L'attribution du logement commun à l'heure de la séparation

L'attribution du logement commun à l'heure de la séparation

Après l'étude de la dimension économique que revêt le financement du logement et du traitement comptable qu'il connaît à l'occasion de la rupture, passons à l'aspect politique de son utilisation et de sa disposition dans un tel contexte, c'est-à-dire à l'examen des pouvoirs et des droits que les époux peuvent y exercer au moment de mettre fin à leur histoire commune.
Précisons que nous parlerons ici spécialement des époux, et donc du divorce, car il s'agira de se pencher essentiellement sur des règles de procédure. Or, il n'existe naturellement aucune procédure de séparation dans le cas du Pacs ou du concubinage, s'agissant d'unions soit contractuelle, soit purement libre. Dans leurs cas, le sort du logement lors de la rupture ne se concevra que dans l'hypothèse d'une indivision à partager, selon les règles de droit commun (amiables ou judiciaires) ; aucune mesure provisoire inhérente à la durée d'une procédure n'aura lieu d'être.
Nous verrons que c'est sous le prisme à présent abordé qu'apparaît mieux que jamais l'ambivalence de nature du logement – en ce qu'il relève à la fois de la catégorie des biens et des droits –, tant son sort pourra suivre dans certains cas l'axe de sa propriété, et dans d'autres celui de son utilité.
Observons cette réalité à travers les deux prérogatives qui peuvent faire l'objet d'une attribution sur le logement à l'occasion de la fin d'une union : l'attribution en jouissance (Section I), et l'attribution en propriété (Section II).

L'attribution de la jouissance du logement

Celle-ci peut résulter de deux sortes de décisions : l'attribution de la jouissance du logement familial en cours d'instance, à titre de mesure provisoire ; et en fin d'instance, la location forcée sur le logement, ordonnée par le jugement de divorce à l'ex-époux propriétaire au profit de l'autre. Classiquement, voyons-en respectivement les conditions (Sous-section I) et les effets (Sous-section II).

Les conditions de l'attribution en jouissance

Aujourd'hui comme avant la réforme de 2019, l'attribution provisoire au profit de l'un des époux d'une jouissance exclusive sur l'ex-logement commun peut constituer une mesure sur laquelle le juge aux affaires familiales statue pour la durée de l'instance en divorce. Ceci, que le logement soit leur propriété, ou qu'ils n'en soient que locataires. Enfin, lors du jugement, le juge peut ordonner une location forcée à celui qui est seul propriétaire au profit de son ex-conjoint.

L'attribution à titre de mesure provisoire de la jouissance du logement propriété des époux : la jouissance détachée

Nous examinerons d'abord les conditions de procédure (A), bien bousculées par l'arrivée des nouveaux textes. Puis nous évoquerons rapidement et simplement une condition de droit des biens (B).
Conditions de procédure
– Rappel. – Pour toutes les instances introduites depuis le 1er janvier 2021, une nouvelle audience, de nature hybride, remplace la tentative de conciliation. Cette nouvelle audience d'orientation et sur mesures provisoires (AOMP), malgré son appellation, ne donnera lieu à des mesures provisoires que si on les a demandées. En effet, c'est toute la nouveauté et sans doute l'un des nœuds du problème : statuer sur ces mesures est devenu facultatif. Et quel que soit le type de divorce contentieux (faute, altération définitive du lien conjugal, acceptation du principe de la rupture), le juge aux affaires familiales ne s'y penchera que si on le lui a demandé. Telle est la première condition procédurale : pour obtenir une mesure provisoire d'attribution de la jouissance du logement, il faut la demander. Par ailleurs et comme auparavant, cette attribution de jouissance peut être consentie à titre gratuit, comme expression du devoir de secours, ou bien à titre onéreux. À celui qui souhaite une attribution gratuite, il appartiendra aussi de la demander, pour la soumettre à la souveraine appréciation du juge aux affaires familiales. Pour les parties, et leurs avocats, il est donc important de penser à solliciter dès l'AOMP les mesures provisoires qui leur sembleraient opportunes. Cependant, si cette demande n'a pas été faite, le législateur a ouvert une voie de rattrapage : pareille demande peut être formulée tout au long de la procédure, et jusqu'à la clôture de la mise en état.
– Le principe de rétroactivité. – Si cette mesure, demandée a posteriori, est accordée, prendra-t-elle effet au jour de la décision du juge aux affaires familiales, ou rétroagira-t-elle jusqu'au début de l'instance ? L'article 254 du Code civil, qui régit la question, indique que le juge prend les mesures nécessaires pour assurer l'existence des époux et des enfants « de l'introduction de la demande en divorce à la date à laquelle le jugement passe en force de chose jugée ». Le législateur a donc entendu conférer à ces mesures provisoires une date d'effet rétroactive, puisque remontant à la date de demande en divorce. Dès lors, si le juge consent à la demande, et que sa décision est rétroactive comme le veut l'article 254 :
  • l'occupation exclusive de l'époux devient gratuite dès l'origine, là où l'autre conjoint, dans le chiffrage de ses droits, croyait pouvoir compter sur une indemnité d'occupation lors de l'établissement des comptes d'administration qui font partie de la liquidation ;
  • à supposer que cet époux occupant soit aussi celui qui assume seul l'emprunt commun souscrit pour financer ce logement, la créance que l'on croyait acquise au titre du paiement de l'emprunt ne se compensera plus avec la dette d'occupation des lieux ;
  • enfin, coup de grâce pour cet autre conjoint, le prononcé d'une mesure provisoire met fin à la contribution aux charges du mariage, de manière également rétroactive : il devient donc impossible de qualifier, à partir de la date d'introduction de l'instance, le remboursement de l'emprunt de contribution aux charges du mariage.
– L'incertitude quant à la rétroactivité des mesures provisoires demandées a posteriori . – Par nécessité pédagogique, nous avons préféré passer jusqu'ici sous silence une contradiction relevée par la meilleure doctrine. Le décret du 17 décembre 2019 qui est à l'origine du second alinéa de l'article 1117 du Code de procédure civile semble laisser à la discrétion du juge la rétroactivité des mesures provisoires demandées en cours d'instance. Sa rédaction contrarie les termes, pourtant clairs, de l'article 254 du Code civil qui affirment cette rétroactivité. Le lecteur consultera sur l'extension numérique du présent rapport l'exposé détaillé de cette apparente contradiction, qui, à notre sens, ne peut se résoudre qu'en faisant application des dispositions de la loi, c'est-à-dire de celles du seul article 254.

La demande de mesures provisoires postérieure à l'AOMP ou « l'audience de désorientation »

