Comme les comptes bancaires nécessaires à la vie courante, le logement du majeur en tutelle (Sous-section III), curatelle (Sous-section II) ou placé sous sauvegarde de justice (Sous-section I) fait l'objet d'une protection renforcée, prévue aux articles 426 et 427 du Code civil. Tout acte le concernant peut être qualifié d'acte « mixte », c'est-à-dire dont les conséquences se déploient tant sur le plan personnel que patrimonial. Faisons d'abord le point sur cette protection particulière dans chacun de ces trois régimes.
Le logement sous l'empire du triptyque classique des mesures judiciaires
Le logement sous l'empire du triptyque classique des mesures judiciaires
Le logement et la sauvegarde de justice
– Évolution historique. – La loi du 3 janvier 1968 cantonnait la sauvegarde de justice dans un rôle transitoire. Elle n'était vue que comme l'antichambre provisoire de la tutelle ou de la curatelle, et ne comportait pas d'autre intervention que celle du juge.
La loi du 5 mars 2007, au contraire, apporte à la sauvegarde de justice deux aménagements stratégiques, dont on a pu regretter le faible écho dans la pratique :
D'une part, elle ouvre au juge la possibilité de désigner un mandataire spécial pour représenter la personne protégée dans l'accomplissement des actes d'administration ou de disposition qu'il détermine (§ I).
D'autre part, elle en fait une mesure de protection à part entière, dont la caractéristique essentielle est de répondre à une incapacité ponctuelle, et non d'accompagner durablement une situation (§ II). Il s'ensuit une durée maximale que la loi a voulue brève : un an, renouvelable une seule fois et pour la même durée.
L'une et l'autre de ces dispositions peuvent impacter le logement de la personne confrontée à une incapacité temporaire. Redécouvrons-les successivement.
Premier aménagement apporté par la réforme du 5 mars 2007 au régime de la sauvegarde de justice : la possibilité de l'assortir d'une désignation de mandataire spécial
Conséquences et limites de la sauvegarde de justice sans mandataire spécial
– Principe général. – Placer un majeur sous sauvegarde de justice sans désignation d'un mandataire équivaut à maintenir la pleine capacité contractuelle de la personne tout en prenant acte de sa vulnérabilité. Pour cette raison, des recours sont ouverts contre les contrats auxquels le majeur vulnérable a pu souscrire, et qui s'avéreraient préjudiciables à ses intérêts. Selon la nature de l'acte accompli, il peut agir en nullité, rescision ou réduction. Les mêmes recours sont ouverts au tuteur ou au curateur ultérieurement désigné. Enfin, après le décès du sauvegardé, l'article 414-2, 2o du Code civil confère à ses héritiers une action en nullité pour altération des facultés mentales de leur auteur. Il en résulte une fragilisation potentielle de tous les actes accomplis par le majeur placé sous sauvegarde de justice. Peu de cocontractants étant prêts à braver le risque de tels recours, la protection recherchée se mue, en pratique, en une restriction de sa liberté contractuelle.
– Cas particulier des actes relatifs au logement. – S'agissant spécifiquement du logement du protégé, l'article 426 du Code civil, applicable sans distinction à tous les régimes de protection des majeurs, soumet à autorisation judiciaire tout acte de gestion (bail d'habitation, par exemple) ou de disposition (mutation de propriété, constitution de garantie) dont il serait l'objet. Conclu sans ce sésame, l'acte accompli est nul, de plein droit et même en l'absence de tout préjudice. Sont seules dispensées de cette autorisation judiciaire préalable les conventions qui, par hypothèse, se doivent de rester précaires (convention d'occupation précaire, prêt à usage de très courte durée…). La notion est à apprécier par le praticien avec une extrême prudence.
– Effet pervers. – Il en résulte que, lorsque certaines décisions graves deviennent nécessaires en raison de l'état, certes temporaire, du sauvegardé, la sauvegarde de justice sans désignation d'un mandataire est un outil inadéquat. C'est d'ailleurs pourquoi, avant que la loi de 2007 n'autorise la désignation d'un mandataire spécial, il n'y avait guère d'autres solutions pour l'entourage du protégé que de solliciter la mise en œuvre d'une procédure plus lourde de curatelle ou de tutelle, afin qu'un curateur ou un tuteur puisse se charger de réaliser ces démarches. Passage obligé, générateur de contraintes parfois disproportionnées, tant pour l'intéressé que pour le tribunal, en présence d'une situation purement transitoire appelée à cesser à court ou moyen terme.
