– Le premier registre
blockchain
associé à un fichier immobilier en Géorgie. – La Géorgie, modeste nation caucasienne de quatre millions d'habitants, héberge la plus grande société de minage du monde (Bitfury)
Rapport de la Banque mondiale, Cryptocurrencies and blockchain, mai 2018, p. 43 (https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/29763/9781464812996.pdf?sequence=2&isAllowed=y">Lien).
, et affecte près de 10 % de sa production énergétique annuelle au minage. C'est donc naturellement que ce pays, qui a beaucoup misé sur la blockchain et les fermes de minage
www.nytimes.com/2019/01/22/business/georgia-bitcoin-blockchain-bitfury.html">Lien
, s'est tourné vers la technologie blockchain afin de sécuriser les transactions immobilières nationales.
Les premières expériences de registre immobilier en blockchain
Les premières expériences de registre immobilier en blockchain
Le système de publicité foncière/cadastre de Géorgie a été réformé en 2004, avec la création de la National Agency of Public Registry (NAPR) pour remplacer le Bureau de l'inventaire technique et le Département de la gestion des terres de l'État. Ces fichiers ont été digitalisés par la NAPR, qui a créé la « NAPReg », une base de données numérisée qui comprend des informations sur le cadastre, telles que les titres de propriété et les photos satellites. Cependant, ces réformes n'ont pas suffi à enrayer totalement le risque de corruption des fonctionnaires administrant les registres fonciers. Alors qu'elle était presque dernière (cent vingt-troisième) dans l'indice de perception de la corruption de Transparency International en 2003, elle se classe maintenant à la quarante-quatrième place
https://fr.wikipedia.org/wiki/Indice_de_perception_de_la_corruption#Classement_2019">Lien
. La Géorgie devait encore relever le défi de garantir l'intégrité des données et de protéger le système contre les manipulations internes et les cyberattaques externes.
En 2016, le ministère géorgien de la Justice et la société minière Bitfury, l'Agence nationale du registre public de la République de Géorgie et le célèbre économiste péruvien Hernando de Soto ont annoncé un partenariat pour concevoir et piloter un projet blockchain de titres fonciers. Après un premier test en 2016, le projet a été officiellement concrétisé en 2017.
Le projet a consisté à adjoindre la technologie blockchain aux services d'enregistrement, sans les remplacer. Ainsi, Bitfury a déployé une blockchain permettant d'horodater les flux traités par le système d'enregistrement des fonciers au format numérique existant de la NAPR. Cette blockchain est hybride et met en œuvre une blockchain privée, « Exonum », pour l'administration des flux, cette blockchain étant elle-même ancrée à la chaîne publique Bitcoin
Qiuyun Shang and Allison Price, Innovations : Technology, Governance, Globalization : The MIT PressJournals, Winter-spring 2019, vol. 12, no 3-4 : 72-78.
. Cela signifie que les titres fonciers sont gérés dans un système fermé privé, ancré à intervalles réguliers sur la blockchain publique pour en assurer l'intégrité.
Selon Forbes, le projet géorgien est le premier d'un gouvernement officiel reposant sur la blockchain Bitcoin pour enregistrer des titres fonciers
www.forbes.com/sites/laurashin/2016/04/21/republic-of-georgia-to-pilot-land-titling-on-blockchain-with-economist-hernando-de-soto-bitfury/?sh=6c16227544da">Lien
. En 2018, un total de 1,5 million de titres fonciers ont été publiés sur la blockchain en République de Géorgie. Ce projet a été rendu possible grâce à une forte volonté politique.
– L'expérience de registre
blockchain
des transactions en Suède. – Un projet de fichier immobilier en blockchain a été initié en Suède, par l'intermédiaire du Lantmäteriet (The Swedish Mapping, Cadastral and Land Registration Authority) qui est l'établissement public administrant l'équivalent du cadastre et du fichier immobilier en Suède.
Partant du constat qu'un délai de trois à six mois est nécessaire entre la signature de l'acte de vente et le moment où le Lantmäteriet reçoit l'acte de vente et approuve le titre, et que son intervention est très tardive dans le processus transactionnel qui implique principalement des envois papiers, le Lantmäteriet a initié un projet de blockchain des transactions immobilières.
La première phase du projet multipartite a impliqué le Lantmäteriet, la compagnie téléphonique Telia Company
Anciennement TeliaSonera, cette société suédoise est l'opérateur de téléphonie historique suédois et finlandais (www.teliacompany.com/en">Lien).
