L’intérêt du recours à la Vefa pour répondre à des objectifs forts de production de logement sociaux et intermédiaires fut et est régulièrement mis en avant, à tel point que le législateur est intervenu pour sécuriser la pratique des organismes HLM.
L’acquisition dans le cadre de la Vefa privée dite « d’opportunité »
L’acquisition dans le cadre de la Vefa privée dite « d’opportunité »
La loi d’orientation pour la ville du 13 juillet 1991, reconnaissait indirectement le développement des Vefa privés en confirmant la non-application des dispositions relative à la maîtrise d’ouvrage publique lorsque les organismes HLM acquièrent des ouvrages de bâtiment en Vefa dans le respect de leur obligation de maîtrise d’ouvrage publique, c’est-à-dire lorsque l’une des conditions cumulatives relative au champ d’application de cette obligation n’est pas remplie. Il s’agit particulièrement de deux hypothèses : (i) celle de l’acquisition d’une partie minoritaire et imbriquée qui doit aujourd’hui prendre la forme du marché public passé en vertu de l’art. R. 2122-3 du Code de la commande publique ; (ii) celle de l’acquisition en Vefa de logements au sein d’un ouvrage non conçu pour le compte de l’OLS, autrement dit d’un ouvrage sur lequel il n’a pas exercé une influence déterminante et qu’il acquiert donc en opportunité.
Toujours sous un angle historique, on note que pour favoriser le développement de la mixité sociale dans les quartiers et les ensembles immobiliers, le décret du 8 février 2000 reconnaît ensuite aux organismes HLM la possibilité d’acquérir en Vefa des logements financés en PLUS, PLA-I ou PLS. Par la suite, les conditions d’utilisation de la Vefa ont été précisées par une circulaire de mars 2001 qui prévoit notamment que les organismes HLM ne peuvent acquérir directement en Vefa qu’un nombre minoritaire de logements dans une même opération. Bien que cette circulaire ne vise formellement que les opérations financées en PLUS ou PLA-I, ces dispositions s’appliquent dans les mêmes conditions aux opérations financées en PLS, que le prêt soit accordé directement aux organismes HLM ou que le prêt leur soit ultérieurement transféré.
Poursuivant l’objectif de sécuriser les conditions du recours à la Vefa par les organismes HLM, l’article 4 de la loi no 2009-179 du 17 février 2009 pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés a ajouté un article L. 433-2 au Code de la construction et de l’habitation qui dispose que :
« Un organisme d’habitations à loyer modéré mentionné à l’article L. 411-2 ou une société d’économie mixte peut, dans le cadre de l’article 1601-3 du Code civil ou des articles L. 262-1 à L. 262-11 du présent code, acquérir :
– des immeubles ayant les caractéristiques de logement-foyer mentionné à l’article L. 633-1 ou de résidence hôtelière à vocation sociale mentionnée à l’article L. 631- 11 ;
– des ouvrages de bâtiment auprès d’un autre organisme d’habitations à loyer modéré ou d’une autre société d’économie mixte ;
– des logements inclus dans un programme de construction, à la condition que celui-ci ait été établi par un tiers et que les demandes de permis de construire aient déjà été déposées ».
Résultant de la crise financière de 2008, cet article a permis aux organismes HLM d’acquérir plus simplement des logements en Vefa dans des opérations pour lesquelles la construction ne pouvait commencer faute de commercialisation. L’objectif annoncé par le président de la République de l’époque était de leur permettre d’acquérir auprès des promoteurs, à des prix décotés, près de 30 000 logements réalisés en Vefa. Véritable texte de crise, l’article L. 433-2 pose pour autant des garde-fous en restreignant les conditions dans lesquelles les organismes HLM peuvent acquérir ces logements, notamment dans la perspective de garantir le respect du droit de la maîtrise d’ouvrage publique.
Resté en vigueur dans les mêmes termes, ce texte pose aujourd’hui la question des conditions de recours à la Vefa en dehors du champ de la commande publique (Sous-section I) et du sens de l’expression logements inclus dans un programme de construction
(Sous-section II).
