La tokenisation du capital entrepreneurial

La tokenisation du capital entrepreneurial

La tokenisation est l'opération consistant à inscrire un actif de toute nature, et tous ses droits attachés, sur un jeton numérique, ou token, ensuite enregistré sur un dispositif d'enregistrement électronique partagé (DEEP), notamment une blockchain. L'objectif est de rendre l'actif plus liquide, puisqu'il se négocie sur un marché secondaire propre.
On ne distinguera pas ici entre les actifs concernés, étant précisé que les actifs immobiliers, qui constituent une partie importante des biens « tokenisés », font l'objet d'une étude spécifique dans le présent rapport V. infra, nos et s. .
Dans l'optique de rendre liquides plusieurs types d'actifs, ce sont d'abord les produits et services qui sont concernés ; on parle alors d'Initial Coin Offering (ICOs) (Sous-section I) .
Si les actifs numériques offerts se rapprochent de la catégorie des instruments financiers, ou plus généralement de tokens donnant droit à une part de capital ou de revenus de l'actif sur lesquels ils sont indexés, l'opération sera qualifiée de Security Token Offering (STO) (Sous-section II) .
La mise en œuvre de ces différents procédés de financement implique un encadrement adéquat des acteurs professionnels qui y prennent part (Sous-section III) .

La tokenisation des produits ou services de l'entreprise (ICO)

– Définition en miroir. – La notion d'ICO renvoie à celle plus ancienne, officielle et régulée, d'IPO : Initial Public Offering, qui vise les introductions en bourse classiques. En droit français on parle d'offre de jetons, définie ainsi par la loi Pacte du 22 mai 2019 : « Une offre au public de jetons consiste à proposer au public, sous quelque forme que ce soit, de souscrire à ces jetons » C. monét. fin., art. L. 552-3. .
Comme cela a été souligné, la rédaction est proche d'une lapalissade F. Martin Laprade, Premier encadrement des ICO en France, étude critique, in Blockchain et droit des sociétés, ss dir. V. Magnier et P. Barban, Dalloz, 2019, p. 77. . En réalité, le législateur a voulu une définition très ouverte, pour inclure tout ce qui ne relève pas des appels à un nombre limité de personnes, et admettre toute levée de fonds sur internet en émettant des jetons via un dispositif d'enregistrement électronique partagé.
Avant d'aborder l'objectif affiché des promoteurs d'une ICO, à savoir le lancement d'activités nouvelles ou innovantes (§ II) , son processus doit être au préalable examiné au double plan technique et juridique (§ I) .

L'analyse du processus

En théorie calqué sur le modèle des appels de fonds classiques, le déroulement d'une ICO obéit à des caractéristiques spécifiques (A) et un corpus de régulation ad hoc (B) , liés à la nature des actifs émis, les utility tokens, c'est-à-dire des jetons qui donnent droit à l'usage des biens ou services que l'émetteur souhaite proposer (C) . Se manifeste ici la double fonction d'une ICO : lever des fonds et organiser la prévente de biens ou services D. Legais, Blockchain et actifs numériques, LexisNexis, 2019, no 296. .

