En cas de vente d’un immeuble entier (loi Aurillac)

En cas de vente d’un immeuble entier (loi Aurillac)

– Origine. – Au début des années 2000, la pratique de la « vente à la découpe » a fait l’objet d’une intention particulière du législateur. On rappellera que la vente à la découpe se décompose en deux phases : la première consiste à vendre la totalité d’un immeuble loué à un institutionnel ou un promoteur ; la seconde consiste à revendre l’immeuble lot par lot, après avoir ou pas effectué des travaux, en ayant préalablement délivré congé aux locataires. La vente en lots donnait application aux droits de préemption de l’article 15 de la loi de 1989 (V. supra, nos et s.) ou de l’article 11-1 de cette même loi applicable aux bailleurs, personnes morales autres que des « SCI familiales » et des bailleurs « HLM ». Mais la vente en bloc passait « sous le radar » des droits de préemption en vigueur, alors même que ce phénomène s’amplifiait chez les propriétaires institutionnels. Ces derniers motivaient ces ventes en bloc par la nécessité d’assurer des arbitrages nouveaux au sein de leur patrimoine et leur souhait de modifier la répartition de leurs actifs au profit de l’immobilier de bureau. C’est dans ce contexte que la loi n° 2006-685 du 13 juin 2006, dite « loi Aurillac », a créé un nouveau droit de préemption au profit des locataires à usage d’habitation et à usage d’habitation et professionnel applicable en cas de vente d’un immeuble entier. Ces dispositions ont été intégrées à la loi no 75-1351 du 31 décembre 1975, sous un nouvel article 10-1. Cet article a été retouché par la loi du 25 mars 2009, puis par la loi Alur. Nous étudierons successivement les conditions d’application (Sous-section I) puis la mise en œuvre de ce droit de préemption (Sous-section II).
Le rapport de M. Laurent Béteille, précité, peut être consulté ici dans son intégralité :

Les conditions d’application du droit de préemption

Les conditions d’application de ce droit de préemption particulier résultent de l’article 10-1 auquel nous renvoyons :

Article 10-1 de la loi du 31 décembre 1975, modifié par ordonnance n 2020-71 du 29 janvier 2020, art. 5, en vigueur depuis le 1 juillet 2021

