En pratique, le plus souvent la réalisation des opérations de surélévation en copropriété est effectuée par un tiers à qui le syndicat a cédé le droit correspondant. L’initiative de la recherche d’un cessionnaire peut parfois émaner de la copropriété elle-même lorsque celle-ci est en recherche d’une source de financement en vue de réaliser des travaux importants dans le bâtiment (rénovation énergétique, réfection des communs…) et que les copropriétaires n’ont pas les ressources suffisantes pour y faire face. Cependant la plupart du temps, c’est la copropriété elle-même qui sera approchée par un opérateur tiers qui aura identifié le potentiel de l’immeuble en vue de réaliser une telle opération (construction en dent creuse ou en décrochement, immeuble d’angle…).
La cession du droit de surélévation et sa réalisation par un tiers
La cession du droit de surélévation et sa réalisation par un tiers
La faculté de cession du droit de surélévation, lorsque celui-ci n’a pas déjà au préalable été privatisé ou réservé, est reconnue par l’article 35, alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965.
Rappelons que jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi Alur (27 mars 2014), la cession du droit de surélévation nécessitait d’une part la double majorité de l’article 26 mais surtout « l’accord des copropriétaires de l’étage supérieur ». Ces derniers bénéficiaient donc de facto d’un droit de veto ; lequel était identifié comme le principal frein à la réalisation d’une telle cession. Ceux-ci étant les plus exposés aux désagréments d’une surélévation, ils étaient en effet peu enclins à accepter une telle cession, malgré leur droit à indemnisation reconnu par l’article 36 de la loi de 1965.
Désormais, à l’instar de la réalisation de la surélévation par le syndicat des copropriétaires, l’assemblée devant statuer sur l’aliénation dudit droit continue à devoir se prononcer à la double majorité de l’article 26 mais avec le recours possible à la passerelle de l’article 26-1.
En outre, les copropriétaires des locaux situés, en tout ou partie, sous la surélévation projetée bénéficieront du même droit de priorité. La suppression du droit de veto des copropriétaires de l’étage supérieur marque un tournant majeur dans l’efficience du recours à la surélévation en copropriété.
Malgré tout, l’aliénation du droit de surélévation n’est pas identique en tous points à l’hypothèse de sa réalisation par le syndicat. Cette cession comporte des éléments spécifiques au titre des règles de vote pour son adoption (§ I), de l’outil juridique support à cette aliénation (§ II) et de la contrepartie à cette aliénation (§ III).
Les règles de vote spécifiques à l’aliénation du droit de surélévation
Deux règles spécifiques sont prévues pour des cas particuliers. L’une prévoyant un allègement de la majorité requise (A), l’autre édictant une nécessaire confirmation de la décision de cession (B).
L’allègement de la majorité requise
Comme indiqué, le principe est que l’assemblée devant statuer sur la cession du droit de surélévation doit se prononcer à la double majorité de l’article 26 et à défaut celle de l’article 26-1.
Cependant le troisième alinéa de l’article 35 de la loi de 1965 allège cette majorité « lorsque le bâtiment est situé dans le périmètre sur lequel est institué un droit de préemption urbain en application de l’article L. 211-1 du Code de l’urbanisme ». Dans ce cas, le vote relatif à l’aliénation ne nécessitera « plus » que « la majorité des voix de tous les copropriétaires ».
On notera que le texte exige donc la majorité équivalente à celle prévue par l’article 25 de loi de 1965 mais sans y faire référence, ni renvoi. Dès lors, on peut légitiment s’interroger sur le fait de savoir si le recours à la passerelle de l’article 25-1 est autorisé depuis l’ordonnance du 30 octobre 2019 ?
La doctrine semble partagée sur ce point. Pour notre part, nous nous rallierons à la doctrine favorable au recours à ladite passerelle sur la base de trois arguments :
En premier lieu, on peut relever que le rapport fait au président de la République sur l’ordonnance du 30 octobre 2019 cite expressément la surélévation comme devant profiter de la passerelle : « Pour favoriser la prise de décision et lutter contre les effets néfastes de l’abstentionnisme au sein des copropriétés, cette procédure de la passerelle est désormais étendue à toutes les décisions relevant de la majorité absolue de l’article 25. Elle sera ainsi applicable (…) à la décision d’aliéner le droit de surélever un bâtiment se situant dans le périmètre d’un droit de préemption urbain (art. 35) ».
