Il convient de confronter les actifs numériques aux conditions d'opposabilité des sûretés. Cette opposabilité repose sur l'accomplissement des formalités propres à la garantie considérée
(Sous-section I)
, voire au surplus d'une publication dans un registre dédié
(Sous-section II)
.
Les conditions d'opposabilité aux tiers
Les conditions d'opposabilité aux tiers
La confrontation des sûretés sur cryptoactifs aux formalités d'opposabilité aux tiers
Pour reprendre les principales garanties mobilières applicables aux cryptoactifs
Sur l'identification de ces garanties et sûretés, V. supra, Chapitre I, « L'identification des sûretés concernées », nos
et s.
, on distinguera les conditions d'opposabilité du nantissement
(§ I)
de celles du droit de rétention
(§ II)
et enfin celles des garanties utilisant la propriété comme sûreté
(§ III)
.
L'opposabilité du nantissement
– Présentation générale. – L'opposabilité du gage découle soit de la publicité qui en est faite lorsque le constituant demeure en possession des meubles corporels gagés, soit de la dépossession entre les mains du créancier ou d'un tiers convenu (C. civ., art. 2337). S'agissant des nantissements de meubles incorporels, certains ne produisent effet à l'égard des tiers que moyennant l'accomplissement des mesures de publicité prescrites par la loi
Par ex., C. com., art. L. 142-3, relatif au nantissement de fonds de commerce.
; d'autres, plus nombreux, sont opposables aux tiers sans mesure de publicité particulière (tels le nantissement de créance : C. civ., art. 2361 ; le nantissement d'une police d'assurance sur la vie : C. assur., art. L. 132-10 ; le nantissement de compte-titres : C. monét. fin., art. L. 211-20, I).
– Questions propres aux cryptomonnaies : cas de l'opposabilité du nantissement de bitcoin. – Comme cela a été vu précédemment
V. supra, nos
et s.
, le nantissement de biens meubles incorporels autres que des créances et ne faisant l'objet d'aucune disposition spéciale est soumis, selon l'article 2355, alinéa 5 du Code civil, aux règles applicables au gage de biens meubles corporels. C'est le cas pour les bitcoins. Le constituant accorde alors à son créancier un droit de se faire payer en priorité sur la valeur des biens mobiliers affectés en garantie ; ce droit de préférence ne peut être opposable aux tiers que dans les conditions prévues par l'article 2337 du Code civil, variables selon que le nantissement est constitué sans dépossession du constituant ou avec mise en possession du créancier
V. supra, no
sur l'influence du mode de circulation des cryptomonnaies.
.
Distinguons donc les hypothèses.
– Confrontation du nantissement de bitcoin sans dépossession aux formalités de publicité détaillées par le décret no 2006-1804 du 23 décembre 2006, complété par un arrêté du 1er février 2007. – Aux termes de ce décret, pris en application de l'ordonnance du 23 mars 2006 et auquel renvoie l'article 2238 du Code civil
C. civ., art. 2338 : « Le gage est publié par une inscription sur un registre spécial, dont les modalités sont réglées par décret en Conseil d'État ».
, le gage sans dépossession doit être publié au greffe du tribunal de commerce. Cette publicité remplace la remise de la chose
D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, LGDJ-Lextenso, 13e éd. 2019, no 486.
, en termes d'opposabilité aux tiers. Elle doit respecter un double principe de spécialité : quant à la créance garantie et quant à l'assiette de la sûreté
M. Bourassin, Droit des sûretés, Sirey, 7e éd. 2020, no 912.
. La mention du montant, appliquée au bitcoin nanti, ne pose pas de difficultés, c'est celui au moment de la constitution de la sûreté, d'où la nécessité de le préciser dans l'acte constitutif, sans doute en annexant la consultation du cours du bitcoin. Quant à sa désignation, on peut penser qu'il convient de faire référence au wallet dans lequel sont détenues les cryptomonnaies.