Le critère de l’opportunité : un critère à harmoniser
Le Code de la commande publique prévoit que les contrats d’acquisition ou de location, quelles qu’en soient les modalités financières, de terrains, de bâtiments existants ou d’autres biens immeubles, ou qui concernent d’autres droits sur ces biens ne sont pas soumis à une obligation de publicité et de mise en concurrence. Cela vaut non seulement pour les immeubles bâtis, mais également pour des bâtiments non encore construits. En effet, le terme « existant » ne doit pas s’analyser uniquement sous le prisme de la construction de l’ouvrage, il doit également s’analyser sous le prisme de sa conception. Autrement dit, dès lors que les plans du bâtiment sont suffisamment « arrêtés » par le promoteur à l’origine du projet, il peut être considéré que le pouvoir adjudicateur qui va procéder à l’acquisition n’a pas exercé d’influence déterminante sur la nature ou la conception de l’ouvrage, comme l’exige la définition des marchés publics de travaux. Ainsi, l’acquisition de l’ouvrage « juridiquement » existant constitue un marché de services non soumis aux règles de passation des marchés publics.
C’est dans cette hypothèse que l’OLS/I peut être considéré comme saisissant une opportunité sur le marché. L’OLS/I ne commande aucune prestation de travaux répondant à ses besoins propres, il n’exerce aucune influence déterminante sur la nature ou la conception de l’ouvrage ; il ne fait que saisir une opportunité que lui offre le marché. Tout l’enjeu est donc de déterminer la frontière entre l’opportunité et la commande publique de travaux. Sur cette question, et sur le critère de l’opportunité, deux approches coexistent aujourd’hui : celle retranscrite à l’article L. 433-2 du Code de la construction et de l’habitation (§ I), et celle, pragmatique et rappelée avec force récemment, de la Cour de Justice de l’Union Européenne notamment (§ II).
L’approche retenue par le Code de la construction et de l’habitation : le permis de construire déjà déposé par un tiers
L’acquisition en opportunité d’un immeuble à construire suppose que la construction soit juridiquement entamée. En effet, à l’inverse, si la conclusion du contrat de Vefa est l’élément déterminant de la décision de réaliser la construction, alors la construction ne peut pas être considérée comme juridiquement « entamée » au moment de la signature de l’acte et ainsi, il y a là une commande non exonérée des règles de passation du droit des marchés publics. Dès lors, si l’on peut démontrer que la décision de réaliser l’ouvrage a été prise avant la conclusion de la Vefa, alors cette dernière devient possible sans publicité ni mise en concurrence. Cette démonstration est considérée comme acquise lorsque la contractualisation intervient après le dépôt du permis de construire, puisque l’immeuble acquis est déjà sur le marché et proposé, en tant que tel, à la vente.
C’est la solution retenue par le Code de la construction et de l’habitation pour les acquisitions des organismes HLM à l’article L. 433-2 précité. Même si ce texte ne préjuge pas de la qualification des opérations considérées du point de vue du droit de la commande publique, on peut penser que cette condition a été définie par le législateur pour s’assurer que l’extension de l’objet des OLS sur ces opérations en Vefa demeure conforme au droit des marchés publics. Cette condition, qui permet de considérer que les logements acquis en Vefa par les organismes HLM sont sur le marché, est toutefois limitante pour ces derniers qui n’interviennent de manière officielle que tardivement. Cependant, il serait illusoire de croire que les organismes HLM et opérateurs privés n’entreprennent aucune discussion en amont du dépôt du permis de construire. Ces discussions informelles ne pouvant être formalisées, le bailleur social se trouve dans une situation inconfortable, entraînant un rapport asymétrique, l’empêchant de pouvoir exprimer clairement ses demandes sur l’opération en question, comme pourrait le faire n’importe quel acheteur en l’état futur. Parallèlement, ces discussions fragilisent la légalité des opérations du point de vue de l’article L. 433-2 du Code de la construction et de l’habitation, alors même que la production de logements sociaux appelle une sécurité juridique. Naturellement, si ces discussions devaient faire tomber l’opération sous le coup de la commande publique, elles seraient constitutives d’un délit de favoritisme (C. Pénal, art. 432-14). Mais, comme nous le verrons, il semble bien que la condition posée à l’article L. 433-2 du Code de la construction et de l’habitation va au-delà du champ de la commande publique.
