La nature juridique et la portée des cahiers des charges de lotissements

La nature juridique et la portée des cahiers des charges de lotissements

Définition et nature juridique des cahiers des charges

Par opposition au règlement du lotissement qui constitue un document règlementaire, approuvé par l’administration, ayant pour objet d’édicter des règles d’urbanisme propres au lotissement en complément de celles éditées par la commune,
Un cahier des charges de lotissement est un document de droit privé qui ne doit, en principe, contenir aucune règle d’urbanisme mais uniquement des obligations personnelles et/ou servitudes réelles régissant les intérêts privés, individuels ou collectifs des colotis. Il s’agit donc d’un document contractuel qui engage les colotis entre eux dans toutes ses stipulations.
Le brouillage de la frontière entre ces deux documents est apparu entre 1924 et 1977. Antérieurement aux lois de 1919 et 1924, les documents des lotissements étaient de nature purement contractuelle. Il en est de même à compter de 1978, seuls les règlements ayant valeur règlementaire, les cahiers des charges ayant pour leur part valeur contractuelle. Mais entre 1924 et 1977, les documents des lotissements, au nombre desquels figurent donc les cahiers des charges, ont été soumis à approbation de l’administration et contenaient alors aussi bien des règles d’urbanisme que des servitudes privées. On parle alors des cahiers des charges « approuvés » ; lesquels ont une double valeur juridique : règlementaire à l’égard de l’administration et contractuelle entre les colotis.
Ne se suffisant pas de ce premier écueil, à partir de 1978, la pratique a renforcé cet imbroglio. À compter de cette date, les cahiers des charges sont devenus facultatifs et n’ont plus été soumis à approbation de l’administration. Pour autant, dans les faits, les lotisseurs ont continué à insérer dans les cahiers des charges de véritables dispositions d’urbanisme ou faisaient rappel ou reproduction des documents d’urbanisme ou du règlement du lotissement en leur sein, bien souvent volontairement.
De fait, pour les praticiens, les cahiers des charges sont devenus des documents plus ou moins illisibles et sujets à interprétation ; source d’insécurité juridique eu égard à leur portée juridique.

Portée juridique des cahiers des charges

« Je t’aime, moi non plus… ». Telle pourrait être la maxime résumant le jeu de ping-pong entre le législateur et les hauts magistrats de la Cour de cassation sur la portée octroyée à la qualification juridique des cahiers des charges.

La jurisprudence constante de la Cour de cassation

Depuis 1978, les cahiers des charges n’étant plus soumis à l’approbation de l’administration, ils ne relèvent plus, dans le contrôle de leur application, que du droit privé et donc de la juridiction civile.
La Cour de cassation n’a alors eu de cesse de rappeler qu’un « cahier des charges, quelle que soit sa date, approuvé ou non, constitue un document contractuel dont les clauses engagent les colotis entre eux pour toutes les stipulations qui y sont contenues ». Par voie de conséquence, ils sont imprescriptibles et toute violation par un coloti d’une règle y figurant est sanctionnable à l’égard d’un autre coloti, dans les conditions que nous étudierons plus loin.
Pour ces hauts magistrats de l’ordre judiciaire deux critères doivent être pris en compte afin qu’un cahier des charges puisse avoir pleine portée.

Le critère formel

À la différence du Conseil d’État, la Cour de cassation ne s’attache pas à faire une analyse des cahiers des charges, clause par clause, pour savoir si la règle qui serait violée par un coloti aurait une nature règlementaire ou serait de pur droit privé. Elle ne s’attarde pas plus à regarder si le cahier des charges a été ou non approuvé.
Dès lors qu’il s’agit d’un document dénommé « cahier des charges » ou assimilé comme tel, sa portée contractuelle sera pleine et entière si le second critère est également rempli.

Le critère intentionnel

Pour qu’un cahier des charges ait une portée attachée à sa nature contractuelle en son entier, les Hauts magistrats s’attachent à vérifier qu’il relève bien d’une volonté claire et non équivoque des colotis de lui conférer une telle valeur contractuelle et donc imprescriptible.
L’appréciation de cette exigence relève du pouvoir souverain des tribunaux. C’est ainsi que dans un arrêt de principe du 21 mars 2019, la Cour de cassation a considéré que le fait pour des colotis d’avoir demandé le maintien du règlement du lotissement n’est pas de nature à manifester leur volonté de contractualiser les règles qu’il contient. Pareillement aux termes de ce même arrêt la volonté de contractualisation est exclue par la simple remise de l’ensemble des documents du lotissement à l’acte de vente aux termes duquel l’acquéreur reconnaît en avoir pris connaissance et s’engage à s’y soumettre.

Dualité civile et règlementaire des cahiers des charges

En application de la jurisprudence de la Cour de cassation, dans le cas typique d’un lotissement autorisé depuis plus de 10 ans avec un cahier des charges « contractuel » stipulant une interdiction de subdivision, une limitation du nombre de logements par lot ou une clause d’emprise au sol restrictive, un régime dual s’appliquera. Sur le plan du droit public, l’administration n’aura pas à prendre en considération ces contraintes et l’autorisation de division et/ou de construire pourra être délivrée (si elle respecte les documents d’urbanisme de la commune) mais celle-ci l’étant sous réserve du droit des tiers, sur le plan du droit privé, le projet ne sera pas réalisable ou du moins, s’il devait l’être malgré tout, encourait les sanctions appliquées par le juge civil se rapportant à la violation dudit cahier des charges.