Les formalités ne s'arrêtent pas cependant à la seule mention au greffe, le décret de 2006 ayant créé un fichier électronique national, tenu par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC). Son objet est de permettre une première information instantanée et surtout gratuite sur le site du CNGTC, en renseignant sur le site le nom du constituant de la garantie et la catégorie du bien gagé. Sur ce dernier point, on conseillera, au titre des catégories préremplies, de saisir la catégorie « autre », ce qui pourra convenir au bitcoin, si l'onglet « monnaie » n'est pas probant. En cas de mention d'une inscription
En cas d'inscription, apparaîtront sur le fichier national : le nom du constituant, la catégorie du bien gagé, et la référence du greffe où l'inscription a été prise. V. www.cngtc.fr/fr/fichier-national-des-gages-sans-depossession.html">Lien
, le requérant peut utilement requérir un état certifié au greffe compétent, payant.
– Confrontation du nantissement de bitcoin avec dépossession aux exigences jurisprudentielles relatives à la mise en possession du créancier. – Rappelons que la mise en possession du créancier gagiste est une condition uniquement d'opposabilité du gage aux tiers, non de validité du gage
M. Bourassin, Droit des sûretés, op. cit., no 905.
, autrement dit le gage a perdu son caractère réel, et ce depuis l'ordonnance du 23 mars 2006. La réalisation concrète de la mise en possession doit, pour être efficace, se conformer aux solutions dégagées par la jurisprudence avant la réforme de 2006, l'ordonnance n'ayant pas réglementé la question. Ses modalités tiennent à la forme, au destinataire, au moment et enfin aux caractères de la mise en possession du créancier
C. civ., art. 2337, al. 1 et 2. V. M. Bourassin, Droit des sûretés, op. cit., nos 907 à 910.
.
On peut reprendre ces traits en les confrontant au bitcoin.
Sur le plan formel, la dépossession s'opère par tradition ; comment le constituant pourrait-il remettre un bitcoin entre les mains du créancier ? On sait que la jurisprudence a admis, à défaut de remise de la chose elle-même, celle du titre permettant de réclamer l'objet
Cass. com., 26 avr. 2014, no 92-15.173, inédit : JCP E 1995, I, 482, obs. Ph. Delebecque.
. Mutatis mutandis, la remise au gagiste de la clé privée du débiteur, permettant de transmettre le bitcoin sur blockchain, utilisée en association avec la clé publique de la chaîne, pourrait s'envisager comme moyen de dépossession suffisant.
Concernant le destinataire de la mise en possession, le législateur autorise son accomplissement à un « tiers convenu » comme au créancier (C. civ., art. 2337). Peut-être qu'une plateforme de transaction de bitcoins ou un magasin général électronique pourrait jouer ce rôle.
S'agissant des caractères de la dépossession du débiteur des biens gagés, la jurisprudence en a imposé trois principaux : effectivité, apparence et permanence. Les spécificités liées à la détention de bitcoins via une plateforme doivent inciter à user de toute la liberté contractuelle permise du moment que la mise en possession n'est pas fictive. Une difficulté plus grande se présente pour s'assurer que la mise en possession soit apparente aux yeux des tiers, car l'on peut douter que la remise d'une clé privée attachée au titulaire du wallet soit efficiente. Quant au caractère continu de la mise en possession, la procédure à la fois infalsifiable d'enregistrement des inscriptions sur blockchain et le mode de détention spécifique d'un compte en bitcoins paraissent respecter cette condition. Par ailleurs, la fongibilité reconnue au bitcoin tant par la doctrine que par les juges du fond
V. supra, Titre I, Sous-titre II, « Les qualifications ».
ne fait pas obstacle à cette pérennité, à la condition que le contrat de constitution de la sûreté le prévoie.
Enfin, le moment de la mise en possession n'appelle pas d'observation particulière lorsque le bien nanti est un bitcoin, la diligence étant toujours recommandée pour le créancier afin d'éviter qu'une saisie opérée par un autre créancier ou l'ouverture d'une procédure collective ne viennent empêcher la remise.
