L'élévation du respect de la vie privée au rang de droit fondamental

L'élévation du respect de la vie privée au rang de droit fondamental

Le droit au respect de la vie privée, archétype des droits de la personnalité. – La vie privée est un droit exclusivement attaché à la personne physique, les personnes morales ne peuvent a priori s'en prévaloir V., en ce sens, opinion contraire : JCl. Communication, Fasc. 34, par J.-C. Saint-Pau. . Elle participe de la liberté individuelle. Cette liberté est reconnue à tout individu quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir. Elle lui permet de choisir son mode de vie Cass. 1re civ., 23 oct. 1990, no 89-13.163 : JurisData no 1990-702660 ; Bull. civ. 1990, I, no 222 ; www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007025047">Lien . Dans l'espace digital, cette liberté échappe parfois à l'individu. Les références à la notion de vie privée sont nombreuses et permettent de comprendre quels en sont les contours.
– Les sources françaises du droit au respect de la vie privée. – En 1804, aucune disposition relative à la vie privée n'a été envisagée tant les mœurs de l'époque différaient de celles contemporaines B. Beignier, La protection de la vie privée, in Libertés et droits fondamentaux, ss dir. R. Cabrillac, M.-A. Frison-Roche et T. Revet, Dalloz, 18e éd. 2012, p. 206. . Il faut se rappeler que l'enfantement royal connu sous le nom d'« ouverture sacrée du ventre de la reine » avait lieu en public ! Il existait à l'époque quelques références limitées en droit des biens. Référencées aux articles 675 à 679 du Code civil, relatifs aux servitudes de jour et de vue sur les propriétés, elles permettaient ainsi de préserver l'intimité dans les relations de voisinage. Le droit au respect de la vie privée a été construit pas à pas par la jurisprudence au début du XIX e siècle. Il est apparu dans le Code civil en 1970 L. no 70-643, 17 juill. 1970, tendant à renforcer la garantie des droits individuels des citoyens : JO 19 juill. 1970, p. 6571-6761. et figure à l'article 9 du même code : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé ». L'avènement de ce texte provient des abus causés par l'utilisation de la technologie d'images et de sons, caméras, téléobjectifs de plus en plus efficients. Le droit au respect de la vie privée devient un droit fondamental grâce au développement de la notion de droit de la personnalité.
– Les autres sources du droit au respect de la vie privée. – En complément de l'article 9 du Code civil, nombre de références figurent dans les instruments internationaux. Sans être exhaustive, la liste chronologique suivante démontre à la fois la difficulté de définir précisément ce qu'est le droit au respect de la vie privée, et la volonté appuyée de protection de l'individu en raison de l'emprise des nouvelles technologies sur notre environnement au fil du temps :
  • Organisation des Nations unies : La Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée par les cinquante-huit États membres de l'Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948, proclame en son article 12 : « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes » ;
  • Conseil de l'Europe : Le 4 novembre 1953, les États membres du Conseil de l'Europe signent un traité international appelé Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, plus connue sous le nom de Convention européenne des droits de l'homme, laquelle affirme en son article 8 le respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui » ;
  • Charte des Nations unies : Considérant la reconnaissance de tous les membres de la famille humaine et leurs droits égaux et inaliénables à la dignité, participant au fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde, l'Assemblée générale des Nations unies adopte le 16 décembre 1966 à New York un Pacte international relatif aux droits civils et politiques s'appuyant sur la Charte des Nations unies. En son article 17, les États membres formulent ainsi le droit au respect de la vie privée : « 1. Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. 2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ». Ce pacte entre en vigueur le 23 mars 1976, soit plus de dix plus tard ;
  • Convention internationale des droits de l'enfant : Le 20 novembre 1989 est signée la Convention internationale des droits de l'enfant, appelée convention de New York, dans laquelle est repris le premier alinéa du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et précise que l'enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou telles atteintes.
