Les actes sous seing privé à distance

Les actes sous seing privé à distance

Il s'agit ici de traiter des actes sous seing privé signés à distance par les parties et dont les professionnels du droit devront faire usage. Seront successivement envisagées la profession d'avocat (§ I) et celle de notaire (§ II) .

L'e-acte sous signature privée proposé par les avocats (e-ASSP)

Fin octobre 2020, la profession d'avocat a lancé « e-Acte Sous Signature Privée » (e-ASSP) www.cnb.avocat.fr/fr/actualites/avec-e-assp-la-profession-renforce-son-offre-numerique">Lien permettant aux avocats de proposer à deux parties de signer un acte de façon électronique en présentiel ou à distance. À la différence de l'acte contresigné par avocat V. infra, no . , ce dernier n'est pas obligatoirement signataire. L'acte est donc un acte sous seing privé et non un acte d'avocat. La signature de ces actes à distance s'effectue donc hors la présence du professionnel. Le contrôle de l'identité n'est donc pas opéré par l'avocat et aucun logiciel spécifique de signature électronique ne semble imposé. Le contrôle du consentement n'est pas non plus opéré par l'avocat lors de la signature de l'acte par le client seul. L'avocat acquiert la conviction du consentement des parties à l'acte au regard des échanges écrits et verbaux entretenus entre eux préalablement au dépôt de l'acte sur la plateforme e-Barreau.

Le processus de l’e-ASSP

Le processus de l'e-ASSP est le suivant :
  • l'avocat se connecte à e-ASSP en utilisant son compte e-dentitas et dépose son acte (au stade de projet avant signature à ce stade) sur la plateforme https://e-actesoussignatureprivee.avocat.fr/ ">Lien) ;
  • avant la signature, le projet d'acte peut être validé ou non par un signataire ou par l'avocat validateur (si un confrère ou une consœur représente l'une des parties, on le désigne « avocat validateur ») ;
  • l'avocat rédacteur rentre les coordonnées des validateurs s'il en existe et des signataires ;
  • si le projet d'acte est validé, ou si l'étape de validation n'a pas été requise, le (ou les) signataire(s) peuvent signer l'acte ;
  • l'avocat initie alors la signature ;
  • c'est par e-mail que les parties sont prévenues et reçoivent un lien leur permettant de consulter le projet d'acte afin de le valider ou de le signer directement.

Les actes sous seing privé à distance et les notaires

Le notaire sera tantôt confronté aux actes sous seing privé signés à distance rédigés par des tiers (A), tantôt à l'origine même du contrat sous seing privé (B). Quelles devront alors être ses attitudes ? Que devra-t-il faire en présence d'autres documents que des contrats (C) ?

Le notaire confronté aux actes sous seing privé établis par des tiers et signés à distance par les parties

Avec les confinements successifs de mars et novembre 2020, l'usage des outils de signature électronique par les professionnels (du droit, du chiffre…) s'est considérablement développé. Il a même explosé ces tout derniers mois. Quelles diligences doit alors effectuer le notaire vis-à-vis d'un acte sous seing privé signé à distance par les parties dont il aurait à connaître ? Dans le cadre de son obligation de contrôle, le notaire devra effectuer deux vérifications. Il devra d'abord s'assurer de la validité de l'écrit électronique lui-même (I) et ensuite identifier le type de signature dématérialisée utilisée afin d'en déduire le niveau de sécurité et le régime probatoire associés (II) .