Une opération de levée de fonds singulière

Au départ débridées dans leur pratique, les ICOs sont aujourd'hui explicitement visées par le législateur, et figurent au Code monétaire et financier depuis la loi Pacte, avec comme gardien du temple l'Autorité des marchés financiers (AMF).
– Une levée de fonds opérée le plus souvent en cryptomonnaies. – Les fonds apportés le sont par des investisseurs détenteurs de cryptomonnaies : c'est que la tokenisation représente une nouvelle forme de financement privilégiée par la plupart des FinTech dans une économie numérique où se développent des dispositifs d'enregistrement électronique partagé (DEEP).
Plus globalement, l'opération financée est en lien avec l'économie digitale en voie de développement R. Ozcan, Les ICOs : RLDI 2019, 160. .
– Les étapes de l'ICO. – L'ICO se déroule pratiquement en trois phases : l'élaboration du projet, l'obtention du visa de l'AMF, et enfin la réalisation de la levée de fonds par l'emprunteur. Ici seront traités ces seuls points essentiels V. pour une étude complète : Ph. Lorenz, L. Bensoussan et A. Barbet-Massin, La mise en œuvre d'une ICO : les étapes en pratique : RD bancaire et fin. 2019, étude 1. – JCl. Commercial, Fasc. 535, Actifs numériques et prestataires sur actifs numériques, nos 11 et s., par D. Legeais. .
L'opération est initiée par une personne morale de droit français, plus exactement « établie ou immatriculée en France » C. monét. fin., art. L. 552-5, 1o. , ce qui laisse le champ d'action à un établissement immatriculé en France pour un projet étranger. En réalité, la loi s'applique essentiellement aux ICOs lancées par une personne française au profit de souscripteurs français, l'échelle européenne n'étant pas à ce jour atteinte, ce qui est regrettable pour le déploiement des ICOs V. M. Roussille, Loi Pacte et ICOs : réflexion tronquée, occasion manquée ? : RD bancaire et fin. 2019, focus 48, qui regrette que la loi française ne vise pas expressément les émetteurs européens. .
Derrière cette société émettrice œuvrent plusieurs personnes qui ont constitué une équipe qui élabore un projet industriel et envisage son financement. Puis un livre blanc ou white paper est rédigé : il s'agit d'un document essentiel. Il présente le projet et ses modalités de financement aux différents investisseurs, avec un montant de levée de fonds minimum.
Le white paper peut enfin préciser comment les tokens seront distribués ; à cet égard il est souvent fait usage de smart contracts permettant cette distribution de manière transparente et sécurisée Sur cette notion, V. infra, Commission 3, nos et s., « Pour aller plus loin : Smart contracts et financement participatif ». .
Concrètement, des experts de diverses origines (on parle de comité d'advisors) procèdent à une analyse juridique, fiscale et comptable de l'opération, et veillent à sa lisibilité par tout souscripteur. Le choix par exemple du token approprié à l'ICO en question – utility, token de paiement, voire security token Sur leur classification et terminologie, V. supra, no . – selon la fonction économique du jeton émis, ne doit pas nuire à la compréhension du projet par tous ; là réside la qualité substantielle recherchée du livre blanc Ph. Lorenz, L. Bensoussan et A. Barbet-Massin, La mise en œuvre d'une ICO : les étapes en pratique : RD bancaire et fin. 2019, étude préc., spéc. no 10. . Par ailleurs, ces experts doivent rassurer les investisseurs quant à la crédibilité du projet. Cela passe aussi par l'exposé et l'analyse des risques du projet tout autant que des caractéristiques de l'offre, au sein du white paper.

