– L'utilisation des textes de droit commun. – Les textes actuels de notre arsenal juridique n'ont pas été conçus pour l'univers numérique dans lequel nous évoluons. Néanmoins, ils sont transposables aux atteintes liées au numérique
T. civ. Yvetot, 2 mars 1932, Andrieu et a. c/ Later et Riou : Gaz. Pal. 1932, 1, p. 855, « l'image d'un individu dans la rue se trouve livrée à tous les regards, que le dessin et la photographie ne font que fixer d'une façon durable » ; par conséquent, « la représentation, dans ces conditions, des individus par le dessin ou la photographie rentre dans les servitudes normales de notre vie en société ». – CA Paris, 19 sept. 1995 : D. 1995, inf. rap. p. 238, « la divulgation du cliché le représentant, certes, en un lieu public, mais sans accord exprès et spécial, est constitutive d'une atteinte au droit que celui-ci détient sur son image ».
Sanction. C. pén., art. 226-8 : « Est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait de publier, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l'image d'une personne sans son consentement, s'il n'apparaît pas à l'évidence qu'il s'agit d'un montage ou s'il n'en est pas expressément fait mention ».
. Le régime de protection de la vie privée est autonome et spécifique
J.-P. Ancel, La protection des droits de la personne dans la jurisprudence récente de la Cour de cassation, Rapp. C. cass. 2000 (www.courdecassation.fr/jurisprudence_5851.html">Lien).
. Loin d'être basée sur le triptyque traditionnel du régime de la responsabilité civile – faute, préjudice, lien de causalité –, l'atteinte à ce droit subjectif particulier est fondée sur des règles de prévention ou réparation. La seule constatation de l'atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation
Cass. 1re civ., 5 nov. 1996, no 94-14.798 : Bull. civ. 1996, I, no 378, p. 265 (www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007035938">Lien).
. Cela signifie que la preuve de la faute de l'auteur de l'atteinte à ce droit n'a pas à être rapportée sur le plan civil
Cass. 1re civ., 12 déc. 2000, no 98-17.521 : Bull. civ. 2000, I, no 321, p. 208 ; D. 2001, somm. comm. p. 1987, obs. C. Caron.
. Seule la constatation de l'atteinte par référence ou allusion à la vie privée de la personne entendant s'en prévaloir est nécessaire mais suffisante à conditionner la mise en œuvre de la protection et ouvrir droit à réparation
Cass. 2e civ., 22 mai 1996, no 93-13.448 : Bull. civ. 1996, II, no 106, p. 66 (www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007036825">Lien).
. Dès lors, tout individu estimant sa vie privée menacée par une publication sur internet, y compris sur les réseaux sociaux, est en mesure de saisir la juridiction civile pour obtenir réparation.
Les modes de protection
Les modes de protection
- d'un séquestre et/ou d'une saisie immédiate des écrits ;
- d'une interdiction de leur diffusion ;
- de l'insertion ou de la diffusion d'un communiqué judiciaire.
– Les actions devant le juge civil. – Les actions civiles sont fondées sur l'article 9 du Code civil. Il assigne au respect de la vie privée un pouvoir de défense. Ainsi il permet de faire cesser toute « atteinte aux droits de la personne » et spécifiquement toute atteinte au respect de la vie privée. Rien n'interdit, dès lors, leur utilisation pour les transposer au numérique
TGI Paris, 17e ch., 24 nov. 2010, no 10/12200, Omar S. c/ Alexandre P.
. La protection passe nécessairement par l'action judiciaire, les juges ayant reçu des pouvoirs spécifiques en la matière. La juridiction compétente est celle du tribunal judiciaire du lieu où demeure le défendeur
CPC, art. 42.
, celui du fait dommageable ou dans le ressort duquel le dommage a été subi
CPC, art. 46.
. En effet, selon l'alinéa 2 de l'article 46 du Code de procédure civile, sans préjudice de la réparation du dommage subi, le juge civil est en mesure de prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à la vie privée. Ces mesures discrétionnaires
Le juge des référés est libre de sa décision en la matière (www.courdecassation.fr/venements_23/colloques_4/2002_2036/vie_privee_medias_8379.html">Lien).
, parfois accompagnées d'astreintes, prennent traditionnellement la forme :
Il peut également ordonner des mesures préventives, telles que l'interdiction de publication, peu importe la certitude ou le risque sérieux de survenance
TGI Nanterre, ord. réf., 2 août et 24 août 1996.
.
Considérant l'instantanéité du dommage que peut engendrer toute publication relative à la vie privée sur internet, le juge des référés semble devoir supplanter le juge de droit commun en la matière. En effet, s'il y a urgence
L'urgence et la nécessité qui ne souffrent aucun retard : E. Garsonnet et C. Cézar-Bru, Traité théorique et pratique de procédure civile et commerciale, t. 8, no 186.