1. Depuis l'entrée en vigueur de la réforme de la procédure de divorce, applicable à toutes les instances introduites depuis le 1er janvier 2021, l'époux qui n'avait pas requis de mesures provisoires lors de l'audience d'orientation demeure en droit de les requérir ultérieurement et jusqu'à la clôture de la mise en état. L'article 254 du Code civil affirme que ces mesures sont prescrites à partir « de l'introduction de la demande en divorce ». Aucune réserve n'étant formulée au sujet des mesures provisoires demandées après l'AOMP, il n'apparaît pas que ce point de départ puisse être changé (sinon par la convention des parties, comme le permet l'article 254). Il faut donc en déduire que, même prescrites après l'AOMP, les mesures provisoires sont rétroactives.
2. Les choses se compliquent quand on lit le décret du 17 décembre 2019, pris pour l'application de cette loi, qui est à l'origine du second alinéa de l'article 1117 du Code de procédure civile. On y découvre en effet qu'en statuant, « le juge précise la date d'effet des mesures provisoires, ce dont il semble résulter que la rétroactivité des mesures provisoires est du pouvoir du juge aux affaires familiales. Le décret n'indique pas s'il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire du juge, ou s'il doit seulement répondre à une demande faite en ce sens par les parties.
3. Reprenons alors l'exemple de l'occupation exclusive par un époux du logement autrefois commun. Le liquidateur devrait tenir compte d'une possible succession de périodes d'onérosité et de gratuité. On pourrait, par exemple, imaginer :
  • qu'une première période d'occupation du logement serait onéreuse, depuis la date de demande en divorce (introduisant l'instance) jusqu'à la date de prononcé de la mesure provisoire ;
  • qu'une seconde période, gratuite quant à elle, lui succéderait, depuis cette date de prononcé de la mesure provisoire jusqu'au prononcé du divorce / ou la fin de l'occupation exclusive / ou l'arrivée plus proche d'un terme à cette période de gratuité que le juge aurait souverainement fixé ;
  • que pendant la première période, la contribution aux charges du ménage continuerait à s'appliquer, le devoir de secours ne s'y substituant qu'à compter du début de la seconde période : dès lors, s'agissant d'un logement, les créances entre époux ou contre l'indivision, et donc les ultérieurs comptes d'administration, pourront s'en voir facilement affectés.
4. On nous objectera que cette concurrence entre le texte légal et le texte réglementaire doit se trancher au profit de la loi, donc des dispositions de l'article 254 du Code civil. Mais nous sommes en matière procédurale, ce qui pourrait faire songer que la matière est exclusivement du domaine réglementaire (Const. 4 oct. 1958, art. 37), et donc dénouer la contradiction en faveur du décret ! En attendant qu'une voix autorisée se livre à ce jugement de Salomon, la confusion est grande pour les praticiens, qu'ils soient magistrats, avocats ou notaires.
5. Hypothèse ultime de la confusion. Imaginons enfin que, dans son ordonnance, le juge aux affaires familiales ne précise pas la date d'effet de la mesure provisoire. Doit-on alors pencher vers la rétroactivité ou l'immédiateté ? Sur ce point, la Chancellerie a tranché clairement en faveur de la seconde analyse, aux termes de « fiches techniques » dont elle a doté tous les chefs de juridiction après promulgation des textes. Elle y indique qu'« à défaut de précision dans l'ordonnance du juge de la mise en état, la ou les mesures provisoires porteront effets, de manière classique, à compter de la notification de l'ordonnance », et non pas au jour de l'acte introductif d'instance. Ce qui paraît contraire à la lettre de l'article 254 du Code civil …
Conditions liées au mode de détention du logement
– Cas du logement détenu au travers d'une société. – Lorsque le logement n'est pas détenu directement par les époux, mais par personne morale interposée (le plus souvent une société civile patrimoniale), l'attribution de la jouissance du logement échappe à la compétence du juge aux affaires familiales. Il ne peut, même en cas d'accord des époux en ce sens, ordonner l'attribution de la jouissance de ce logement à l'un des conjoints. Le logement appartient en effet à une tierce personne (la personne morale), totalement étrangère à la procédure de divorce, les époux n'étant propriétaires que des droits sociaux qui (hors l'hypothèse d'une société d'attribution) ne donnent pas directement vocation à la jouissance de l'actif social. Dès lors, que les époux soient ou non tous deux associés, la personnalité morale forme un écran juridique entre eux et le logement. Ce n'est qu'en présence d'un lien contractuel entre la personne morale et les époux que ces derniers peuvent disposer de la jouissance du logement : contenus statutaires, décision collective, voire bail entre la société et les occupants.

L'attribution à titre de mesure provisoire de la jouissance du logement locatif : la jouissance affectée

– Attribution du droit au bail. – Lorsque les époux sont locataires de leur logement, le juge aux affaires familiales peut se prononcer, sur le fondement de l'article 255, 4o du Code civil, sur l'attribution de la jouissance, c'est-à-dire du droit au bail, à titre de mesure provisoire.
– Rappel : la cotitularité du bail d'habitation. – Cette notion a son siège à l'article 1751 du Code civil, dont le bénéfice a été étendu aux partenaires par les grâces de la loi Alur. Revisitons-en la teneur :
« Article 1751 du Code civil
(en vigueur depuis le 27 mars 2014)
Le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l'habitation de deux époux, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu avant le mariage, ou de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, dès lors que les partenaires en font la demande conjointement, est réputé appartenir à l'un et à l'autre des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité.
En cas de divorce ou de séparation de corps, ce droit pourra être attribué, en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause, par la juridiction saisie de la demande en divorce ou en séparation de corps, à l'un des époux, sous réserve des droits à récompense ou à indemnité au profit de l'autre époux.
En cas de décès d'un des époux ou d'un des partenaires liés par un pacte civil de solidarité, le conjoint ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité survivant cotitulaire du bail dispose d'un droit exclusif sur celui-ci sauf s'il y renonce expressément. »
– Trois points remarquables. – Trois points fondamentaux se dégagent du texte :
  • en ce qui concerne les personnes, il n'existe aucune autre condition pour être cotitulaires du bail, dans le cadre du mariage, que d'être mariés, peu important la chronologie des faits entre célébration du mariage et signature du bail ;
  • de même en matière de Pacs, l'ordre des opérations importe peu, mais une condition supplémentaire s'impose aux partenaires : notifier au bailleur leur revendication de la cotitularité, à l'appui de leur état de partenaires ;
  • l'alinéa 2 de l'article 1751 du Code civil donne au juge conciliateur (ou plutôt aujourd'hui, au juge orienteur) le pouvoir d'attribuer le droit au bail à un seul des membres du couple, mais uniquement en matière de divorce ou de séparation de corps. Une telle mesure n'est donc pas concevable en présence de deux partenaires de Pacs qui saisiraient le tribunal en ce sens. Le juge aux affaires familiales peut décider que cette attribution est faite à titre onéreux, auquel cas l'occupant assumera l'entier loyer ; ou bien, à raison du devoir de secours, donc gratuitement en faveur de l'attributaire : ce qui signifie que ce dernier n'aura pas à assumer le paiement du loyer, dont la charge incombera à son conjoint.
– Des critères obligatoires. – Pour décider d'une telle attribution du bail, le magistrat est tenu de prendre en considération les critères énoncés par le texte, à savoir observer la situation particulière de chacun des époux, tenir compte de l'intérêt des enfants et notamment du maintien de leur cadre de vie auprès du parent qui assure leur hébergement à titre principal.
– Conditions relatives aux biens. – Pour que le bail, conclu avant même le mariage, sur le local devenu logement du couple soit réputé appartenir aux deux époux, l'article 1751 du Code civil exige la double condition que le droit au bail soit sans caractère professionnel et qu'il serve effectivement à l'habitation des deux époux. Ainsi, il a été jugé que les règles dérogatoires de l'article 1751 ne peuvent être étendues à la résidence secondaire, ni au logement d'époux séparés de fait qui ne l'ont jamais occupé en commun.
– Incertitudes procédurales : paiement de loyer, comme indemnité d'occupation, même combat. – Car ici comme précédemment, se poseront les mêmes questions, auxquelles la pratique devra, à l'avenir, répondre : moment de la demande de mesure provisoire (AOMP ou plus tard), possibilité ou non pour le juge aux affaires familiales de conférer un effet rétroactif, conséquences liquidatives de cette rétroactivité ou de cette synchronicité, et quid dans le silence de l'ordonnance.