Confrontation du nantissement de bitcoin, avec ou sans dépossession, aux droits concurrents d'autres créanciers du constituant, à l'aune du règlement des conflits prévu par l'article 2340 du Code civil. Il s'agit ici de déterminer le rang des créanciers gagistes, dans l'hypothèse de bitcoins nantis au profit de plusieurs créanciers. L'hypothèse n'est pas d'école lorsque l'on connaît la courbe régulièrement ascendante – quoique possiblement instable par ailleurs – du cours du bitcoin. Les deux alinéas de l'article précité prévoient un règlement selon l'ordre chronologique des inscriptions (la plus ancienne prévaut) et accordent la préférence au premier créancier qui a publié son nantissement sur le second créancier, fût-il mis en possession ; pas de question nouvelle à première vue en présence de bitcoins. En revanche, une difficulté peut se poser dans la situation inverse, de conflit entre un premier créancier mis en possession et un second sans dépossession du débiteur, même ayant accompli les formalités de publicité requises. La doctrine accorde la préférence au créancier rapidement mis en possession avant l'inscription du nouveau gage au profit du second créancier
M. Bourassin, Droit des sûretés, op. cit., no 913, in fine.
. Le problème se pose concrètement de manière plus importante si la mise en possession du premier créancier tarde… et n'intervient qu'après l'accomplissement des formalités d'inscription de la seconde garantie. Si la date de mise en possession effective semble à privilégier, puisqu'elle participe de l'opposabilité du nantissement, alors le second créancier l'emporte, sous réserve que la nature du bitcoin soit bien admise par le registre du greffe du tribunal de commerce et le site du fichier électronique du CNGTC.
L'opposabilité du droit de rétention
– Une large opposabilité aux tiers. – Le droit de rétention ne connaît pas de publicité conditionnant son opposabilité. Pratiquement, il est opposable tant au propriétaire débiteur qu'à ses héritiers et à ses propres créanciers sans qu'aucune formalité soit accomplie. Une difficulté surgit pour déterminer si le droit de rétention est opposable au propriétaire non débiteur
M. Bourassin, Droit des sûretés, op. cit., no 842.
.
Pour raisonner sur le bitcoin, rappelons que la jurisprudence a déposé le principe selon lequel « le droit de rétention est un droit réel, opposable à tous, y compris aux tiers non tenus à la dette »
Cass. 1re civ., 7 janv. 1992 : Bull. civ. 1992, I, no 4. – Cass. com., 3 mai 2006 : JCP G 2006, I, 195, obs. Ph. Delebecque. – Cass. 1re civ., 24 sept. 2009 : Bull. civ. 2009, I, no 4.
. Le rétenteur des cryptomonnaies est donc en position de force face à d'autres créanciers, qui devront le désintéresser pour récupérer les actifs et les céder ensuite : certes, mais de quelle manière s'agissant de bitcoins ? Ce droit de rétention est-il efficient lorsque le créancier n'a pas accès au wallet, à la plateforme ? Peut-être que l'usage des clés publique et privée est déterminant. En raisonnant hors de la cryptosphère, sur une voiture par exemple, il a pu être souligné la nécessité de récupérer les documents administratifs se rapportant au véhicule, pour valablement ensuite le faire vendre
M. Bourassin, Droit des sûretés, op. cit., no 843, note 5.
. La détention de la clé privée du débiteur serait alors primordiale.
L'opposabilité des sûretés-propriété
Pour reprendre les sûretés-propriété identifiées au chapitre précédent, on abordera successivement la réserve de propriété puis la fiducie-sûreté.
– Réserve de propriété. – À l'égard des tiers, la clause de réserve de propriété leur est opposable sans aucune publicité particulière en matière mobilière
M. Bourassin, Droit des sûretés, op. cit., no 731 in fine.
, donc en l'occurrence en matière de bitcoin. Cette opposabilité est d'autant plus importante que le droit de revendication du créancier resté propriétaire s'exerce quelles que soient la nature et la situation du bien, ce qui inclut une crytomonnaie.
– Fiducie-sûreté. – Si la fiducie-sûreté, contrat solennel, obéit à des règles matérielles de validité strictes, aucune publicité spécifique n'existe aux termes de l'ordonnance du 30 janvier 2009. Il convient donc de s'en remettre au régime général de publicité de la fiducie (C. civ., art. 2020), lequel lui-même n'est pas exempt de critiques
D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, préc., no 790.
et au contraire est source d'incertitudes
M. Bourassin, Droit des sûretés, op. cit., no 784.
. En effet, en présence de biens meubles corporels ou incorporels, soit dans ce dernier cas un bitcoin par exemple, l'enregistrement du contrat n'est pas une mesure de publicité pour informer les tiers de la transmission au fiduciaire de la cryptomonnaie.