, la combinaison des articles 9 du Code civil et 835 du Code de procédure civile
CPC, ancien art. 809.
permet d'obtenir une décision immédiatement exécutable en quelques jours ou quelques heures en cas d'extrême urgence. La constatation de l'atteinte par voie de presse suffisant à caractériser l'urgence
Cass. 1re civ., 12 déc. 2000, no 98-21.161 : Bull. civ. 2000, I, no 321, p. 208 (www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007041721&fastReqId=857659639&fastPos=13">Lien).
, l'assimilation des publications sur internet aux publications par voie de presse permettrait de faire appel au président du tribunal judiciaire, juge des référés de droit commun en la matière
CPC, art. 826 (ancien art. 836).
. L'action permet de faire cesser un trouble manifestement illicite
Parfois qualifiée d'« action en cessation d'agissements illicites », qualificatif volontairement emprunté aux dispositions du Code de la consommation, Livre VI, Titre II, Chapitre 1 « Action exercée dans l'intérêt collectif des consommateurs », art. L. 621-7.
. Il se définit comme « toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit »
H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, t. 3, Sirey, 1991, no 1289.
. Il procède donc d'une méconnaissance d'une interdiction de protection d'un droit, en l'occurrence celui du droit fondamental qu'est celui du respect de la vie privée. Il est également possible de solliciter le juge des référés pour prévenir un dommage imminent, c'est-à-dire un dommage non encore manifesté, mais susceptible de se produire si la situation se perpétue
Cass. 3e civ., 22 oct. 2015, no 14-11.776 : JurisData no 2015-023501.
. Toute la difficulté réside dans la connaissance de l'auteur de l'infraction. Les informations diffusées sont relayées en une fraction de seconde et se répandent comme une traînée de poudre sur le World Wide Web : comment savoir contre qui agir ?…
Dans quel délai agir ? Le délai de prescription en la matière est celui de droit commun (C. civ., art. 2224), à savoir cinq ans. Concernant spécifiquement les infractions commises sur internet, il semble que le point de départ de ce délai soit constitué par la mise en ligne des propos litigieux sur le web
Cass. 2e civ., 12 avr. 2012, no 11-20.664 : Bull. civ. 2012, II, no 78, décision rendue sous l'empire de l'ancien article 2270-1 du Code civil (www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000025692633">Lien).
.
- la captation des paroles prononcées (c'est-à-dire les propos tenus) à titre privé ou confidentiel, leur enregistrement clandestin, ou leur transmission, sans le consentement de leur auteur, que ce soit dans un lieu privé ou dans un lieu public, comme internet peut l'être ;
- la conservation, divulgation ou utilisation de tout enregistrement ou document ainsi obtenu ;
- la captation, par quelque moyen que ce soit, de la localisation en temps réel ou en différé d'une personne sans le consentement de celle-ci, son enregistrement, ou sa transmission ;
- et enfin, la fabrication, importation, détention, exposition, offre, location ou vente d'appareils conçus à cet effet sans autorisation ministérielle, de même que leur publicité de nature à inciter à commettre l'infraction.
– Les actions devant le juge pénal. – Les actions existent également, à un degré différent, devant les juridictions pénales. Les atteintes au droit de la personnalité sont sanctionnées par les articles 226-1, 226-2 et 226-3 du Code pénal. La portée limitée de ces textes oriente les victimes vers la voie civile. Bien que la sanction soit importante (45 000 € d'amende et une année d'emprisonnement)
Amende portée à 60 000 € et deux ans d'emprisonnement lorsque les faits sont commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ou lorsque les paroles ou les images présentent un caractère sexuel. Dans ce cas, peu importe que les faits aient été commis avec le consentement exprès ou présumé de la victime de tels agissements.
, leur champ d'application est restreint
JCl. Pénal Code, Art. 226-1 à 226-3, fasc. 20.
et leur implication dans le monde virtuel est partiellement adaptée. En effet, seules sont punissables les infractions suivantes :
L'action devant le juge pénal concerne uniquement le noyau central de la vie privée, c'est-à-dire l'intimité de l'individu
JCP G 1971, I, 2435, B. Badinter.
. Il n'est point question des autres composantes de la vie privée. La vie publique est elle aussi hors champ d'application de la protection pénale. Il semble que l'exposition de l'individu sur internet soit malheureusement écartée si l'on considère que l'individu se raconte lui-même. Cependant, a-t-il vraiment conscience que, par son action, son consentement aux actes visés aux articles précités est présumé et donc écarté de la protection pénale ?
