La modification des cahiers des charges

La modification des cahiers des charges

La modification du cahier des charges du lotissement constitue à ce jour la seule possibilité permettant de lever les freins à l’optimisation foncière en matière de lotissement lorsque celui-ci stipulera des restrictions telles que l’interdiction de subdivision, une clause de destination, un nombre maximal de logement par lot, des règles d’implantation, prospect, coefficient d’emprise au sol…
Cette modification peut intervenir, soit à l’initiative des colotis (§ I), soit à celle de la collectivité publique (§ II).

La modification à l’initiative des colotis

Cette modification peut être soit conventionnelle (A), soit réglementaire (B).

La modification conventionnelle

Comme tout contrat, il est tout à fait possible pour les colotis de procéder à une modification conventionnelle d’un cahier des charges de lotissement.
On peut alors s’interroger sur l’utilité de tous développements réalisés ci-avant ? La réponse est malheureusement simple. Du fait de sa nature contractuelle, et peu importe la nature de la clause à supprimer ou à faire évoluer, toute modification conventionnelle peut mais aussi doit être réalisée à l’unanimité de ses cocontractants, c’est-à-dire des colotis.
Autant dire que cette voie est pour le moins illusoire et cela sera d’autant plus vrai que le lotissement sera important et ancien ! S’il n’existe en effet pas ou plus d’association syndicale qui aurait la charge du lotissement (alors en mesure d’identifier les colotis), la charge de travail que représenterait la simple identification des membres du lotissement peut déjà s’avérer insurmontable…alors quant à obtenir une unanimité…n’en parlons pas.
Qu’en est-il toutefois si le cahier des charges comporte en lui-même une règle de majorité pour sa modification, s’il renvoie aux règles de vote des statuts de l’association syndicale du lotissement ou si ces mêmes statuts prévoient une règle de majorité spécifique à la modification du cahier des charges ?
À deux reprises, récemment, la Cour de cassation a admis que la modification conventionnelle d’un cahier des charges pouvait s’opérer selon la règle de majorité prévue dans le lotissement et ne nécessitait pas, en outre, une approbation administrative de l’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme.
Les partisans de la nature purement contractuelle d’un cahier des charges, considèrent donc, et ce qu’elle que soit la nature de la clause en question (réglementaire ou purement privée), que ce document peut être modifié conventionnellement à la majorité instituée, si elle existe. Pour autant, il convient de mettre en perspective ces deux arrêts, la Cour de cassation n’ayant eu à statuer que sur des clauses ne pouvant avoir une nature réglementaire et n’intéressant alors que les relations entre les colotis.
Aussi, pour une partie de la doctrine un doute subsiste dès lors que la clause à modifier conventionnellement aurait une nature règlementaire. Dès lors, pour l’hypothèse qui nous importe de « faire sauter les verrous » de l’optimisation foncière, à défaut d’unanimité, il devrait être recouru à la modification réglementaire de l’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme.

