travaux, conclusion ou révocation de bail, acquisition ou vente), elles permettront la mise en place de réponses rapides, efficaces et proportionnées.