Quant au respect du droit à l'image, il est protégé de la même manière par l'article 226-1 du Code pénal (C. pén., art. 226-1). Il prône le droit de s'opposer à la reproduction d'une image existante soit par sa fixation, son enregistrement ou sa transmission, sans le consentement de la personne. La diffusion de l'image sans le consentement de l'intéressé constitue une violation d'un droit subjectif. La transposition de la norme actuelle à l'activité numérique paraît dérisoire lorsque l'individu a lui-même posté ces images sur les réseaux, sans prendre conscience de l'impact de leur publication. Le texte exige en effet que la personne dont l'image a été utilisée se soit trouvée dans un lieu privé. En revanche, l'endroit où l'image a été publiée n'est pas un critère pour caractériser l'infraction. La protection pénale de l'image est difficilement transposable sur internet. La Cour de cassation a refusé de reconnaître l'atteinte à la vie privée d'une femme ayant consenti à être photographiée dans son plus simple appareil dans un lieu privé, vu les clichés diffusés sur les réseaux sociaux
Cass. crim., 16 mars 2016, no 15-82.676 : JurisData no 2016-004598 ; Bull. crim. 2016, no 86 ; www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000032263441/">Lien
, encourageant malheureusement le revenge porn.
Une jurisprudence ancienne rendue à l'occasion de l'arrivée des paparazzis dans le paysage audiovisuel, apparaît particulièrement moderne aujourd'hui
CA Paris, 17 mars 1966, J.-L. Trintignant : D. 1966, p. 749.
: « (…) chaque individu a droit au secret de sa vie privée et est fondé à en obtenir la protection ; (…) la personne privée a seule le droit de fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur sa vie intime, en même temps que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir ». La transposition de cette décision à l'ère numérique semble plus que pertinente pour faire cesser toute atteinte à la vie privée. Cela impliquerait d'assimiler naturellement les moyens de diffusion numérique aux moyens de communication traditionnels comme la presse.
– La nécessaire prise de conscience des utilisateurs. – Face à la culture du partage démesuré des fragments de vie privée, il serait nécessaire de mettre en place des moyens de protection déjà éprouvés par toutes les civilisations modernes. Une éducation numérique paraît indispensable. Elle peut être fondée sur l'éveil des consciences quant aux effets possibles de la divulgation de sa vie privée sur la toile et prendre la forme de cours pour la jeunesse, de stages imposés par l'État pour les adultes. Expliquer le fonctionnement d'internet pour en comprendre les méandres et les risques engendrés, comme par exemple la structure hypertexte :
Le pouvoir d'autodétermination individuelle et sociale, prérogative défensive d'un droit subjectif permettant d'en assurer le respect, induit une prise de conscience des effets d'une divulgation d'informations personnelles par l'individu.
L'objectif est de mettre ainsi en parallèle la vie privée et le libre arbitre sur la participation de chacun à la vie numérique grâce à une conscience éduquée. Une exigence morale et une éthique sectorielle spécifiques au numérique sur fond de réglementation européenne, voire mondiale, au centre desquelles serait placé l'humain devraient voir le jour, grâce à l'élaboration d'un règlement sur la divulgation de la vie privée sur les réseaux sociaux.
- le Digital Services Act (DSA), à effet d'interdire la publication dans le monde virtuel de tout contenu interdit dans le monde réel, et devant permettre de réguler le fonctionnement des plateformes (le processus de contrôle juridique repose essentiellement sur le comment et le pourquoi des publications et de leur suppression) ;
- et le Digital Market Act (DMA), relatif à la transparence dans le classement des contenus publiés sur internet.
En Europe, des tentatives de régulation ont vu le jour. La Commission européenne a notamment présenté le 15 décembre 2020
Présentation du Digital Services Act par M. Vestager, vice-présidente exécutive de la Commission européenne et Th. Breton, Commissaire de la Direction politique de la Commission européenne.
deux axes de régulation de l'espace numérique plus vertueux
Lignes directrices sur le classement de la transparence conformément au règlement (UE) no 2019/1150 (2020/C 424/01) (https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:52020XC1208%2801%29#ntc2-C_2020424EN.01000101-E0002">Lien).
, lesquels ne sont pas, à l'heure de la rédaction du présent rapport, juridiquement contraignants :
Il s'agit essentiellement d'un rappel à l'ordre aux plateformes pour s'assurer du respect de l'application de la législation européenne déjà en vigueur promouvant l'équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d'intermédiation en ligne
Règl. (UE) no 2019/1150, art. 5.
.
La structure hypertexte
« Une structure hypertexte est composée de trois éléments : les nœuds, les liens, et les ancres. Le nœud est la partie visible à l'usager, « plus petite quantité d'information qui puisse être lue de façon indépendante sans altération de sens » (ibid.) : typiquement, sur le web, le nœud est la page. Le lien est une relation entre informations qui se réalise, sur internet, grâce à l'URL (Uniform Resource Locator) composée du protocole d'accès (par ex. : http://) et du chemin d'accès au serveur hébergeant l'information cible ainsi que du chemin précis vers le document. La cible peut être un nœud pris dans sa totalité, mais aussi une ancre de destination au sein d'un nœud donné. »