Économie générale du BRS

Économie générale du BRS

– Dissociation économique mais démembrement juridique. – Nous avons déjà souligné que la notion de « dissociation entre le foncier et le bâti », qui est le ressort économique du BRS, ne correspond pas à une réalité juridique (V. supra, no ). Les économistes et les politiques résument souvent ce contrat par une formule simple selon laquelle un ménage accédant loue le foncier et achète le bâti. Cette présentation rapide est juridiquement inexacte, mais n’en demeure pas moins ancrée dans les esprits de beaucoup d’interlocuteurs. Étonnamment, le législateur leur a parfois emboîté le pas, ce qui génère encore aujourd’hui de regrettables incertitudes, notamment quant à l’objet du contrat.
La clé de la bonne compréhension du BRS réside naturellement dans l’article L. 255-1 du Code de la construction et de l’habitation qui le définit : « Constitue un contrat dénommé “bail réel solidaire” le bail par lequel un organisme de foncier solidaire consent à un preneur, dans les conditions prévues à l’article L. 329-1 du Code de l’urbanisme, et pour une durée comprise entre dix-huit et quatre-vingt-dix-neuf ans, des droits réels en vue de la location ou de l’accession à la propriété de logements, avec s’il y a lieu obligation pour ce dernier de construire ou réhabiliter des constructions existantes ».
Nous proposons la reformulation suivante de cette définition pour décrire plus simplement le mécanisme du BRS : le bail réel solidaire est un contrat par lequel un OFS, qui s’est approprié préalablement l’immeuble concerné consistant en un logement, le grève d’un droit réel spécifique donnant au preneur accession à la propriété de ce logement.
Ainsi reformulée, la définition du BRS éclaire à la fois sur les droits respectifs des parties (§ I) et sur l’objet du contrat (§ II).

Du danger de faire usage d’une terminologie inadaptée : le BRS ne crée pas de dissociation mais démembre la propriété

L’histoire récente du BRS illustre une évidence, parfois trop vite oubliée : en Droit comme en bien d’autres domaines, chaque mot a un sens et une importance. L’usage répété d’un raccourci terminologique résumant le dispositif du BRS en une simple formule a conduit à une représentation juridique parfois erronée, source de regrettables incertitudes.
1. Les origines d’une confusion
Il est vrai que le BRS conduit, économiquement, à une division de la valeur (et donc de la charge financière de l’acquisition d’un immeuble) entre le terrain (charge foncière) et la construction. Mais, juridiquement, cette formulation est à l’origine d’une confusion entre le BRS et la division physique d’un fonds (au sens que le Code civil donne à ce terme) sur lequel se superposeraient deux propriétaires, l’un détenant le terrain, l’autre les constructions.
2. Une erreur fondamentale…
Il y a là, à notre avis, une erreur fondamentale, qui réduit le BRS à une simple division volumétrique permettant de faire coexister deux propriétaires imbriqués sur une même assiette foncière, chose que les notaires et les géomètres savent faire parfaitement et depuis longtemps. Point n’eût été besoin, si tel était le cas, de créer un contrat spécifique.
3. … malencontreusement propagée par des contradictions législatives successives…
3.1 – Pourtant, dans le rapport fait au nom de la Commission des lois de l’Assemblée nationale sur le projet de la loi 3DS adopté par le Sénat, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 novembre 2021, sous l’article 28, on pouvait lire : « Le preneur acquiert le bâti tandis que le foncier reste la propriété de l’organisme qui perçoit une redevance pour l’occupation dudit foncier ». Et, dans le même document, il est question de « vendre des logements en bail réel solidaire (BRS) ».
3.2 – Ainsi, lorsque sont créés en 2014 les OFS, la terminologie utilisée est la suivante : « L’organisme de foncier solidaire reste propriétaire des terrains et consent au preneur, dans le cadre d’un bail de longue durée, s’il y a lieu avec obligation de construire ou de réhabiliter des constructions existantes, des droits réels en vue de la location ou de l’accession à la propriété des logements… ».
3.3 – Deux ans et demi plus tard, l’ordonnance de 2016 paraît rectifier le tir, lorsqu’elle définit le bail réel solidaire comme un contrat par lequel « un organisme de foncier solidaire consent à un preneur (…) des droits réels en vue de la location ou de l’accession à la propriété de logements ». La différence est flagrante : d’un texte politique et économique, au vocabulaire imprécis, on parvient en 2016 à une rédaction cohérente avec la mécanique juridique précise des baux constitutifs de droits réels.
3.4 – Il faut croire, malheureusement, que le mal était déjà fait ! En 2018 la loi Elan inaugure une bien étrange disposition au dernier alinéa de l’article L. 255-7 du Code de la construction et de l’habitation. Ce texte dispose que : « Dans les immeubles en copropriété (…), les titulaires de baux réels solidaires confèrent au syndicat des copropriétaires la gestion de leurs droits réels indivis ». Tel est, à l’évidence, le fruit de la mauvaise représentation du mécanisme du BRS fondée sur une terminologie qu’il convenait de réserver au domaine économique et financier. Selon cette thèse dissociative, que nous réfutons, il existerait, pour le sol et pour la construction, deux propriétaires distincts, de sorte que lorsque le propriétaire de la construction la met en copropriété, le sol, qui ne lui appartient pas, ne pourrait donc dépendre des parties communes. Comme il est particulièrement difficile d’imaginer une copropriété dépourvue de tout lien juridique avec le sol sur lequel elle est édifiée (!), on introduit cette phrase mystérieuse permettant au syndicat des copropriétaires de « gérer » (le terme est bien vague) les droits réels des accédants, subitement qualifiés d’« indivis »… pour les seuls besoins de la cause !
4. … mais partiellement rectifiée par la loi 3DS
Il faut néanmoins reconnaître que la confusion laissant penser à une dissociation juridique était encore plus grande avant la loi 3DS qui a réformé l’article L. 255-3 du Code de la construction et de l’habitation. L’ancienne rédaction de cet article prévoyait en effet qu’« un bail réel solidaire portant sur les droits réels immobiliers acquis par chaque preneur est signé avec l’organisme de foncier solidaire concomitamment à la signature de l’acte authentique ». Nous ne reviendrons pas sur cette ancienne version de l’article L. 255-3, sur laquelle nous nous sommes déjà exprimés. La suppression de ce BRS dit « preneur » concomitant à la cession permet de mieux comprendre qu’il n’y a pas de dissociation entre un contrat dont on pouvait penser qu’il portait sur le bâti (la cession des droits réels) et un contrat qui semblait avoir pour vocation de consolider les droits sur le foncier (le BRS concomitant). Les droits réels créés sont d’une nature particulière, définie par l’article L. 255-1 du Code de la construction et de l’habitation, grèvent la propriété de l’OFS qui se trouve ainsi juridiquement démembrée, et peuvent faire l’objet d’une cession.

