L'identification des risques

L'identification des risques

– L'effacement progressif des contours de l'intime V. supra, Chapitre I, Section I, « Les tentatives de définition de la notion de vie privée ». . – Dans les méandres d'internet, les risques d'atteinte à la vie privée sont décuplés. La course effrénée à la médiatisation des faits et gestes du quotidien est à l'origine du phénomène, mais pas uniquement. En effet l'individu connecté, quel que soit son niveau d'implication sur la toile, divulgue des éléments relevant de la sphère intime, la sienne ou celle des autres. Ainsi la circulation sur la vague internet efface progressivement les contours de cet espace clos à protéger qu'est l'intime. La simple navigation sur internet, le partage d'informations, la publication des contenus tels que les photos, les vidéos, les billets de transport font de l'individu un producteur de contenus.
– La récupération des innombrables traces laissées sur les canaux informatiques de communication. – Les conversations sur les réseaux sociaux, les like analysés comme des formes d'opinion et/ou de prises de position, les GPS permettant la géolocalisation sont autant d'informations récupérables. Ils permettent de savoir qui est l'individu en ligne. Ajouter à cela les renseignements tels que le nom, l'adresse, les habitudes de vie, et voilà l'individu entièrement dévoilé. Or, l'éparpillement des éléments de la vie privée notamment par le « repartage » des internautes rend quasi impossible le contrôle des diffusions par la personne concernée. Les échanges sur les réseaux sociaux parmi lesquels on citera :
  • Facebook, en tête avec pas moins de 2,2 milliards d'utilisateurs actifs chaque mois au niveau mondial ;
  • Instagram ;
  • LinkedIn ;
  • Tweeter ;
  • Pinterest ;
  • ou bien encore TikTok, né en 2016, en passe de devenir le septième réseau social mondial avec plus de 800 millions d'utilisateurs estimés. En France, elle est la quatrième application la plus téléchargée ;
laissent de nombreuses traces permettant à des serveurs de stocker et regrouper toutes les informations concernant la vie privée de l'individu. La récupération des données à des fins inenvisagées par le consommateur d'internet est légion, mais risque de mettre en péril les droits humains CNCDH, avis, 22 mai 2018, sur la protection de la vie privée à l'heure du numérique : JO 3 juin 2018, no 126 (www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000036977283&categorieLien=id">Lien). . En effet, la vie privée se trouve d'abord fragilisée par le ciblage prédictif des intentions de l'utilisateur aux fins de marketing et de marchandisation. Il s'agit du profilage algorithmique : une Machine Learning se nourrit des informations personnelles de la cible : l'âge, la profession, le genre, les historiques d'achat, la fréquentation des sites et leur fréquence. Ces informations serviront à déterminer l'appétence de celle-ci pour un produit ou un sujet. Elles peuvent également générer des addictions, désinformer, en somme manipuler le comportement. Vu par certains comme un formidable instrument mercantile de développement, ce phénomène inquiète par l'intrusion nocive qu'il génère.
L'insécurité liée à la circulation incontrôlable des informations facilite la falsification et conduit à l'usurpation d'identité V. infra, Commission 1, Partie II, no . . Cette usurpation passe par l'utilisation, à l'insu de la personne, de son nom, son adresse (domicile et adresse électronique), sa photographie, la création d'un faux profil, d'un faux blog www.cnil.fr/fr/lusurpation-didentite-en-questions">Lien , etc. Le dessein de l'usurpateur est alors de nuire à la personne dont l'identité a été volée. Le danger vient également du piratage possible des informations : la cybercriminalité augmente et fait régulièrement la une de l'actualité.