« I. – A. – Préalablement à la conclusion de la vente, dans sa totalité et en une seule fois, d’un immeuble à usage d’habitation ou à usage mixte d’habitation et professionnel de plus de cinq logements au profit d’un acquéreur ne s’engageant pas à proroger les contrats de bail à usage d’habitation en cours à la date de la conclusion de la vente afin de permettre à chaque locataire ou occupant de bonne foi de disposer du logement qu’il occupe pour une durée de six ans à compter de la signature de l’acte authentique de vente qui contiendra la liste des locataires concernés par un engagement de prorogation de bail, le bailleur doit faire connaître par lettre recommandée avec demande d’avis de réception à chacun des locataires ou occupants de bonne foi l’indication du prix et des conditions de la vente, dans sa totalité et en une seule fois, de l’immeuble ainsi que l’indication du prix et des conditions de la vente pour le local qu’il occupe.
Cette notification doit intervenir à peine de nullité de la vente, dans sa totalité et en une seule fois, de l’immeuble. Elle s’accompagne d’un projet de règlement de copropriété qui réglera les rapports entre les copropriétaires si l’un au moins des locataires ou occupants de bonne foi réalise un acte de vente, ainsi que des résultats d’un diagnostic technique portant constat de l’état apparent de la solidité du clos et du couvert et de celui de l’état des conduites et canalisations collectives ainsi que des équipements communs et de sécurité. Ce diagnostic est établi par un contrôleur technique au sens de l’article L. 125-1 du Code de la construction et de l’habitation ou par un architecte au sens de l’article 2 de la loi no 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture, qui ne doit avoir avec le propriétaire de l’immeuble ou son mandataire aucun lien de nature à porter atteinte à son impartialité ou à son indépendance. Les dépenses afférentes à ce diagnostic sont à la charge du bailleur.
Nonobstant les dispositions de l’article 1751 du Code civil, cette notification est de plein droit opposable au conjoint du locataire ou occupant de bonne foi si son existence n’a pas été préalablement portée à la connaissance du bailleur. Elle vaut offre de vente au profit du locataire ou occupant de bonne foi.
L’offre est valable pendant une durée de quatre mois à compter de sa réception. Le locataire ou occupant de bonne foi qui accepte l’offre ainsi notifiée dispose, à compter de la date d’envoi de sa réponse au bailleur, d’un délai de deux mois pour la réalisation de l’acte de vente. Si, dans sa réponse, il notifie au bailleur son intention de recourir à un prêt, son acceptation de l’offre de vente est subordonnée à l’obtention du prêt et, en ce cas, le délai de réalisation est porté à quatre mois. Passé le délai de réalisation de l’acte de vente, l’acceptation de l’offre de vente est nulle de plein droit.
Lorsque, en raison de la vente d’au moins un logement à un locataire ou un occupant de bonne foi, l’immeuble fait l’objet d’une mise en copropriété et que le bailleur décide de vendre les lots occupés à des conditions ou à un prix plus avantageux à un tiers, le notaire doit, lorsque le propriétaire n’y a pas préalablement procédé, notifier au locataire ou occupant de bonne foi ces conditions et prix à peine de nullité de la vente. Cette notification vaut offre de vente à leur profit. Elle est valable pendant une durée d’un mois à compter de sa réception. L’offre qui n’a pas été acceptée dans le délai d’un mois est caduque.
Le locataire ou occupant de bonne foi qui accepte l’offre ainsi notifiée dispose, à compter de la date d’envoi de sa réponse au propriétaire ou au notaire, d’un délai de deux mois pour la réalisation de l’acte de vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l’acceptation par le locataire ou occupant de bonne foi de l’offre de vente est subordonnée à l’obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois. Si, à l’expiration de ce délai, la vente n’a pas été réalisée, l’acceptation de l’offre de vente est nulle de plein droit.
Les dispositions du présent A doivent être reproduites, à peine de nullité, dans chaque notification.
B. – Préalablement à la conclusion de la vente mentionnée au premier alinéa du A, le bailleur communique au maire de la commune sur le territoire de laquelle est situé l’immeuble le prix et les conditions de la vente de l’immeuble dans sa totalité et en une seule fois. Lorsque l’immeuble est soumis à l’un des droits de préemption institués par les chapitres Ier et II du titre Ier du livre II du code de l’urbanisme, la déclaration préalable faite au titre de l’article L. 213-2 du même code vaut communication au sens du présent article.
II. – Les dispositions du I ne sont pas applicables en cas d’exercice de l’un des droits de préemption institués par le titre Ier du livre II du code de l’urbanisme ou lorsque la vente intervient entre parents ou alliés jusqu’au quatrième degré inclus.
Elles sont applicables aux cessions de la totalité des parts ou actions de sociétés lorsque ces parts ou actions portent attribution en propriété ou en jouissance à temps complet de chacun des logements d’un immeuble de plus de cinq logements.
Elles ne sont pas applicables aux cessions de parts ou actions susvisées lorsque ces cessions interviennent entre parents ou alliés jusqu’au quatrième degré inclus.
Elles ne sont pas applicables aux cessions d’immeubles à un organisme visé à l’article L. 411-2 du code de la construction et de l’habitation ni, pour les logements faisant l’objet de conventions conclues en application de l’article L. 831-1 du même code, aux cessions d’immeubles à une société d’économie mixte visée à l’article L. 481-1 du même code. »

Les principes

Il est donc nécessaire qu’il y ait :
  • une vente en bloc, c’est-à-dire une vente de l’immeuble, dans sa totalité et en une seule fois : le texte étant d’interprétation stricte, il faut comprendre qu’il est applicable quelle que soit la forme de la vente, amiable ou par adjudication, volontaire ou forcée ;
  • d’un immeuble affecté à usage d’habitation ou à usage mixte d’habitation et professionnel. Cette question a donné lieu à de nombreuses discussions, notamment en cas de locaux à usage mixte commercial et d’habitation. L’interprétation stricte du texte incite à exclure son application dans un tel cas, bien qu’il soit considéré que cette exclusion soit critiquée comme pénalisant les locataires titulaires d’un bail à usage d’habitation. Mais on observe que la pratique fait généralement une application extensive du texte sans distinguer les locaux professionnels et commerciaux, dans la mesure où la sanction encourue est la nullité de la vente.
  • À noter que l’article 10-1, II de la loi no 75-351 du 31 décembre 1975 rend applicable le droit de préemption à la cession de la totalité des parts ou actions de société, lorsqu’elles portent attribution en propriété ou en jouissance à temps complet de chacun des logements d’un immeuble de plus de cinq logements ;
  • comportant plus de cinq logements. Les logements à prendre en compte sont ceux compris dans l’immeuble et non seulement ceux qui sont loués, un local ne méritant pas la qualification de « logement », comme ne respectant pas les critères de la décence, ne pouvant pas être pris en compte. La loi de 2006 avait fixé le seuil de logements contenus dans l’immeuble déclenchant le droit de préemption « à plus de dix ». La loi Alur a ramené le seuil à « plus de cinq logements ».