La validité d'un contrat sous seing privé électronique

L'article 1174 du Code civil www.legifrance.gouv.fr/codes/art._lc/LEGIARTI000032041178/2019-03-25">Lien (C. civ., art. 1174">Lien) pose le principe selon lequel : « Lorsqu'un écrit est exigé pour la validité d'un contrat, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1366 et 1367 et, lorsqu'un acte authentique est requis, au deuxième alinéa de l'article 1369 ». Tous les contrats pour lesquels la loi française impose la forme écrite ad validitatem pourraient donc être conclus sous forme électronique. Le législateur a cependant pris soin d'exclure, au sein de l'article 1175 du Code civil www.legifrance.gouv.fr/codes/art._lc/LEGIARTI000038311018/2019-03-25">Lien (C. civ., art. 1175">Lien), des catégories d'actes pour lesquels la forme électronique est prohibée. Il s'agit des actes sous signature privée relatifs au droit de la famille et des successions (mandat de protection future, convention de Pacs par exemple) À l'exception des conventions sous signature privée contresignées par avocat en présence des parties et déposées au rang des minutes d'un notaire dans le cadre d'un divorce amiable, V. infra, no . . Sont également exclus les actes sous signature privée relatifs à des sûretés personnelles ou réelles, de nature civile ou commerciale, sauf s'ils sont passés par une personne pour les besoins de sa profession (contrat de cautionnement, gage corporel et nantissement…). Il faut toutefois noter à ce sujet qu'un avant-projet d'ordonnance portant réforme du droit des sûretés envisage la suppression du 2o de l'article 1175 du Code civil, permettant ainsi de conclure l'ensemble des sûretés par voie électronique Cf. L. no 2019-486, 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi Pacte) habilite le gouvernement à réformer le droit des sûretés par voie d'ordonnance dans un délai de vingt-quatre mois, art. 60. . Cette modification permettra notamment de dématérialiser les cautionnements sous signature privée, ce qui est aujourd'hui impossible. La documentation issue de la direction des Affaires civiles et du Sceau indique que : « Cette modification ne réduit pas la protection des constituants, les exigences formelles relatives à chaque sûreté devant toujours être respectées ; en particulier, pour le cautionnement, la caution personne physique devra toujours apposer une mention, mais elle le fera de manière électronique » www.textes.justice.gouv.fr/textes-soumis-a-concertation-10179/reforme-du-droit-des-suretes-avant-projet-dordonnance-33667.html">Lien .
Une fois la validité du contrat contrôlée par le notaire, il doit s'assurer de la validité de la signature électronique.

Cautionnement et instrumentation

À ce jour, si un notaire a à connaître d'un acte de cautionnement sous signature privée électronique dans le cadre par exemple de la vente d'un logement faisant l'objet d'un bail d'habitation garanti par un tel cautionnement, il doit rappeler aux parties les dispositions de l'article 1175 du Code civil et attirer spécialement l'attention de l'ancien et du nouveau propriétaire du logement sur la nullité du cautionnement.

Le type de signature dématérialisée utilisé

  • L'ANSSI tient à jour la liste de l'ensemble des produits et services qualifiés en France. Au jour de la rédaction de ces lignes, il s'agit de la liste no 35 éditée le 17 février 2021. On y retrouve pour les plus connus, la CDC, ChamberSign France, le CSN, DocuSign France, YouSign, EquiSign…
  • L'Union européenne établit une liste de confiance regroupant tous les prestataires de services de confiance qualifiés (SCQ) ainsi que ceux qui proposent en plus du SCQ des services de confiance non qualifiés dans l'Union européenne, pays par pays. Le site communique les adresses mail de chaque prestataire spécifique. Avec la reconnaissance mutuelle dans tous les États membres des signatures électroniques qualifiées, une signature électronique effectuée via un prestataire certifié par l'autorité de certification belge aura la même valeur qu'une signature électronique qualifiée française.
La signature électronique a la même valeur qu'une signature manuscrite si elle permet d'identifier son auteur de manière fiable (identification des signataires) et si le lien entre l'acte et la signature est garanti (son intégrité) C. civ., art. 1366 et 1367, V. supra, nos et et s.. . Le notaire doit donc rechercher le type de signature utilisé pour en déterminer la force probante. Il dispose de plusieurs outils pour y procéder.
Des outils de reconnaissance automatique ont commencé à se développer https://helpx.adobe.com/fr/acrobat/using/validating-digital-signatures.html">Lien . Ils permettent de différencier une signature scannée d'une véritable signature électronique. Certains progiciels sont déjà adossés à Adobe et permettent ainsi de connaître précisément le type de signature utilisé Génapi. .

Mise en place d'un outil de contrôle automatisé du type de signature électronique utilisé

Aujourd'hui, compte tenu de la multiplication des signatures à distance et des prestataires de services en ce domaine, il pourrait être utile que la profession notariale se dote d'un <strong>outil de contrôle de la signature électronique, automatisé, intégré, identique à tous les progiciels et mis à jour continuellement par la profession</strong>. Une sorte de veille permanente de la validité des certifications permettant ainsi de déceler plus aisément d'éventuelles fraudes.

En l'absence d'un tel outil à ce jour, une fois identifié le prestataire de services de confiance qualifié, le notaire devra s'assurer que le certificat délivré par ledit prestataire (certificat permettant de vérifier que la signature est bien qualifiée) est toujours en cours de validité, et ce au regard des dates de début et de fin de la qualification par l'ANSSI.
  • Si la signature électronique est qualifiée, elle est alors présumée fiable . C'est alors à celui qui conteste la signature de démontrer qu'elle n'est pas fiable. La dénégation de signature est dans ce cas quasi impossible. L'acte final peut donc être instrumenté.
  • Si la signature n'est pas qualifiée, elle n'est alors pas présumée fiable. Pour autant, selon le droit français plus large que le règlement eIDAS en la matière, les signatures non qualifiées sont dotées, à certaines conditions, d'une valeur juridique. La signature électronique peut constituer un commencement de preuve par écrit si les conditions des articles 1366 et 1367 du Code civil sont remplies. Si les parties ne contestent pas leur signature, l'acte peut être instrumenté. Dans le cas contraire, le notaire devra refuser d'instrumenter en attendant le résultat de la procédure de dénégation d'écriture.

