Le bilan des financements publics : corriger les effets d’aubaine

Le bilan des financements publics : corriger les effets d’aubaine

– Quel bilan tirer des aides à l’accession à la propriété ? – En premier lieu, nous exclurons de ce bilan les prêts et aides d’Action Logement, car ils sont distribués sur contributions dédiées, gérées de manière paritaire. Ces aides sont la contrepartie des cotisations et du principe de solidarité sous-jacent.
L’enjeu est plutôt de faire un bilan des aides d’État et des collectivités.
Une étude historique et comportementale réalisée avant la mise en place du nouveau PTZ en 2011, mais qui nous semble rester totalement pertinente pour le régime actuel du PTZ, rappelle que les objectifs initiaux du PTZ étaient de poursuivre la politique d’encouragement de l’accès à la propriété de son logement. Les dispositifs anciens que le PTZ a remplacés avaient montré leurs effets positifs : l’étude indique qu’entre 1977 et 1984, presque 60 % des nouveaux accédants ont eu recours à un prêt aidé alors dénommé « PAP » ou à un prêt conventionné, ce qui a eu pour effet que le taux de propriété a nettement augmenté, de 45 % en 1970 à 54 % en 1988.
Il est intéressant de noter les conclusions de cette étude de 2005 :
  • le prêt à taux zéro a bien un effet déclencheur sur l’accession à la propriété ;
  • cet effet touche principalement les ménages les plus modestes parmi les accédants, dont la plupart seraient restés, en l’absence de PTZ et de son effet déclencheur, dans le logement qu’ils occupent ;
  • mais le PTZ semble produire d’importants effets d’aubaine : 85 % des bénéficiaires de la période étudiée auraient tout de même choisi de déménager pour devenir propriétaires en l’absence du prêt à taux zéro…
Par ailleurs, l’objectif fixé au PTZ de permettre notamment une sortie « par le haut » pour les locataires du parc social semble bien avoir été rempli.

Les aides à l’acquisition de la résidence principale : entre nécessité et effets d’aubaine

1. Dans un rapport publié en 2016, la Cour des comptes conclut après avoir analysé les quatre aides d’État à l’acquisition de la résidence principale qui coexistaient alors pour les primo-accédants (l’aide personnelle au logement pour l’accession [ APL accession ], le prêt d’accession sociale [ PAS ], le prêt à taux zéro renforcé [ PTZ+ ] et le prêt social de location-accession [ PSLA ]), et en dépit d’un montant cumulé de près de deux milliards d’euros par an, que ces dispositifs se révélaient de moins en moins efficaces et suggérait à l’État plusieurs mesures afin de rationaliser les aides, de mieux les articuler avec les politiques locales de logement et d’urbanisme, et de diminuer leur coût pour les finances publiques.
2. Il ressort en effet de ce rapport que la proportion de ménages propriétaires de leur logement, après avoir doublé en cinquante ans pour atteindre 57 %, n’évolue plus désormais que lentement.
3. La Cour des comptes note également que le PTZ+ se caractérise par des effets d’aubaine élevés et des risques d’effet inflationniste. Il doit être mieux ciblé, afin de parvenir à un meilleur effet déclencheur. Les recommandations de la Cour, relatives au PTZ, sont les suivantes :
  • mettre en place les liaisons nécessaires entre les bases de données (SGFGAS, CNAF, etc.) pour permettre un suivi précis de l’efficacité et de l’efficience des différentes aides à l’accession (PTZ+, PAS, APL accession et PSLA) ;
  • réorganiser le dispositif du PTZ+ en le ciblant sur les ménages plus modestes, en fixant un seuil de quotité de l’aide et en appliquant la garantie du FGAS ;
  • supprimer le dispositif du PAS ;
  • aménager les règles de gestion de l’APL accession en fusionnant les barèmes et en relevant les plafonds afin d’accroître la complémentarité de cette aide avec le PTZ+ ;
  • accroître les possibilités d’accès au PTZ+ dans les zones tendues, les quartiers de la politique de la ville et les centres anciens dégradés ;
  • développer la coordination de l’action des services déconcentrés de l’État avec celle des collectivités territoriales en mettant en place une gestion déconcentrée d’enveloppes d’aides à l’accession à la propriété permettant de compléter les interventions locales.
4. Ménages métropolitains possédant leur résidence principale. Après avoir nettement augmenté de 1998 (53,3 %) à 2010 (58 %), le taux de ménages métropolitains qui possédait début 2018 leur résidence principale était revenu à 57,8 %. Mais les disparités selon les caractéristiques des ménages sont fortes : les jeunes (moins de trente-neuf ans) sont plus souvent propriétaires que la tranche d’âge plus élevée, les couples sans enfants ou avec enfants sont en forte progression, contrairement aux personnes seules ou aux familles monoparentales, ce qui montre probablement que la Cour des comptes a raison de conclure dans son étude de 2016 qu’il faudrait « réorganiser le dispositif du PTZ+ en le ciblant sur les ménages plus modestes, en fixant un seuil de quotité de l’aide et en appliquant la garantie du FGAS ».
5. Montant et évolution des aides au logement. Le rapport du compte du logement détaille le montant des aides au logement d’un montant en 2020 de 37,6 milliards d’euros. Il met aussi le poids de ces aides, qui représentent 1,6 % du PIB, en corrélation avec les prélèvements relatifs au logement estimés à 78,8 milliards d’euros.
Les aides poursuivent leur repli bien que moins fortement qu’en 2019 et 2018 (-2,4 %, après -3,7 % et -4,1 %), principalement du fait de la poursuite de la forte baisse des avantages de taux. L’essentiel des aides (90,7 %) est composé des prestations sociales (53,8 %) et des avantages fiscaux (36,9 %). Elles bénéficient pour 70,6 % au secteur locatif, dont 36,6 % pour le secteur social et 33,9 % pour le secteur libre. Elles sont, en outre, versées pour 16,8 % aux propriétaires occupants et pour 12,3 % aux locaux d’hébergement collectif. En dix ans, la part des propriétaires occupants parmi l’ensemble des bénéficiaires a reculé de 10,7 points alors que celle des locataires du secteur libre a progressé de 8,4 points. Ce qui montre que les recommandations de la Cour des comptes semblent avoir été entendues.
6. Propositions faites par les organisations. La dernière campagne présidentielle a été l’occasion pour de nombreuses organisations de faire des propositions. Notamment, le 27e Rapport sur l’état du mal-logement en France publié en janvier 2022 par la Fondation Abbé Pierre souligne que si la première priorité doit être de régler la question du mal-logement et de permettre une accession à un logement pour tous, il ne faut pas pour autant négliger de permettre l’accession à la propriété.
7. S’il reste important de maintenir des aides à l’accession à la propriété, pour que le parcours résidentiel ne se bloque pas et qu’il puisse toujours permettre à des locataires de sortir du parc locatif, la question doit être posée de la pertinence d’une aide à l’accession à la propriété par rapport à l’effet d’aubaine qu’elle entraîne.
8. L’effet d’aubaine pourrait se définir par le fait qu’une personne, même sans l’aide obtenue, aurait eu la possibilité d’acquérir son logement. Elle a donc bénéficié d’une aubaine, d’un « cadeau ». Mais l’effet d’aubaine est une réalité très difficile à quantifier. Ainsi, Bernard Coloos écrit dans un article récent, que « les études et analyses réalisées sur le sujet ont focalisé les polémiques depuis plus de dix ans maintenant. Ainsi par exemple pour le défunt PAP, les évaluations s’étalent entre 10 % à 90 % d’effets d’aubaine selon les auteurs. L’Insee, en son temps, avait avancé un chiffre de l’ordre de 50 % ».
Le succès du bail réel solidaire, dont nous avons déjà parlé dans ce rapport (V. supra, nos et s.), est d’ailleurs en partie lié à la suppression de cet effet d’aubaine : ceux qui ont les moyens d’acheter en secteur libre auront toujours intérêt à le faire compte tenu de la règle de plafonnement du prix imposée par le système du BRS, qui supprime toute aubaine financière au profit des accédants désireux de revendre.