L'attribution de la jouissance du logement à l'issue du divorce : la location forcée

Solution peu connue, car rarement observée en pratique : la possibilité, donnée par la loi au juge du divorce, de contraindre dans son jugement définitif l'époux qui était seul propriétaire du logement à consentir un bail à celui qui ne l'était pas, et qui vient de devenir son ex-conjoint. Sans doute les juges n'y voient-ils pas, à juste raison, le meilleur moyen de garantir l'apaisement entre deux personnes qui viennent de s'opposer dans le cadre de leur désunion : cautériser la plaie de la rupture conjugale avec le sel des relations bailleur-locataire ne sera pas souvent l'assurance d'une sérénité rapidement recouvrée.
– Un bail très dérogatoire... – Il ne s'agit plus ici d'une mesure provisoire, parmi celles envisagées par l'article 254 du Code civil, et prise pour la durée de l'instance, mais bien d'une conséquence du divorce, ordonnée par le juge (s'il en accueille la demande) aux termes de la décision finale. Il y a là une innovation tout à fait exorbitante des règles locatives de droit commun, et introduite par la loi du 22 juillet 1987.
– … conditionné par l'exclusivité du bien… – Une telle décision du juge ne peut s'appliquer que lorsque le logement est la propriété du conjoint du demandeur : en présence d'un logement indivis, elle serait irrecevable. Car alors, il appartiendrait aux ex-conjoints de liquider les droits concurrents qu'ils détiennent sur le capital, et la vulnérabilité économique n'est donc pas du tout la même que celle de l'ex-conjoint qui, avec le divorce, a perdu non seulement la vie commune mais aussi tout droit sur le logement. De plus, ce bien propre ou personnel à l'époux bailleur doit avoir constitué le logement de la famille.
– … et justifié par l'intérêt de tiers que le divorce a impactés. – Mais surtout, cette possibilité est purement gouvernée par l'intérêt des enfants, et seulement le leur. Ce qui induit que cette demande ne peut être accueillie que :
  • lorsque les enfants résident avec l'ex-époux demandeur ;
  • lorsque l'époux demandeur exerce l'autorité parentale (seul ou conjointement : si elle lui a été retirée, il sera inutile de formuler cette demande) ;
  • si les enfants sont encore mineurs : car si le juge fixe librement la durée de ce bail, c'est avec le plafond maximum du dix-huitième anniversaire du plus jeune enfant.

Les effets de l'attribution en jouissance

Effets de la jouissance attribuée à titre de mesure provisoire sur le logement appartenant aux époux

Examinons d'abord les effets juridiques et économiques (A), puis les conséquences fiscales (B).
Effets juridiques et financiers
– Principe et présomption d'onérosité. – Par principe, la jouissance privative du logement conjugal par l'un des époux au cours de la procédure de divorce, soit pour la durée de l'instance, soit seulement pour une période donnée, revêt un caractère onéreux. Ce caractère traduit le respect du droit de propriété. En effet, l'époux non occupant est tout autant propriétaire du logement que l'occupant (dans d'égales proportions ou non), et le fait pour lui d'être privé des fruits de cette propriété (jouissance personnelle ou perception d'un rendement locatif) appelle une indemnisation. Ce n'est là que l'application des règles de droit commun régissant l'indivision, venue rétroactivement se substituer aux règles du régime matrimonial sur toute la période, à l'heure de dresser les comptes d'administration et de liquidation. Ce qui fait dire à la jurisprudence qu'à défaut de précision par le juge aux affaires familiales, dans l'ordonnance aux termes de laquelle il prendrait une telle mesure provisoire d'attribution de jouissance, l'onérosité sera présumée.
– Exception de gratuité expressément formulée. – Ce n'est que si elle est expressément prévue par le magistrat, à titre d'expression du devoir de secours, que la gratuité s'appliquera, soit jusqu'au divorce (maximum), soit pour une période déterminée par le juge, et au terme de laquelle se repositionnera l'onérosité, jusqu'au divorce. Dans tous les cas, le juge aux affaires familiales indiquera également à qui incombent les charges de jouissance du logement, dont les charges de copropriété ou de lotissement, quand celui-ci fait partie d'un ensemble collectif.
– Modalités de l'onérosité. – Si la jouissance n'est pas attribuée à titre gratuit, ou si le magistrat statue expressément sur une jouissance à titre onéreux, une indemnité correspondante sera ordonnée en faveur de l'autre époux (si le bien lui appartient) ou de l'indivision (si le bien appartient aux deux).