Ce point fut d’ailleurs déjà souligné par le passé et des pistes d’évolution furent formalisées : « il paraît opportun pour le ministère en charge du logement d’adapter la législation aux pratiques, afin de les sortir de l’illégalité, tout en s’assurant que la Vefa HLM ne devienne pas un mode de contournement de la loi MOP. Il s’agirait de modifier le Code de la construction et de l’habitation pour légaliser des pratiques devenues courantes entre les trois acteurs de la Vefa HLM – promoteurs, organismes d’HLM et collectivités locales, telles que les chartes et les négociations en amont des projets. »
Dans cette situation, il apparaît impératif de s’en tenir à une vision plus pragmatique de « l’opportunité », c’est-à-dire de l’acquisition d’un bâtiment « juridiquement existant », afin de sécuriser les acquisitions en Vefa des organismes HLM, lesquelles interviennent souvent, comme nous venons de le démontrer, de fait, en contradiction avec les dispositions de l’article L. 433-2 du Code de la construction et de l’habitation, sans pour autant être en contrariété avec le droit de la commande publique - et donc sans commettre de délit de favoritisme. Et ce d’autant plus que la tendance juridique actuelle, et notamment la jurisprudence récente de la CJUE tend à adopter une approche plus réaliste de l’opportunité.
Le juge de l’Union européenne va même encore plus loin.
L’approche pragmatique de l’opportunité par la Cour de justice de l’Union européenne
Lorsqu’un contrat porte sur l’acquisition ou la location d’un ouvrage, d’une part, et que la construction de l’ouvrage n’a pas encore commencé, d’autre part, la réalisation de l’ouvrage est en principe considérée comme le but principal du contrat dans la mesure où le « contrat ne pouvait avoir comme objectif immédiat la location [ou l’acquisition] d’immeubles ». Néanmoins, le contexte de la commercialisation et l’absence d’influence de l’acquéreur sur les caractéristiques structurelles de l’ouvrage sont de nature à exclure la qualification de marché public de travaux si lesdits travaux, d’une part, et l’acquisition ou la location, d’autre part, répondent à des besoins indissociables.
– Le contexte de commercialisation de l’ouvrage. – En s’intéressant aux pratiques du marché la CJUE a fait un énorme pas en faveur de ces Vefa d’opportunité dans une affaire du 22 avril 2021, à l’occasion d’un litige relatif à la conclusion sans publicité ni mise en concurrence d’un contrat de location à durée indéterminée portant sur un immeuble de bureaux par un organisme de logement social autrichien.
Premièrement, la Cour a retenu que le fait que le permis de construire ait été déposé n’est pas la seule circonstance permettant de considérer que l’ouvrage est « entamé ». Pour la Cour, il convient de relever que, selon une pratique commerciale courante, les projets architecturaux de grande ampleur sont mis en location dans le cadre de baux en l’état futur d’achèvement (BEFA) bien avant la finalisation des plans de construction détaillés, de telle sorte que le propriétaire du site ou le maître d’ouvrage n’entame la procédure formelle d’obtention d’un permis de construire que lorsqu’il dispose d’engagements de la part de locataires futurs pour une partie importante des surfaces du bâtiment projeté. Dans ces conditions, le fait que, comme en l’espèce, le permis de construire n’a été demandé et délivré qu’après la date de la conclusion du contrat de location en cause ne s’oppose pas à ce qu’il soit considéré que l’immeuble était, à cette date, « déjà planifié et prêt à être réalisé ».
Deuxièmement, s’agissant de la notion d’influence déterminante sur la conception de l’ouvrage, la Cour estime qu’elle peut être identifiée s’il peut être démontré que cette influence est exercée sur la structure architecturale de ce bâtiment, telle que sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs. Dans l’affaire qui lui avait été soumise, les études de structures réalisées bien avant la conclusion du contrat comprenaient déjà des hypothèses architecturales qui ont été confirmées dans les contrats conclus, ce qui démontre pour la Cour que le pouvoir adjudicateur n’a pas exercé d’influence sur ce point.
Par ailleurs, elle pose que les demandes concernant les aménagements intérieurs ne peuvent être considérées comme démontrant une influence déterminante que si elles se distinguent du fait de leur spécificité ou de leur ampleur.