Corriger l’effet d’aubaine : mission impossible ?

1. Pour supprimer l’effet d’aubaine lié aux aides, directes ou indirectes à l’acquisition d’un logement, la loi impose dans certains cas des clauses dites « anti-spéculatives ».
C’est notamment le cas de l’article L. 443-12-1 du Code de la construction et de l’habitation pour la vente HLM et de la loi no 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.
2. Au-delà de ces dispositifs légaux, la liberté conventionnelle peut également permettre l’insertion de clauses anti-spéculatives, mais la jurisprudence très ancienne de la Cour de cassation impose, face au caractère absolu du droit de propriété, deux obligations : une limitation dans le temps et un intérêt sérieux et légitime.
3. Généralement, des cas d’exemption du dispositif anti-spéculatif sont prévus et liés :
  • soit à des motifs sérieux et légitimes pouvant revêtir les caractéristiques de la force majeure rendant nécessaire la revente du bien : il s’agit de faits qui s’imposent à l’acquéreur et vont l’obliger à solliciter l’autorisation de céder le bien pour lequel il a bénéficié d’une aide à l’accession. Le plus souvent, on prévoit le décès de l’acquéreur ou de son conjoint, le divorce ou la rupture du Pacs, la mutation ou mobilité professionnelle, une période de chômage prolongée, l’invalidité ou l’incapacité reconnue, parfois le surendettement de l’accédant, cette liste étant tantôt limitative ou tantôt indicative selon les clauses rencontrées ;
  • soit à la possibilité de revendre à un sous-acquéreur remplissant les critères exigés pour l’acquisition initiale, à condition que le prix de revente n’excède pas le prix d’acquisition initial réévalué selon un indice national. Ce que prévoit le mécanisme du BRS.
4. À notre avis, la correction de ces effets d’aubaine conditionne la survie des aides à l’accession au logement, du moins à leur niveau actuel. Cette correction nous semble pouvoir être opérée au moment de la revente, considérant alors qu’une part significative de la plus-value réalisée trouve son origine dans l’aide apportée. Il n’y a, en pareil cas, aucune raison économique, morale ou citoyenne, de conserver le montant de cette aide.