Le numérique et l'obligation d'information de droit commun

Le numérique et l'obligation d'information de droit commun

Le Code civil, tel que remanié par la réforme du droit des obligations résultant de l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, intègre désormais officiellement une obligation d'information lors de la phase des pourparlers. Cette obligation d'information est en pratique fréquemment confrontée à l'univers du numérique (§ I) , dont les outils permettent le transfert et la délivrance de l'information (§ II) .

L'obligation d'information dans l'univers du numérique

? La délivrance de l'information au stade de la formation du contrat a fait l'objet d'une évolution lente. ? Pendant longtemps, le législateur a considéré que chaque partie aux négociations était responsable et donc apte à s'informer par elle-même. Ce n'est qu'à partir du milieu du XX e siècle qu'un mouvement se crée avec une différenciation entre les parties destinée à assurer leur protection en fonction de leur vulnérabilité Sur l'évolution chronologique de l'obligation d'information, V. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Précis de droit civil, Les obligations, Dalloz, 12e éd., p. 369. . Certaines sont considérées plus faibles que d'autres et donc méritant une protection particulière. L'économie évolue et creuse les différences entre les cocontractants. Il est établi qu'un marché efficient est un marché sur lequel l'information est fluide, transparente et fiable O. Cachard, Le contrat électronique dans la loi pour la confiance dans l'économie numérique : Rev. Lamy dr. civ. 1er sept. 2004, no 8. . Afin d'assurer la confiance des parties faibles, la jurisprudence d'abord Cass. 3e civ., 21 juill. 1993, no 91-20.639.?Cass. 1re civ., 5 déc. 1992, no 94-12.376.?Cass. com., 23 sept. 2014, no 13-22.763. , la loi ensuite L'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations a introduit un nouvel article 1112-1 dans le Code civil instaurant une obligation d'information précontractuelle, laquelle complète les nombreuses dispositions spéciales déjà existantes protégeant des catégories de contractants réputés faibles, au premier rang desquels les consommateurs (cf. C. consom., Livre 1er, Titre 1er, chapitre 1, relatif à l'obligation générale d'information précontractuelle). , a instauré une obligation précontractuelle d'information. Le nouvel article 1112-1 du Code civil (C. civ., art. 1112-1">Lien) impose ainsi à « celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre [de] l'en informer dès lors que légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ». L'information sur l'estimation de la valeur de la prestation est ensuite expressément exclue par l'alinéa 2 du même article. Ce devoir, d'ordre public (al. 5), peut mener à une mise en cause de la responsabilité extracontractuelle de la partie défaillante, et si le contrat est conclu, à son annulation sur le fondement des vices du consentement Pour une étude plus approfondie de l'obligation précontractuelle d'information du Code civil, V. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Précis de droit civil, Les obligations, Dalloz, 12e éd., p. 367 et s. .
La voie électronique est aujourd'hui omniprésente dans les échanges, notamment lors des négociations. Elle s'avère particulièrement pratique pour les communications entre les parties, outre les outils ci-après analysés facilitant les transmissions d'informations. Une directive européenne 2000/31/CE du 8 juin 2000 PE et Cons. UE, dir. 2000/31/CE, 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »). transposée dans le Code civil aux articles initialement numérotés 1369-1 à 1369-9 et désormais 1125 à 1127-6 (C. civ., art. 1125 à 1127-6">Lien), encadre les contrats conclus par voie électronique.
? La transmission des informations et stipulations par voie électronique. ? L'article 1125 du Code civil (C. civ., art. 1125">Lien) entérine la possibilité de transmettre par voie électronique des stipulations contractuelles ou des informations sur des biens et des services. L'obligation précontractuelle d'information peut donc être exécutée de manière dématérialisée. Toutefois, le courrier électronique ne peut être utilisé que sur autorisation expresse et préalable de son destinataire (C. civ., art. 1126">Lien) pour toute transmission d'information en vue de la formation d'un contrat. En pratique, il semble opportun, si une convention encadrant les négociations est signée entre les parties, d'y intégrer une autorisation d'utilisation des courriers électroniques. Pour les professionnels mettant à disposition de leurs clients des formulaires de renseignements, un système de case à cocher d'autorisation préalable est également à privilégier.
S'agissant des professionnels, le Code civil les distingue des particuliers, ce qui est suffisamment rare pour être souligné dans ce réceptacle du droit commun des contrats. L'article 1127 du Code civil (C. civ., art. 1127">Lien) présume en effet l'accord préalable du professionnel nécessaire à la transmission par voie électronique des informations précontractuelles dès lors que ce dernier aura transmis son adresse e-mail. Il en sera par exemple ainsi lorsque le site internet d'une société mentionnera une adresse de contact. Cette présomption permet de fluidifier les échanges et d'éviter une remise en cause de l'exécution de l'obligation d'information. Il serait d'ailleurs peut-être opportun de l'étendre aux particuliers en supprimant simplement la mention de professionnel de l'article 1127 du Code civil. En effet, dans l'hypothèse où une adresse e-mail est transmise par un client, il semble légitime de penser que l'on peut librement l'utiliser pour lui transmettre valablement les informations précontractuelles sans lui demander son autorisation préalable.
L'obligation précontractuelle d'information peut donc s'exécuter par la voie numérique, notamment pour les professionnels. Les nouvelles technologies permettant de faciliter la communication et plus spécialement l'exécution de cette obligation d'information sont par ailleurs très nombreuses.