Troisièmement, dans cette affaire, il existait des options proposées aux candidats locataires sur certains travaux et des travaux d’aménagements demandés ensuite par le pouvoir adjudicateur. Le juge répond d’abord que si une opération immobilière est considérée comme existant déjà sur le marché lorsque la personne publique recherche un immeuble pour abriter ses locaux et que l’objet principal du contrat est immobilier, cela n’empêche qu’il comporte des travaux réalisés sur option et répond donc à une demande de l’acheteur. Ensuite s’agissant des spécifications que l’organisme de logement social a formulées, la Cour note qu’il est usuel qu’une entreprise, qu’elle soit privée ou publique, qui cherche à louer un immeuble de bureaux, fasse préciser certains souhaits quant aux caractéristiques que ce site devrait, dans la mesure du possible, réunir, qu’il s’agisse d’un bâtiment encore à construire ou d’un changement de locataire à l’occasion duquel des travaux de remise à niveau sont effectués. Si le nombre de ces demandes et le degré de détails de celles-ci sont élevés, le critère déterminant dans ce contexte est néanmoins celui de savoir si ces demandes vont au-delà des exigences habituelles d’un locataire en ce qui concerne un immeuble : même si ces demandes visent à satisfaire un besoin propre du locataire ou de l’acheteur, elles ne sont pas nécessairement de nature à exercer une influence déterminante sur la conception de l’immeuble, sur l’aspect architectural.
La Cour a donc eu un raisonnement constructif destiné à permettre aux pouvoirs adjudicateurs, comme n’importe quel opérateur économique, de procéder à des acquisitions de biens sur le marché, avec des spécifications répondant à leurs besoins. Il serait donc bon que le législateur en tienne compte pour modifier en ce sens le Code de la construction et de l’habitation et ouvrir aux bailleurs sociaux les mêmes opportunités. Cela est très important car la situation actuelle ne satisfait personne : le recours à l’article R. 2122- 3 demeure très encadré, et les Vefa dans le cadre du Code de la construction et de l’habitation devraient en théorie intervenir sans discussion préalable au dépôt du permis de construire par le promoteur alors que celui-ci a besoin de sécuriser son opération en matière de logement social pour respecter les règles d’urbanisme et que le bailleur de son côté doit pouvoir acheter des logements suffisamment adaptés à ses besoins. Il doit pouvoir intervenir comme un vrai client.
– Combinaison possible avec la théorie de l’accessoire pour des Vefa clef en main (ou Vefa complètes). – Pour la CJUE, le fait que la personne publique impose des travaux d’aménagement intérieur qui répondent à ses propres besoins (ex. des matériaux des tuyaux encastrés) n’est donc pas nécessairement de nature à qualifier une influence déterminante sur la conception de l’ouvrage dès lors que ces travaux n’excèdent pas les exigences habituelles du locataire ou de l’acquéreur d’un immeuble à construire tel que proposé sur le marché.
Il semble intéressant de relever que pour construire ce raisonnement, le juge se fonde sur la théorie de l’accessoire : lorsqu’un contrat comporte à la fois des éléments ayant trait à un marché public de travaux et des éléments ayant trait à un autre type de marché, il convient de se référer à son objet principal pour déterminer sa qualification juridique. Autrement dit, il est possible pour une personne publique de procéder à une acquisition en Vefa d’un immeuble sur le marché tout en imposant des travaux d’aménagement intérieur qui répondent à ses besoins propres dès lors que les travaux en question peuvent être considérés comme indissociables de l’acquisition, ce que le juge vérifie en regardant si les différentes prestations ont un caractère autonome ou si les unes sont la raison d’être des autres, éventuellement compte tenu des exigences habituelles dans les pratiques de marché. Il s’agit bien alors d’un contrat à objet mixte (immobilier (services) et travaux). La qualification du contrat dépend de son objet principal et l’objet principal ici n’est pas l’exécution de travaux d’aménagement intérieur mais le transfert de droits immobiliers - puisque si la personne publique demande que des travaux soient réalisés c’est parce qu’au départ elle veut acquérir un ouvrage qui est sur le marché.
Il convient cependant de constater que certains arrêts font référence à une notion d’acquisition de « local brut ». On pourrait être tenté de considérer à la lecture de ces jurisprudences qu’il s’agit d’une condition supplémentaire au recours aux Vefa d’opportunité. Cela nous semble cependant difficile à soutenir car :
- si l’on se place dans le cadre d’une Vefa d’opportunité, on vient de voir que les travaux d’aménagement intérieur sont également possibles ;
- et, si l’on est dans un cas de vente contre remise d’équipement public, respectant les conditions de la théorie des contrats mixtes, il n’est évidemment pas nécessaire que le local soit brut de béton : tout l’intérêt étant de récupérer un équipement complet.
