Le contrat de société peut envisager les incidences de la tokenisation des parts qui composent le capital social sous plusieurs angles : quant à leur mode de propriété
(Sous-section I)
, quant aux règles de variation du capital social
(Sous-section II)
, quant aux droits des associés titulaires de parts
(Sous-section III)
; enfin, au-delà des statuts, la technologie blockchain doit être mise en rapport avec d'autres conventions sociales
(Sous-section IV)
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L'adaptation des clauses statutaires
L'adaptation des clauses statutaires
Les dispositions relatives à la propriété des parts
Il faut distinguer les questions statutaires d'inscription des parts en compte ou registre de celles des modalités de leur transmission, ou encore de celles de l'augmentation de leur nombre.
– Modalités d'inscription et de transmission des parts sociales. – Les statuts doivent préciser les modalités de l'inscription des parts sociales dans la blockchain. Le principe de l'inscription dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé doit être prévu dans les stipulations relatives à la forme et la libération des actions. Le cas peut d'ailleurs être présenté comme une option, en concurrence avec le cas de l'inscription des actions dans un compte-titres ; par exemple deux clauses successives prévoient les deux cas, dans un même titre « Inscription des actions ».
La référence aux dispositions légales obligatoires apparaît nécessaire dans les statuts pour rappeler notamment les dispositions de, l'alinéa 2 de l'article L. 211-3 du Code monétaire et financier (C. monét. fin. art. L. 211-3, al. 2">Lien) : « L'inscription dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé tient lieu d'inscription en compte ». Les statuts renverront aussi utilement aux conditions réglementaires d'intégralité des inscriptions, d'identification des propriétaires de titres et du nombre de titres détenus, de relevé des opérations devant être mis à la disposition des associés ou de dispositif externe de conservation périodique des données
C. monét. fin., art. R. 211-1 à R. 211-9 ; D. no 2018-1226, 24 déc. 2018 et C. com., art. R. 228-3 à R. 228-6.
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– Encadrement statutaire du DEEP. – Les statuts préciseront aussi les cas de mise en œuvre de cette inscription dans un DEEP : lors de la souscription, lors de la cession, et désigneront la plateforme mandataire pour la tenue et l'inscription des valeurs mobilières émises par la société dans une blockchain.
La transmission des parts, enfin, peut donner lieu à une clause spécifique, en complément du cas des actions inscrites en compte-titres, pour préciser qu'elle s'effectue par la modification de l'inscription dans le DEEP, renvoyant aux dispositions légales et au rôle du mandataire de la plateforme.
– Valorisation des parts, augmentation de capital et droit de retrait. – La tokenisation des parts sociales n'empêche pas la résolution des difficultés classiques de leur valorisation. En cas de société dont l'objet est l'acquisition et la gestion d'actifs immobiliers, doit-elle être essentiellement fondée sur l'évaluation du patrimoine immobilier constituant le seul actif de la société ?…
La question supplémentaire tient à l'intégration dans la blockchain des variables de répartition du capital social (par voie d'augmentation de son capital variable ou pour faire suite à l'exercice par certains actionnaires en place de leur droit de retrait). Elles sont en pratique reprises lors de l'approbation annuelle des comptes. Ce calendrier est plus lent que l'immédiateté du traitement des opérations sur le DEEP. Le mandataire de la plateforme devra veiller à la conservation d'un relevé des opérations aux échéances comptables définies.
Les questions de seuils
– Détermination des seuils de montant de capital social variable. – On raisonnera ici sur l'hypothèse de capital minimum. On sait qu'aucune reprise d'apports ne pourra avoir pour effet de réduire le capital social à une somme inférieure au montant minimum autorisé. Si cette limite est atteinte, l'associé retrayant perd sa qualité d'associé à compter de la date d'effet de son retrait et deviendra un simple créancier de la société pour le montant de ses actions qui doit lui être remboursé. Comment là encore intégrer ces variables dans la blockchain ? Il y a ici vraisemblablement place pour le smart contract
V. infra, Commission 3, nos
et s.
dans la mesure où le franchissement du seuil bas du capital social à l'occasion d'un retrait devrait déclencher automatiquement l'impossibilité de la reprise d'apport jusqu'à la survenance de souscriptions nouvelles.
– Franchissement de seuils d'actionnariat. – L'intérêt de la technologie blockchain, dans sa dimension de programme informatique déterminé pour exécuter une obligation – le smart contract – pourrait être envisagé dans le cadre du respect des règles de franchissement de seuils déterminés de titres détenus par un associé
P. Kasparian, Blockchain et franchissement de seuil d'actionnariat, in Blockchain et droit des sociétés, ss dir. V. Magnier et P. Barban, Dalloz, 2019, p. 97.