Le registre des fiducies a surtout pour fonction d'éviter l'évasion fiscale et le financement d'activités illégales. Soulignons que dès la reconnaissance de la fiducie par la loi du 19 février 2007, l'accès au registre des fiducies a été réservé aux autorités judiciaires et de lutte contre le blanchiment et aux services de l'administration fiscale, avant même que ne se pose la question de faire porter le contrat de fiducie sur des cryptomonnaies, lesquelles sont surveillées au titre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB/FT).
C'est un registre à la fonction « limitée » à l'ordre public donc, mais qui ne permet pas d'assurer l'opposabilité de la sûreté aux tiers, hors la fiducie portant sur des biens immobiliers (publicité foncière) ou abritant une cession de créance (notification prévue par l'article 2018-2 du Code civil).
Les auteurs pointent alors le risque pour le bénéficiaire de la fiducie-sûreté portant sur un bien meuble de se trouver sous la menace des ayants cause du constituant qui se prévaudraient de la règle « en fait de meuble, possession vaut titre », lorsque la fiducie est constituée sans dépossession
JCl. Notarial Formulaire, Vo
Fiducie, fasc. 10, Fiducie-sûreté, 2017, no 35, par D. Legeais.
. Cependant, pour une cryptomonnaie, le problème se déplacera sur le terrain de l'usage de l'actif et donc de la transmission de la clé privée du constituant.
Une amélioration pourrait venir de la modification de la finalité du registre des sûretés. Ce fichier est d'ailleurs, comme d'autres, confronté aux nouvelles technologies.
L'adaptation des registres légaux aux nouvelles technologies
Quelques adaptations dans des cas spécifiques se sont produites en droit positif, ce qu'un aperçu de l'état des lieux
(§ I)
nous enseigne. Cela doit nous conduire à réfléchir à d'autres évolutions
(§ II)
.
L'état des lieux
La situation du droit français
(A)
doit être mise en regard d'autres systèmes juridiques nationaux
(B)
.
En droit interne
– Une dématérialisation générale croissante. – La publicité des sûretés mobilières s'opère à titre principal auprès du greffe du tribunal de commerce, nonobstant les services assurés par le fichier informatique d'accès gratuit tenu par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce en matière de gages et nantissements, comme vu précédemment
V. supra, no
.
.
L'ensemble des registres officiels relatifs aux entreprises devrait laisser progressivement place à un registre unique dématérialisé
V. JCl. Roulois, Fasc. 3235, janv. 2021 : le registre du commerce et des sociétés, le répertoire des métiers, le registre des actifs agricoles, le registre de l'agriculture, le registre spécial des agents commerciaux seront remplacés, à l'horizon 2021, par un registre général dématérialisé des entreprises. Le répertoire national des entreprises n'est pas impacté par la réforme (L. no 2019-486, 22 mai 2109, art. 2. – D. no 2019-699, 3 juill. 2019. – Rép. min. no 20500 : JOAN 16 juill. 2019, p. 6695). Les sept réseaux de centres de formalités des entreprises (CFE) vont être remplacés, dans un souci de simplification, par un guichet unique électronique (L. no 2019-486, 22 mai 2019, art. 1er). L'INPI est désigné en tant qu'opérateur de ce guichet (D. no 2020-946, 30 juill. 2020). L'ouverture du guichet unique est prévue en janv. 2022 avec un calendrier de mise en œuvre progressif.
.
Concernant les cryptoactifs, la principale innovation réside dans la prise en compte, par le législateur, du nantissement de titres financiers inscrits sur une blockchain.
– Le nantissement de titres financiers tokenisés. – Le décret no 2018-1226 du 24 décembre 2018 a été pris en application de l'ordonnance du 8 décembre 2017 relative à l'inscription des titres de sociétés non cotées sur un dispositif d'enregistrement électronique partagé (DEEP). Le titulaire du compte devient le constituant du nantissement ; le teneur du compte devient le gestionnaire du procédé informatique d'identification
D. Legais, Blockchain et actifs numériques, LexisNexis, 2019, no 201.
, sachant qu'en fait de « compte », il s'agit du DEEP.