En pratique on sait que les acquisitions de locaux bruts avec passation de marché pour l’aménagement intérieur sont excessivement complexes et couteuses ; avec la jurisprudence précitée de la CJUE, il est donc recommandé de recourir aux Vefa clefs en mains, en dehors du droit de la commande publique, comme cela est permis.
L’obscur critère de l’acquisition partielle
En dehors du cas des Vefa publiques, les organismes HLM doivent respecter l’article L. 433-2 du Code de la construction et de l’habitation. Cet article réglemente les conditions dans lesquelles ils peuvent acquérir en Vefa ; à cet égard, il indique également que ces Vefa doivent porter sur des « logements inclus dans un programme de construction ».
Une lecture prudente : la prohibition de la Vefa dite « 100 % »
Une lecture stricte du texte invite alors à y voir une condition particulière aux termes de laquelle les logements acquis en Vefa doivent s’insérer dans un programme de construction plus large ; autrement dit, les organismes HLM ne pourraient pas acquérir la totalité d’un programme de logements en Vefa.
Pour donner une portée à l’idée d’inclusion dans un programme de construction, la pratique a donc eu tendance à prohiber les acquisitions en Vefa par les organismes HLM de la totalité d’un programme de construction. C’est notamment la position officielle adoptée à l’heure actuelle par l’Union sociale pour l’habitat, dans un souci d’équilibre entre maîtrise d’ouvrage publique et privée. En effet, tant que les Vefa dites « 100 % » demeurent prohibée, la maîtrise d’ouvrage privée restera cantonnée aux opérations comportant une mixité sociale ou fonctionnelle. Cela garanti le maintien d’un certain niveau de maîtrise d’ouvrage publique, nécessaire en termes de compétence des OLS/I ne serait-ce que pour être de bons acheteurs en Vefa, et dont le rôle “contracyclique” en temps de crise immobilière est également une assurance pour le secteur de la construction.
On peut parfois lire que cette prohibition repose également sur l’idée d’une nécessaire péréquation entre logements sociaux/intermédiaires et logements libres. Autrement dit, comme l’indiquait le Conseil d’État dans son rapport déjà cité de 2009, « le promoteur vend au bailleur social les logements sociaux à un prix inférieur à celui auquel il vend les logements privés. Cet effort n’est le plus souvent possible que parce qu’une collectivité publique a elle-même dissocié dans son prix de vente du foncier une charge foncière inférieure pour le logement social. Permettre d’acheter en Vefa 100 % d’un programme ferait disparaître toute péréquation et laisserait les bailleurs sociaux en situation d’infériorité face aux promoteurs ». On peut cependant penser que si le logement libre est parfois contraint de financer le logement social à l’échelle des programmes immobiliers ou des opérations d’aménagement, c’est surtout parce que le foncier a été acquis à un prix trop élevé (parfois en le cumulant au montant de la participation au coût des équipements publics), qui ne permet pas d’équilibrer le projet. Cette situation pose alors la question de la régulation des prix du foncier. La pratique des appels à projets depuis 2014, consistant à sélectionner les projets pour ce qu’ils sont et non pas car l’opérateur présente le meilleur prix de charge foncière est, à cet égard, une bonne pratique.
Reste enfin que l’enjeu lié à la conclusion d’une Vefa portant sur 100 % d’un programme immobilier demeure circonscrit dans la mesure où les objectifs de mixité, planifiés dans les documents d’urbanisme, les programmations en ZAC ou encore dans les appels à projets, impliquent nécessairement des acquisitions en Vefa limitées à une partie seulement de l’immeuble à construire. Faut-il alors brider les bailleurs qui le souhaiteraient, parfois en accord avec les promoteurs, notamment dans certaines situations de crise qui peuvent rendre difficile la commercialisation d’un programme, d’acheter en Vefa la totalité de ce programme ? Sans doute pas dès lors que le prix de la Vefa est cohérent et qu’aucune raison juridique ne s’y oppose.
Arguments en faveur d’une lecture ouverte du texte
Au moins deux séries d’arguments plaident en faveur d’une lecture plus souple de ce texte.