. Si les applications en droit des sociétés sont multiples pour les associés
X. Vamparys, La blockchain : un outil au service des droits des actionnaires ? : Bull. Joly Sociétés 2018, 315.
, la question de l'efficacité de la détection des divers dépassements peut s'envisager aisément dans le cadre de l'inscription des titres sur un DEEP.
En effet, toute une série d'informations peut être intégrée au protocole informatique mis en place, dont celui d'organiser l'automaticité de la déclaration de franchissement de seuil. Le non-respect de l'obligation par son détenteur est potentiellement sanctionné de plusieurs façons : sanction pécuniaire, sanction en termes de droits de vote, voire interdiction du dépassement lui-même. Or, les modalités de déclenchement du smart contract et son effet (if… then), peuvent intégrer ces données. Toutefois, si la sanction financière elle-même ne pose pas trop de difficultés, tout comme la mise en place d'une notification automatique à un organe ou autorité de contrôle, d'autres données semblent plus difficiles à organiser. Certains calculs de détention complexes (actions de concert, articulation des participations financière et politique…), et par ailleurs des sanctions subtiles en termes de limitation de droits politiques des associés, seront peut-être incompatibles avec un calcul arithmétique.
Enfin, la sanction en termes de privation de droit de vote, si elle est automatique, pourrait heurter la dimension spécialement protégée du droit de propriété. Ce dernier figure dans nos textes fondamentaux aux articles 2 et 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et à l'article 1er du premier Protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. Leur respect est apprécié par nos juridictions suprêmes sous l'angle de l'atteinte à la substance même de l'exercice du droit de propriété qui serait portée par une loi ou, dans notre cas, par le contrat dans le cadre du contrôle de conventionnalité. L'automaticité de la privation d'un droit de vote ne constituerait-elle pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété de l'associé sur ses parts ? La réponse pourrait être affirmative si l'on se réfère à la jurisprudence du Conseil constitutionnel : les Sages de la rue de Montpensier, saisis d'une question prioritaire de constitutionnalité relative aux alinéas 1 et 2 de l'article L. 233-14 du Code de commerce
Lesquels disposent : « L'actionnaire qui n'aurait pas procédé régulièrement aux déclarations prévues aux I, II, VI bis et VII de l'article L. 233-7 auxquelles il était tenu est privé des droits de vote attachés aux actions excédant la fraction qui n'a pas été régulièrement déclarée pour toute assemblée d'actionnaires qui se tiendrait jusqu'à l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date de régularisation de la notification ».
« Dans les mêmes conditions, les droits de vote attachés à ces actions et qui n'ont pas été régulièrement déclarés ne peuvent être exercés ou délégués par l'actionnaire défaillant. ».
, ont jugé que « compte tenu de l'encadrement dans le temps et de la portée limitée de cette privation des droits de vote, l'atteinte à l'exercice de ce droit de propriété de l'actionnaire qui résulte des dispositions contestées ne revêt pas un caractère disproportionné au regard du but poursuivi »
Cons. const., 28 févr. 2014, no 2013-369 QPC.
. Or précisément si la privation d'un droit de vote résulte de l'exécution du smart contract, donc empreinte d'automaticité, la réserve relevée par le Conseil constitutionnel (limitation de portée et dans le temps) pour valider le procédé semblerait inopérante. Notons que la question ne s'est pas posée encore au cas précis d'un smart contrat.
La blockchain et les droits des actionnaires
Les droits abordés ici sont d'ordre financier et de nature politique, ces derniers sous l'angle de leur principe et du droit à l'information ; la question spécifique de l'exercice concret d'un droit de vote sera examinée, avec l'impact du numérique sur la tenue des assemblées, à la section suivante
En outre le sujet est ici traité surtout sous l'angle des principes généraux de la blockchain confrontés aux droits des associés, les aspects détaillés du fonctionnement des smart contracts étant étudiés infra, Commission 3, nos
et s.
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– Droits politiques des actionnaires. – Le droit de vote d'un actionnaire fait partie de ce que l'on appelle ses « droits politiques ». Ces derniers sont liés à sa bonne information. La question se pose donc de savoir si l'outil blockchain, à partir du moment où les parts sociales sont détenues sur un DEEP, renforce la qualité de cette information
G. Goffaux Callebaut, Blockchain et droits des actionnaires, in Blockchain et droit des sociétés, ss dir. V. Magnier et P. Barban, Dalloz, 2019, p. 146.
. La tenue d'un registre dématérialisé des parts qui résultent de la tokenisation des titres pourrait offrir un meilleur accès aux données périodiques de la société, en termes de sécurisation et de transparence. Toutefois la décentralisation de la certification des documents déposés sur le DEEP participe d'un choix de gouvernance à apprécier, par rapport aux certifications existantes des professionnels tels les commissaires aux comptes : le contenu sera-t-il qualitativement contrôlé ? Quid du respect des règles de consensus inhérentes aux blockchains publiques, pour des documents techniques ? Une blockchain privée serait peut-être alors préférable.