L'encadrement législatif

Précisément, une opération d'ICO présente des risques non seulement inhérents à tout appel de fonds, mais aussi propres à la qualité des actifs émis, ces derniers risques étant plus importants compte tenu de la nouveauté de ce type de financement et des incertitudes entourant les jetons V. infra, sur les points sensibles des objectifs des ICOs, nos et s. . Cette question a motivé principalement l'intervention du législateur et de l'AMF, pour fixer les règles applicables. Il faut souligner que les opérateurs souhaitaient cette intervention, dans une approche toutefois volontaire et non obligatoire AMF, Synthèse des réponses à la consultation publique portant sur les Initial Coin Offerings (ICOs) et point d'étape sur le programme « UNICORN », 22 févr. 2018. .
Les modalités d'intervention et de contrôle de l'AMF figurent aux articles L. 552-4 à L. 552-7 du Code monétaire et financier (C. monét. fin., art. L. 552-4 à L. 552-7">Lien) dans sa rédaction issue de la loi Pacte.
En substance, tout se joue au niveau du contenu du livre blanc, dont les stipulations sont contrôlées par l'AMF, en fonction de son règlement interne, savoir pour reprendre ses éléments principaux :
  • informations sur l'émetteur (la société, les équipes) ;
  • informations sur le projet (financement, phases du projet, but du projet, service proposé, technologie utilisée) ;
  • informations sur le jeton (nature et droits attachés au jeton, utilisation, cotation sur les plateformes) ;
  • les caractéristiques de l'offre (nombre de jetons émis, conditions préférentielles d'attribution de ces jetons) ;
  • les risques (du projet, de change en monnaies à cours légal).
– Un défi réglementaire à l'innovation. – Le « permis d'ICO » obéit aussi au cadre sui generis élaboré par l'AMF ; il s'agit pour cette institution de relever un véritable défi : délivrer un visa qui a la particularité de présenter un caractère volontaire, à la demande des émetteurs. Le contexte du cadre réglementaire a été résumé par M. Benoît de Juvigny, secrétaire général de l'AMF lors la présentation du label le 4 juin 2019 : « Les ICOs sont un vrai défi pour le régulateur. Il s'agit de combler un vide juridique sans toutefois rendre ce visa obligatoire, ce qui aurait amené les acteurs à se tourner vers les pays étrangers » Cité par A. Chardenon in L'Usine digitale 4 juin 2019 (www.usine-digitale.fr">Lien). .
L'esprit général du dispositif est la bonne compréhension par le souscripteur de la levée de fonds en cryptomonnaies, et non la validation du projet en tant que tel et encore moins une garantie donnée au contenu financier et technique déployé par ses émetteurs Règl. gén. AMF, art. 712-1 : « Pour délivrer le visa mentionné à l'article L. 552-4 du Code monétaire et financier, l'AMF vérifie si le document d'information est complet et compréhensible. Le document d'information est établi par l'émetteur de jetons et engage la responsabilité de ses signataires. Le visa de l'AMF n'implique ni approbation de l'opportunité du projet de l'émetteur de jetons ni authentification des éléments financiers et techniques présentés ». .
Le détail de la procédure de saisine et réponse de l'AMF figure aux articles 712-1 à 712-10 au sein du livre VII du règlement général de l'AMF propre aux « Émetteurs de jetons et prestataires de services sur actifs numériques ». Le visa peut en outre être retiré dans certaines conditions ; enfin, le contrôle s'opère aussi sur les moyens de communication et de marketing de l'émetteur JCl. Commercial, Fasc. 535, Actifs numériques et prestataires sur actifs numériques, spéc. nos 17 à 24, par D. Legeais. .
Le premier visa délivré par l'AMF sur un document d'information l'a été le 18 décembre 2019, pour une ICO lancée par la FinTech FRENCH-ICO.COM, créée en 2018. Ce premier visa est important non seulement pour les émetteurs de jetons potentiels, mais aussi pour l'autorité de régulation elle-même, dans la poursuite de l'objectif de donner vie à un système d'ICO attractif dans l'écosystème blockchain Rappelons les termes employés le 22 mai 2019 par Mme Anne Maréchal, directrice des Affaires juridiques de l'AMF à propos de la mise en place du visa volontaire : « Avec ce visa optionnel, nous espérons créer un écosystème attractif qui permette d'attirer en France les beaux projets d'ICO », in Actualités du droit, Tech&Droit, 22 mai 2019. .
Certes ce premier visa a démontré que le règlement général de l'AMF et les dispositions de la loi Pacte ne relevaient pas que de la théorie numérique ou virtuelle, mais pouvaient se traduire dans la réalité économique digitale. Cependant, si depuis plusieurs dizaines de dossiers ont été déposés, cela représente une part infime de l'économie mondiale des levées de fonds. Le vrai défi sera sans doute la démocratisation des ICOs avec leur usage par des entreprises ayant déjà obtenu un financement traditionnel mais voulant le décupler, au-delà des startups innovantes.
– Délicate question de l'ouverture d'un compte bancaire spécifique. – L'obtention du visa permet à l'émetteur d'avoir droit à l'ouverture d'un compte auprès d'un établissement de crédit. Lors de la mise en œuvre d'une ICO, les fonds peuvent être levés en cryptoactifs ou en monnaie fiat (monnaie fiduciaire). Les fonds levés en cryptoactifs doivent ensuite pouvoir être échangés contre de la monnaie fiat afin d'alimenter le financement économique du projet. L'ouverture d'un compte bancaire conditionne donc, en pratique, la réussite du projet Ph. Lorenz, L. Bensoussan et A. Barbet-Massin, La mise en œuvre d'une ICO : les étapes en pratique : RD bancaire et fin. 2019, étude préc. . Il s'agit là d'un sérieux obstacle pour la réalisation d'une ICO en France, car la plupart des établissements bancaires sont hostiles à recevoir des fonds provenant d'une telle levée de fonds : méfiance dans la conversion de cryptoactifs en monnaie fiat, problèmes d'identification de l'origine des fonds… même si en théorie il existe un droit au compte général pour toute personne physique ou morale dans l'établissement de crédit de son choix Dans l'hypothèse d'un refus de la part dudit établissement d'ouvrir un tel compte, il est possible de saisir la Banque de France afin qu'elle désigne un établissement de crédit dans un délai d'un jour ouvré (C. monét. fin., art. L. 312-1). .
C'est pourquoi la loi Pacte a mis en place un « droit au compte » spécifique en application duquel les banques doivent appliquer des règles strictes, objectives et non discriminatoires envers les entreprises ayant obtenu un visa de l'AMF pour une ICO (C. monét. fin., art. L. 312-23">Lien). Toute la réussite des ICOs dépendra de l'effectivité de la mise en œuvre de ces dispositions par les établissements de crédit.
Enfin la phase de réalisation de l'ICO débute. Il s'agit d'éprouver véritablement le projet par le lancement de la campagne de financement. Elle consiste en une vente préalable au profit de certains souscripteurs puis une vente avec les investisseurs intéressés dans le monde entier. L'offre publique peut en effet être précédée d'une offre privée réservée à des investisseurs acceptant de prendre des risques plus importants.
Si les fonds levés atteignent la somme prévue, en pratique on parle de soft cap, le succès de l'ICO est avéré, et les jetons sont délivrés pour être ensuite cotés sur un marché secondaire. En deçà du soft cap, les fonds sont remboursés aux investisseurs, et le projet de l'ICO s'arrête Ph. Lorenz, L. Bensoussan et A. Barbet-Massin, La mise en œuvre d'une ICO : les étapes en pratique : RD bancaire et fin. 2019, spéc. no 32. .

