La tokenisation des instruments financiers

La tokenisation des instruments financiers

Rappelons que les jetons assimilés à des instruments financiers sont qualifiés de security tokens. On distingue dans le détail :
  • les native security tokens, qui ne sont pas précédés d'une émission classique de titres ; cela renvoie à la catégorie des actions ou obligations ;
  • les non native security tokens qui sont des actifs numériques tokenisant des instruments financiers ayant fait l'objet d'une émission classique ; cela renvoie par exemple aux parts de fonds d'investissement.
Il convient de saisir les enjeux de la tokenisation des titres financiers (§ I) avant d'en aborder le cadre réglementaire (§ II) .
Les STOs, ou Security Token Offerings – terminologie, comme les ICOs, en référence aux Initial Public Offerings – ont pour partie une origine pratique, mais l'actif sous-jacent des jetons émis les fait aussi rentrer dans un champ réglementaire précis D. Legeais, Blockchain et actifs numériques, LexisNexis, 2019, nos 335 et s. .
Certains jetons peuvent être qualifiés d'instruments financiers s'ils en ont les caractères, à défaut d'en avoir la qualification légale JCl. Commercial, Fasc. 535, Actifs numériques et prestataires sur actifs numériques, nos 29 et 30, par D. Legeais. .

Les enjeux de la tokenisation de titres et instruments financiers

L'intérêt de cette offre de titres sur blockchain découle à la fois de son mode de représentation propre (A) , et des buts poursuivis (B).

La procédure d'inscription des titres security token sur la blockchain

Le système blockchain peut être utilisé pour représenter et céder des titres financiers, depuis l'ordonnance no 2017-1674 du 8 décembre 2017 et le décret no 2018-1226 du 24 décembre 2018. En application de l'article L. 211-3 du Code monétaire et financier (C. monét. fin., art. L. 211-3">Lien), cette inscription tient lieu d'inscription en compte, sous réserve de respecter des garanties équivalentes à celles existant dans le cadre d'une inscription en compte classique.
Les valeurs mobilières concernées pour être inscrites dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé (DEEP) sont celles émises sur le territoire français, exclues d'un dépositaire central. Comme tout dispositif blockchain, la tenue des registres est ainsi facilitée, car bénéficiant de ses atouts d'inaltérabilité, de conservation et de rapidité de traitement des opérations.

Les buts d'une STO

L'attrait d'une STO tient aux potentialités enfermées dans ces jetons, dans une volonté de meilleure sécurité de l'investissement.

L'intérêt de la tokenisation

L'intérêt majeur de cette forme de tokenisation réside dans le champ matériel couvert par le sous-jacent du jeton. En clair, le token créé peut, outre le titre financier lui-même, « contenir des informations essentielles relatives à la société ou la qualité de l'investisseur » Ibid., no 32. . Les opérations de vérification de l'identité des souscripteurs sont facilitées et accélérées. Les événements touchant à la vie de ces titres sont par ailleurs automatisés par des smart contracts Sur lesquels, V. infra, Commission 3, nos et s. .

La recherche de l'effacement du risque d'absence de contrepartie

Pour l'information du souscripteur en premier lieu, le DEEP doit être conçu pour permettre aux détenteurs de ces titres de disposer de relevés d'opérations qui leur sont propres. L'accès à l'environnement économique général du jeton semble ainsi meilleur qu'en matière d'ICO, puisque l'investisseur a des droits sur un actif.
Comme en matière d'ICO, les actifs sont rendus plus liquides, mais en théorie les droits ouverts sont plus saisissables qu'un simple droit à l'usage d'un bien ou service, même si tout reposera sur l'efficacité, l'ampleur et la sécurisation du marché secondaire, souhaitable à l'échelon européen.

Le régime juridique des transferts de fonds via les cryptoactifs

Il ne sera pas envisagé ici le détail des textes et mesures réglementaires applicables, mais rappelé leurs références JCl. Commercial, Fasc. 535, Actifs numériques et prestataires sur actifs numériques, no 35, par D. Legeais, qui souligne que les émetteurs doivent de surcroît mettre en place des procédures opérationnelles concrètes pour respecter les règles existantes quant à l'identification des investisseurs (KYC) et la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme (LCB-FT). et mis l'accent sur l'assouplissement intervenu pour certaines STOs.
Comme toute offre au public de titres, un cadre strict existant a vocation à s'appliquer, mais en dessous d'un certain seuil l'AMF a mis en place une procédure simplifiée.

