Les enjeux de la blockchainisation des registres immobiliers

Les enjeux de la blockchainisation des registres immobiliers

Le futur de la publicité foncière et des registres immobilier passe-t-il par la blockchain ? Afin de tenter de répondre à cette question, sera d'abord présenté le concept de blockchainisation des registres immobilier (Sous-section I) , avant d'analyser les premiers projets conduits dans le domaine (Sous-section II) , pour conclure sur l'intérêt d'une telle évolution en France (Sous-section III) .

La présentation du concept de blockchainisation des registres immobiliers

– Les promesses de la blockchain en matière de registre. – Le protocole blockchain a pour fonction première d'assurer un registre numérique présumé infalsifiable compte tenu de son architecture distribuée et de l'utilisation de techniques cryptographiques. Il faut rappeler que la blockchain ne sauvegarde pas à proprement parler les données complètes des transactions au format numérique, mais simplement leur empreinte cryptographique. La blockchain reste à ce titre un outil back-office qui doit être conjugué avec d'autres solutions de sauvegarde et un site internet front-office qui en permettent l'utilisation pour horodater et encapsuler des échanges/transactions. Ainsi, il n'est pas question de stocker des données sur la blockchain directement, comme dans un serveur ou un data center, mais simplement de tenir un livre de comptes/transactions.
– Exemples de registre. – Les applications blockchain dans le domaine du registre numérique sont potentiellement nombreuses, dont notamment :
  • l'agroalimentaire, pour la mise en œuvre d'une politique de traçabilité et de vérification des conditions de stockage, le respect de la chaîne du froid et le transport ;
  • le domaine de l'art et du luxe, afin de certifier l'authenticité de l'œuvre ;
  • les documents officiels tels que diplômes, identité, certificats de naissance, afin de lutter contre la contrefaçon ;
  • le transport maritime et international, afin d'assurer la traçabilité des marchandises ;
  • et généralement, pour rapprocher formellement l'intégrité d'un échange de données, à une date déterminée, par exemple un envoi d'e-mail ou la signature d'un contrat, etc., dont il faut assurer par ailleurs la sauvegarde ;
  • les paiements en ligne et transferts de fonds internationaux.
– La blockchain pensée comme substitut des tiers de confiance. – Traditionnellement, les registres sont tenus par l'une des parties prenantes à la transaction, par exemple une banque détenant un compte, ou par un tiers de confiance, par exemple pour un certificat d'authenticité d'une œuvre ou le fichier immobilier. Le numérique est à la fois le principal vecteur d'optimisation de l'indexation et de la puissance des registres, qui dépasse largement le papier, et en même temps le porteur des risques associés à l'intégrité et à la sauvegarde des données conservées dans un format numérique. Le besoin de confiance dans un registre au format numérique est possiblement plus fort que dans un format papier.
La blockchain se présente comme une réponse à un défaut de confiance entre les parties prenantes d'une transaction, qui peuvent s'en remettre à une donnée encapsulée sur une blockchain, en principe infalsifiable. Ces mêmes parties pourraient tout à fait préférer, comme le plus souvent dans l'économie traditionnelle, s'en remettre à un tiers hébergeant la transaction, dès lors que la confiance dans ce tiers est suffisante. À cet égard, il semble que le meilleur exemple soit les prestataires certifiés eIDAS qui ont qualité pour certifier certaines données en ligne comme une signature, une date, un envoi de recommandé électronique.
– La blockchain en matière de registres immobiliers. – Les registres immobiliers font également l'objet de projets associés à la blockchain, avec un enjeu de sécurisation des transactions immobilières. Actuellement 30 % seulement des habitants dans le monde détiennent un titre de propriété officiel V. Banque mondiale, Pourquoi la sécurisation des droits fonciers est un enjeu important, article publié 24 mars 2017 Conférence annuelle de la Banque mondiale sur la terre et la pauvreté">Lien à Washington, DC du 20-24 mars 2017 (www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2017/03/24/why-secure-land-rights-matter?cid=ECR_TT_WorldBank_FR_EXTP">Lien). , et de nombreux pays sont dépourvus de cadastre officiel.