Les exceptions

– Alternative de la prorogation des baux. – La principale exception prévue à l’application de ce droit de préemption par l’article 10-1, I, A, alinéa 1 de la loi de 1975, consiste en ce que l’acquéreur s’engage à proroger les contrats de bail à usage d’habitation en cours à la date de la conclusion de la vente pour permettre à chaque locataire ou occupant de bonne foi de disposer du logement qu’il occupe pour une durée de six ans à compter de la signature de l’acte authentique de vente.
L’engagement de proroger les baux en cours est purement personnel à l’acquéreur et doit être formalisé dans l’acte d’acquisition qui contiendra « la liste des locataires concernés par un engagement de prorogation de bail ».
À défaut d’un tel engagement, la nullité de la vente de l’immeuble entier est encourue, car le droit de préemption des locataires aurait dû être purgé. La solution la plus sécurisante est de constater la prorogation par voie d’avenant au bail en cours. En cas de refus de prorogation par le locataire, la prorogation est écartée, sans pour autant lui ouvrir un droit de préemption.
– Personne de l’acquéreur. – Le droit de préemption n’est pas applicable « lorsque la vente intervient entre parents et alliés jusqu’au quatrième degré inclus » (L. 1975, art. 10-1, II, al. 1). Cette exemption est identique à celle prévue à l’article 10 de la loi de 1975. En outre, la vente ne donne pas ouverture au droit de préemption lorsque l’acquéreur est un organisme visé à l’article L. 411-2 du Code de la construction et de l’habitation ou une société d’économie mixte de construction et de gestion de logements sociaux visée à l’article L. 481-1 du même code. Sont enfin exclues les ventes de logements faisant l’objet de conventions d’aide personnalisée au logement (CCH, art. L. 351-2).
– Exercice d’un droit de préemption public. – Comme pour les autres droits de préemption dont bénéficie le locataire, le droit de préemption de l’article 10-1 de la loi de 1975 n’est pas applicable « en cas d’exercice de l’un des droits de préemption institués par le titre 1er du livre II du Code de l’urbanisme » (L. 1975, art. 10-1, II) : le droit de préemption urbain (C. urb., art. L. 210-1 à L. 216-1), celui applicable dans les zones d’aménagement différé (ZAD).
L’article 10-1, I, B de la loi de 1975 fait peser sur le bailleur une obligation d’information à la commune sur le territoire duquel est situé l’immeuble, du prix et des conditions de vente de l’immeuble dans sa totalité et en une seule fois. La commune pourra alors exercer ce droit de préemption pour maintenir les locataires dans les lieux. Si l’immeuble est soumis à l’un des droits de préemption urbains, la déclaration préalable faite vaut communication au sens de l’article 10-1, I, B.

La mise en œuvre du droit de préemption

Évoquer la mise en œuvre du droit de préemption conduit à étudier successivement la notification (§ I), la réponse donnée par le locataire (§ II) et la purge d’un droit de préemption subsidiaire en cas de vente à des conditions ou prix plus favorables (§ III).

La notification

– Destinataires. – La notification est faite « à chacun des locataires ou occupants de bonne foi » (L. 31 déc. 1975, art. 10-1, I, A, al. 1er). Comme pour le droit de préemption de la loi de 1989, la notification est opposable au conjoint ou au partenaire pacsé dont l’existence n’a pas été portée à la connaissance du bailleur. Dans le cas contraire, le bailleur doit notifier l’offre de vente au locataire et à son conjoint ou partenaire pacsé.
– Modalités et contenu de la notification. – La notification doit être faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. En raison des difficultés que connaît la pratique lors d’une notification en recommandé (non retrait ou refus de la lettre, contestation du contenu), il semble plus prudent de recourir systématiquement à l’exploit de commissaire de justice. La notification, qui vaut offre de vente, doit indiquer le prix et les conditions de vente de l’immeuble dans sa totalité et en une seule fois, ainsi que ceux du local loué. Elle s’accompagne (L. 1975, art. 10-1, I, A, al. 2) du projet de règlement de copropriété et des résultats du diagnostic technique portant constat de l’état apparent de la solidité du clos et du couvert, de l’état des conduites et canalisations collectives ainsi que des éléments communs et de sécurité. La notification doit reproduire les termes de l’article 10-1, I A de la loi de 1975, ceci « à peine de nullité ». À défaut de reproduire cet article, la notification est nulle sans que le locataire soit contraint de démontrer l’existence d’un grief.
– Sanction de l’absence de notification. – L’omission de la notification à chacun des locataires est sanctionnée par la nullité de la vente de l’immeuble en bloc (et non seulement celle du logement dont le droit de préemption n’a pas été purgé). L’action en nullité est prescrite au bout de cinq ans à compter du jour où son titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action.