Compromis d'agence et instrumentation de la vente immobilière

En cas de signature électronique qualifiée donc présumée fiable d'un compromis d'agence, la vente immobilière peut être instrumentée. En cas de signature électronique non qualifiée, donc non présumée fiable, l'acte peut être instrumenté tant qu'aucune procédure de dénégation n'est engagée.

Le notaire chargé d'établir un acte sous seing privé signé à distance par les parties

Le notaire chargé d'établir un acte sous seing privé devant être signé à distance par les parties devra préalablement opérer des vérifications. Il devra ainsi s'assurer de la compatibilité de cet acte avec les règles relatives à l'écrit électronique V. supra, nos et s. ainsi que de la capacité de chacun des signataires V. supra, nos et s. . Ensuite, en tant que professionnel, si le notaire veut que l'acte sous signature privée qu'il aura rédigé et fait signer soit à l'abri de toute contestation sur l'identité des signataires, il serait préférable d'offrir aux signataires à distance les mêmes garanties de sécurité que celles exigées en pareille matière aujourd'hui dans le cadre d'une signature manuscrite. Ainsi, au regard de l'identité, l'outil utilisé ne saurait être d'un niveau inférieur à la certification de signature actuellement utilisée. On peut donc penser qu'il serait de bonne pratique que l'outil mis à disposition des signataires à distance repose sur une signature qualifiée V. supra, nos et s. et no . . À réception du document signé, le notaire devra contrôler qu'il a bien été fait usage du procédé de signature qualifiée. Il devra ainsi refuser l'usage d'une simple signature scannée et « collée » à l'emplacement indiqué V. supra, nos et . . Au regard du contrôle du consentement, la signature numérique ne change rien aux contrôles habituels déjà effectués par le notaire dans le cadre d'une signature manuscrite à distance (cf. échanges verbaux et écrits préalables).

Signature à distance d'un acte sous seing privé rédigé par le notaire

On peut penser qu'il serait de bonne pratique que la signature des actes sous seing privé rédigés par le notaire et transmis aux parties pour signature à distance repose sur un procédé de signature électronique <strong>qualifiée</strong> afin d'offrir le même niveau de sécurité qu'une certification de signature.

Les autres documents établis par un notaire

Parce que la signature électronique qualifiée est la seule à bénéficier d'une présomption de fiabilité (équivalente à la signature manuscrite), elle devrait être apposée sur tout document émanant du notaire ayant valeur juridique (attestation de signature de vente, de partage, attestation de mesurage…).

Signature qualifiée

On peut penser qu'il serait de bonne pratique que les attestations de vente, de partage, les attestations de mesurage… soient signées à l'aide de la signature électronique <strong>qualifiée</strong> détenue par le notaire faisant apparaître le numéro de certificat.

Pour les documents à signer par les clients, type mandat de négociation immobilière, note d'honoraires…la prudence voudrait que l'usage d'une signature électronique qualifiée soit requis. Il ne semble toutefois pas déraisonnable de considérer qu'une signature avancée puisse suffire, dans la mesure où le client transmet aux notaires les clés ou verse la somme réclamée, ce qui accroît la force probante de l'écrit contenant une signature électronique avancée.

Signature avancée

On peut penser qu'il serait de bonne pratique que la signature <strong>avancée</strong> soit utilisée toutes les fois que le document signé par le client est corroboré par un agissement de ce dernier confortant implicitement ledit acte et la signature électronique qu'il renferme.

Pour les documents/échanges dénués de portée juridique (simple courrier de solde de dossier, d'envoi de pièces, de confirmation d'un rendez-vous…), une signature électronique simple, voire une signature dématérialisée ne répondant pas aux critères du règlement eIDAS (telle une signature scannée) peut suffire.

Signature simple

La signature <strong>simple</strong> sera utilisée pour les documents dénués de portée juridique.

Il ne s'agit ici que de simples suggestions. Le notaire reste seul juge du type de signature électronique qu'il entend utiliser selon la nature du document signé et la portée probatoire qu'il entend ainsi lui conférer.