Protéger sa vie privée. Le Rire Jaune : une vidéo à l'initiative de la Cnil et de la MGEN pour faire passer un message d'alerte

Source : www.youtube.com/watch?v=U7xOBOnQ0G4&list=RDU7xOBOnQ0G4&start_radio=1&t=3">Lien
– Les effets induits de la divulgation des informations personnelles sur internet. – L'un des effets induits de la divulgation sur internet est la discrimination ciblée, ou l'atteinte à la réputation par la manipulation des faits. Elle se manifeste par la possible récupération des informations des années après leur incrustation sur internet. La discrimination ciblée entraîne des restrictions à l'emploi, à certains services comme le crédit, l'assurance, etc. Ainsi en 2014, selon le rapport de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), près de 35 % des recruteurs ont reconnu avoir écarté un candidat à l'emploi en raison de sa réputation négative tirée des informations collectées sur la toile https://linc.cnil.fr/sites/default/files/typo/document/CNIL-35e_rapport_annuel_2014.pdf">Lien , qu'elles soient fondées ou non, telles que des photos compromettantes ou des prises de position. C'est la raison pour laquelle, en 2010, a été signée une charte du droit à l'oubli numérique dans les sites collaboratifs et les moteurs de recherche V. infra, Commission 1, Partie III, nos et s. .
– La diffusion d'informations confidentielles via les objets connectés. – L'individu sera demain, plus qu'aujourd'hui encore, pleinement impacté par la vie connectée. Il ne sera plus dans une vie domestique mais dans une vie collective. Ce qui est déjà potentiellement le cas avec la domotique ou l'entrée des objets connectés dans l'espace privé. Pour preuve, le 4 décembre 2017, la Cnil a mis en demeure un fabriquant de sécuriser ses jouets connectés contre les micros espions : toute personne équipée d'un smartphone doté d'une application de connexion à l'objet était en mesure de surprendre non seulement les « conversations » de l'enfant avec le jouet, mais également celles entretenues à proximité.
– Le paradoxe de la vie privée ( Privacy Paradox ) P. A. Norberg, coauteur de The Privacy Paradox : Personal Information Disclosure Intentions versus Behaviors : Journal of consumer affairs 2007 (official publication of the American Council on Consumer Interests), Malden, Mass. : Wiley, vol. 41, 1, p. 100-126. et la promotion de l'individu par lui-même. – Le droit au respect de la vie privée comprend une autre composante que celle de préservation de la sphère d'intimité des intrusions provenant de l'extérieur (droit interne). En effet, il comprend également un droit externe de libre déploiement de la personnalité dans la vie sociale, y compris la vie sociale numérique CNCDH, avis, 22 mai 2018, sur la protection de la vie privée à l'heure du numérique : JO 3 juin 2018, no 126. . Le dilemme provoqué par ce double droit (interne et externe) entraîne un paradoxe : le besoin de protéger sa vie privée sur internet et un comportement participatif en ligne laissant croire le contraire A. Casilli, Contre l'hypothèse de la fin de la vie privée : RFSIC 30 juill. 2013. . La participation aux réseaux sociaux s'est peu à peu transformée pour devenir ce que l'on appelle le Personal Branding, c'est-à-dire le fait pour un individu de se promouvoir par le biais de techniques marketing ou publicitaires.
Le risque se manifeste à travers les avis laissés sur les sites. Un avis délétère peut porter atteinte à la réputation de l'individu pratiquant le Personal Branding. L'individu ciblé par ces avis, perçus comme des agressions, se trouve démuni et éprouve souvent beaucoup de difficultés soit à rectifier soit à supprimer ces messages. À titre d'exemple, l'effacement des avis négatifs laissés sur Google relève du parcours du combattant. En effet, après avoir signalé l'avis via le compte Google My Business, la décision de suppression de l'avis appartient à Google. L'individu n'a donc pas la maîtrise des informations divulguées le concernant. L'effet pervers de la réponse pouvant être faite renforce parfois le sentiment de vérité ressenti par les lecteurs de ces avis.
Source : http://etab.ac-poitiers.fr/coll-st-savin/spip.php?article522">Lien
– Évolution possible de la notion de protection de la vie privée. – Il est difficile aujourd'hui d'admettre que la vie privée doit être absolument respectée quand l'individu s'expose lui-même sur la toile. La protection de la vie privée telle qu'elle est aujourd'hui appréhendée ne correspond plus à la réalité numérique. La notion de protection de la vie privée doit évoluer. Il sera nécessaire d'appréhender juridiquement cette protection sous un autre angle, de proposer une protection contre l'ingérence extérieure au cercle choisi par l'individu. Le changement de paradigme peut être envisagé sous l'angle d'un principe de proportionnalité entre les informations qu'un individu choisit de dévoiler sur sa vie privée et leur récupération abusive.