La réponse à la notification

Contrairement à la notification de l’article 10 de la loi de 1975 (V. supra, no ) qui n’est valable que deux mois, l’offre de vente notifiée sur le fondement de l’article 10-1, I, A est valable pendant une durée de quatre mois à compter de sa réception. Le locataire ou l’occupant de bonne foi qui accepte l’offre de vente dispose d’un délai de quatre ou deux mois pour régulariser l’acte de vente selon qu’il notifie ou non au bailleur son intention de recourir à un prêt. Passé ce délai, l’acceptation de l’offre de vente est caduque. Mais si le locataire refuse expressément ou tacitement l’offre de vente, il reste locataire en place et l’immeuble sera vendu occupé.

Le droit de préemption subsidiaire

– Un schéma désormais classique. – L’article 10-1, I, A, alinéa 5 de la loi de 1975 ouvre un nouveau droit de préemption lorsqu’en « raison de la vente d’au moins un logement à un locataire ou un occupant de bonne foi, l’immeuble fait l’objet d’une mise en copropriété et que le bailleur décide de vendre les lots occupés à des conditions ou à un prix plus avantageux à un tiers ». La notification incombe au bailleur et, à titre subsidiaire, au notaire. Elle doit reproduire, à peine de nullité, les dispositions de l’article 10-1, I, A. La notification, qui vaut offre de vente, est valable pendant un mois à compter de sa réception. Si elle n’est pas acceptée dans ce délai, elle est caduque. Le locataire ou l’occupant de bonne foi qui l’accepte dispose d’un délai de deux mois pour signer l’acte de vente. Le délai de régularisation est porté à quatre mois si le locataire a informé le bailleur de son intention de recourir à un prêt. Si la vente n’est pas conclue dans le délai convenu, l’acceptation de l’offre de vente est nulle de plein droit.

Simplifier les droits de préemption du locataire

Le champ d’application et le régime des droits de préemption applicables au locataire sont particulièrement complexes. Ce mécanisme vertueux gagnerait en lisibilité et en efficacité si certains de ces modes de préemption fusionnaient. On pourrait imaginer un droit de préemption applicable au locataire d’un logement, meublé ou nu, en cas de projet de vente par son bailleur du logement ou de l’immeuble dans lequel se trouve le logement. En cas de renonciation à l’offre de vente, le locataire resterait en place et le bien serait vendu occupé. Le régime du droit de préemption résultant de la loi Aurillac serait maintenu pour permettre les ventes en bloc en cas d’engagement de prolongation des baux.

Synthèse des droits de préemption applicables au locataire

Vente après division Congé pour vente Vente d’un immeuble en entier
TextesL. no 75-1351, art. 10L. no 89-482, art. 15 IIL. no 75-1351, art. 10-1
1/ Champ d’application « Chacun des locataires ou occupants de bonne foi », c’est-à-dire une personne physique, titulaire d’un contrat de location pour un usage d’habitation ou mixte professionnel et d’habitation (L. 1989, L. 1986, L. 1948 ou Code civil).Le titulaire d’un contrat de location en cours soumis à la loi no 89-482 du 6 juillet 1989. Idem L. 1975, art. 10 : « Chacun des locataires ou occupants de bonne foi ».
Les opérations Principe : les ventes stricto sensu. Principe : les ventes. Principe : les ventes stricto sensu.
Conditions spécifiques– vente d’un ou plusieurs locaux d’habitation ou à usage mixte d’habitation et professionnel.Volonté de vendre un logement libre et d’éviter la reconduction du bail en cours.Vente dans sa totalité et en une seule fois d’un immeuble à usage d’habitation ou mixte d’habitation et professionnel de plus de 5 logements ou cession de la totalité des titres de la société portant attribution en propriété ou en jouissance d’un immeuble de plus de 5 logements.
2/ Mise en œuvre du droit de préemption Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, par l’exploit de commissaire de justice ou par remise en main propre contre récépissé ou émargement (L. 1989 uniquement).
La notification préalable au locataire (mentions obligatoires)– Prix.– Motivation du congé (intention de vendre).– Indication du prix et conditions de la vente de l’immeuble dans son entier.
La réponse du locataire Délai de réponse du locataire : 2 mois (sauf L. 1975, art. 10-1 : 4 mois) à compter de la réception de l’offre du bailleur.
L’ouverture d’un second droit de préemptionSi le locataire a refusé l’offre de vente et que le bailleur décide de vente à un tiers à des conditions ou à un prix plus avantageux, le bailleur, ou à défaut le notaire, doit notifier les nouvelles conditions.
SanctionsNullité de la vente conclue avec un tiers.Sanction du congé frauduleux : nullité et amende pénale (max. 6 000 € pour une personne physique ; 30 000 € pour une personne morale).Nullité de la vente en bloc conclue avec un tiers.