En deuxième lieu, la décision de céder le droit de surélévation étant justement une décision importante, les copropriétaires non présents à cette assemblée et n’ayant pas donné pouvoir ou voté par correspondance ne doivent pas pouvoir, du seul fait de leur absence, faire échec à une telle décision. Leur absence pouvant justement être un marqueur de leur désintérêt pour la vie de la copropriété.
En dernier lieu, dans la lignée d’Agnès Lebatteux, on peut relever que l’article 25-1 est désormais rédigé comme suit : « Lorsque l’assemblée générale des copropriétaires n’a pas décidé à la majorité des voix de tous les copropriétaires, en application de l’article 25 ou d’une autre disposition (…) ». Cet ajout rédactionnel par l’ordonnance du 30 octobre 2019 a justement pour objet de permettre de recourir à la passerelle de l’article 25-1 pour les votes d’une décision qui ne figure pas à l’article 25 ou qui n’y renvoi pas expressément ; à l’instar de la cession du droit de surélévation.
La nécessité d’un vote confirmatif en cas de pluralité de bâtiments
Lorsque la copropriété comporte plusieurs bâtiments, un vote de confirmation de la décision d’aliéner le droit de surélévation est requis par une assemblée spéciale des copropriétaires des lots composant le bâtiment à surélever.
Ce vote est effectué par principe à la double majorité de l’article 26, réduite à celle de la majorité des voix des copropriétaires concernés dans le cas prévu au I/.
Il pourra également être fait usage de la passerelle de l’article 26-1 et, par parallélisme, le cas échéant de celle de l’article 25-1.
Une fois la décision de céder le droit de surélévation adoptée, il conviendra alors de matérialiser son effectivité.
La matérialisation juridique de la cession du droit de surélever : le lot transitoire
De création prétorienne, le lot transitoire a depuis fait l’objet d’une reconnaissance législative au travers de la loi Elan de 2018 par l’insertion à l’article 1 de la loi de 1965 de nouveaux alinéas 3 et 4 : « Ce lot peut être un lot transitoire. Il est alors formé d’une partie privative constituée d’un droit de construire précisément défini quant aux constructions qu’il permet de réaliser et d’une quote-part de parties communes », puis « la création et la consistance du lot transitoire sont stipulées dans le règlement de copropriété ».
La création du lot transitoire constitue la traduction juridique de la cession du droit de surélévation. En effet, ce nouveau lot privatif qui sera créé comportera l’identification des éléments de la surélévation à réaliser, auxquels sera rattachée une quote-part de parties communes.
Des débats doctrinaux sont apparus sur le degré de précision du lot privatif rendu nécessaire par le texte de l’alinéa 3. Il semble que ledit lot doit au moins préciser : l’enveloppe et le périmètre dans lequel doit s’inscrire la construction ; le nombre de bâtiment s’il y a lieu et la surface de plancher maximale. Dans notre cas d’espèce, le lot transitoire à créer pour la surélévation ne présentera pas les mêmes contraintes qu’un lot transitoire créé lors de la construction de la résidence. En effet, la description du lot transitoire s’appuiera sur le projet tel qu’il aura été réalisé par son opérateur et qui aura été validé par l’assemblée générale.
Le praticien fera attention, lors de la modification des documents de copropriété, de ne pas s’arrêter à la seule modification de l’état descriptif de division mais s’assurera que le lot transitoire est également inséré au règlement de copropriété, en application de l’alinéa 4 de l’article 1 de la loi de 1965.
Une fois ce lot transitoire créé et inséré dans les documents de copropriété, son titulaire pourra alors réaliser les travaux de surélévation correspondants sans avoir à recourir à une nouvelle autorisation de la copropriété.
La contrepartie à la cession du droit de surélévation
Il est bien évident que la cession du droit de surélévation ne sera pas consentie sans contrepartie.
Le plus souvent, la contrepartie sera constituée du versement d’une somme par le cessionnaire ; ladite somme revenant alors aux copropriétaires et distribuée entre eux proportionnellement à leurs tantièmes, le cas échéant après déduction des sommes exigibles par le syndicat à l’encontre de chaque copropriétaire.