La blockchain publique se présente comme une solution extérieure aux États permettant de sauvegarder de manière sécurisée une transaction en relation avec l'immobilier. La blockchain jouerait un rôle de chaîne d'enregistrement transparente, décentralisée conservant en mémoire toutes les étapes d'une opération immobilière et des documents associés.
Ces applications pourraient impacter les différents acteurs traditionnels d'une chaîne de transactions immobilières, comme ceux administrant le cadastre et le fichier immobilier ou encore les officiers publics recevant les actes authentiques qui alimentent ces fichiers, mais surtout être employées dans les pays où de tels fichiers n'existent pas.
– Le numérique comme réponse à l'insécurité de la propriété immobilière. – La sécurisation de la propriété foncière est un enjeu essentiel dans un État de droit, tant pour l'usage (habitation, production, etc.) qu'elle procure aux concitoyens que pour le crédit qu'elle permet. Cette sécurisation passe d'abord par la reconnaissance et la protection d'un véritable droit de propriété du sol, héritage romain qui a été longtemps amoindri par la féodalité, avec uniquement des droits démembrés sur le sol, et auquel il a été mis un terme par la Révolution française abolissant les droits féodaux DDHC 1789, art. 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». . Ainsi la sécurité de la propriété foncière diffère d'un pays à l'autre selon l'héritage social et politique, et le système juridique du pays concerné. D'ailleurs, la propriété selon les systèmes peut être collective ou individuelle, avec des mécanismes d'indivision et de superposition de droits qui n'en annulent pas les effets.
Mais la reconnaissance d'un droit de propriété véritable sur la terre ne suffit pas à en sécuriser le plein exercice, dès lors que la preuve du droit n'est pas garantie par un système fiable reconnu par tous. C'est le principal enjeu des registres immobiliers, à la fois cadastre et/ou fichier immobilier des transactions, auquel la France a répondu dès la Révolution française avec le cadastre napoléonien V. supra, no . , même si le but était principalement fiscal.
L'informatique et l'internet permettent aujourd'hui d'envisager une évolution progressive des systèmes fonciers peu fiables vers des registres de propriété publics et vérifiables. Cette évolution pourrait permettre à des États dont le système foncier est peu développé et fiable de faire un bond technologique en passant directement de l'absence de fichier à un fichier informatique reposant sur la blockchain, en tant que certificateur décentralisé.
– L'intérêt de la blockchain pour les pays sans fichier immobilier fiable. – À défaut de registre fiable dans sa forme et son contenu, la propriété immobilière se heurte au risque de fraude, de contestation, voire d'expropriation dans des États parfois corruptibles. C'est l'enjeu d'avoir un tiers de confiance et un système de fichier inviolable à même de garantir l'opposabilité des droits de propriété, qui font souvent défaut dans certains États.
Il a été vu qu'en France la solidité actuelle du système foncier (cadastre et fichier immobilier) est l'héritage de lentes consolidations et modernisations sur plus d'un siècle, avec l'aboutissement final vers la digitalisation à partir des années 2000. Il semble illusoire d'imaginer pouvoir transposer à brève échéance les solutions mises en œuvre par la France.
C'est la raison pour laquelle la blockchain publique se présente comme une solution immédiate : d'accès libre et peu coûteuse, elle est publique, accessible partout dans le monde et réputée inviolable. Alors qu'il semble facile de modifier un registre des titres de propriété au format papier ou même numérique dans un pays sujet à la corruption et au népotisme, de telles modifications ne sont pas possibles sur la blockchain publique qui échappe au contrôle de l'État. Selon une étude de l'organisation non gouvernementale Transparency International, 20 % des utilisateurs de services fonciers dans le monde ont admis avoir payé un pot-de-vin pour enregistrer leur propriété ou vérifier les informations relatives à la propriété foncière Doing Business 2018, Registering Property, Using Infirmation to curb corruption, p. 1 (http://documents1.worldbank.org/curated/en/270331513854675950/pdf/122195-WP-DB18-Registering-property.pdf">Lien). .