À vos calculettes : modalités de détermination d'une indemnité d'occupation

1. À défaut d'accord amiable sur le montant d'une indemnité d'occupation, le notaire chargé de procéder aux opérations de comptes, liquidation et partage sera amené à prendre parti, si besoin après sollicitation d'un sapiteur. Si son appréciation est contestée par l'un des indivisaires, le juge devra se prononcer à cet égard.
2. L'indemnité est habituellement déterminée sur la base de la valeur locative du bien, affectée d'un coefficient de décote pour tenir compte de la précarité de la situation. En effet, l'occupant ne jouit pas des mêmes protections légales qu'un locataire, et en théorie, un divorce vite prononcé et un partage d'indivision rondement mené pourraient le contraindre à quitter les lieux sans délai.
3. Cependant, les magistrats disposent d'un pouvoir souverain d'appréciation (que la Haute Cour leur impose d'ailleurs d'exercer pour justifier leur décision au regard de la valeur locative), au regard de la situation concrète (état du bâtiment, situation professionnelle et familiale de l'occupant, personnes à charge…), en vue d'appliquer ou de ne pas appliquer de coefficient de décote, et dans l'affirmative, d'en fixer le taux. En pratique, la pondération habituelle est souvent égale à 20 % de la valeur locative, mais elle peut très bien être moindre ou supérieure.
4. Une précision s'impose à ce stade, et commande de bien distinguer entre valeur et montant de l'indemnité d'occupation. Au stade de l'ordonnance sur mesures provisoires, et dans le cas où le principe de l'onérosité est retenu, seule est fixée la valeur de l'indemnité. Son montant, lui, ne peut pas l'être, puisqu'il est fonction de la durée de l'occupation, et des correctifs pouvant résulter des règles déjà évoquées (V. supra, no ) : rétroactivité (de principe) de la mesure, gratuité prononcée en tout ou partie au titre de la contribution aux charges du mariage, et absence de prescription quinquennale entre époux. C'est seulement lors des opérations de liquidation et de partage que le montant final sera déterminé, tant au regard de la valeur fixée, que de son éventuelle décote, et de la durée pendant laquelle elle aura couru.
5. Or cette durée peut peser très lourd dans l'équation. Si la procédure se prolonge, à coups d'incidents, de mesures d'expertises et d'appel, plusieurs années peuvent s'écouler entre l'introduction de l'instance et le jour où le divorce acquiert force définitive de chose jugée. Aussi en 2015, dans une perspective de prévisibilité contrôlée, le 111e Congrès des notaires de France avait proposé de plafonner ces indemnités à une durée maximum de cinq ans. Voilà bien un point où s'affrontaient les deux conceptions, le logement-propriété ou le logement-droit. Après débats, la proposition ne fut pas adoptée. Force est de constater que depuis la réforme procédurale entrée en vigueur le 1er janvier 2021, et pour les raisons déjà évoquées, le montant de l'indemnité d'occupation est encore moins prévisible qu'il ne l'était en 2015, de sorte que, corrélativement, le déficit de sécurité juridique alors constaté s'est encore accru : nos prédécesseurs auraient-ils eu le tort d'avoir raison trop tôt ?
– Indifférence du caractère effectif de l'occupation. – Précision d'importance : même si, en définitive, il n'occupe pas réellement le logement dont la jouissance lui avait été attribuée (déplacement professionnel, emménagement dans le cadre d'une nouvelle vie amoureuse, etc.), le conjoint bénéficiaire reste néanmoins redevable de l'indemnité d'occupation, sauf pour lui de prouver :
  • que son occupation n'est pas exclusive, son conjoint disposant également de la possibilité de résider, même irrégulièrement, dans les lieux ;
  • qu'il a quitté les lieux, et mis l'autre conjoint en mesure de pouvoir jouir lui aussi des lieux (remise des clés).
– Effets de l'attribution en jouissance sur la protection du logement de l'entrepreneur individuel. – Le logement de l'entrepreneur individuel, à l'issue de la profonde réforme opérée par la loi Griset du 14 février 2022 sera abordé plus loin. Qu'il nous soit simplement permis ici, en rapport avec la question des mesures provisoires dont un logement peut faire l'objet au moment du divorce de ses occupants, de souligner les conséquences potentielles d'une telle mesure quant à l'insaisissabilité dont ce logement fait légalement l'objet s'il constitue la résidence principale de l'entrepreneur. Dans un arrêt du 18 mai 2022, la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser l'imbrication entre l'article L. 526-1 du Code de commerce, qui organise cette insaisissabilité, et l'article 255, 4o du Code civil. Dans une affaire où l'entrepreneur et son épouse divorçaient, le juge aux affaires familiales avait ordonné, à titre de mesure provisoire, leur résidence séparée, et attribué à madame la jouissance du domicile. Frappé ensuite d'une procédure collective dans le cadre de son activité, ledit entrepreneur vit ses créanciers poursuivre la saisie de ce logement. Une cour d'appel crut pouvoir débouter ces derniers au motif que l'attribution de la jouissance exclusive du logement familial à l'épouse ne pouvait déclencher d'effets sur les droits que détenait monsieur sur ce bien, ni sur l'insaisissabilité légale. Raisonnement qu'a censuré la Haute Cour, estimant au contraire que par le fait même de cette attribution, la résidence principale de l'entrepreneur n'était plus fixée dans le logement considéré, rompant de ce fait les conditions requises par l'insaisissabilité légale.
– Pas de relation entre l'attribution en jouissance et la prestation compensatoire. – Cette attribution provisoire en jouissance du logement influe enfin sur une autre conséquence, définitive celle-là, d'un jugement de divorce : la prestation compensatoire, quand celle-ci est décidée. Dans une affaire où l'épouse jouissait gratuitement de l'ex-logement commun, à titre de devoir de secours, depuis sept ans (illustration de ce que nous évoquions plus haut, à savoir les durées non négligeables que de telles mesures provisoires peuvent connaître selon l'extension de l'instance...), les juges d'appel en tirèrent motif pour rejeter sa demande de prestation compensatoire, estimant que l'avantage qu'elle avait retiré de cette gratuité de logement pendant toute la durée de l'instance l'avait suffisamment protégée contre la disparité économique que la rupture créait entre les époux. Mal leur en prit, puisque conformément à sa jurisprudence déjà fermement établie, la Cour de cassation dans son arrêt du 13 avril 2022 annula la décision, fulminant que le juge du divorce ne doit fixer la prestation compensatoire qu'en tenant compte de la situation des époux au moment du divorce, donc sans prendre en considération l'avantage accordé à un conjoint pendant l'instance au titre du devoir de secours qui lui restait dû.
– Concurrence entre articles 254 et 217 du Code civil. – Dernière précision, mais d'importance : hors les contributions aux charges du mariage auxquelles elles substituent le devoir de secours, les mesures provisoires ne peuvent mettre fin, à l'application du régime primaire impératif, qui dure tant que dure le mariage. C'est pourquoi il a été jugé que l'attribution, à titre provisoire, de la jouissance du domicile conjugal à l'un des époux par le juge, ne fait pas obstacle à une autorisation judiciaire de vente du logement familial à la demande de l'autre époux en application de l'article 217 du Code civil. En l'espèce, il s'agissait de réaliser la vente pour ne pas aggraver un déficit et parvenir à une gestion plus saine, ce que les juges ont estimé conforme à l'intérêt familial même si l'autre conjoint avait obtenu le droit à la jouissance exclusive des lieux à titre de mesure provisoire.
Conséquences fiscales
– Distinction selon le caractère onéreux ou gratuit de l'attribution. – Les conséquences fiscales de l'attribution du logement familial à l'un des époux, au titre des mesures provisoires, dépendent du caractère gratuit ou non de cette attribution. La loi fiscale n'a jamais émis aucune règle spécialement dédiée à cette question, et n'a jamais jugé bon de doter d'un régime à part le traitement de l'attribution du logement familial au titre des mesures provisoires. L'imposition est donc effectuée selon des principes généraux, qui, en la matière, vont souvent s'avérer peu adaptés, et considère des faits générateurs hors-sol et bien souvent déconnectés des flux réels. On s'étonne de constater que ces particularités fiscales sont le plus souvent méconnues des époux, sinon de leurs conseils. Ces derniers feront bien de délivrer une information claire et de se ménager la preuve de l'accomplissement de ce devoir.
Cas où une indemnité d'occupation a été octroyée en contrepartie de la jouissance du logement
Lorsque la jouissance du logement a été attribuée à titre onéreux, il y a lieu d'appliquer les règles exposées en 2019, à l'occasion d'une réponse ministérielle à Mme de La Raudière commentée par M. Douet, et qui repose sur un principe bien connu : en l'absence de disposition particulière, le droit fiscal doit suivre le droit commun.
Question parlementaire de Mme Laure de La Raudière, et réponse du ministre de l'Action et des Comptes publics :
https://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-21788QE.htm">Lien
– Revenu locatif meublé et comptabilité commerciale. – La problématique est la suivante : le plus souvent, le logement familial sera attribué en étant garni de son mobilier. De ce fait, il s'agit pour le droit fiscal d'un revenu tiré d'une location meublée, sauf à prouver que le logement a été vidé avant son attribution en jouissance, ou que le mobilier qui s'y trouve appartient exclusivement à l'époux attributaire. Si tel devait être le cas, alors l'indemnité d'occupation serait imposable dans la catégorie des revenus fonciers.
Dans l'hypothèse la plus fréquente, celle où la jouissance du logement est attribuée avec son entier mobilier (appartenant communément aux deux époux, ne serait-ce que par présomption), entraînant du coup une imposition catégorisable dans les BIC non professionnels, l'époux créancier de l'indemnité d'occupation se retrouve confronté :
  • aux obligations déclaratives afférentes à cette catégorie d'imposition, relatives à la détermination du mode d'imposition de l'indemnité d'occupation (« micro-BIC » ou régime réel simplifié) ;
  • mais surtout aux spécificités de comptabilité commerciale, comptabilité d'engagement contraignant à déclarer le revenu dès que le droit est né de le percevoir, que cette perception soit effective ou non ; alors que dans la majeure partie des cas il n'encaissera aucunement le montant de cette indemnité de manière immédiate et régulière, puisqu'au contraire elle est capitalisée dans les comptes d'administration, et son paiement effectif sera soit compensé avec d'autres créances en sens inverse, soit différé à plus ou moins long terme (jusqu'à la date des comptes finaux et du partage).
On entrevoit, en outre, que le cumul de ces obligations fiscales, avec la potentielle succession de périodes d'onérosité et de gratuité, évoquée plus haut, pourrait contraindre le contribuable, au gré des étapes de la procédure, à établir d'improbables déclarations rectificatives sur ses BIC.
– Revenu locatif nu et comptabilité de caisse. – S'il est établi que l'époux créancier n'est propriétaire d'aucune quote-part sur les meubles garnissant le logement dont la jouissance est attribuée, l'indemnité dont il est créancier devient imposable dans la catégorie des revenus fonciers. La comptabilisation des revenus y est différente : c'est cette fois sur la base d'une comptabilité d'encaissement que le revenu foncier imposable est déterminé. Dès lors, il devient possible à l'époux non occupant de ne faire apparaître parmi ses revenus fonciers l'indemnité dont il est créancier qu'au titre de l'année de sa perception effective, c'est-à-dire uniquement lors du dénouement des opérations de comptes, liquidation et partage. Auquel cas, s'il perçoit tout ou partie de cette indemnité en trésorerie, il pourra utiliser la fraction nécessaire de celle-ci pour acquitter l'impôt ; et si par suite d'opérations de compensations diverses il n'en perçoit rien, alors il ne sera pas imposé. Voilà bien un sujet rare où le régime des revenus fonciers est plus avantageux que le paradis fiscal présumé des BIC !