Par ailleurs, l'environnement d'un DEEP peut avoir une influence sur les conventions de vote. À cet égard, on peut souligner que les hypothèses de décisions simples prévues semblent s'intégrer sans difficulté dans la blockchain, l'exercice du droit de vote gagnant en efficacité via la mise en place de voting coins. Cependant les notions incluses dans certaines conventions telles la contrariété à l'intérêt social ou la mauvaise foi semblent compliquées à intégrer
G. Goffaux Callebaut, Blockchain et droits des actionnaires, préc., p. 147.
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– Droits financiers des actionnaires. – La question renvoie aux potentialités de la blockchain quant au versement des bénéfices. Là encore, le protocole informatique pourrait prévoir une automaticité de la distribution des dividendes une fois certaines étapes franchies. Notons que ce modus operandi, au-delà d'une apparente facilité d'exécution dans des cas de détention ordinaires, se heurtera peut-être à des obstacles dans des cas spécifiques comme le démembrement de propriété.
– Droits des actionnaires et vente d'un bien social. – L'application du pacte statutaire doit permettre de sécuriser le droit des porteurs de titres tokenisés lorsque surviendra par exemple la vente de l'immeuble acquis par la société. Il convient de leur assurer la restitution des fonds engagés lors de la souscription des titres ainsi que l'octroi de la plus-value leur revenant sur la vente de l'immeuble. Deux pistes pourraient être explorées. La première consisterait à solliciter du notaire instrumentaire qu'il retienne les fonds en vue de les remettre directement à chaque souscripteur de parts (via une délégation de paiement ?). La seconde consisterait à remettre les fonds revenant à chaque souscripteur via la plateforme concernée, le cas échéant sur ordre du notaire. Cette seconde piste mérite probablement d'être approfondie, car la remise de fonds s'accompagnera a priori du retrait des actionnaires. Cette remise peut s'analyser en un rachat de titres en vue de leur annulation. En d'autres termes, le retrait trouve sa contrepartie dans l'attribution de numéraire dont la valeur correspond à celle des titres rachetés.
Un défi : concilier blockchain et pacte d'actionnaires
– Incompatibilité apparente des systèmes. – De premier abord, l'écosystème représenté par la blockchain, uniforme dans son protocole et en quelque sorte « ouvert » pour tous ses détenteurs de clés privée et publique, semble à l'opposé des besoins différenciés, du polymorphisme et du caractère secret d'un pacte d'actionnaires
Y. Paclot et G. Gaède, La blockchain et le pacte d'actionnaires, in Blockchain et droit des sociétés, ss dir. V. Magnier et P. Barban, Dalloz, 2019, p. 161.
. Rappelons que ce dernier organise une relation entre ses associés signataires, pour leur reconnaître des droits et obligations, dont le succès réside notamment dans la confidentialité de l'accord.
Cependant, une complémentarité peut s'envisager sous deux angles dans l'hypothèse d'un enregistrement du pacte sur blockchain. D'une part, le recours à un dispositif fermé de DEEP préserverait la confidentialité du pacte, puisque le registre et ses transactions sont ouverts à un nombre fermé d'utilisateurs. Le respect de la règle de l'effet relatif des contrats se traduirait tant par le fait que l'ensemble des parties prenantes à la blockchain ne devient pas un contractant (distinction des contractants et des garants) que par le fait que la violation du contrat serait résolue en manquement délictuel. Pour certains auteurs
Paclot et G. Gaède, La blockchain et le pacte d'actionnaires, préc., p. 166.
, le pacte d'actionnaires se verrait alors conférer un effet utile manifeste tout à fait dans le droit fil des dispositions actuelles du Code civil sur l'effet des contrats à l'égard des tiers
C. civ., art. 1200, al. 1 : « Les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat ».
. D'autre part, l'efficacité et l'effectivité perfectibles des pactes d'actionnaires, souvent soulignées, pourraient être jugulées grâce à leur tokenisation. L'exécution du processus informatique garantirait ainsi la mise en œuvre des engagements de vote ou les clauses de sortie de pacte.
Cela ouvre ainsi des perspectives fécondes d'interactivité
Y. Paclot et G. Gaède, La blockchain et le pacte d'actionnaires, préc., p. 167.
entre pacte d'actionnaires et DEEP, surtout si la force obligatoire du registre n'est pas contestée
Pour des applications concrètes de smart contract lié à un pacte d'actionnaire, V. infra, commission 3, no
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