Les premières expériences de registre immobilier en blockchain

– Le premier registre blockchain associé à un fichier immobilier en Géorgie. – La Géorgie, modeste nation caucasienne de quatre millions d'habitants, héberge la plus grande société de minage du monde (Bitfury) Rapport de la Banque mondiale, Cryptocurrencies and blockchain, mai 2018, p. 43 (https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/29763/9781464812996.pdf?sequence=2&isAllowed=y">Lien). , et affecte près de 10 % de sa production énergétique annuelle au minage. C'est donc naturellement que ce pays, qui a beaucoup misé sur la blockchain et les fermes de minage www.nytimes.com/2019/01/22/business/georgia-bitcoin-blockchain-bitfury.html">Lien , s'est tourné vers la technologie blockchain afin de sécuriser les transactions immobilières nationales.
Le système de publicité foncière/cadastre de Géorgie a été réformé en 2004, avec la création de la National Agency of Public Registry (NAPR) pour remplacer le Bureau de l'inventaire technique et le Département de la gestion des terres de l'État. Ces fichiers ont été digitalisés par la NAPR, qui a créé la « NAPReg », une base de données numérisée qui comprend des informations sur le cadastre, telles que les titres de propriété et les photos satellites. Cependant, ces réformes n'ont pas suffi à enrayer totalement le risque de corruption des fonctionnaires administrant les registres fonciers. Alors qu'elle était presque dernière (cent vingt-troisième) dans l'indice de perception de la corruption de Transparency International en 2003, elle se classe maintenant à la quarante-quatrième place https://fr.wikipedia.org/wiki/Indice_de_perception_de_la_corruption#Classement_2019">Lien . La Géorgie devait encore relever le défi de garantir l'intégrité des données et de protéger le système contre les manipulations internes et les cyberattaques externes.
En 2016, le ministère géorgien de la Justice et la société minière Bitfury, l'Agence nationale du registre public de la République de Géorgie et le célèbre économiste péruvien Hernando de Soto ont annoncé un partenariat pour concevoir et piloter un projet blockchain de titres fonciers. Après un premier test en 2016, le projet a été officiellement concrétisé en 2017.
Le projet a consisté à adjoindre la technologie blockchain aux services d'enregistrement, sans les remplacer. Ainsi, Bitfury a déployé une blockchain permettant d'horodater les flux traités par le système d'enregistrement des fonciers au format numérique existant de la NAPR. Cette blockchain est hybride et met en œuvre une blockchain privée, « Exonum », pour l'administration des flux, cette blockchain étant elle-même ancrée à la chaîne publique Bitcoin Qiuyun Shang and Allison Price, Innovations : Technology, Governance, Globalization : The MIT PressJournals, Winter-spring 2019, vol. 12, no 3-4 : 72-78. . Cela signifie que les titres fonciers sont gérés dans un système fermé privé, ancré à intervalles réguliers sur la blockchain publique pour en assurer l'intégrité.
Selon Forbes, le projet géorgien est le premier d'un gouvernement officiel reposant sur la blockchain Bitcoin pour enregistrer des titres fonciers www.forbes.com/sites/laurashin/2016/04/21/republic-of-georgia-to-pilot-land-titling-on-blockchain-with-economist-hernando-de-soto-bitfury/?sh=6c16227544da">Lien . En 2018, un total de 1,5 million de titres fonciers ont été publiés sur la blockchain en République de Géorgie. Ce projet a été rendu possible grâce à une forte volonté politique.
– L'expérience de registre blockchain des transactions en Suède. – Un projet de fichier immobilier en blockchain a été initié en Suède, par l'intermédiaire du Lantmäteriet (The Swedish Mapping, Cadastral and Land Registration Authority) qui est l'établissement public administrant l'équivalent du cadastre et du fichier immobilier en Suède.
Partant du constat qu'un délai de trois à six mois est nécessaire entre la signature de l'acte de vente et le moment où le Lantmäteriet reçoit l'acte de vente et approuve le titre, et que son intervention est très tardive dans le processus transactionnel qui implique principalement des envois papiers, le Lantmäteriet a initié un projet de blockchain des transactions immobilières.