Une émission de jetons ou tokens dits « d'usage »

Les jetons créés qui sont proposés aux investisseurs peuvent représenter des actifs ou des droits qui y sont associés. Le token doit aussi permettre l'exercice de certains droits, tels le droit aux dividendes ou le droit à l'information grâce aux smart contracts.
C'est à l'émetteur de définir le type de tokens émis de manière automatisée en contrepartie du versement de fonds ou de cryptoactifs par le souscripteur. Il en résulte un choix et une souplesse lors de la conception du projet : à chaque usage ou service ou moyen de paiement répondra un jeton singulier – le cas de l'émission de security tokens sera abordé plus loin.
Concrètement, les levées de fonds par ICO visent le plus souvent, d'une part, des variantes d'utility token : jeton offrant à son détenteur un droit d'usage sur la technologie ou les services développés puis distribués par l'émetteur – économiquement, il correspond à une vente anticipée du droit d'utiliser un service ou d'acheter un produit ; d'autre part, divers types de token de paiement : jeton servant de moyen de paiement pour l'achat de marchandises ou de services.
Sur le plan juridique par ailleurs, les émetteurs doivent prendre conscience que leurs obligations dépassent la seule finalité commerciale apparente du livre blanc, afin d'éviter de possibles recours d'investisseurs, fondés soit sur un manquement à l'obligation précontractuelle d'information, résolue en dommages-intérêts (C. civ., art. 1112-1">Lien), soit sur le dol ou la réticence dolosive pouvant être sanctionnés par la nullité du contrat (C. civ., art. 1137">Lien et art. 1139">Lien) Ph. Lorenz, L. Bensoussan et A. Barbet-Massin, La mise en œuvre d'une ICO : les étapes en pratique : RD bancaire et fin. 2019, spéc. no 11. , soit encore sur les dispositions propres au droit de la consommation (C. consom., art. L. 111-1">Lien et L. 111-6">Lien).

L'objectif de l'ICO : le lancement d'activités nouvelles

L'attractivité du processus d'ICO (A) illimitée en théorie puisqu'il confère aux souscripteurs de multiples droits sur tout bien ou service (B) ne doit pas occulter l'existence d'inconvénients sensibles (C) .

Un engouement mondial spectaculaire

À l'instar de la « tulipomanie » qui s'est manifestée au cours du XVII e siècle et qui donna naissance, après l'augmentation démesurée puis l'effondrement des cours des bulbes de tulipes, à la première bulle spéculative B. François, Les offres au public de jetons en droit français et en droit comparé, in Blockchain et droit des sociétés, ss dir. V. Magnier et P. Barban, Dalloz, 2019, p. 61. , la tokenisation par voie d'ICO a connu depuis 2017 une courbe de hype : explosion, voire frénésie, rechute, rebond, etc. H. de Vauplane, La levée de fonds en actifs numériques : RD bancaire et fin. 2019, no 3, étude 8.
Les fonds en jeu se chiffrent en milliards de dollars, compte tenu du caractère global, planétaire, de l'accès aux investisseurs potentiels. Cette exposition à un marché mondial en termes de clients potentiels se double du bénéfice potentiel d'une multitude de projets d'investissement à une très large communauté d'investisseurs JCl. Commercial, Fasc. 535, Actifs numériques et prestataires sur actifs numériques, no 7, par D. Legeais. , y compris de nouveaux financeurs.