Les droits respectifs des parties

– « La lettre tue, l’esprit vivifie ». – Les droits respectifs des parties à un BRS se comprennent mieux en énonçant, en premier lieu, la nature des prérogatives de l’accédant :
  • d’une part, le droit de l’accédant est un droit réel spécifique ;
  • d’autre part, le droit initial de l’OFS est un droit de propriété classique.

Le droit de l’accédant : un droit réel spécifique

L’effet juridique du BRS est la naissance, sur la tête de l’accédant, d’un droit réel susceptible d’être cédé ou remis en garantie, mais distinct tant du droit de propriété que de ses démembrements identifiés par le Code civil. L’objet du droit réel constitué étant de permettre la location (cas du BRS L. 255-4) ou l’accession à la propriété de logements (cas des BRS L. 255-2 et L. 255-3). Les conséquences principales de la nature réelle des droits ainsi conférés s’apprécient principalement à l’égard des sûretés et des servitudes.

Sûretés

– Sûretés. – Par le BRS, le preneur se voit conférer un droit réel susceptible d’hypothèque et de saisie immobilière. Bien que le cas soit difficilement imaginable, cela répond à un souci de sécurisation des créanciers évoqué à l’occasion de l’étude des baux constitutifs de droits réels. Il est possible pour le preneur et l’OFS de convenir librement de la date d’échéance des sûretés qui sont constituées. À défaut, celles-ci prennent fin en cas de résiliation du contrat de bail.
Pour que le droit de suite hypothécaire reste efficace en cas de résiliation du BRS et donc de disparition de l’objet de l’hypothèque, les contrats de BRS prévoient généralement une délégation de l’indemnité de résiliation.

Servitudes

– Servitudes. – Classiquement, « le preneur peut acquérir des servitudes actives et consentir les servitudes passives indispensables à la réalisation des constructions et ouvrages édifiés ou à réhabiliter en application du contrat de bail. Sauf accord de l’organisme de foncier solidaire, il ne peut constituer des servitudes passives au-delà de la durée du bail ».