On notera d’abord que, nonobstant les dispositions de l’article L. 433-2, cette condition de l’acquisition d’une partie seulement d’un programme de construction n’est exigée par aucune règle de droit positif. En effet, dans la mesure où les autres conditions posées par l’article L. 433-2 du Code de la construction et de l’habitation impliquent que l’organisme HLM qui souhaite recourir à la Vefa ne soit pas à l’initiative de la construction de l’immeuble, les travaux en cause ne devraient pas répondre à ses besoins propres et, partant, l’organisme HLM ne devrait pas avoir à assurer la maîtrise d’ouvrage des constructions ni à se soumettre son opération à une procédure de publicité et de mise en concurrence. On relèvera par ailleurs que cette exigence n’est posée que pour les opérations de logements, à l’exclusion des logements-foyers ou résidences hôtelières à vocation sociale qui peuvent être acquis sans de telles conditions.
Ensuite, les travaux parlementaires de 2009 relatifs à la loi MOLLE puis à la loi pour l’accélération des programmes de construction nous révèlent que le législateur a voulu mettre un terme à une pratique qui consistait à limiter la part des logements acquis en Vefa par les organismes HLM au sein d’un programme de construction. Cette condition trouvait en effet sa source dans des circulaires liées au recours aux divers financements en matière de de construction de logements sociaux, et non dans des contraintes issues de la loi MOP ou du droit des marchés publics. Constatant que cette limitation « ne correspond à aucune exigence de nature juridique ou économique » les parlementaires ont donc supprimé la condition initialement contenue dans le projet de texte qui prévoyait que la SHON globale des logements acquis en l’état futur d’achèvement soit inférieure à la moitié de la SHON totale du programme de construction.
Néanmoins, la formule « logements inclus dans un programme de construction » a été conservée et demeure ambiguë. Malgré ce doute juridique, il existe des arguments solides en faveur d’une interprétation plus ouverte de l’article L. 433-2 du Code de la construction et de l’habitation, tant au regard du droit de la commande publique que des travaux parlementaires à l’origine de ce texte. Le gouvernement semble suivre cette voie. En effet, dans une très récente Réponse Ministérielle en date du 25 mai 2023 (et note : Rép. min. no 2550 : JO Sénat 25 mai 2023, p. 3414), il est indiqué, en réponse à une question sur la validité de la pratique de la cession de la totalité d’un programme de logements à un organisme HLM, que « sous réserve que les organismes HLM ou les SEM de construction et de gestion de logements sociaux se saisissent effectivement d’une opportunité immobilière et n’exercent pas une influence déterminante sur les caractéristiques des ouvrages, il leur est possible d’acquérir la totalité d’un programme de logements par VEFA. » En reformulant ce texte, l’objectif serait ainsi d’offrir la possibilité aux organismes HLM d’acquérir en toute sécurité juridique l’entièreté d’un programme de logements auprès d’un promoteur privé, comme peuvent l’exiger des périodes de crise – telle que la crise financière de 2008 ou la crise sanitaire liée au Covid-19. Sans prôner la Vefa 100 %, il s’agirait simplement d’offrir la souplesse nécessaire pour permettre aux organismes HLM de s’adapter à toutes les situations se présentant à eux, d’autant plus lorsque les conditions financières de l’opération sont satisfaisantes.
Précisons cependant que cette modification fut déjà demandée dans le cadre des discussions sur la loi Elan et fut rejetée pour des motifs tenant au droit de la commande publique – en ce compris les dispositions relatives à la maîtrise d’ouvrage publique – qui pourtant, comme nous l’avons vu, ne peuvent raisonnablement prospérer, ainsi qu’à la protection de la maîtrise d’ouvrage sociale.
Garantie quant aux conditions financières d’acquisition des organismes HLM : l’avis « des domaines »
Les organismes HLM et SEM agréées doivent respecter le principe constitutionnel de bonne gestion des deniers publics et ne doivent pas procéder à des acquisitions à des prix supérieurs ou des cessions à des prix inférieurs à la valeur vénale ou de marché des biens concernés. L’obligation de recueillir une estimation de la valeur vénale des biens qu’ils acquièrent, prennent à bail, ou pour lesquels ils procèdent à des transferts de propriété ou de droits réels, auprès de l’autorité compétente de l’État (Direction de l’Immobilier de l’État, « DIE »), favorise le respect de ces principes.