Attribution de la jouissance du logement lors d'un divorce

<strong>Point d'attention fiscal en direction des praticiens</strong>

Il pourrait être de bonne pratique pour les conseils des époux de préconiser auprès de ces derniers le partage préalable du mobilier (sauf à différer le paiement de la soulte à la clôture de la liquidation globale), ou la reconnaissance que celui-ci fait l'objet d'une reprise de propres par l'époux attributaire de la jouissance exclusive provisoire. Certes, cela impliquera la perception du droit de partage, dès lors que pour se ménager une preuve du caractère « nu » du revenu locatif, il faudra bien un écrit, déclenchant par là même ce droit d'acte. Mais, d'une part, il aurait été dû plus tard de toute façon au moment du partage global ; d'autre part, son taux en matière de divorce est revenu dans le lit de la raison ; de troisième part, pour de très nombreux cas l'assiette demeurera modeste s'agissant des meubles meublants.

– Pas de déduction chez le débiteur. – Last but not least, dans la réponse ministérielle susvisée, le représentant de Bercy précise bien que cette indemnité, si elle est ainsi taxable chez le créancier, n'est aucunement déductible chez le débiteur, au motif que, par application des dispositions du 2o du II de l'article 156 du Code général des impôts, le versement d'une telle indemnité ne résulte pas de l'exécution d'une obligation alimentaire : elle ne fait que représenter la contrepartie de la jouissance privative du bien. Par suite, l'ex-conjoint qui la verse ne peut la déduire de son revenu global.
Cas où la jouissance gratuite provisoire a été octroyée gratuitement
Les conséquences fiscales de cette hypothèse sont mieux connues, quoiqu'elles aussi curieusement peu pratiquées par les époux, semble-t-il. Dans de tels contextes, prenons garde de bien les informer de règles peu intuitives pour eux, et de nous conserver la trace de cette information.
Devoir de secours et pension alimentaire en nature. En effet, toujours par application du principe de superposition du fiscal au civil, l'attribution en jouissance du logement familial au profit d'un époux et à titre gratuit, donc au titre de l'exercice du droit de secours dont son conjoint lui est par hypothèse débiteur, s'analyse en un avantage en nature constitutif d'une pension alimentaire. L'époux occupant devra donc déclarer dans son imposition personnelle une somme qu'il ne perçoit pas, mais censée s'être fictivement annulée avec l'indemnité d'occupation dont sans cela, il aurait dû par principe s'acquitter. Et ici, c'est dans une autre catégorie de l'IR qu'elle sera imposable entre les mains de l'époux occupant, puisqu'elle devra être déclarée dans la catégorie des pensions et rentes viagères (CGI, art. 158, 5, a). Corrélativement, le montant de cet avantage sera déductible du revenu brut global de l'époux non-occupant (CGI, art. 156, II, 2o). Ce mécanisme implique donc que contrairement à certains réflexes, il soit essentiel pour les époux de connaître la valeur locative de leur logement même quand le juge aux affaires familiales aura accepté de prononcer une mesure d'attribution à titre gratuit, de manière à pouvoir, après éventuelle pondération comme exposé précédemment, l'intégrer correctement à ces démarches déclaratives.
Le volant d'avantage en nature à déclarer. La déclaration portera sur la totalité de cette valeur locative pondérée si le logement appartient intégralement à l'autre époux ; s'il dépend d'une communauté de biens, la moitié de cette valeur locative devra être prise en compte ; et s'il dépend d'une indivision, l'avantage en nature devra être déclaré au prorata de la quote-part indivise détenue par le conjoint non occupant.
Dans tous les cas, le sujet de l'IFI
– Impôt sur le capital, non sur le rendement. – Il convient de sensibiliser les époux, et surtout celui qui va en être attributaire, sur le fait que la jouissance d'un bien peut parfois représenter une valeur supérieure au seuil de l'imposition sur la fortune immobilière. La simple inflation des prix de l'immobilier, constatée de manière générale depuis plus de vingt ans, peut en effet attribuer au logement en cause une valeur vénale supérieure à la limite d'un million trois cent mille euros, même après déduction de l'abattement de 30 % dont bénéficie l'estimation de la résidence principale. La loi fiscale ménage ici quelques chausse-trappes dont le lecteur trouvera le détail sur l'extension numérique du présent rapport.

Attribution en jouissance du logement et impôt sur la fortune immobilière

1. Quelle imposition commune après introduction d'une instance en divorce ? En principe, les couples mariés font l'objet d'une imposition commune en matière d'IFI, puisqu'ils forment un foyer fiscal. L'assiette de cet impôt est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l'année, de l'ensemble des biens et droits immobiliers imposables appartenant aux époux et aux enfants dont ils sont administrateurs légaux (CGI, art. 965). Ce n'est donc, suivant les mêmes principes, qu'à partir du 1er janvier suivant l'année au cours de laquelle leur divorce a été prononcé que les ex-époux font l'objet d'impositions distinctes en matière d'IFI. Rappelons toutefois que, comme en matière d'IR, les époux peuvent faire l'objet d'une imposition séparée même sans prononcé d'un divorce. Il s'agit des cas visés aux alinéas a et b de l'article 6, 4o du Code général des impôts, c'est-à-dire ceux où :
  • les époux sont séparés de biens et ne vivent pas sous le même toit (CGI, art. 6, 4, a) ;
  • les époux sont en instance de divorce et ont été autorisés judiciairement à résider séparément (CGI, art. 6, 4, b).
Le cas qui nous occupe dépend précisément de la situation visée à l'alinéa b.
2. Imposition du logement à l'IFI. L'article 973 du Code général des impôts organise un abattement de 30 % sur la valeur vénale réelle de l'immeuble occupé à titre de résidence principale. En cas d'imposition commune, un seul immeuble par foyer est susceptible de bénéficier de cet abattement, puisqu'il n'y a qu'un seul logement familial. Mais dès lors que les époux font l'objet d'impositions distinctes en matière d'IFI, par exemple parce qu'à l'occasion d'une mesure provisoire prononcée au stade de l'AOMP ou plus tard, alors l'abattement de 30 % est ouvert à chacun d'eux sur la valeur vénale de sa propre résidence principale.
3. Imposition de la jouissance du logement. Les règles inhérentes à l'IFI prévoient que les actifs imposables grevés d'usufruit ou d'un droit d'usage ou d'habitation sont, sauf trois stricts cas d'exceptions, imposés dans le patrimoine de l'usufruitier pour leur valeur en pleine propriété. La doctrine fiscale estime que la constitution d'un droit d'usage ou d'un droit d'habitation opère un démembrement de propriété analogue à celui que réalise l'usufruit. De ce fait, et pour ce qui concerne l'IFI, le bénéficiaire d'un droit d'usage ou d'un droit d'habitation doit en principe, comme en matière d'usufruit, inclure dans son patrimoine la valeur en pleine propriété du bien sur lequel porte son droit. Or, comment ne pas assimiler l'attribution en jouissance ordonnée judiciairement comme la constitution (forcée) d'un droit d'usage et d'habitation ? Aussi, le conjoint attributaire de la jouissance provisoire du logement devra-t-il, pendant toute la durée de celle-ci, déclarer dans son patrimoine la valeur en pleine propriété du logement considéré, et régler l'IFI correspondant, sans pouvoir revendiquer ici le caractère de charge indivise, comme ce qui a pu être admis pour la taxe d'habitation. Acquitter seul les annualités de cet IFI ne saurait le rendre titulaire d'une quelconque créance ultérieure à ce titre contre son conjoint, au moment des comptes d'administration.