Un exemple : le logement de la personne temporairement empêchée
Cette hypothèse, pas forcément théorique, pourrait être celle d'une personne victime d'un grave accident, par exemple un traumatisme crânien lors d'une collision ou d'une chute, ou un AVC : les séquelles physiques de l'accident apparaissent irréversibles (paralysie, hémiplégie, etc.), et la conduiront à devoir manifestement quitter un logement devenu inadapté aux divers appareillages dont elle devra désormais être assistée (par ex. une maison isolée et difficile d'accès, comme un chalet en montagne, ou aux volumes complexes et peuplés d'escaliers, etc.). En revanche, les capacités cérébrales momentanément atteintes (amnésie, mutisme, surdité, confusion mentale…) sont analysées par les médecins comme indemnes pour l'essentiel, et vouées à retrouver leur plein exercice après une période de convalescence et de rééducation de plusieurs mois.
Dans une telle hypothèse, la sauvegarde de justice est suffisante, sans infliger ni à cette personne ni aux services judiciaires la mise en place d'une mesure plus alourdie, dont les délais d'instruction pourraient d'ailleurs coïncider avec l'extinction des symptômes d'inaptitude. Mais prononcée sans mandataire spécial, elle est inopérante pour traiter la problématique d'une cession du logement, le sauvegardé n'étant pas en mesure de solliciter l'autorisation d'agir auprès du juge des contentieux de la protection.
Avantages de la désignation d'un mandataire spécial, en matière de gestion du logement
– Avantages de la formule. – Le juge des contentieux de la protection dispose, depuis la réforme de 2007, de la faculté de désigner un mandataire spécial en même temps qu'il prononce l'ouverture de la sauvegarde de justice. Ce mandataire est chargé de représenter la personne protégée, et investi des pouvoirs que le juge détermine. Il peut s'agir d'actes personnels, patrimoniaux, ou se situant à la lisière des deux concepts, comme ceux relatifs au logement. Il peut s'agir encore d'actes de simple administration ou d'actes de disposition. Le magistrat peut donc, dès l'ordonnance institutive, autoriser le mandataire à vendre un bien immobilier constituant le logement ; il doit seulement prendre soin de viser l'article 426 du Code civil, pour les motifs cités plus haut. Voilà une mesure ponctuelle, rapide à mettre en œuvre, chirurgicale dans sa réalisation, propre à éviter à la fois la surcharge des tribunaux par l'instruction puis le contrôle d'une tutelle ou d'une curatelle, et, pour le majeur protégé, la perte d'une chance de trouver rapidement de nouvelles conditions d'hébergement, souvent urgentes.
– Faible impact pratique de la réforme. – Malgré ces avantages, dans leur bulletin d'information statistique publié en juin 2018, les services du ministère de la Justice indiquaient une baisse du nombre de sauvegardes prononcées en 2015 (1 500) par rapport à celui de l'année précédente (1 800). Ils y confessaient en outre que « l'entrée dans le dispositif juridique de protection s'opère le plus souvent par le degré le plus important, celui de la tutelle (55 %), sachant que très rares sont les cas de sauvegarde autonome précédant l'ouverture d'une de ces deux mesures (moins de 0,5 % des cas) ».
On regrettera la faiblesse de ce ratio avec le Défenseur des droits qui, dès septembre 2016, écrivait au sujet de la sauvegarde de justice : « Cette mesure permet, dans un temps assez court (en moyenne moins d'un an), au mandataire désigné (familial ou non) d'aider à la mise en place des nouvelles conditions de vie du majeur hors d'état d'exercer seul ses droits et de restructurer son patrimoine. Après ces démarches, le maintien d'une mesure d'assistance (à part un accompagnement personnel qui peut être accompli par des proches) ou de représentation n'est, le plus souvent, plus nécessaire ». Les conclusions du Défenseur des droits appelaient aussi à une utilisation plus large de la sauvegarde de justice en tant que mesure autonome, et non pas seulement comme un tremplin provisoire en direction d'autres mesures. Telle est, précisément, la seconde nouveauté apportée par la loi de 2007.