, la blockchain Chromia (CHR)
https://coinmarketcap.com/fr/currencies/chromia">Lien
développée par ChromaWay
Entreprise suédoise développant des solutions en blockchain fondée en 2014 (https://chromaway.com/about-us">Lien).
et fonctionnant en lien avec la blockchain Ethereum, et une société de conseil Kairos Future
Kairos Future est une société suédoise de conseil et de recherche qui aide les entreprises, les organisations et les dirigeants à comprendre et à façonner leur avenir notamment grace au numérique.
.
Le rapport de synthèse émis en juillet 2016 décrit l'architecture potentielle et non encore testée d'une application mobile permettant de suivre une transaction immobilière avec les parties prenantes, le Lantmäteriet, les banques avec des signatures cryptographiques et des enregistrements blockchain
http://ica-it.org/pdf/Blockchain_Landregistry_Report.pdf">Lien
.
Des expérimentations ont été poursuivies en 2017 et 2018, notamment avec les banques suédoises SBAB Bank et Landshypote, et une première preuve de concept a fait l'objet d'une démonstration en direct en juin 2018, comprenant la vérification côté client des signatures numériques approuvées par le gouvernement et l'exportation finale des contrats juridiques nécessaires
V. C. Kim, Sweden's Land Registry Demos Live Transaction on a Blockchain, CoinDesk, 15 juin 2018 (www.coindesk.com/sweden-demos-live-land-registry-transaction-on-a-blockchain">Lien).
.
– Le projet de registre
blockchain
de cadastre au Ghana avec le projet Bitland. – Le Ghana bénéficie de l'un des produits intérieurs bruts les plus élevés d'Afrique de l'Ouest
Selon le classement de la Banque mondiale pour l'année 2019, le Ghana est dans le top 10 des pays d'Afrique les plus riches avec un produit intérieur brut de 66,98 milliards de dollars (9e place et 74e mondiale).
, lui valant le titre « d'Eldorado africain ». Pour autant, un rapport de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) de 2013
Cedeao, Rapport, Ghana : la question foncière dans l'El Dorado, août 2013 (https://issafrica.s3.amazonaws.com/site/uploads/ECOWAS-Report-6-FR.pdf">Lien).
dresse un bilan assez sombre de la question de la sécurité des droits fonciers et de l'inégalité d'accès à la terre. Ce rapport met notamment en cause le système foncier quasi inexistant au Ghana, pays dans lequel l'État détient et gère environ 20 % des terres uniquement, le reste étant soumis à un droit coutumier
F. Gbadamassi, Le blockchain, la technologie qui pourrait donner vie à des cadastres virtuels : Franceinfo Afrique févr. 2016 (www.francetvinfo.fr/monde/afrique/ghana/le-blockchain-la-technologie-qui-pourrait-donner-vie-a-des-cadastres-virtuels_3063973.html">Lien).
avec principalement des terres rurales non enregistrées dans des bases officielles. Avec pour conséquence des ventes frauduleuses, des litiges sur les frontières, des destructions de biens lors des conflits, voire de violents affrontements entre les demandeurs de terre.
C'est dans ce contexte qu'une organisation non gouvernementale dénommée « Bitland » avait annoncé en 2016 un nouveau projet de blockchain de conservation des données du cadastre et des titres de propriété
V. J.-M. Huet in La Tribune Afrique 9 avr. 2019 (https://afrique.latribune.fr/think-tank/tribunes/2018-04-09/les-premiers-pas-concrets-de-la-blockchain-en-afrique-774614.html">Lien).
. Techniquement, le projet consistait à émettre un nouveau token dénommé le cadastrals sur une blockchain « Bitland », la réserve de jetons étant hébergée sur OpenLedger
https://openledger.info">Lien
. Une ICO a été lancée en 2016 avec l'émission de jetons, dont le succès n'est toutefois pas connu. Sur CoinMarket, le marché a connu deux phases au lancement fin 2016 et fin 2017 lors de la ruée vers le bitcoin. « Bitland » visait la signature de contrats avec l'État du Ghana dans les quatre ans. Le livre blanc décrivant l'architecture technique du projet n'a pas été retrouvé.
Le projet semble être toujours au stade de projet, après le lancement d'un token ayant cessé toute activité sur les plateformes d'échange depuis fin 2017. Tous les sites référencés en 2016 sont expirés et tous les comptes twitter de « Bitland » sont inactifs depuis 2017-2018
À noter toutefois qu'un nouveau site (www.bitlandghana.org">Lien) a été activé en septembre 2020 et propose un service d'enregistrement des titres de propriété présenté comme gratuit. Il n'est toutefois pas mentionné si le titre est inscrit en blockchain ou pas.
.