L’avis de la DIE est requis préalablement à leurs acquisitions ou cessions immobilières, sans seuil de saisine (art. L. 451-5 du Code de la construction et de l’habitation). Le texte ne fait aucune distinction selon la nature et la superficie de l’immeuble. Il est donné par le directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques.
Cet avis doit être formulé dans le délai d’un mois à compter de la date de la réception d’une demande d’avis en état, à défaut de quoi, il peut être procédé à la réalisation de l’opération.
Toutefois, toujours selon l’article L. 451-5 du Code de la construction et de l’habitation, cet avis n’est pas requis préalablement aux acquisitions ou cessions immobilières relatives aux opérations entreprises en vue de l’accession à la propriété et de celles intervenant entre deux organismes HLM ou SEM agréées.
L’article L. 451-6 du Code de la construction et de l’habitation précise par ailleurs que sont exclues les cessions et acquisitions régies par le chapitre III du titre IV du livre IV du Code de la construction et de l’habitation. Ce chapitre dénommé « Accession à la propriété et autres cessions » (CCH, art. L. 443-1 à L. 443-18) regroupent uniquement des dispositions relatives aux cessions des organismes HLM et ne contient aucune disposition relative aux acquisitions.
En définitive, seules les cessions ou acquisitions n’intervenant pas dans le cadre d’opérations entreprises en vue de l’accession à la propriété, ou entre organismes HLM, ou dans le cadre des articles L. 443-1 à L. 443-18 du Code de la construction et de l’habitation (ex. vente de logements locatifs sociaux) sont concernées par l’avis des domaines. Les acquisitions en Vefa auprès d’opérateurs privés sont donc soumises à un tel avis « des domaines » ou de valeur.
La Vefa est donc une réalité de la production de logements sociaux et intermédiaire. Elle est même indispensable pour répondre aux objectifs de production assignés aux OLS/I. Pour autant, sa pratique ne permet pas toujours de répondre à leurs besoins. D’abord, parce que le recours à l’article R. 2122-3 du Code de la commande publique reste une exception stricte aux règles de passation de la commande publique et n’a pas vocation à correspondre à toutes les situations dans lesquelles les OLS/I pourraient se porter acquéreurs de logements réalisés sous maîtrise d’ouvrage privée. Ensuite, parce qu’en dehors de la passation d’un marché public, le niveau d’exigences et de prescriptions formulées par les OLS/I sera nécessairement plus restreint ; mais, ce que l’on peut regretter, c’est qu’il soit, en l’état actuel du droit français, plus limité que ce que pourraient permettre les exigences relatives à la maîtrise d’ouvrage publique et à la commande publique pour au moins deux raisons. D’une part, parce que l’acquisition de 100 % d’un programme est une réalité qu’il conviendrait de confirmer par une disposition interprétative du texte actuel, dans la mesure où on ne relève aucun obstacle juridique tiré des exigences précitées. D’autre part, parce que le droit de l’union européenne permettrait aux OLS/I d’intervenir dans de nombreuses hypothèses avant le dépôt du permis de construire pour faire état de certains besoins auprès du maître d’ouvrage privé et, surtout, commander certains travaux d’aménagements sans que cela ne remette en cause le régime de la Vefa dite d’opportunité. Dit autrement, si le recours à la Vefa est encore objet de nombreuses critiques c’est peut-être tout simplement parce que, en l’état actuel des textes, il ne permet pas d’adapter suffisamment les programmes aux besoins des OLS/I. Et à cet égard, le simple fait de rendre public les cahiers des charges de chaque bailleur, en espérant que les promoteurs s’en saisiront, n’est pas satisfaisant car cela ne constitue en rien une garantie de réalisation effective d’un programme correspondant au besoin de l’OLS/I, d’autant plus que ces cahiers des charges méritent toujours une certaine adaptation à chaque contexte local et urbain. Il conviendrait donc de réfléchir à libérer la Vefa d’opportunité, en utilisant toutes les possibilités qu’offre le droit de l’Union européenne, pour à la fois sécuriser les actes mais, surtout, produire des logements mieux adaptés aux exigences de qualité et de fonctionnement des OLS/I, poursuivant un objectif de pérennité de l’objet construit en termes d’usage et d’entretien.
Ce développement d’une offre de logement correspondant aux attentes des OLS/I passera sans doute aussi par une association institutionnelle, le plus en amont possible, avec les opérateurs privés.