Toutefois, comme évoqué, la cession du droit de surélévation sera le plus souvent réalisée pour permettre de financer des travaux de rénovation et/ou d’amélioration du bâtiment. Dans ce cas, il est tout à fait possible que l’assemblée générale décide d’affecter tout ou partie du prix perçu à la réalisation desdits travaux. Cependant, la copropriété pourrait aussi préférer demander à l’opérateur de convertir son obligation de paiement du prix en la réalisation de travaux (ajout d’un ascenseur, rénovation de la chaudière, des menuiseries, isolation, embellissement des communs…) voire en la livraison de nouveaux locaux communs.
Pour la plupart de la doctrine cette possibilité est tout à fait envisageable. Nous pouvons d’ailleurs relever que la Cour de cassation est allée en ce sens aux termes d’un arrêt du 28 mai 2020.
Un auteur prend cependant le parti inverse. Il considère qu’il est impossible d’opérer tant une dation qu’une novation de l’obligation de paiement de l’acquéreur et que la contrepartie de la cession consiste nécessairement en une somme d’argent. Il appuie son analyse sur la rédaction de l’article 16-1, alinéa 2 de la loi de 1965 issue de l’ordonnance du 30 octobre 2019, à savoir : « La part du prix revenant à chaque copropriétaire lui est remise directement par le syndic, après déduction des sommes exigibles par le syndicat des copropriétaires ». Cet ajout rédactionnel serait pour lui un obstacle à ce que le paiement du prix fasse l’objet d’une dation ou d’une novation.
Que ce soit sous la forme d’une réalisation aux mains du syndicat des copropriétaires ou par un tiers, la surélévation reste une opération complexe qui peut se heurter à certains écueils, parfois insurmontables
Les conventions de réservation du droit de surélever : pour qui sonne le glas !
Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi Elan le 25 novembre 2018, l’article 37 de la loi du 10 juillet 1965 prévoyait la possibilité de réserver le droit de surélever au profit d’un copropriétaire ou d’un tiers. Cette convention devait être insérée au règlement de copropriété et devait préciser, à peine de nullité, l’importance et la consistance des locaux à construire et les modifications que leur exécution entraînerait dans les droits et charges des copropriétaires.
Son bénéficiaire disposait alors d’un délai de dix ans pour réaliser les travaux mais le syndicat pouvait s’opposer à l’exercice de droit par vote à la majorité de l’article 25, le cas échéant moyennant indemnisation.
La loi Elan est venue interdire le recours à ces conventions par l’insertion du nouvel article 37-1 : « Par dérogation à l’article 37, les droits de construire, d’affouiller et de surélever ne peuvent faire l’objet d’une convention par laquelle un propriétaire ou un tiers se les réserverait. Ces droits peuvent toutefois constituer la partie privative d’un lot transitoire ».
Cependant, la loi Elan n’ayant pas prévu que cet article est d’ordre public (et donc les conventions déjà insérées dans un règlement de copropriété ne sont pas réputées non écrites) ni de rétroactivité, les conventions existantes à la date de son entrée en vigueur restent valables, dans la limite des dix ans de leur conclusion.
Le praticien pourra donc, jusqu’au 25 novembre 2028 au plus tard, être confronté à une telle situation.
Pour une étude détaillée de ces conventions, le lecteur peut se reporter aux travaux du 112e Congrès des notaires de France, 2016, no 3232 à 3236.
Depuis la loi Elan, si le droit de surélévation doit être « privatisé » ab initio (le plus souvent au profit du promoteur), cela le sera au travers d’un lot transitoire. Il permettra à son détenteur de pouvoir exercer son droit sans être limité par le délai décennal de l’article 37, sans devoir solliciter une autorisation de la copropriété pour sa mise en œuvre dès lors que la consistance des droits accordés sera suffisamment précise, ni risquer un droit d’opposition du syndicat. Toutefois, puisqu’au lot transitoire doivent être attachés des tantièmes correspondant à la valeur de la future « construction », son titulaire doit contribuer, dès l’origine, aux charges relatives à la conservation, à l’entretien et à l’administration des parties communes (art. 10, al. 2) et le cas échéant à celles relatives aux services collectifs ou aux éléments d’équipements communs (article 10 alinéa 1) s’ils représentent une utilité pour ledit lot transitoire tant qu’il n’a pas été réalisé (gardiennage par exemple) et ce, même si ultérieurement la réalisation de la « construction » s’avère impossible.