La première phase du projet multipartite a impliqué le Lantmäteriet, la compagnie téléphonique Telia Company Anciennement TeliaSonera, cette société suédoise est l'opérateur de téléphonie historique suédois et finlandais (www.teliacompany.com/en">Lien). , la blockchain Chromia (CHR) https://coinmarketcap.com/fr/currencies/chromia">Lien développée par ChromaWay Entreprise suédoise développant des solutions en blockchain fondée en 2014 (https://chromaway.com/about-us">Lien). et fonctionnant en lien avec la blockchain Ethereum, et une société de conseil Kairos Future Kairos Future est une société suédoise de conseil et de recherche qui aide les entreprises, les organisations et les dirigeants à comprendre et à façonner leur avenir notamment grace au numérique. .
Le rapport de synthèse émis en juillet 2016 décrit l'architecture potentielle et non encore testée d'une application mobile permettant de suivre une transaction immobilière avec les parties prenantes, le Lantmäteriet, les banques avec des signatures cryptographiques et des enregistrements blockchain http://ica-it.org/pdf/Blockchain_Landregistry_Report.pdf">Lien .
Des expérimentations ont été poursuivies en 2017 et 2018, notamment avec les banques suédoises SBAB Bank et Landshypote, et une première preuve de concept a fait l'objet d'une démonstration en direct en juin 2018, comprenant la vérification côté client des signatures numériques approuvées par le gouvernement et l'exportation finale des contrats juridiques nécessaires V. C. Kim, Sweden's Land Registry Demos Live Transaction on a Blockchain, CoinDesk, 15 juin 2018 (www.coindesk.com/sweden-demos-live-land-registry-transaction-on-a-blockchain">Lien). .
– Le projet de registre blockchain de cadastre au Ghana avec le projet Bitland. – Le Ghana bénéficie de l'un des produits intérieurs bruts les plus élevés d'Afrique de l'Ouest Selon le classement de la Banque mondiale pour l'année 2019, le Ghana est dans le top 10 des pays d'Afrique les plus riches avec un produit intérieur brut de 66,98 milliards de dollars (9e place et 74e mondiale). , lui valant le titre « d'Eldorado africain ». Pour autant, un rapport de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) de 2013 Cedeao, Rapport, Ghana : la question foncière dans l'El Dorado, août 2013 (https://issafrica.s3.amazonaws.com/site/uploads/ECOWAS-Report-6-FR.pdf">Lien). dresse un bilan assez sombre de la question de la sécurité des droits fonciers et de l'inégalité d'accès à la terre. Ce rapport met notamment en cause le système foncier quasi inexistant au Ghana, pays dans lequel l'État détient et gère environ 20 % des terres uniquement, le reste étant soumis à un droit coutumier F. Gbadamassi, Le blockchain, la technologie qui pourrait donner vie à des cadastres virtuels : Franceinfo Afrique févr. 2016 (www.francetvinfo.fr/monde/afrique/ghana/le-blockchain-la-technologie-qui-pourrait-donner-vie-a-des-cadastres-virtuels_3063973.html">Lien). avec principalement des terres rurales non enregistrées dans des bases officielles. Avec pour conséquence des ventes frauduleuses, des litiges sur les frontières, des destructions de biens lors des conflits, voire de violents affrontements entre les demandeurs de terre.
C'est dans ce contexte qu'une organisation non gouvernementale dénommée « Bitland » avait annoncé en 2016 un nouveau projet de blockchain de conservation des données du cadastre et des titres de propriété V. J.-M. Huet in La Tribune Afrique 9 avr. 2019 (https://afrique.latribune.fr/think-tank/tribunes/2018-04-09/les-premiers-pas-concrets-de-la-blockchain-en-afrique-774614.html">Lien). . Techniquement, le projet consistait à émettre un nouveau token dénommé le cadastrals sur une blockchain « Bitland », la réserve de jetons étant hébergée sur OpenLedger https://openledger.info">Lien . Une ICO a été lancée en 2016 avec l'émission de jetons, dont le succès n'est toutefois pas connu. Sur CoinMarket, le marché a connu deux phases au lancement fin 2016 et fin 2017 lors de la ruée vers le bitcoin. « Bitland » visait la signature de contrats avec l'État du Ghana dans les quatre ans. Le livre blanc décrivant l'architecture technique du projet n'a pas été retrouvé.