Les STOs et la législation « Prospectus »

La procédure d'IPO – Initial Public Offering – obéit à une triple réglementation :
  • principalement la législation européenne, dite « Prospectus », qui suppose la rédaction d'un document d'information contraignant connu sous le nom de « prospectus » ;
  • la réglementation AMF ;
  • la directive MIF2.

Les STOs et la procédure simplifiée

Un assouplissement est intervenu pour les émetteurs de certaines STOs.
Aux termes de l'article 211-2 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, dans sa rédaction modifiée en juillet 2018, l'offre de titres financiers dont le montant total dans l'Union européenne est inférieur à huit millions d'euros Le montant total de cette offre est calculé sur une période de douze mois suivant la date de la première offre. , ou à la contre-valeur de ce montant en devises, ne constitue pas une offre au public soumise à prospectus visé par l'AMF.
Une procédure simplifiée est mise en place dans ce cas, insérée dans un chapitre II bis du livre II du règlement général de l'AMF intitulé « Information synthétique à diffuser en cas d'offre de titres ouverte au public ne faisant pas l'objet d'un prospectus visé par l'AMF ». Elle tient notamment à l'obligation pour l'émetteur de l'offre de communiquer aux investisseurs, préalablement à toute souscription, un document d'information synthétique (DIS) en application de l'article 212-44 du règlement.
Le contenu du document d'information synthétique n'est pas sans rappeler celui du livre blanc ou white paper propre aux ICOs, mais il ne donne pas lieu à véritable visa ; c'est pourquoi l'émetteur ne peut pas faire publiquement état d'une quelconque revue ou vérification par cet organisme.
Toutefois l'AMF exige le respect d'un certain contenu, savoir Règl. gén. AMF, art. 212-44. :
1) une présentation de l'émetteur et une description de son activité, de son projet et de l'usage des fonds levés, accompagnées notamment des derniers comptes s'ils existent, des éléments prévisionnels sur l'activité, les levées de fonds, les financements et la trésorerie, ainsi que d'un organigramme de l'équipe dirigeante et de l'actionnariat ;
2) une information sur le niveau de participation auquel les dirigeants de l'émetteur se sont eux-mêmes engagés dans le cadre de l'offre proposée ;
3) une information exhaustive sur tous les droits attachés aux titres offerts dans le cadre de l'offre proposée (droits de vote, droits financiers et droits à l'information) ;
4) une information exhaustive sur tous les droits (droits de vote, droits financiers et droits à l'information) attachés aux titres et catégories de titres non offerts dans le cadre de l'offre proposée ainsi que les catégories de bénéficiaires de ces titres ;
5) une description des dispositions figurant dans les statuts ou un pacte et organisant la liquidité des titres ou la mention explicite de l'absence de telles dispositions ;
6) les conditions dans lesquelles les copies des inscriptions aux comptes individuels des investisseurs dans les livres de l'émetteur, matérialisant la propriété de leur investissement, seront délivrées ;
7) une description des risques spécifiques à l'activité et au projet de l'émetteur ;
8) s'ils existent, une copie des rapports des organes sociaux à l'attention des assemblées générales du dernier exercice et de l'exercice en cours ainsi que, le cas échéant, une copie du (ou des) rapport(s) du (ou des) commissaire(s) aux comptes réalisé(s) au cours du dernier exercice et de l'exercice en cours ;
9) la date de la version du document d'information synthétique.
Il est bien précisé que « l'émetteur est responsable du caractère complet, exact et équilibré des informations fournies ».
À cette variété de l'offre de security tokens, s'est ajouté un vaste éventail de prestataires de services de tokenisation, d'émission et de trading d'actifs. Ce sont soit des plateformes spécifiques, soit des offres émises par des acteurs plus traditionnels Ainsi de la banque Falcon, la Bourse suisse, le Lloyd's of London, la Société Générale, cités par D. Legeais : JCl. Commercial, Fasc. 535, préc., no 7 et in Blockchain et actifs numériques, préc., no 340 ; la liste s'étoffant sans cesse. , ce qui montre leur attractivité.
Cela s'explique aussi par le fait que le législateur s'est efforcé de réguler ces acteurs et prestataires.