Genèse d'un instrument révolutionnaire

Genèse d'un instrument révolutionnaire

– Naissance en 2007. – Le contrat permettant d'anticiper une éventuelle incapacité future a été salué comme l'innovation la plus importante de la loi du 5 mars 2007. Néanmoins, il a fallu attendre 2009 pour que soient activés les premiers mandats de protection future.
– Un besoin ancestral… – Dans sa thèse soutenue devant l'Université de Montpellier le 24 novembre 2016, Mme Coll de Carrera voit en Homère le précurseur du mandat d'inaptitude. Dans L'Odyssée, Ulysse demande à ses matelots de l'attacher solidement au mât du navire, pour qu'il puisse écouter le chant irrésistible des sirènes. Mais, afin de ne point y succomber, il leur donne un ordre formel : « quand, ayant perdu la raison, je vous ordonnerai de me détacher, vous resserrerez mes liens ». Donner ses instructions d'avance pour parer aux conséquences d'une situation future, encore inexistante, telle est la raison d'être du mandat de protection future.
– … ignoré du Code civil. – Pourtant, sans l'affirmer avec autant de clarté qu'il le faisait à l'égard des pactes sur successions futures, le Code civil a longtemps nourri la même méfiance à l'égard de conventions écrites « à l'aveuglette », à une époque où l'on ignore de quoi sera fait l'avenir au cours duquel elles auront à prendre effet. Pourtant, la naissance d'un outil conventionnel anticipant les conséquences d'une incapacité non encore survenue était appelée par de nombreuses voix. D'abord par les sujets de droit eux-mêmes (qui parfois, avant son avènement, pensaient par erreur pouvoir loger cette anticipation au sein d'un testament). Mais aussi par l'ensemble des praticiens, désireux de pouvoir apporter leur plume et leur conseil à l'appui d'une demande récurrente.

Cinq fois sur le métier remettez votre ouvrage ! Le rôle du Congrès dans l'institution du mandat de protection future

L'institution d'un mandat d'inaptitude a été évoquée lors :
  • du 80e Congrès des notaires de France, Le notariat et les personnes protégées, Versailles, 1984, 3e commission, nos 160 et suivants ;
  • du 94e Congrès des notaires de France, Le contrat, Lyon 1998, 2e commission proposition no 4 ;
  • du 95e Congrès des notaires de France, Demain la famille, Marseille, 1999, 2e commission, nos 2149 et suivants ;
  • du 102e Congrès des notaires de France, Les personnes vulnérables, Strasbourg, 2006, 3e commission, nos 3094 et suivants.
Et encore, après l'instauration du mandat de protection future :
• par le 113e Congrès des notaires de France, Familles, solidarité, numérique, Lille, 2017, 2e commission, nos 2691 et suivants.
Soit, tout de même, cinq congrès pour un seul mandat !
– Une nécessité budgétaire. – Enfin, la conception d'un instrument alternatif aux réponses administratives était recherchée par les pouvoirs publics eux-mêmes, sous la pression d'impératifs budgétaires prévisibles. En effet, la projection de croissance du nombre de personnes âgées d'ici 2050 fait entrevoir une multiplication par quatre, ce qui dépasse de très loin les ressources imaginables des services judiciaires en charge de la protection des majeurs.
Un article sur la loi du 5 mars 2007 et la réforme des incapacités est accessible ici :

Extrait d'une interview de M Pierre-Jean Meyssan (vice-président du Conseil supérieur du notariat) et M Pierre Tarrade (président de la section de droit international privé de l'IEJ du CSN) ( 31 janv. 2022).

« En 2050, un cinquième de la population européenne présentera une forme de handicap. Au-delà du défi financier majeur que pose cette projection d'Eurostat, c'est la dimension humaine qui est au cœur de la question universelle de la protection des majeurs. L'Europe doit aujourd'hui en prendre la mesure, et fédérer ses moyens et ses outils juridiques.
(…) Ce dispositif est disponible depuis 2007. Il a aussi été créé pour désengorger la justice. Un juge des tutelles doit aujourd'hui traiter des dizaines de dossiers par jour. Il lui est impossible d'exercer un contrôle effectif sur chacun d'entre eux. Le mandat de protection future permet donc à la fois d'alléger le travail des magistrats et de donner la possibilité à chaque citoyen de décider de son avenir en toute liberté. Cet outil est gagnant-gagnant ! »
– L'incidence du droit comparé et international. – Mais c'est aussi sous l'incitation de sources internationales que se mit en branle le mouvement législatif. La Convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes, ratifiée par la France, reconnaissait les conventions de représentation volontaire anticipant une incapacité future. Or, de nombreux États signataires de la convention connaissaient déjà de tels dispositifs. Dès lors que la France avait ratifié la convention rédigée en ces termes, elle ne pouvait plus opposer l'ordre public à l'application, sur son territoire, de tels mandats, plaçant de fait ses nationaux (alors inaptes à y recourir) en situation d'inégalité, ce qui ne manquait pas de surprendre.

Mandat de protection future :

L'article 15 de la Convention de La Haye du 13 janvier 2000, ratifiée par la France, dispose : « L'existence, l'étendue, la modification et l'extinction des pouvoirs de représentation conférés par un adulte, soit par un accord soit par un acte unilatéral, pour être exercés lorsque cet adulte sera hors d'état de pourvoir à ses intérêts, sont régies par la loi de l'État de la résidence habituelle de l'adulte au moment de l'accord ou de l'acte unilatéral (…) ».

Le mandat de protection future, un objet juridique venu d'ailleurs !

À consulter, à l'international :
  • le site du Sénat, rubrique « Europe & International », Étude de législation comparée no 148, juin 2005, La protection juridique des majeurs : www.senat.fr/lc/lc148/lc1482.html">Lien ;
  • le site développé par le Conseil des notariats de l'Union européenne (CNUE) – Notaires d'Europe, regroupant les mesures de protection applicables aux mineurs et aux adultes dans vingt-deux pays européens, et régulièrement mis à jour : http://the-vulnerable.eu/?lang=fr">Lien.
À remarquer, à l'international :
  • Aux États-Unis, la matière se scinde entre :
  • Le droit suisse offre lui aussi, depuis le 1er janvier 2013, un exemple abouti de mesure extrajudiciaire d'anticipation, à travers son mandat pour cause d'inaptitude, permettant de couvrir tant les questions patrimoniales que médicales ou de vie du quotidien.
  • Et, précurseur, le modèle québécois, entré en vigueur le 15 avril 1990, source d'inspiration pour plusieurs autres législations désireuses de permettre à leurs citoyens l'élaboration d'un instrument large et ouvert à une anticipation sur mesure, ne nécessitant pas d'intervention judiciaire.
  • Par ailleurs au sein de l'Union européenne, nombreux sont les États ayant institué, parmi les axes de leur législation relative aux droits des personnes vulnérables, des dispositifs d'anticipation volontaire et contractuelle de l'incapacité. En cela, ils ont été incités par la recommandation no R. 99 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe du 23 février 1999, exprimant l'idée directrice que :
  • Enfin, même sans valeur normative, la Convention internationale du droit des personnes handicapées, signée le 13 décembre 2006, a sans doute eu sa part d'influence : élaborée à l'instigation du Comité des droits de l'homme, elle contient des recommandations visant à purement et simplement supprimer toutes mesures de représentation, et y substituer des mesures d'accompagnement.
Apparu dans ce contexte, en quoi le mandat de protection future peut-il déployer son efficacité, voire sa supériorité, quand il s'agit de pérenniser la puissance d'action d'un propriétaire vulnérable sur son logement ?