Effets de l'attribution à titre de mesure provisoire sur la jouissance du logement locatif

– Attribution à titre gratuit ou onéreux. – Comme lorsqu'il est en présence d'un logement appartenant aux époux, le magistrat peut décider de consentir à une attribution à titre onéreux, auquel cas l'occupant assumera l'entier loyer ; ou au contraire à titre gratuit : auquel cas l'époux attributaire n'aura pas à assumer le paiement du loyer, dont la charge à son conjoint.
– Inopposabilité au tiers propriétaire. – L'ordonnance du juge aux affaires familiales prononcée dans le cadre du divorce des époux ne peut avoir d'effet à l'égard des tiers. C'est pourquoi, nonobstant la décision du juge au titre des mesures provisoires, chaque époux reste solidaire du paiement des loyers à l'égard du bailleur, dans l'hypothèse où l'autre conjoint, pour une quelconque raison, ne s'en acquitterait pas. Le bailleur pourra donc parfaitement se retourner contre l'un et l'autre. Ces règles traduisent tout autant un principe de droit des contrats que la rémanence du régime primaire malgré l'instance, et plus particulièrement de l'article 220 du Code civil, qui organise la solidarité légale des époux pour le paiement des dettes ménagères. Or, la dette de loyer étant contractée pour l'entretien du ménage, elle constitue une dette ménagère couverte non pas seulement par la nécessaire contribution aux charges du ménage prévue à l'article 214 – dont on a vu le reflux à partir du moment où des mesures provisoires étaient ordonnées par le magistrat orienteur –, mais aussi par l'obligation solidaire de l'article 220 du Code civil. Par conséquent, même s'il a donné congé en son nom personnel, l'époux qui a abandonné le domicile conjugal est tenu solidairement avec son conjoint du paiement des loyers avec l'époux occupant, jusqu'à la fin du bail qui ne pourra résulter que d'un accord des deux titulaires de celui-ci, ou jusqu'à la date à laquelle le jugement de divorce sera devenu opposable aux tiers, par suite de l'accomplissement des formalités prescrites à l'article 262 du Code civil. Relevons enfin que la jurisprudence a élargi le champ de cette solidarité à toutes les obligations nées du bail : paiement du loyer certes, mais aussi des charges locatives, ou de l'indemnité due pour dégradations des locaux loués.
– Conséquences fiscales. – Il n'y en a aucune ici, hormis la redevabilité de la (défunte) taxe d'habitation ne concernant plus que l'époux attributaire du droit au bail. Cela dit, à défaut de règlement, la solidarité des deux époux se vérifie également à l'égard du fisc, contre qui la fin de la cotitularité ne sera opposable que dans les conditions rappelées ci-dessus (à compter des formalités de publication du divorce).

L'attribution de la propriété du logement

L'attribution du logement en propriété ne relève pas des mesures provisoires, mais bien des conséquences définitives du divorce et de la séparation, à l'effet desquelles le juge est doté d'instruments légaux lui permettant d'agir sur la propriété du logement. Dans une perspective de partage, il peut être amené à trancher sur les demandes, éventuellement concurrentes, des époux sur l'attribution préférentielle du logement (Sous-section II). En tant que juge du divorce et non du partage, il peut aussi être amené à prononcer une véritable expropriation à l'encontre de l'époux propriétaire du logement, si la valeur de celui-ci constitue le seul moyen d'acquitter le montant de la prestation compensatoire éventuellement due à l'autre conjoint (Sous-section III). Mais rien n'oblige au partage lorsque les ex-époux conviennent, malgré la fin de leur vie commune, de maintenir ce logement en indivision (Sous-section I).

Le maintien du logement en indivision

– Le partage est un droit, n'excluant pas le choix du non-partage. – « Nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et le partage peut être toujours provoqué » : la sentence bien connue de l'article 815 du Code civil est presque devenue une maxime. Dans le cas des époux, une fois l'indivision de droit commun créée par le divorce (avec effet rétroactif, en ce qui les concerne tous les deux, à la date de la demande en divorce, désormais), chacun peut donc, sans attendre, déclencher les opérations de partage : amiablement si possible et dans un premier temps, judiciairement à défaut, à travers une autre instance. Aucune exclusion ne le touche, aucune motivation particulière ne doit conditionner la demande en partage, lequel est un droit légal pour tous. Mais le même article poursuit : « … à moins qu'il n'y ait été sursis par jugement ou convention ».
– Un acte écrit et solennel. – À condition d'y consentir d'un commun accord, par écrit, et en consignant dans cet écrit la nature des biens concernés et leurs quotes-parts respectives de détention, les ex-époux peuvent donc décider de ne pas partager. S'appliquant à un bien immobilier, elle sera nécessairement soumise à publicité foncière.

La convention d'indivision doit être publiée

La publicité foncière d'une convention d'indivision est chose importante à rappeler, car parfois oubliée. Il ne paraît pas possible de s'en dispenser, en arguant qu'elle présenterait peu d'intérêt pour l'opposabilité aux tiers, dans la mesure où la convention ne s'accompagne d'aucune mutation de quotes-parts de propriété. Il semble bien que la loi ait fait de la publicité foncière une condition, dont on pourrait se demander si elle n'est pas essentielle, et donc édictée à peine de nullité de la convention.

– Rappel des principales caractéristiques d'une convention d'indivision. –
  • Durée : l'article 1873-3 du Code civil autorise une durée indéterminée… Le droit au partage peut alors être invoqué à tout moment, par n'importe lequel des indivisaires pourvu que ce ne soit pas de mauvaise foi ou à contretemps. Il autorise aussi une durée déterminée, dont les indivisaires ne pourront s'affranchir autrement que d'un commun accord pour y mettre fin, et seulement pour juste motif. La durée maximum d'une telle convention sera de cinq années, au terme de laquelle chacun retrouvera la liberté soit de demander le partage, soit de conclure avec l'autre un renouvellement de la convention.
  • Gestion : l'article 1873-5 du Code civil permet de désigner un gérant de l'indivision, parmi les indivisaires ou en la personne d'un tiers, qui aura pouvoir d'administrer le bien, jusqu'à la fin de sa gérance ou de la convention. À défaut, ils seront tous deux gérants. L'article 1873-10 prévoit que le gérant aura droit, sauf accord contraire, à une rémunération pour sa gestion, laquelle doit être décidée par les indivisaires sans participation du gérant désigné à la décision ; dans le cas de notre couple, c'est donc l'ex-conjoint du gérant qui doit fixer sa rémunération.
  • Indemnité d'occupation ou non : s'il est convenu que l'un des indivisaires occupe les lieux, les parties à cette convention pourront utiliser celle-ci pour définir les conditions de cette occupation, notamment financière, ou au contraire pour déroger à l'article 815-9 du Code civil, et stipuler une gratuité.
– Motivations. – En pratique, ce choix du non-partage peut être retenu pour des raisons variées, notamment pour temporairement préserver un cadre de vie pour de jeunes enfants en attendant qu'ils grandissent et qu'il soit plus simple de vendre, ou éviter la cession d'un bien à un moment jugé inopportun (marché non porteur, emprunt en cours chargé d'un risque de change, etc.). Mais rester unis par les biens alors qu'on a souhaité rompre ses liens de vie demeure une décision plus marginale que celle de partager, afin de trancher les liens à tous égards. Ce partage, s'il s'établit de manière amiable, n'a guère à être évoqué ici, où nous étudions les dispositifs légaux conçus pour la pérennité du logement, lorsque les litiges entre ses occupants pourraient le mettre à mal. Nous examinerons donc ci-après les moyens légaux de partage du logement, dans le cas d'une instance judiciaire.