Le projet semble être toujours au stade de projet, après le lancement d'un token ayant cessé toute activité sur les plateformes d'échange depuis fin 2017. Tous les sites référencés en 2016 sont expirés et tous les comptes twitter de « Bitland » sont inactifs depuis 2017-2018 À noter toutefois qu'un nouveau site (www.bitlandghana.org">Lien) a été activé en septembre 2020 et propose un service d'enregistrement des titres de propriété présenté comme gratuit. Il n'est toutefois pas mentionné si le titre est inscrit en blockchain ou pas. .
– Le projet de cadastre blockchainisé en Amérique du Sud. – La Banque interaméricaine de développement (BID) et la société ChromaWay, qui a accompagné le projet suédois, se sont liées en 2019 dans un projet au Pérou, au Paraguay et en Bolivie intitulé « Distributed Ledger Technology (Blockchain) : L'avenir de l'enregistrement et de l'enregistrement des titres de propriété foncière ».
À titre d'exemple, le rapport de présentation précise qu'en Bolivie, la procédure d'enregistrement des terres comporte quatorze étapes et demande près de quarante jours de travail, pour un coût de plus de mille dollars, ce qui aboutit parfois à ne pas réaliser la formalité www.iadb.org/projects/document/EZSHARE-508460382-20?project=RG-T3356">Lien .
L'objectif principal du projet est d'évaluer comment la technologie blockchain pourrait contribuer à résoudre certains des problèmes les plus urgents de l'administration foncière en Amérique du Sud. Le consortium implique ainsi des registres fonciers urbains et ruraux, des banques, des notaires et d'autres agences gouvernementales pour piloter un projet dans les trois pays. Le projet est actuellement en phase 2 d'un projet de cadastre financé par la BID.
– La blockchain pour sécuriser un fichier des locations. – La blockchain pourrait faciliter et réduire le coût de mise en œuvre de nouveaux registres, que l'on pourrait qualifier de « secondaires » aux registres traditionnels, pour toutes les opérations portant sur des immeubles mais non soumis à publicité, par exemple les droits personnels tels que ceux résultant de locations. Ainsi, il serait possible d'animer des registres visant à conférer une date certaine aux baux et une garantie d'intégrité s'ils sont signés au format numérique. L'expérience montre que des baux peuvent être antidatés, voire frauduleux, par exemple en cas de squat, et que les parties égarent souvent l'original de leur bail. Dans ce secteur, des applications privées ont déjà été lancées.
– Exemple de baux en blockchain . – Fin 2016, la ville de Rotterdam aux Pays-Bas, en partenariat avec Deloitte et le Cambridge Innovation Center (CIC), ont été les premiers au monde à enregistrer des contrats de location immobilière sur une blockchain. Sous le nom de Blockchain in Real Estate, le projet mettant en œuvre la blockchain était surtout un exercice de design thinking de la procédure de location dans un environnement entièrement numérique, et dans laquelle la blockchain assure un rôle d'encapsulage du contenu échangé et du contrat (grâce à l'empreinte des documents) hwww2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/nl/Documents/real-estate/deloitte-nl-fsi-re-blockchain-in-re.pdf">Lien . Ce projet correspond à l'offre d'un acteur français, la société Olarchy www.olarchy.com/#intro">Lien , qui propose notamment depuis 2018 une plateforme de gestion de la procédure de bail entièrement numérique et sécurisée par blockchain.
Les pouvoirs publics pourraient se saisir de cette technologie pour offrir une plateforme de signature des baux sans qu'il soit besoin d'une autorité de confiance pour l'administrer. Si tous les baux étaient obligatoirement enregistrés avec preuve de dépôt à l'appui, cela permettrait de répondre par exemple à la question de la location meublée touristique intempestive, aux squats ou encore aux marchands de sommeil.
On retrouve dans cette architecture les principaux enjeux de la blockchain, à savoir qu'un registre n'a d'intérêt que si les données qui l'alimentent sont fiables (contenu de la transaction) et les agents qui les inscrivent sont réputés fiables (oracle et tiers de confiance) V. infra, Commission 3, nos et s. .
– Conclusion sur les premières expériences de registre immobilier en blockchain . – Les implications techniques et financières pour déployer une solution blockchain doivent se justifier par des économies de frais d'administration ou par une défiance vis-à-vis de la fiabilité des systèmes existants.