– Les composantes de la vie privée. – La vie privée a un caractère objectif en ce qu'elle est constitutive de ce qu'est la personne dans son individualité. Difficile alors d'en définir les contours de manière générique. En effet, ses composantes, loin d'être statiques sont oscillantes, laissant évoluer les limites que chacun se fixe en fonction de sa culture, sa religion, sa personnalité, son époque. Elles varient également entre volonté d'isolement de l'individu vis-à-vis de la sphère sociétale dans laquelle il évolue et le besoin de contact avec les autres, qu'ils appartiennent ou non à sa communauté. Autrement dit, ce qu'Aristote appelait la polis ou vie imbriquée dans la vie publique et l'oikos, c'est-à-dire la vie domestique. À titre d'exemple, on peut citer l'identité de l'individu, le domicile, la correspondance, l'opinion, mais aussi l'image (notamment les photographies) protégée par le droit à l'autodétermination, c'est-à-dire le droit de maîtriser l'image que l'on donne de soi-même, les centres d'intérêt, etc.
– La référence à l'intimité. – Les composantes de la vie privée sont nombreuses et s'appuient historiquement sur la notion d'intimité dont la jurisprudence fait découler la notion de secret. En 1997, la cour d'appel de Paris, à propos du droit à l'image, rapproche la vie privée de l'intimité de l'être humain en ses divers éléments, afférents notamment à sa vie familiale, à sa vie sentimentale, à son image ou à son état de santé, qui doivent être respectés en ce qu'ils ont trait à l'aspect le plus secret et le plus sacré de la personne CA Paris, 5 déc. 1997 : D. 1998, inf. rap. 32. . La notion de vie privée exclut toute la sphère professionnelle même si la Cour de cassation a été amenée à faire du salaire l'une de ses composantes Cass. 1re civ., 15 mai 2007, no 06-18.448 : JurisData no 2007-038865 ; Bull. civ. 2007, I, no 191, p. 69 ; JCP G 2007, II, 10155, note Lasserre Capdeville ; D. 2007, 1603, obs. Delaporte-Carré, et somm. 2773, obs. Bigot ; RTD civ. 2007, 546, obs. Hauser ; Comm. com. électr. 2007, comm. 127, note Lepage. – Fl. Deboissy et J.-Ch. Saint-Pau, La divulgation d'une information patrimoniale : D. 2000, chron. p. 267. . Même le NIRPP Numéro d'inscription au répertoire des personnes physiques, plus simplement appelé numéro de sécurité sociale. , code alphanumérique servant à identifier de façon unique une personne sur le Répertoire national d'identification des personnes physiques, au même titre que les coordonnées bancaires, relève de la vie privée Cass. 1re civ., 15 mai 2007, no 06-18.448 : JurisData no 2007-038865, préc. . La jurisprudence construit au fil du temps ces composantes. Ainsi ont été retenues comme relevant de la vie privée : l'identité, l'adresse, la situation patrimoniale et professionnelle d'un ménage Cass. 1re civ., 19 déc. 1995, no 93-18.939 : Bull. civ. 1995, I, no 479, p. 331 (www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007034791">Lien). , les informations relatives à la vie sentimentale Cass. 1re civ., 6 oct. 1998, no 96-13.600 : Bull. civ. 1998, I, 274, p. 191 (www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007038757">Lien). , les relations psychologiques et affectives dans le milieu familial Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, no 95-13.545 : Bull. civ. 1997 I, no 73, p. 47 (www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007034582">Lien). .
Cependant, en 2020, la crise sanitaire due à la propagation de la Covid-19 a réduit la distanciation entre espace privé et espace professionnel. Le foyer familial est alors devenu un espace empreint de « professionnalité », loin du sanctuaire qualifié ainsi par la cour d'appel de Paris dès 1981 CA Paris, 27 févr. 1981 : JCP G 1981, IV, p. 396 : « La vie privée des particuliers ne se réduit pas à l'intimité du foyer et aux seules activités poursuivies dans un lieu privé, mais peut aussi bien se dérouler dans des endroits publics, la notion de vie privée recouvrant les activités étrangères à la vie publique qui sont poursuivies aussi bien dans un lieu public que dans un lieu privé ». . La sphère professionnelle est entrée dans la sphère intime. En effet, durant cette période de crise, le télétravail a été systématisé pour pallier l'impossibilité d'être en présentiel sur son lieu professionnel.
Les remparts de la vie privée se fissurent donc au fil de l'évolution sociétale et du progrès technique Cass. soc., 30 sept. 2020, no 19-12.058 : la production d'éléments portant atteinte à la vie privée de la salariée (en l'occurrence les extraits de son compte privé Facebook) était indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l'intérêt légitime de l'employeur à la confidentialité de ses affaires (www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/779_30_45529.html">Lien). .

Le télétravail, la sphère privée imprégnée par la sphère professionnelle

Source : www.exoplatform.com/blog/fr/2020/03/19/coronavirus-teletravailler-avec-ses-enfants-a-la-maison-exo-platform/">Lien ; www.sigma.fr/2020/04/15/les-rh-en-action-face-au-covid-19-bien-vivre-le-teletravail/">Lien