Le régime de l'attribution préférentielle applicable à la séparation du couple

– Partage pour une égalité en valeur. – En l'absence d'accord amiable des indivisaires, le partage est ordonné par le juge saisi, qui commet alors un notaire pour y procéder. Après avoir déterminé les droits des parties en présence, le notaire devra composer les lots, en tenant compte désormais seulement d'une égalité en valeur , depuis la réforme du 23 juin 2006. Cette composition des lots respectifs peut alors s'effectuer par attribution préférentielle.
– Cas particulier des annexes de propres. – Une attribution préférentielle spécifique est organisée pour le partage post-communautaire, aux termes de l'article 1475, alinéa 2 du Code civil : « Si un immeuble de la communauté est l'annexe d'un autre immeuble appartenant en propre à l'un des conjoints, ou s'il est contigu à cet immeuble, le conjoint propriétaire a la faculté de se le faire attribuer par imputation sur sa part ou moyennant soulte, d'après la valeur du bien au jour où l'attribution est demandée ».
– Une attribution jamais de droit, et toujours à plaider. – Le régime général de l'attribution préférentielle dans le cadre d'un partage post-communautaire est, comme l'indique l'article 1476 du Code civil, calqué sur celui applicable en matière de succession, que nous aborderons tout prochainement. Notons seulement qu'en matière d'indivision post-communautaire, l'attribution du logement n'est jamais de droit, contrairement à ce qui se produit au profit du conjoint survivant dans un partage successoral. Sous cette réserve de l'appréciation du juge du partage, toujours souveraine ici, l'attribution préférentielle peut être sollicitée pour toute entreprise ou titres sociaux, et pour le logement.
– Transfert de propriété à l'acte, non pas au jugement. – Il est important de souligner que même prononcée par le tribunal, l'attribution préférentielle n'opère pas le transfert de propriété en faveur de l'attributaire : le jugement ne constituera pas pour lui un transfert de propriété, mais le moyen d'exiger cette mutation à son profit, aux termes de l'acte de partage qui demeure nécessaire pour la constater. C'est l'acte de partage définitif, et lui seul, qui donnera ses effets à l'attribution préférentielle (C. civ., art. 834, al. 1er).
Pour le cas du logement, l'ex-conjoint demandeur doit justifier :
  • d'une occupation effective des lieux (C. civ., art. 831-2), sauf le cas avéré de violences conjugales qui l'aurait contraint à quitter le logement conjugal ; circonstance dans laquelle il ne perdra pas son droit à attribution préférentielle ;
  • des fonds suffisants pour acquitter la soulte rendue le cas échéant nécessaire pour racheter les droits de l'ex-époux. C'est un point important car le juge doit apprécier les intérêts en présence avant de décider de l'attribution, et il peut la refuser si le conjoint demandeur présente une situation financière précaire.
– Le poids de la soulte au comptant. – En effet, le bien attribué préférentiellement est inscrit au lot de l'époux demandeur, pour sa valeur au jour du partage (C. civ., art. 832-4). Si cette valeur excède la part du demandeur, il devient débiteur d'une soulte à hauteur de la partie excédentaire. Cette soulte doit en principe être acquittée au comptant, au moment du partage (C. civ., art. 832-4), les seuls cas d'atermoiement prévus par la loi concernant l'attribution préférentielle de l'entreprise. La Cour de cassation a rappelé à diverses reprises, notamment dans un arrêt du 5 avril 2005, que les juges du fond ne peuvent subordonner le bénéfice de l'attribution préférentielle au paiement d'une soulte : ce serait assortir le droit de demander l'attribution préférentielle d'une cause de déchéance non prévue par la loi.
– Un droit de repentir. – Un délai certain peut parfois s'écouler entre la décision judiciaire ayant validé l'attribution préférentielle et l'achèvement des opérations de liquidation et de partage. Entre-temps, l'attributaire peut être conduit à changer d'avis (mutation professionnelle, évolution des conditions de vie, etc.) ; ou encore la valeur du bien peut avoir progressé de façon plus ou moins importante, et c'est bien cette valeur actuelle (et non celle observée à l'époque du jugement) qui déterminera la soulte mise à sa charge. Son plan de financement peut s'en trouver mis à mal. C'est pourquoi tant que l'acte de partage n'est pas signé, l'alinéa 2 de l'article 834 du Code civil ménage une échappatoire à l'attributaire : si la valeur du bien, telle que déterminée au jour de l'attribution, a augmenté de plus du quart au jour du partage indépendamment de son fait personnel, et seulement dans ce cas, il disposera du droit d'y renoncer.
– L'écueil du financement. – L'attribution préférentielle peut assurer une protection efficace du logement familial, mais elle suppose que le conjoint demandeur soit suffisamment doté financièrement pour assumer le paiement d'une soulte, ou que le patrimoine partagé comprenne d'autres actifs suffisamment conséquents pour allotir le copartageant. Or, nous avons vu et reverrons que le patrimoine des Français est le plus souvent composé d'un logement de manière très prépondérante. Dans un marché tendu comme celui qui se rencontre aujourd'hui en bien des lieux, il est fréquent qu'aucun des époux ne dispose de moyens financiers suffisants pour racheter les droits de son ex-conjoint. Le règlement de la soulte peut cependant être neutralisé par sa compensation totale ou partielle avec une prestation compensatoire dont l'attributaire serait le créancier. Précisément, le logement peut faire l'objet d'une cession forcée à l'époux créancier d'une prestation compensatoire en capital, en application des dispositions de l'article 274 du Code civil.

Le logement comme mode de paiement en nature de la prestation compensatoire

– Halte aux procédures sans fin. – Conscient du caractère délétère des relations entre ex-époux tenus par d'interminables rapports de créanciers et débiteurs au titre de prestations compensatoires payables sous forme de rentes (comme c'était le principe sous l'empire de la loi du 11 juillet 1975), le législateur a voulu se saisir définitivement de cette intarissable source de « contentieux en second ». Le meilleur moyen de la tarir parut donc de substituer au principe d'un versement sous forme de rente, celui d'un versement en capital. Le virage s'est amorcé en ce sens avec la loi du 30 juin 2000, puis s'est confirmé lors de la réforme générale du divorce opérée par la loi du 26 mai 2004. À cette occasion, réécrivant l'article 270 du Code civil, le législateur affirma avec une force peu commune à quel point le capital était désormais le principe. S'exprimant à l'indicatif, il y précise sans ambages que la prestation a un caractère forfaitaire, qu'elle prend la forme d'un capital et que, faute d'accord entre les époux, son montant est fixé par le juge. C'est dans cette logique que l'attribution de biens en nature (C. civ., art. 274) a été conçue comme l'une des formes que peut prendre la prestation compensatoire acquittée en capital, afin de couvrir notamment les hypothèses où le débiteur de la prestation, non suffisamment garni en liquidités pour l'assumer pécuniairement, pourrait s'en libérer au moyen de biens, ou parties de biens, ou de droits, dont il serait propriétaire. Le logement, ou la fraction que le débiteur détient dans ce logement, se retrouvera souvent en première ligne, comme étant souvent la valeur la plus susceptible de combler les manques.
– Tous les droits réels peuvent être utilisés, y compris la propriété. – Cet abandon par le débiteur d'une prestation compensatoire peut porter sur la propriété, ou sur des droits démembrés : droit d'usage ou d'habitation, usufruit, viager ou à durée déterminée. Lorsqu'il est prononcé pour la pleine propriété, il équivaut à une expropriation pour cause de prestation compensatoire. Cependant, quand le bien sur lequel porte l'attribution en propriété provient d'une succession ou donation recueillie par le débiteur, l'accord préalable du débiteur est requis. Si, en revanche, le juge décide d'attribuer un droit démembré au conjoint, il peut statuer en ce sens, que le propriétaire soit d'accord ou non. En pratique, cependant, si le bien provient d'une donation, il est possible que le juge se heurte, en tous cas si le donateur est toujours vivant, aux clauses d'inaliénabilité fréquemment stipulées.
– Limitations. – Une limite générale a été apportée à ce pouvoir d'expropriation : le caractère subsidiaire de l'abandon de biens, censé ne s'imposer que pour pallier l'insuffisante capacité en trésorerie du débiteur. La Cour de cassation, dans un arrêt du 28 mai 2014, se référant à une décision du Conseil constitutionnel du 13 juillet 2011, a rappelé que l'attribution forcée de biens ne peut être ordonnée que lorsque le juge a constaté que le versement d'une somme d'argent et la constitution de garanties étaient insuffisants pour garantir le versement de la prestation compensatoire. Au surplus, la décision doit comporter des mentions obligatoires dont le lecteur trouvera le détail sur l'extension numérique du présent rapport. Il importe de souligner qu'à notre avis, et compte tenu de la protection constitutionnelle du droit de propriété, la même motivation et les mêmes mentions doivent figurer dans toute convention procédant amiablement à une telle attribution.