La modification réglementaire

L’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme prévoit qu’une majorité qualifiée des colotis puisse saisir l’autorité compétente (pour statuer sur les demandes de permis d’aménager) afin de procéder à la modification, notamment, du cahier des charges du lotissement s’il a été approuvé ou ses dispositions de nature règlementaire s’il n’a pas été approuvé ; dès lors que cette modification est compatible avec la règlementation d’urbanisme applicable.
De prime abord cette procédure peut sembler répondre aux attentes exprimées de la nécessaire mobilisation du foncier en faveur du logement. À tout le moins tel en est son esprit.
Cependant dans la pratique la modification réglementaire des cahiers des charges se heurte à plusieurs écueils.
La règle de majorité édictée par le texte est de « la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie d’un lotissement ou les deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie ».
Même s’il ne s’agit plus ici d’une règle d’unanimité, il n’en reste pas moins que la majorité qualifiée requise puisse être difficile à établir avec exactitude, et a fortiori, à atteindre dans les mêmes lotissements que ceux évoqués précédemment, à savoir les lotissements sans ASL, anciens et pour lesquels tant le périmètre que le nombre de colotis ne seront pas précisément déterminés.
La nature des clauses modifiables pose également difficulté. Bien que sa constitutionnalité soit désormais établie, la procédure édictée par ce texte ne peut porter que sur les clauses dites « réglementaires » des cahiers des charges, qu’ils soient ou non approuvés et « ne permettent donc pas de modifier des clauses étrangères à cet objet, intéressant les seuls colotis ».
Il est donc nécessaire de procéder à la distinction des clauses réglementaires de celles relevant du pur droit privé. Or cette distinction est malaisée et ne relève que de l’appréciation souveraine des juges. Afin d’aider le praticien dans l’analyse de ces clauses retenons que :
  • pour l’administration, les clauses sont dites réglementaires lorsqu’elles édictent « des règles de portée générale, complétant les règles du document d’urbanisme ou plus généralement, relevant de dispositions d’urbanisme au sens de l’article L. 421-6 du Code de l’urbanisme ». Ce seraient donc les clauses « relatives à l’utilisation des sols, à l’implantation, la destination, la nature, l’architecture, les dimensions, l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords ».
  • Pour le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, une clause réglementaire s’apparente à une règle d’urbanisme, en ce qu’elle est susceptible de figurer dans un document d’urbanisme. Cette position est ainsi plus large que celle de l’administration.
À titre d’exemple dans un avis du 24 juillet 2019, le Conseil d’État énonce qu’une clause d’un cahier des charges approuvé limitant le nombre maximal de lots (et donc au demeurant interdisant possiblement de facto toute subdivision) constitue une règle d’urbanisme.
Sans pouvoir dresser un inventaire à la Prévert, on comprend alors que les clauses le plus habituellement rencontrées dans la pratique notariale tombent sous le joug de l’article L. 442-10. Ainsi en sera-t-il des règles relatives à la hauteur, le recul, l’emprise au sol…et donc pourquoi pas la subdivision. S’agissant des règles d’habitation bourgeoise ou de nombre de logements par lots des réserves plus importantes peuvent être émises.
Relevons également l’utilisation du terme « peut prononcer la modification » dans le texte. On doit comprendre que, même si la majorité qualifiée est atteinte et ne porte pas à discussion, même si les clauses soumises sont bien de nature réglementaire, et enfin que la modification demandée est compatible avec la réglementation d’urbanisme applicable, l’autorité administrative n’est pas en situation de compétence liée mais dispose d’un pouvoir discrétionnaire de prononcer ou non la modification. Le refus devra toutefois être motivé.
Nous rappellerons enfin au passage l’expérience malheureuse de l’article 221 de la loi Climat et Résilience qui avait tenté de réduire la majorité requise pour modifier à la hausse le nombre de lots afin de permettre une subdivision en application de l’article L. 442-12.
Devant les contraintes et incertitudes soulevées par les deux processus de modification à l’initiative des colotis, la procédure de mise en concordance à l’initiative de l’autorité locale peut-elle apporter une réponse pleinement efficace à la recherche de l’optimisation foncière en faveur du logement ?

La mise en concordance à l’initiative de la collectivité

En recourant à l’article L. 442-11 du Code de l’urbanisme, les communes dotées d’un plan local d’urbanisme (ou d’un document d’urbanisme en tenant lieu) peuvent de leur propre chef « modifier (…) le cahier des charges, qu’il soit approuvé ou non approuvé, pour (le) mettre en concordance avec le plan local d’urbanisme ou le document d’urbanisme en tenant lieu, au regard notamment de la densité maximale de construction résultant de l’application de l’ensemble des règles du document d’urbanisme ».
Le texte prend soin de préciser que cette procédure n’est applicable que si le plan local d’urbanisme est approuvé postérieurement au lotissement dont le cahier des charges doit être mis en concordance. Il faut toutefois considérer que la procédure reste applicable s’il ne s’agit que d’une révision ou d’une modification du PLU approuvée. Dans le cadre de nos développements, cette exigence ne constituera donc pas un point d’achoppement.
On se doit de relever de suite les différences notables à l’égard de l’article L. 442-10. Il n’est pas fait état d’une nécessaire saisine préalable d’une majorité qualifiée des colotis ; l’autorité administrative intervenant de sa propre initiative.
Il n’est pas fait mention de la nature réglementaire de clauses des cahiers des charges (qu’ils soient approuvés ou non) pouvant être modifiées ou supprimées. Toutefois, force est de constater que cette procédure étant une mise en concordance avec les règles du PLU, implicitement seules les clauses urbanistiques des cahiers des charges seraient susceptibles d’être impactées, à l’exclusion des règles de pur droit privé.
L’emploi de l’adverbe « notamment » laisse le champ libre à ce que les clauses urbanistiques, autres que celles liées à la densité, puissent être modifiées ou supprimées.
On voit au travers de cet article la volonté affichée des pouvoirs publics d’exprimer une prédominance du droit public de l’urbanisme sur la règle privée du lotissement. En d’autres termes, l’urbanisme privé du lotissement ne saurait prévaloir sur l’intérêt général qu’est la production de logements exprimé au travers du Plan local d’urbanisme et de facto, son PLH. Et dès lors que l’on admet une approche extensive de la règle urbanistique pouvant faire l’objet de la mise en concordance, il devient illusoire de penser que le sacrosaint caractère contractuel d’un cahier des charges exclurait toute possibilité d’une évolutivité rendue nécessaire. De là à penser que les (trop) nombreux cahiers des charges « bloquants » que l’on rencontre dans la pratique sont en sursis, il n’y a qu’un pas…
Si la notion d’intérêt général guide à n’en pas douter ce texte, il n’en demeure pas moins qu’il est à la main des pouvoirs publics locaux. Dès lors est-il nécessaire, afin d’en garantir sa constitutionnalité, d’y apporter une contrepartie à l’égard des colotis.
Celle-ci se traduit par la nécessité de tenir une enquête publique (réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du Code de l’environnement">Lien) et de prendre une délibération en conseil municipal.
Cette mise en concordance est placée au sommet de la hiérarchie des procédures permettant de faire évoluer les cahiers des charges dans le sens d’une optimisation foncière (à l’exception de la modification conventionnelle à l’unanimité qui la domine, tout autant qu’elle est illusoire) mais pour autant est-elle réellement utilisée par l’autorité compétente autant qu’elle pourrait l’être ? À cette question, nous ne pouvons répondre faute de données exploitables…
Or une servitude réelle d’interdiction de subdivision ou de nombre maximum de logements par lot n’est pas de nature à figurer dans un document d’urbanisme et donc, a fortiori, ne peut être mise en concordance…
En conclusion, puisque les pouvoirs publics échouent systématiquement à lever les freins que constituent certaines stipulations des cahiers des charges par la contrainte législative, ne serait-il pas temps de tenter de le faire par l’incitation et notamment fiscale ?
Quel pourrait être ainsi le sort réservé par les colotis à l’annonce d’une exonération possible de plus-value, voire de taxe foncière (exonération temporaire) en contrepartie d’une levée des stipulations restrictives de leur cahier des charges ? Qui ne tente rien n’a rien…