Deux points méritent d'être approfondis : les conditions de cette dématérialisation, et le rôle de la blockchain.
– La dématérialisation informatique des titres nantis. – Le Code monétaire et financier précise que « l'inscription dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé tient lieu d'inscription en compte » (C. monét. fin., art. L. 211-3, al. 2). Lorsque les titres sont inscrits en compte, ce procédé consiste à « apposer un signe distinctif sur chaque ligne de titres » ; lorsque ceux-ci figurent dans une blockchain, le marquage pourra être collectif (par ex., transfert sur une adresse unique) aussi bien qu'individuel (par ex., modification des métadonnées associées), mais il n'en sera pas moins effectif. Le décret du 24 décembre 2018 est d'ailleurs venu préciser qu'en l'absence de compte, la déclaration de nantissement doit mentionner les « éléments d'identification » visés par le II de l'article L. 211-20 du Code monétaire et financier, et cet ajout, issu d'un texte adaptant le régime du nantissement à la blockchain, implique de toute évidence une traduction informatique de titres inscrits en compte : les instruments ainsi identifiés seront donc « réputés constituer le compte nanti » (C. monét. fin., art. L. 211-20, II, al. 2), ceux affectés ultérieurement au titre de la même opération étant « considérés comme ayant été remis à la date de déclaration de nantissement initiale » (C. monét. fin., art. L. 211-20, I).
–
Blockchain
et nantissement : un couple accélérateur de l'efficacité de la sûreté ? – On touche ici à la technique du smart contract inscrit dans la blockchain. Ses spécificités sont examinées plus loin dans le présent rapport
V. infra, Commission 3, nos
et s.
. On s'attachera ici à aborder la question sur le plan de la constitution de la sûreté et de la prise en compte de l'émission de titres supplémentaires sur le compte
M. Julienne, Le nantissement de titres financiers inscrits en blockchain, in Blockchain et droit des sociétés, ss dir. V. Magnier et P. Barban, Dalloz, 2019, p. 51.
.
Les titres inclus dans l'assiette du nantissement doivent faire l'objet d'un « marquage » indiquant l'existence de la sûreté. L'automatisation de cette opération par un smart contract programmé pour ajouter ou retirer des titres en fonction de l'évolution de leur valeur et du montant de la dette couverte présenterait un intérêt évident. La loi évoque un complément de gage intervenant « de quelque manière que ce soit » (C. monét. fin., art. L. 211-20, I), sans exiger une nouvelle déclaration de nantissement signée par le constituant. Le procédé supposerait bien sûr que le constituant dispose de titres supplémentaires susceptibles d'être nantis, mais surtout que la blockchain comporte ou ait accès à des informations, mises à jour en continu, relatives au montant de la dette garantie et à la valeur des titres
D'où l'intérêt de recourir à un oracle ; V. infra, Commission 3, nos
et s.
– ce qui ne sera généralement pas le cas en l'absence de cotation…
– Une illustration du topage informatique ou
earmarking
. – Si une sûreté financière peut être prise en ouvrant un compte spécial, elle peut l'être aussi par un procédé de topage informatique de lignes de titres, procédé qui empêche le débiteur constituant de la sûreté et titulaire de compte de donner des instructions sur ces lignes de titres
S. Schiller et T. Cremers, Effectivité de la représentation et de la transmission des titres financiers non cotés par une blockchain ainsi que des minibons : JCP G 2019, aperçu rapide 92.
. Le décret du 24 décembre 2018 vient en donner une illustration pratique. En effet, le 5o de l'article D. 211-10 modifié du Code monétaire et financier prévoit que seul le topage informatique serait admis pour les constitutions de nantissements sur titres en DEEP.
En droit comparé
On peut mentionner ici deux exemples de sûretés en droit comparé nord-américain pour rechercher si leurs conditions d'opposabilité aux tiers pourraient s'appliquer à des actifs numériques.