Mentions obligatoires de la décision emportant attribution forcée du logement ou de la convention d'effet équivalent

1. C'est l'article 1080 du Code civil qui précise les mentions que la décision emportant l'attribution forcée (ou, à notre sens, la convention des époux statuant amiablement sur ce mode de paiement) doit contenir. À savoir :
  • s'il s'agit d'un bien ou d'un droit réel soumis à publicité foncière, ce qui sera le cas en présence d'un logement, elle doit inclure les mentions nécessaires à la publication du titre de propriété dans les formes prévues par le décret no 55-22 du 4 janvier 1955 ;
  • et dans tous les cas, elle doit faire figurer l'évaluation pour laquelle le ou les biens ou droits ont été retenus.
2. Sur ce dernier point, on perçoit l'une des raisons pour lesquelles la loi du 26 mai 2004 avait eu la pertinence de rassembler toutes les mesures provisoires, parmi lesquelles les mesures d'instruction prévues aux 9o et 10o de l'article 255, autour d'un tronc commun, afin d'en assurer la cohérence d'ensemble autant que possible au cours de l'instance en divorce. Le but était que le juge chargé de se prononcer, comme il est tenu de le faire, sur l'existence, le montant, et les modalités de paiement de la prestation compensatoire, puisse le faire avec la meilleure lisibilité possible fournie en amont sur le patrimoine et les capacités des époux, alors même que la liquidation du régime matrimonial et le partage ne sont pas encore arrêtés à ce stade. En effet, évaluer le ou les biens susceptibles de faire l'objet de cet abandon, comme d'ailleurs évaluer tous les autres aspects chiffrés voués à entrer dans les paramètres d'appréciation de la prestation compensatoire (C. civ., art. 271), devrait être facilité par une combinaison heureuse des mesures prononcées au titre de ces deux alinéas, en les confiant ou non au même professionnel, mais avec une simultanéité propice à une analyse globale. Il est dommage qu'en pratique cette combinaison ne soit pas plus utilisée, sans doute pour des raisons, réelles ou supposées, de coût et de délais intercalaires.
3. Cet audit préalable serait d'autant plus opportun dans l'hypothèse qui nous occupe qu'une fois retenue par le juge dans sa décision, l'estimation des biens ou droits ainsi cédés acquiert l'autorité de chose jugée et n'est plus susceptible de remise en cause. Il en résulte que les règles de protection contre la lésion (C. civ., art. 889) n'ont pas vocation à s'appliquer, même si l'ex-époux bénéficiaire de la cession ou attribution venait à choisir de revendre les actifs considérés (le logement ainsi attribué, par exemple) dans les deux ans, en réalisant une confortable plus-value : l'ex-conjoint débiteur n'a pas de possibilité d'agir en complément de part.
– Traitement fiscal. – L'abandon sous forme d'attribution ou de cession forcée est susceptible d'impliquer plusieurs impositions : droits de mutation, impôt sur le revenu, impôt de plus-value, impôt sur la fortune immobilière.
– En matière de droits de mutation. – L'abandon effectué à titre de prestation compensatoire dans les conditions de l'article 274 du Code civil n'est pas assimilé à une donation. En effet, l'article 281 du Code civil réécrit en 2004 dispose que « les transferts et abandons prévus au présent paragraphe sont, quelles que soient leurs modalités de versement, considérés comme participant du régime matrimonial. Ils ne sont pas assimilés à des donations ». Compte tenu des dispositions explicites de ce texte, l'administration fiscale ne peut plus (comme par le passé) exiger de droits de mutation à titre gratuit lorsque les biens abandonnés sont personnels ou propres à l'époux débiteur. Sont seulement applicables le droit fixe de 125 €, ou la taxe de publicité foncière de 0,71498 % (frais d'assiette et de recouvrement inclus) si le bien ou le droit cédé ou attribué est de nature immobilière (CGI, art. 1133 ter, al. 1er). Paradoxalement, depuis ce changement considérable de la fiscalité, la levée des freins est telle que lorsque l'abandon porte sur la cession forcée d'un bien propre ou personnel, l'effet fiscal se trouve moindre que si l'abandon porte attribution forcée des droits du débiteur sur des biens communs ou indivis acquis en cours de mariage. En ce cas, en effet, l'opération est soumise au droit de partage de 1,10 % sur la valeur totale du ou des biens (CGI, art. 748). Toutefois, ceci n'est vrai qu'en matière de droits de mutation. En matière d'impôts de plus-value, la seconde hypothèse peut s'avérer bien moins onéreuse.
– En matière d'impôt sur la plus-value. – Notre propos étant relatif au logement, nous contenterons d'aborder la thématique de l'impôt de plus-value immobilière. Le législateur de 2004 ayant exclu le caractère gratuit de l'abandon d'un bien propre ou personnel réalisé à titre de prestation compensatoire, seule peut être retenue la qualification de cession à titre onéreux. Dès lors, l'opération constitue le fait générateur d'une plus-value immobilière. Si le bien cédé ou attribué constituait la résidence principale du cédant jusqu'au divorce, il bénéficiera d'une exonération de cet impôt de plus-value. Mais dans le cas contraire (souvent observé), l'assimilation à une vente est complète, et la plus-value en résultant devient imposable, et soumise aux prélèvements sociaux, sans particularité.
En revanche, lorsque l'abandon ou la cession forcée à titre de prestation porte sur un bien indivis ou de communauté, il constitue une opération de partage relevant de l'article 150 U, IV du Code général des impôts. Dès lors, l'opération est considérée comme intercalaire : l'imposition de la plus-value n'interviendra que lors de la cession ultérieure du bien par l'attributaire. La plus-value sera alors calculée à partir de la date et de la valeur d'acquisition antérieures du bien, lors de son acquisition par le couple (alors que dans le cas précédent, la plus-value actuelle étant purgée, celle de cession ultérieure sera déterminée, si elle existe, à partir de la date et de la valeur du bien au jour de la cession forcée).
– En matière d'impôt sur le revenu. – La loi de 2004, toujours pour favoriser ce type de règlement, a prévu une extension, vers le cas des prestations compensatoires ainsi réglées par transfert d'un bien ou d'un droit, du champ d'application de la réduction d'impôt sur le revenu accordée à l'ex-époux débiteur d'une prestation en capital versée sur une période n'excédant pas douze mois (CGI, art. 199 octodecies), auparavant réservée aux règlements en numéraire. Il s'agit d'une réduction d'impôt sur le revenu global du débiteur, égale à 25 % du montant acquitté en capital, dans la limite d'un plafond de 30 500 €, soit une réduction maximum de 7 625 €).
– En matière d'impôt sur la fortune immobilière. – Si la cession ou l'attribution forcée porte sur la pleine propriété du bien (chose possible, sous les réserves rappelées plus haut), ce bien rejoint le patrimoine de l'époux cessionnaire ou attributaire, qui devra intégrer la valeur totale du bien dans son éventuelle assiette personnelle d'IFI.

Cession ou attribution forcées en jouissance d'un bien immobilier : une réforme à suggérer

1. Dans l'hypothèse d'une cession ou d'une attribution forcées portant sur un droit démembré (usufruit, ou droit d'usage ou d'habitation), le démembrement étant imposé par le juge, ne pourrait-on proposer une répartition de la valorisation du bien entre débiteur et bénéficiaire ? Une analogie pourrait fort bien être faite avec l'imposition partagée qui peut s'appliquer dans certains cas en matière successorale notamment, entre le nu-propriétaire et l'usufruitier, si le démembrement de propriété tire sa source directement de la loi (usufruits légaux issus des règles des articles 757, 767 ancien, 1094 ancien et 1098 du Code civil).
2. Mais en droit fiscal toute exception est de stricte interprétation. Il n'existe en la matière aucun dispositif prévoyant ce type d'exception en faveur d'une ventilation de l'estimation globale, qui laisserait à chaque partie la responsabilité de déclarer la valeur de son droit démembré.