– Le projet de cadastre
blockchainisé
en Amérique du Sud. – La Banque interaméricaine de développement (BID) et la société ChromaWay, qui a accompagné le projet suédois, se sont liées en 2019 dans un projet au Pérou, au Paraguay et en Bolivie intitulé « Distributed Ledger Technology (Blockchain) : L'avenir de l'enregistrement et de l'enregistrement des titres de propriété foncière ».
À titre d'exemple, le rapport de présentation précise qu'en Bolivie, la procédure d'enregistrement des terres comporte quatorze étapes et demande près de quarante jours de travail, pour un coût de plus de mille dollars, ce qui aboutit parfois à ne pas réaliser la formalité
www.iadb.org/projects/document/EZSHARE-508460382-20?project=RG-T3356">Lien
.
L'objectif principal du projet est d'évaluer comment la technologie blockchain pourrait contribuer à résoudre certains des problèmes les plus urgents de l'administration foncière en Amérique du Sud. Le consortium implique ainsi des registres fonciers urbains et ruraux, des banques, des notaires et d'autres agences gouvernementales pour piloter un projet dans les trois pays. Le projet est actuellement en phase 2 d'un projet de cadastre financé par la BID.
– La
blockchain
pour sécuriser un fichier des locations. – La blockchain pourrait faciliter et réduire le coût de mise en œuvre de nouveaux registres, que l'on pourrait qualifier de « secondaires » aux registres traditionnels, pour toutes les opérations portant sur des immeubles mais non soumis à publicité, par exemple les droits personnels tels que ceux résultant de locations. Ainsi, il serait possible d'animer des registres visant à conférer une date certaine aux baux et une garantie d'intégrité s'ils sont signés au format numérique. L'expérience montre que des baux peuvent être antidatés, voire frauduleux, par exemple en cas de squat, et que les parties égarent souvent l'original de leur bail. Dans ce secteur, des applications privées ont déjà été lancées.
– Exemple de baux en
blockchain
. – Fin 2016, la ville de Rotterdam aux Pays-Bas, en partenariat avec Deloitte et le Cambridge Innovation Center (CIC), ont été les premiers au monde à enregistrer des contrats de location immobilière sur une blockchain. Sous le nom de Blockchain in Real Estate, le projet mettant en œuvre la blockchain était surtout un exercice de design thinking de la procédure de location dans un environnement entièrement numérique, et dans laquelle la blockchain assure un rôle d'encapsulage du contenu échangé et du contrat (grâce à l'empreinte des documents)
hwww2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/nl/Documents/real-estate/deloitte-nl-fsi-re-blockchain-in-re.pdf">Lien
. Ce projet correspond à l'offre d'un acteur français, la société Olarchy
www.olarchy.com/#intro">Lien
, qui propose notamment depuis 2018 une plateforme de gestion de la procédure de bail entièrement numérique et sécurisée par blockchain.
Les pouvoirs publics pourraient se saisir de cette technologie pour offrir une plateforme de signature des baux sans qu'il soit besoin d'une autorité de confiance pour l'administrer. Si tous les baux étaient obligatoirement enregistrés avec preuve de dépôt à l'appui, cela permettrait de répondre par exemple à la question de la location meublée touristique intempestive, aux squats ou encore aux marchands de sommeil.
On retrouve dans cette architecture les principaux enjeux de la blockchain, à savoir qu'un registre n'a d'intérêt que si les données qui l'alimentent sont fiables (contenu de la transaction) et les agents qui les inscrivent sont réputés fiables (oracle et tiers de confiance)
V. infra, Commission 3, nos
et s.
.
– Conclusion sur les premières expériences de registre immobilier en
blockchain
. – Les implications techniques et financières pour déployer une solution blockchain doivent se justifier par des économies de frais d'administration ou par une défiance vis-à-vis de la fiabilité des systèmes existants.
Les initiatives suédoise et géorgienne illustrent ces enjeux. La Suède a souhaité optimiser son fichier immobilier et la gestion des transactions immobilières sur téléphone mobile, et il semble que la blockchain, au-delà des effets d'annonce, ait été relativement secondaire dans cette démarche. La Géorgie avait l'infrastructure numérique du fichier, mais voulait donner de la fiabilité à son système pour contrer la corruption ; la blockchain est dans ce cas l'objet principal du projet. Dans les deux cas, c'est toute la chaîne de transaction qui est repensée et pas uniquement le fichier support des transactions. Avec cette approche, il a été démontré que la digitalisation des transactions et de la publicité foncière en France était déjà très avancée et globalement fiable.
La France doit-elle envisager à brève échéance le recours à la blockchain pour sécuriser les transactions immobilières et ses registres ?