–
Security interest
de droit américain. – L'article 9 de l'Uniform Commercial Code a créé une sûreté mobilière unique. Son assiette est générale et évolutive (biens meubles corporels ou incorporels ; actuels ou acquis dans le futur par le débiteur). L'opposabilité aux tiers est assurée par la perfection, formalité de publicité pouvant revêtir quatre modalités :
- la prise de possession (mécanisme connu de notre droit) ;
- l'enregistrement public d'une déclaration de financement sur un registre local ou central ;
- la perfection automatique : opposabilité de plein droit aux tiers lorsque le créancier est titulaire d'un purchase money interest (lié au volume très important du type de créances concernées).Ainsi une sûreté créée en faveur d'un intermédiaire en valeurs mobilières est opposable aux tiers dès sa constitution. Quid en droit interne français si l'on transpose la solution aux prestataires de services sur actifs numériques ? La solution ne saurait, semble-t-il, être transposée puisqu'à ce jour les prestataires de services numériques ne bénéficient d'aucun privilège légal qui pourrait, à l'instar du droit américain, être opposable aux tiers sans formalité de publicité ;
- la perfection par le contrôle : pour les cas où le débiteur ne peut transférer le bien donné en garantie sans l'accord du créancier (en pratique, moyen utilisé pour les comptes de dépôt). Un système analogue pour une sûreté sur cryptoactif serait intéressant, par la maîtrise de la clé privée du détenteur du wallet.
– Hypothèque mobilière québécoise. – Il s'agit d'une hypothèque mobilière d'application générale, inscrite dans le Code civil du Québec. Elle confère au créancier le droit de suivre le bien en quelques mains qu'il soit, de le prendre en possession ou en paiement, de le vendre ou de le faire vendre et d'être alors préféré sur le produit de cette vente suivant le rang fixé par la loi (C. civ. Québec, art. 2660)
Sur cette sûreté, V. www.erudit.org/fr/revues/rgd/1992-v23-n3-rgd04387/1057116ar.pdf">Lien
. On la qualifie d'« ouverte » dans le sens où elle produit ses effets à sa clôture seulement, donc lorsque le débiteur est défaillant.
Elle peut être consentie avec ou sans dépossession. De même qu'en droit français, lorsque la sûreté porte sur un bien mobilier, la dépossession du débiteur vaut opposabilité aux tiers. Intervient la notion de maîtrise du titre. Il existe par ailleurs un registre des droits personnels et réels mobiliers (RDPRM), notamment aux fins de prouver la date de la constitution de la sûreté. Le créancier peut y publier ses droits en tout temps après la constitution du gage, du moment qu'il n'y a pas eu interruption de la détention.
Les perspectives d'évolution
– L'enjeu : la prise en compte de l'évolution de la valeur donnée en garantie. – La volatilité de la valorisation d'un actif numérique peut-elle être prise en compte lors de l'inscription d'une sûreté sur un registre ?
La technologie blockchain pourrait-elle être d'un utile secours ?
– Hypothèse de bitcoins nantis en faveur de plusieurs créanciers. – Citons le cas où les bitcoins connaissent un accroissement de valeur après la mise en place du nantissement. Le débiteur peut vouloir en tirer un crédit supplémentaire et les nantir en faveur d'un deuxième créancier. En théorie, leurs rangs respectifs de paiement sont arrêtés par leur date d'inscription sur un registre national tenu auprès du greffe des tribunaux de commerce. La blockchain Bitcoin peut jouer ce rôle de registre, non pas comme en matière de fiducie-sûreté puisque le registre en la matière de fiducie n'a pas pour fonction de rendre celle-ci opposable aux tiers, mais plutôt par analogie avec le registre des gages et nantissements.
– Un registre des fiducies dédié aux cryptoactifs ? – La publication de la fiducie est imposée par l'article 2020 du Code civil
V. supra, no
.
. Pourrait-on assimiler la technologie blockchain au registre national des fiducies visé par ce texte ? En termes d'intégrité et de sécurité, un registre basé sur une blockchain pourrait sans doute remplir aussi efficacement les fonctions d'un registre tenu par les greffes. Il lui est même supérieur sur le plan de la célérité. Cependant, il ne peut rendre compte d'une radiation de la sûreté une fois la créance payée, car une transaction réalisée demeure perpétuellement accessible. On peut produire un effet identique en enregistrant une transaction constatant un transfert en sens inverse.