Second apport de la réforme pour la sauvegarde de justice : la consécration d'un régime autonome
– Provisoire n'est pas accessoire ! – Nonobstant sa durée de validité limitée, la sauvegarde de justice a conquis, avec la loi de 2007, une place pleine et entière au côté des autres instruments qu'étaient alors tutelle et curatelle. L'heure n'est plus à la considérer seulement comme permettant de parer simplement au plus pressé dans l'attente d'autres mesures (comme l'habitude s'en était installée depuis 1968). Au contraire, dans toutes les situations où la nature des altérations rend inutile le prononcé d'une mesure plus engageante, comme dans celles où le besoin de représentation n'est que limité et se concentre sur un seul ou sur quelques actes bien définis, le choix de la sauvegarde avec mandataire spécial est suffisant, et pertinent à tous égards. À sa façon, cette réorientation de la sauvegarde et de ses usages est une illustration de l'un trois fameux piliers érigés par la loi de 2007, à savoir le principe de subsidiarité : chaque fois que c'est possible, less is more
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– Invitation à la pratique. – De concert avec la doctrine la plus autorisée, nous invitons donc tous les praticiens concernés à ne pas hésiter à requérir, prononcer, appliquer et contrôler des mesures de sauvegarde de justice avec désignation d'un mandataire spécial. En termes d'adaptation du logement à la perte de capacité de son occupant, entraînant des besoins renouvelés (financement de travaux, conclusion ou révocation de bail, acquisition ou vente), elles permettront la mise en place de réponses rapides, efficaces et proportionnées.
Le logement et la curatelle
Régime général de la mesure
– Une mesure pérenne. – La curatelle d'un majeur peut être prononcée pour une durée de cinq ans, et renouvelée jusqu'à un maximum de vingt années. Sur un segment temporel ainsi élargi, il n'est pas rare d'assister à une évolution plus ou moins notable des besoins de la personne et de son logement : dégradation du quartier ou de l'immeuble, accroissement des charges, nécessité de réaliser des travaux d'entretien ou de transformation, etc. Selon la nature de la décision à prendre, le majeur ainsi protégé peut agir seul, ou non.
– Deux catégories d'actes. – Peuvent être accomplis sans intervention du curateur tous les actes de conservation (travaux d'isolation, de performance énergétique, de réparation…) comme les actes de la vie courante (souscription aux abonnements, aux contrats de fourniture d'énergie ou de moyens de communication…) et même les actes d'administration (consentir ou résilier un bail, mais sur un local autre que celui utilisé à titre de logement).
En revanche, les actes de disposition, qui produisent des conséquences durables sur le patrimoine de la personne protégée, doivent être conclus avec l'assistance de son curateur. Et s'il s'agit s'opérer sur le logement ou le mobilier qu'il contient, cette assistance devra être précédée d'une autorisation préalable du juge des contentieux de la protection, conformément à l'article 426 du Code civil.
Curatelle et article 426 du Code civil : une combinaison parfois malaisée
Un arrêt de cour d'appel rendu en 2019 met en évidence deux difficultés d'articulation entre les pouvoirs du curateur et ceux du juge des contentieux de la protection (JCP) s'agissant de la vente du logement d'une majeure en curatelle.
1) La décision du JCP autorisait le curateur de la propriétaire du logement à représenter cette dernière pour la signature de l'acte de vente : confusion évidente entre tutelle et curatelle, tant il est vrai qu'en curatelle le protégé ne saurait être qu'assisté, et jamais représenté, à moins qu'il soit démontré que son éventuel refus compromettrait gravement ses propres intérêts. Hormis ce cas limite, la recherche de son consentement et de sa participation à la vente est un impératif. La décision contra legem du JCP méritait la censure.
2) En outre, ignorant la requête qui mentionnait un paiement du prix par versements échelonnés, le JCP avait imposé un paiement comptant et prescrit son placement sur des supports financiers indiqués par lui. Sur ce point, à nouveau, censure de la cour.
Quel est le sens de cette décision ? Faut-il en conclure qu'en curatelle l'autorisation du JCP sur l'aliénation du logement ne doit porter que sur le principe de celle-ci ? En l'espèce, le fait de s'être prononcé sur le montant du prix et ses modalités d'acquittement a été analysé comme un excès de pouvoir du magistrat.
Pourtant, et quoiqu'en matière de tutelle cette exigence n'ait pas de fondement légal, il est d'usage que toute requête en autorisation de vendre conformément à l'article 426 du Code civil s'accompagne d'une expertise par un technicien qualifié, ou deux avis de valeur concordants. À quoi servent donc ces documents annexes, si le magistrat dont l'autorisation est sollicitée ne peut s'en inspirer pour intervenir sur une proposition de prix qui s'en éloignerait ?