Le rôle du notaire dans l’édiction des cahiers des charges de lotissement

Lors de la réalisation d’un programme de lotissement, le notaire sera sollicité par le promoteur en amont du dépôt des pièces du lotissement. S’il est prévu d’instaurer un cahier des charges, cela lui permet d’en prendre connaissance avant même la réalisation de la première vente. Il pourra même lui être demandé d’en procéder à la rédaction, ce qui ne pourra qu’être favorable à la sécurité juridique. Dans un cas comme dans l’autre, le notaire sera avisé de faire une lecture attentive du projet de cahier des charges. Il prendra alors soin de s’assurer que le document ne comporte que des dispositions de droit privé propres à régir la vie du lotissement, à l’exclusion de toute clause ayant une nature urbanistique ; celles-ci devant figurer dans le règlement du lotissement.
Pareillement, il prendra garde à insérer ou proposer d’insérer des règles de majorité permettant une modification ultérieure des cahiers des charges et faire ainsi échec à la règle de l’unanimité.
Trop souvent les praticiens sont confrontés à un projet de cahier des charges « copié-collé », relevant alors plus du contrat « d’adhésion » qu’un véritable document de vie du lotissement auquel les futurs colotis ont un réel désir de souscrire. Le notaire pourra être avisé, en faisant l’analyse des autres pièces du programme, de s’assurer que l’ensemble forme un tout cohérent, en ce sens que le lotissement présente une réelle identité « marquée », voulue par le promoteur lors de sa conception et sa commercialisation.
À défaut, le maintien d’un tel document contractuel est-il réellement pertinent eu égard aux effets possiblement dévastateurs attachés à sa nature contractuelle (et surtout s’il ne prévoit pas de règles de modification à une majorité) ? Le rôle de conseil du notaire n’est-il alors pas de proposer sa suppression ou du moins son « adaptation » avant la réalisation du dépôt de pièces ?

Cahiers des charges de cession de terrain en ZAC

1. Jusqu’à une date récente, le praticien n’était pas confronté aux mêmes difficultés s’agissant des cahiers des charges de cession de terrain en ZAC.
L’article L. 311-6, alinéa 3 du Code de l’urbanisme opère en effet une distinction selon la date de signature du cahier des charges. Si elle est postérieure au 1er avril 2001, le cahier des charges est caduc de plein droit à la date de la suppression de la zone. En revanche, les cahiers des charges signés avant le 1er avril 2001 et annexés aux actes de vente continuent à s’appliquer à titre contractuel après la suppression de la zone, à moins qu’une de leurs clauses n’ait prévu leur caducité à compter de cet évènement.
2. Cependant, un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de la cassation en date du 4 mars 2021 (no 19-22.987) est venu semer le trouble. Il reconnaît en effet, à l’instar des cahiers des charges de lotissements, la possibilité pour les parties d’avoir voulu leur donner valeur contractuelle. La position de la troisième chambre civile de la Cour de cassation est donc cohérente que l’on soit en lotissement ou en ZAC, à notre grand regret… Avis aux praticiens d’y prêter attention.