Les échecs, errements et désaveux des pouvoirs publics

Conscients de ce que la position de la Cour de cassation peut représenter à la fois une source d’insécurité juridique et un frein à la densification des lotissements, les pouvoirs publics ont tenté à plusieurs reprises de faire échec à la velléité des Hauts magistrats, en vain…

L’échec de la réécriture de l’article L. 442-9 du Code de l’urbanisme par la loi Alur

La loi no 2014-366 du 24 mars 2014 dite loi Alur s’est voulue ambitieuse quant à la levée des contraintes posées par le caractère contractuel des cahiers des charges et la portée s’y attachant, entendant ainsi forcer la main à la Cour de cassation. Cela s’est manifesté aux travers de deux dispositions.
La réécriture dépourvue d’effet de l’article L. 442-9, alinéa 1
Antérieurement à la loi Alur, l’alinéa 1er de l’article L. 442-9 du Code de l’urbanisme instaurait une caducité automatique, sur le plan règlementaire (dans les relations entre les colotis et l’administration), des règles d’urbanisme contenues dans les documents approuvés des lotissements dix ans après la délivrance de l’autorisation de lotir, dès lors que la commune est couverte par un PLU ou un document d’urbanisme en tenant lieu.
Toutefois, comme déjà évoqué ci-avant, la Cour de cassation maintenait les effets contractuels des cahiers des charges dans leur intégralité au titre des rapports entre colotis.
La réécriture de cet aliéna au travers de la loi Alur a pris soin d’ajouter que cette caducité frapperait désormais « les clauses de nature règlementaire du cahier des charges s’il n’a pas été approuvé ». Pour la doctrine, la volonté du législateur était clairement d’emporter pareille caducité sur le plan civil (donc entre les colotis) de ces dispositions règlementaires insérées dans les cahiers des charges postérieurs à 1978, levant alors le carcan jurisprudentiel.
Peine perdue. Au visa de l’alinéa 3 de ce même article (qui n’a pas été impacté par la loi Alur), la Cour de cassation a réaffirmé, postérieurement à la réécriture de l’aliéna 1 par la loi Alur, sa jurisprudence constante quant à la valeur contractuelle des cahiers des charges (approuvés ou non) et leur imprescriptibilité entre les colotis.
L’insertion éphémère des alinéas 5 à 7 de l’article L. 442-9
Le second volet du dispositif de la loi Alur visant à mettre fin à l’hégémonie contractuelle des cahiers des charges résultait de l’insertion de nouveaux aliénas 5 à 7 à l’article L. 442-9. En substance ces textes prévoyaient une caducité (là aussi sur le plan civil) des dispositions non règlementaires des cahiers des charges non approuvés « ayant pour objet ou pour effet d’interdire ou de restreindre le droit de construire ou encore d’affecter l’usage ou la destination de l’immeuble », dès lors que lesdits cahiers des charges n’auraient pas fait l’objet d’une publication au fichier hypothécaire dans un délai de 5 ans à compter de la loi.
Un décret devait préciser les modalités d’application de ces textes. Là encore, ce dispositif sera resté sans effet puisque l’article 47 de la loi no 2018-1021 du 23 novembre 2018 (loi Elan) est venu abroger ces trois alinéas.

L’effet boomerang de l’article L. 115-1 du Code de l’urbanisme

Cet article prévoit que « la seule reproduction ou mention d’un document d’urbanisme ou d’un règlement de lotissement dans un cahier des charges, un acte ou une promesse de vente ne confère pas à ce document ou règlement un caractère contractuel ».
Il fait écho à la jurisprudence de la Cour de cassation analysée ci-avant sur la nécessité d’un critère intentionnel et non équivoque des colotis pour reconnaître la contractualisation des cahiers des charges. L’esprit de ce texte était donc d’éviter toute contractualisation « fortuite » d’un cahier des charges qui ferait notamment une simple reproduction d’un document d’urbanisme ou d’un règlement de lotissement ou, un simple renvoi.
Si l’on doit saluer l’intention louable du législateur de tenter de restreindre les possibilités pour la Haute juridiction de reconnaître une contractualisation des cahiers des charges contenant des règles d’urbanisme, on ne peut que relever que celui-ci s’est pris les pieds dans le tapis…Pour s’en convaincre, il suffit de lire a contrario cet article. Au travers de celle-ci l’on comprend alors que, par inadvertance, le législateur valide implicitement la possibilité d’insérer des dispositions d’urbanisme ou règlementaire au sein même d’un cahier des charges dès lors qu’il ne s’agira pas d’une simple reproduction stricto sensu ou d’un renvoi et valide donc leur valeur contractuelle. La réalité juridique engendrée est donc à l’inverse de l’effet escompté !

L’inconstitutionnalité de l’article 221 de la loi Climat et Résilience

La loi no 2021-1104 du 22 août 2021 (dite loi Climat et Résilience) comportait un article 221 prévoyant un abaissement de la majorité requise par l’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme, pour modifier les documents d’un lotissement dès lors que la décision a pour objet d’augmenter le nombre de lots autorisés afin de permettre une subdivision en application de l’article L. 442-12 du Code de l’urbanisme.
Cet article n’avait que pour seul but de faciliter l’optimisation foncière au sein des lotissements dans la perspective du ZAN. Pour autant, le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-825 DC du 13 août 2021 a déclaré cette disposition contraire à la constitution comme constitutive d’un cavalier législatif.
On constate bien, au travers de ce parcours législatif houleux depuis 2014, que les pouvoirs publics ne parviennent pas à faire sauter le verrou jurisprudentiel découlant du caractère contractuel des cahiers des charges. À tel point qu’au travers d’une réponse ministérielle du 9 juillet 2019, le gouvernement se reconnaît directement inféodé à la position de la Cour de cassation. Cette soumission est d’autant plus préjudiciable dès lors qu’on fait l’analyse des sanctions encourues lors de la violation d’une clause d’un cahier des charges.