Si elle devait faire jurisprudence, cette décision sans nuance rendrait la curatelle impropre à assurer une gestion agile et convenable du logement d'un majeur protégé. Elle ne répond en effet ni à la diversité des besoins du curatélaire (une vente à prix plus réduit que l'expertise peut s'entendre dans certaines circonstances particulières), ni à la garantie de sa sécurité (si la seule autre voie réside dans le refus de permettre une vente manifestement indispensable, le juge pourrait se résoudre à l'autoriser à des conditions défavorables).
Curatelle renforcée
La curatelle dite « renforcée » consiste à confier au curateur la gestion des comptes bancaires du curatélaire ; en tous cas, ceux que le juge des contentieux de la protection aura visés. Cet éventuel accroissement de la mesure ne concerne donc pas directement l'actif non financier que constitue le logement. Néanmoins, la mesure produit un effet indirect car pour le règlement de ses charges, travaux, et autres factures inhérentes au logement, le curatélaire devra solliciter son curateur.
Nouvelle configuration de co-curatelle introduite par la loi du 5 mars 2007
La réforme de 2007 permet encore au juge de désigner simultanément une pluralité de curateurs, s'il l'estime nécessaire. Cette collégialité peut notamment s'avérer de bon aloi en présence d'un patrimoine complexe ; elle permet de répartir au mieux les compétences, les appétences, et les domaines d'intervention. S'agissant du logement, la désignation d'un co-curateur bien rompu aux réalités de l'immobilier, à ses rigueurs et ses vertus, aux spécificités du marché, à celles des règles d'urbanisme, de copropriété ou de la fiscalité peut être précieuse. Le co-curateur agira en coordination avec celui qui, par exemple, serait nommé aux fins d'assister le majeur dans les dimensions personnelles de son existence. Tous deux pourront ainsi unir leurs compétences pour agir dans l'intérêt de leur protégé, tant sur la rénovation ou la vente du logement (avec accord du juge dans ce dernier cas) que sur des aspects médico-sociaux ou d'hébergement.
Le logement et la tutelle
La tutelle est en quelque sorte la reine des mesures de protection, en ce qu'elle est la plus aboutie, la plus complète, et la référence par laquelle, souvent, les autres sont définies, en creux ou en plein. Elle est prononcée lorsque la personne vulnérable a besoin d'être « représentée d'une manière continue dans les actes de la vie civile ». Elle induit la représentation du majeur protégé dans les actes nécessaires à la gestion de son patrimoine, et requiert du tuteur une présence et une action quotidiennes, car il lui revient d'accomplir seul tous les actes de conservation et d'administration.
Dès lors :
- le bail d'un immeuble appartenant au tutélaire est consenti sous la seule signature du tuteur. En revanche, s'il s'applique au logement du protégé, l'article 426 du Code civil commande son autorisation préalable par le juge des contentieux de la protection (ou par le conseil de famille, s'il existe) ;
- la vente du logement doit également recevoir l'autorisation préalable du juge des contentieux de la protection, dont les pouvoirs sont, ici, clairement définis. Outre le principe même de cette aliénation, sa pertinence et son opportunité, le juge apprécie toutes les conditions de l'opération. Il est donc appelé à se prononcer tant sur le montant du prix que sur les modalités de son paiement, les conditions de la vente, et le sort des fonds perçus. L'article 505 du Code civil impose le visa de pièces probantes dans la décision du juge, à savoir une mesure d'instruction exécutée par un technicien (assimilée en pratique à un rapport d'expertise), ou l'avis de deux professionnels qualifiés (en pratique, deux agents immobiliers, ou deux notaires, autres que le rédacteur de l'acte). Le magistrat doit, en outre, motiver sa décision, qu'elle consiste ou non à agréer la vente. Il le fait en considérant à la fois la nécessité de l'opération et l'intérêt de la personne protégée (et non celui de ses proches ou de ses héritiers).
Remarque : la vente du logement ne saurait en aucun cas être disqualifiée en simple acte d'administration au prétexte de la modicité de sa valeur ou de la faible proportion qu'il représenterait dans le patrimoine du protégé. L'article 426 du Code civil demeure applicable indépendamment du faible impact que provoquerait la mutation sur le contenu ou la valeur du patrimoine du majeur, et quel que soit l'effet qu'elle pourrait (ou non) produire sur son mode de vie.
Au terme de ce rapide examen des trois mesures judiciaires classiques de protection des personnes vulnérables, on constate que tout arbitrage ayant pour objet le logement du majeur protégé est soumis à un contrôle judiciaire préalable dont l'ampleur varie en fonction de la mesure prononcée. Qu'en est-il, à présent, sous l'empire de la quatrième mesure, aux contours bien différents, introduite en 2015, à savoir l'habilitation familiale ?