Les outils numériques transférant et délivrant l'information

Le numérique offre de nombreux outils susceptibles d'assister les parties dans la délivrance de l'information due dans le processus de formation du contrat. Certains d'entre eux facilitent uniquement la mise à disposition de l'information, d'autres vont plus loin en délivrant eux-mêmes cette information.
Parmi les outils de support des données, le principal est la plateforme d'accès, ou data room. Celle-ci consiste en un espace dématérialisé accessible à plusieurs avec des logins et mots de passe. Elle présente plusieurs avantages, disponibles ou non en fonction de son perfectionnement, parmi lesquels on répertorie :
  • un accès sécurisé ;
  • une capacité de stockage bien plus importante que les e-mails par exemple ;
  • une possibilité de télécharger les éléments partagés pour en assurer la conservation ;
  • un système de questions-réponses permettant les échanges entre les parties à la négociation au sujet des pièces communiquées ;
  • la mise à disposition de questionnaires clients avec une intégration automatique des données enregistrées ;
  • une conservation des données pour la période de la data room.
Dans une moindre mesure, les simples liens de téléchargement sont également des outils permettant de délivrer l'information de manière plus fluide. Ceux-ci ont pour avantage de transmettre en un envoi des données d'une taille bien supérieure à la capacité d'un e-mail Par ex., la société WeTransfer propose des envois gratuits de fichiers d'une taille maximale de deux gigaoctets, et des envois payants d'une taille maximale de vingt gigaoctets. . Cela a pour effet d'éviter une information diluée, un e-mail oublié, ou encore un envoi non abouti passé inaperçu dans une masse plus importante. Toutefois ces liens ont des durées de validité limitées, et certains utilisateurs n'ont pas encore pris l'habitude de télécharger les pièces dans le temps qui leur était imparti.
  • le visuel design : lequel consiste à utiliser des schémas, des vidéos, des bandes dessinées pour expliquer une notion juridique ;
  • le design de service : le concept est ici de créer des outils répondant aux besoins des utilisateurs afin de leur délivrer l'information qu'ils attendent. Cela nécessite donc une étude de marché destinée à identifier les inquiétudes et les interrogations des clients, pour ensuite réfléchir aux moyens les plus efficaces de les rassurer et de les informer ;
  • le design organisationnel : cela consiste à établir une stratégie de management destinée à répondre aux attentes des utilisateurs.
? Un autre outil de support est le legal design Pour des développements sur le legal design : V. infra, no . . ? Ce terme est apparu en France dans le courant de l'année 2015, reprenant les développements de Margaret Hagan M. Hagan, Law by design (www.lawbydesign.co/">Lien). apportant la première approche réfléchie en la matière. Le legal design a pour objectif, au moyen d'une approche empathique, d'adapter un discours à son interlocuteur. Ce n'est alors plus au client d'essayer de comprendre l'information qui lui est communiquée, mais au professionnel de personnaliser son discours de manière à ce qu'il soit compréhensible par son destinataire. L'objectif est ici de transmettre l'information, mais surtout qu'elle soit intelligible et donc assimilée, en vue d'une bonne exécution des engagements contractuels.
Le legal design a pu être divisé en trois catégories A. Boyer (avec la participation de C. Charles et F. Duthille), Innovation. Legaldesign : buzzword ou révolution ? : Rev. pratique de la prospective et de l'innovation mai 2019, no 1, prat. 1. :
Il existe deux types de chatbot :
  • celui qui n'est pas doté d'intelligence artificielle et ne fait donc que rechercher dans sa base de données une réponse prédéfinie à une question prédéterminée ;