Le droit initial de l’OFS : un droit de propriété classique

L’OFS doit, quant à lui, être ou devenir titulaire du droit de propriété d’un immeuble par nature, tel que défini par le Code civil. Seule la réunion en sa personne de toutes les composantes traditionnelles du droit de propriété lui permet de procéder au démembrement de ce droit.
Il est vrai que la rédaction de la loi puis celle de l’ordonnance régissant le BRS, encore compliquée par certains articles de la loi 3DS, ont pu susciter des hésitations, voire des incompréhensions. Nous estimons que celles-ci sont à présent dépassées, les interprétations trop strictes ne pouvant conduire qu’à méconnaître l’intention du législateur. L’on ne s’attachera donc pas à une lecture littérale des textes successifs, mais bien à leur esprit : pour que les OFS puissent faire fonctionner le régime du BRS et permettre son développement, ils doivent nécessairement être propriétaires d’un immeuble, et donc se l’approprier. Reste à savoir quelle est la nature physique de cet immeuble, et comment l’identifier, ce qui conduit à décrire les éléments constitutifs du contrat.

L’objet du BRS : un logement et non un terrain

– Un immeuble par nature au sens juridique du terme, quelle que soit sa nature physique. – À l’instar des autres baux constitutifs de droits réels, le BRS ne peut avoir pour objet qu’un immeuble par nature, qu’il grèvera alors du droit réel conféré à l’accédant. Sa nature physique peut être très variée : l’OFS transfère au preneur par effet du droit réel constitué la propriété du logement concerné, le cas échéant « à construire ou à réhabiliter », voire à rénover (car il est question de rénovation au premier alinéa de l’article L. 329-1 du Code de l’urbanisme, mais plus jamais par la suite…). Le terme « le cas échéant » signifiant en outre qu’un BRS peut porter sur un logement existant ne nécessitant pas de travaux.
– Identifié, lorsque l’immeuble est collectif, comme un lot de copropriété. – Le BRS est un outil permettant à un ménage preneur d’accéder à la propriété d’un logement, effet essentiel du droit réel créé par l’article L. 255-1 du Code de la construction et de l’habitation. Dès lors, exception faite du BRS consenti sur une maison individuelle, qui ne présente pas de difficulté d’identification, donner accession à la propriété d’un logement dépendant d’un immeuble collectif suppose que l’immeuble objet du BRS soit préalablement identifié comme un lot de copropriété. Aussi, en immeuble collectif, le BRS doit toujours être mis en place après la signature de l’état descriptif de division créant les lots de copropriété. Il grèvera le lot correspondant à un logement selon le cas existant ou à construire. Le fait qu’un ou plusieurs BRS soient consentis sur un ou plusieurs lots de copropriété (et a fortiori sur tous les lots d’une copropriété) n’affecte en rien la composition des parties communes qui comprennent nécessairement le sol.

Le BRS ne change rien à la copropriété : le sol est toujours une partie commune

1. Les abus du vocabulaire « dissociatif » évoqués supra, no , ont créé en 2017-2018 d’immenses questionnements sur la copropriété : sur quoi est assise une copropriété soumise au régime du BRS si 1) l’OFS reste propriétaire du sol et 2) les droits réels ne peuvent pas être communs car ils sont conférés logement par logement à chaque ménage accédant ?
Comme indiqué supra, no , ces questions sont en fait dépourvues d’intérêt : nous considérons que le sol reste une partie commune et que le BRS ne peut être signé qu’après l’état descriptif de division.
En effet, les BRS ne grèvent que les lots de copropriété, comme cela est admis en matière de bail à réhabilitation. La loi ne le précise pas pour le BRS, mais faire autrement revient à rendre impossible la mise en place des montages en BRS logement par logement dans un immeuble collectif, qu’il soit existant, à construire ou à réhabiliter (cas expressément permis par le Code de la construction et de l’habitation), partiellement ou totalement soumis au régime du BRS.
La copropriété, en totalité soumise au BRS ou seulement partiellement, est classique. Son sol fait partie des parties communes, le droit réel de BRS n’étant constitué que sur des lots de copropriété.
Le montage n’a pas à différer selon que l’immeuble doit être 100 % soumis au régime du BRS ou pas. Dans une hypothèse où le montage concerne au départ 100 % des lots, la situation de reconstitution de la pleine propriété d’un logement sur la tête de l’OFS en cas de résiliation d’un BRS, puis d’une cession à un tiers, rend impossible l’idée même d’un sol qui ne serait pas une partie commune.
2. La dissociation entre foncier et bâti est en revanche économique, au sens où une part de la valeur du logement est portée par l’OFS (c’est d’ailleurs une part qui peut être différente du strict prix du terrain, en plus ou en moins). Notons que le règlement relatif aux comptes des organismes HLM agréés OFS, modifié le 11 octobre 2022, homologué par arrêté du 13 décembre 2022 publié au Journal officiel du 18 décembre 2022, par l’Autorité des normes comptables (ANC), retient de manière assez logique la dissociation économique du point de vue comptable en imposant d’immobiliser la valeur foncière et de stocker la valeur bâtie. Les redevances foncières sont des flux locatifs. Les prix d’accession à la propriété des logements résultant des droits réels conférés sont des prix de cession d’actifs.