Les initiatives suédoise et géorgienne illustrent ces enjeux. La Suède a souhaité optimiser son fichier immobilier et la gestion des transactions immobilières sur téléphone mobile, et il semble que la blockchain, au-delà des effets d'annonce, ait été relativement secondaire dans cette démarche. La Géorgie avait l'infrastructure numérique du fichier, mais voulait donner de la fiabilité à son système pour contrer la corruption ; la blockchain est dans ce cas l'objet principal du projet. Dans les deux cas, c'est toute la chaîne de transaction qui est repensée et pas uniquement le fichier support des transactions. Avec cette approche, il a été démontré que la digitalisation des transactions et de la publicité foncière en France était déjà très avancée et globalement fiable.
La France doit-elle envisager à brève échéance le recours à la blockchain pour sécuriser les transactions immobilières et ses registres ?

L'intérêt limité de la blockchain pour le registre immobilier français

– Intérêt de la blockchain pour les registres existants et réputés fiables ? – Classiquement, un fichier immobilier est alimenté et administré par un tiers de confiance (un État, un établissement public, un agent à statut particulier, etc.), qui s'assure de sa sauvegarde et de sa sécurité dans des locaux d'archives, et pour la partie informatisée sur des serveurs centralisés classiques, le plus souvent dans le pays hôte pour éviter la fuite de données. C'est ce que l'on pourrait qualifier « d'architecture classique » d'un fichier public, tenu par un agent de confiance qui en assume la garde et la responsabilité.
L'intérêt de la blockchain serait possiblement d'adjoindre au modèle de sauvegarde centralisée sur des serveurs, en théorie plus facilement attaquable, une couche blockchain pour prévenir les modifications et certifier la date sur des serveurs distribués, comme en Géorgie V. supra, no . .
Quel que soit le back-office informatique des institutions, l'ajout ou la substitution d'un outil en blockchain n'apporte qu'une réponse très limitée aux enjeux de la publicité foncière. Ainsi, comme le souligne un avocat spécialiste : « Une information de propriété inscrite sur le registre de blockchain vaut-elle propriété dans le droit ? Quelle force juridique accorder à cette technologie ? Une propriété inscrite sur ce grand livre numérique est-elle opposable à un tiers ? Tant de questions qui méritent d'être éclairées » Hubert de Vauplane, avocat lors du Paris FinTech organisé fin janvier 2017. .
En d'autres termes, le support que constitue la blockchain n'apporterait aucune réponse à la fiabilité de la procédure et des auteurs des inscriptions. Par ailleurs, en l'absence d'un cadre juridique adapté et d'une reconnaissance par les États concernés, le fichier blockchain n'aurait aucune validité dans l'ordre interne, sauf à ce qu'un juge y reconnaisse un début de preuve. Pour ces raisons, il ne semble pas raisonnable d'imaginer substituer aux experts actuels de l'immobilier des experts informatiques décidant de ce qui est une preuve valable ou non de la propriété immobilière.
– L'équilibre subtil des institutions. – Il a été vu qu'en réalité la complexité juridique et fiscale qui entoure une transaction immobilière en France ne rend pas souhaitable sa digitalisation complète, et a fortiori sa désintermédiation totale V. supra, nos à . . En compilant objectivement les besoins et aspirations associés à une transaction immobilière, il n'est pas apparu un décalage flagrant entre le modèle actuel et un modèle idéal numérisé. Retirer un organe de l'architecture actuelle, comme le notaire, le fichier immobilier ou le cadastre, priverait l'ensemble de la sécurité et de la fiabilité qui sont actuellement les siennes. Ainsi le recours à la blockchain n'apparaît pas comme une réponse évidente à un problème structurel ou de confiance.