  • celui doté d'intelligence artificielle pouvant tenir une conversation plus fluide et naturelle en s'alimentant des réponses de son interlocuteur.
S'agissant des outils délivrant eux-mêmes l'information, le principal est le chatbot, ou agent conversationnel. Celui-ci est l'addition d'un bot, c'est-à-dire un robot consistant en un programme informatique destiné à reproduire un comportement humain, et d'un chat, c'est-à-dire une conversation instantanée. Un chatbot est donc un robot destiné à tenir une conversation en langage naturel avec un interlocuteur Pour une définition en images : www.youtube.com/watch?v=CieBKkR_RzA">Lien .
On retrouve aujourd'hui les chatbots très couramment sur un certain nombre de sites internet Pour quelques exemples de sites avec des chatbots : SNCF.com (www.digital.sncf.com/actualites/venez-discuter-avec-le-1er-chatbot-transilien# :~ :text=Le%20chatbot%20a%20%C3%A9t%C3%A9%20con%C3%A7u%20pour%20vous%20aider,sur%20Facebook%20Messenger%2C%20en%20fran%C3%A7ais%20ou%20en%20anglais">Lien) ; la préfecture d'Île-de-France (www.prefectures-regions.gouv.fr/ile-de-france/Region-et-institutions/L-action-de-l-État/Economie-et-finances-publiques/Innovation-Recherche/Le-chatbot-NOA-une-nouvelle-offre-de-service-pour-les-start-up">Lien) ; laposte.fr. . Leur but est d'informer les utilisateurs sur des sujets récurrents et généralement simples. L'avantage est double : il permet une information immédiate et désengorge les services « humains » destinés à répondre aux questions plus complexes, de manière donc plus rapide et efficace. En outre, il existe souvent des traductions automatiques permettant un accès aux données dans plusieurs langues.
Les chatbots posent plusieurs questions juridiques :
  • tout d'abord celle de la preuve de la délivrance de l'information : suffit-il de mettre à disposition un chatbot avec une base de données pour considérer que l'information était accessible à l'utilisateur et donc délivrée ? L'article 1112-1 du Code civil (C. civ., art. 1112-1">Lien) dispose qu'« il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie ». Une fois que l'utilisateur aura prouvé qu'une information lui était due, il reviendra à l'entreprise ayant recours au chatbot de prouver que ce dernier a bien délivré l'information. À ce jour, il n'y a pas de jurisprudence en matière de chatbot et de preuve de la délivrance de l'information par ce biais. Il semble toutefois possible de considérer que le partage d'un chatbot avec une base de données permet de préconstituer la preuve de la mise à disposition de l'information, et donc de sa délivrance, à condition de pouvoir établir que le chatbot savait délivrer l'information conflictuelle ;
  • ensuite, celle de la perception par le robot de la compréhension de l'information par son destinataire. Certes, l'obligation d'information ne porte que sur la transmission, et non la compréhension. Toutefois le chatbot trouve ici ses limites par rapport à l'humain car, contrairement à ce dernier, l'agent conversationnel n'est pas capable de percevoir si l'information transmise est assimilée ou non. L'obligation d'information est donc remplie, mais sans assurer la protection souhaitée par le Code civil ;
  • enfin, celle de la responsabilité en cas d'erreur du chatbot : l'obligation d'information ne sera pas exécutée, et donc la responsabilité de son débiteur pourra être engagée, voire le contrat annulé.
L'obligation précontractuelle d'information s'intègre donc au monde du numérique, dont les outils permettent une exécution plus fluide et efficace. Les données et informations ainsi transmises présentent toutefois le risque d'être surabondantes et de ne pas mettre en évidence les informations essentielles.
À cette obligation de droit commun, s'ajoute une obligation spéciale aux contrats de commerce électronique.