– La méconnaissance de la blockchain comme substitut des organes traditionnels. – À titre d'illustration, un amendement déposé en 2016 Amendement no CF2 déposé par Laure de La Raudière, alors députée d'Eure-et-Loire, le 13 mai 2016, dans le cadre des débats parlementaires précédant l'adoption de la loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/3623/CION_FIN/CF2.asp">Lien). démontre l'engouement possiblement exagéré pour la blockchain. Cet amendement, qui prévoyait que l'acte en blockchain vaut acte authentique, portait plus spécifiquement sur les opérations de règlement-livraison Le règlement-livraison désigne la phase finale du processus d'achat-vente de titres, qui va permettre, par l'échange simultané des titres contre les espèces, de finaliser le transfert de propriété issu de la négociation entre l'acheteur et le vendeur. d'instruments financiers ou de devises. Nonobstant la bonne volonté du député, l'ouverture d'un acte blockchain authentique traduisait le sentiment de nombreux agents économiques qui voient dans l'authenticité une forme d'enregistrement formel, auquel un protocole informatique sécurisé serait substituable.
Cet amendement illustre le risque associé à la méconnaissance des acteurs et à leur fonction organique dans le système des transactions immobilières, couplé avec des attentes exagérées envers la blockchain. Il n'est ainsi pas exclu qu'une proposition vise un jour à remplacer le fichier immobilier et l'acte authentique par une simple inscription en blockchain. Il faut toutefois tempérer ce risque, comme l'illustre Sébastien Choukroun, manager du Blockchain Lab chez PwC : « Il faut plutôt envisager la blockchain comme un enjeu de transformation des métiers, d'avocat ou de notaire notamment, et non comme un enjeu de suppression de ces expertises » www.pwc.fr/fr/decryptages/data/comment-la-blockchain-va-revolutionner-l-immobilier.html">Lien .
– Conclusion quant à l'intérêt limité de la blockchain pour le registre immobilier français. – Le système de publicité foncière français, dans son architecture d'ensemble, est digitalisé de manière presque optimale selon des critères de performance, de temps et de sécurité. À ce titre, l'ajout de la blockchain dans l'architecture actuelle ne présente pas d'intérêt évident, et les modalités de conservation des données au sein des services de la publicité foncière et de la DGFiP, sur des serveurs sécurisés très robustes, ne posent pas question.
Les agents de la publicité foncière et leurs outils ne posent actuellement pas de question de fiabilité ou de sécurité. Les enjeux sont plus généralement d'informatisation et d'automatisation sécurisée des tâches pour ces agents, dans une approche d'amélioration de la performance principalement en interne.
En conclusion, il semble raisonnable d'affirmer que le système de publicité foncière français n'a pas d'intérêt immédiat à reposer sur la blockchain.
– Intérêt résiduel de la blockchain pour de nouveaux outils de la publicité foncière. – Si, dans l'architecture actuelle de la publicité foncière, la blockchain semble présenter un intérêt limité, il est possible que de nouvelles fonctionnalités soient associées en tout ou partie à la blockchain. Par exemple, si l'État décidait d'ouvrir la consultation informatisée du fichier immobilier à d'autres acteurs que les notaires, voire au public, il faudrait notamment répondre au défi de l'octroi de droits de consultation au fichier Cette possibilité a été analysée supra, nos et s. .
L'enjeu du droit d'accéder au fichier immobilier et d'obtenir copie des documents recèle deux questions, à savoir : qui peut accéder au fichier et pour quoi ? Et comment assurer le paiement sécurisé de l'accès au fichier ou de la délivrance de copie ? Ces questions pourraient être analysées à la lumière du fichier Amalfi présenté précédemment V. supra, no . .
– La blockchain comme outil de sécurisation d'un fichier ouvert ? Il est possible que la blockchain apporte en partie une réponse technique à l'enjeu de l'ouverture de droits d'accès dans un contexte d'absence de confiance, contrairement à l'architecture actuelle qui implique un duo État-notaire. La blockchain pourrait faire office de péage en y associant des jetons numériques conférés à une personne afin de lui octroyer un accès sécurisé au fichier selon certaines modalités.
L'enjeu du traitement du paiement des consultations et des obligations de la comptabilité publique pourrait trouver une solution avec une blockchain de paiement, qui par nature efface le risque de défaut de contrepartie. Ces possibilités sont toutefois très prospectives en ce qu'elles impliqueraient non seulement la mise à jour, voire la restructuration complète des infrastructures informatiques de la publicité foncière, mais également la confiance des pouvoirs publics dans la technologie blockchain. Ces réflexions nous amènent naturellement à la tokenisation immobilière, présentée comme une nouvelle forme de transaction immobilière.