Les certitudes : donner un droit sur tout bien ou service

L'éventail des tokenisations d'actifs est très vaste en pratique : il recouvre, au-delà de l'immobilier (par ex., Property Coin), l'art, les métaux précieux, des matières premières, l'or et même des monnaies nationales.
Ainsi le propriétaire d'une œuvre d'art ayant besoin rapidement de liquidités pourrait vendre une partie de son tableau (X centaines de jetons) à une foule d'amateurs d'art. Un entrepreneur peut lever une épargne conséquente grâce à une ICO, alors même qu'un établissement bancaire ou de crédit ne l'accompagnerait pas.
Une fois détenteur de tokens, son souscripteur pourra soit les échanger contre de la cryptomonnaie, soit les vendre contre une monnaie ayant cours légal, soit enfin et surtout les utiliser, c'est-à-dire accéder aux produits ou services développés par la société qui les a créés Options rappelées par F. Douet, Fiscalité des Initial Coin Offerings (ICOs) : Dalloz IP/IT 2019, p. 237 et s. .
Du point de vue du droit des obligations, le fait que le token donne droit à l'usage d'un bien ou d'un service qui n'existe pas encore, ou donne droit à diverses prestations alternatives, ne pose pas de problèmes si l'on se réfère aux articles 1163 (le contrat peut porter sur une prestation présente ou future, C. civ., art. 1163">Lien) et 1307 à 1307-5 (obligation alternative, au choix du débiteur, C. civ., art. 1307 à 1307-5">Lien) du Code civil A.-S. Choné-Grimaldi, Les contraintes du droit des obligations sur les opérations d'ICO : D. 2018, p. 1171. .

Les points sensibles

– Risques de la tokenisation. – « Nouveaux actifs » ne signifie pas « fin des anciens risques » inhérents à toute forme de bulle spéculative et généralement à toute titrisation. Les objectifs de sécurité juridique (protection des investisseurs et transparence des marchés) sont d'autant plus difficiles à atteindre en présence d'objets juridiques nouveaux créés dans un environnement – un engouement – technologique innovant.
Les risques de l'opération peuvent être synthétisés en trois catégories.
La détermination de la prestation et la connaissance des acteurs
Sur le plan des droits fournis au souscripteur qui acquiert des jetons, l'incertitude règne. Comme cela a été souligné, « ni actionnaires, ni créanciers (…) les porteurs de tokens se trouvent dans une situation où ils prennent un risque total sur l'émetteur, sans qu'en contrepartie ne leur soit attribués des droits pour protéger leur investissement » H. de Vauplane, La levée de fonds en actifs numériques : RD bancaire et fin. 2019, spéc. no 9, étude préc. . Les propriétaires de tokens d'usage peuvent accéder aux produits fournis par la société émettrice, mais n'en sont pas associés.
Leur droit est éventuel, tenant aux futurs dividendes et revenus du projet lorsqu'il sera en activité, sans qu'ils y participent par un droit de vote en assemblée par exemple. C'est l'une des explications à l'effet assez relatif du visa de l'Autorité des marchés financiers quant à l'économie du projet, les livres blancs soulignant souvent cette absence de prérogatives et même de droit acquis au remboursement de son investissement.
– Déterminabilité de la prestation. – Par ailleurs, rapporté au droit des contrats et au caractère déterminé ou déterminable de la prestation prévue dans un contrat (C. civ., art. 1163, al. 2">Lien), l'ICO pose des difficultés V. A.-S. Choné-Grimaldi, Les contraintes du droit des obligations sur les opérations d'ICO : D. 2018, p. 1171. . Le point délicat tient à la quantification du nombre nécessaire de tokens en pratique pour accéder à la technologie proposée par l'émetteur, ou au service attendu. C'est sur le plan de la quantité de la contre-prestation qu'une ICO pourrait être invalidée. Le souscripteur ne connaît pas forcément au départ la corrélation entre un token et un usage concret, la définition bilatérale de la prestation ne semble pas bien établie.
Du côté de la vérification des souscripteurs financiers, le protocole Know Your Customer (KYC) (ou dispositif d'identification et de connaissance de l'investisseur) a vocation à s'appliquer. Il ne résulte pas de la loi Pacte ni d'une obligation spécifique. Mais les acteurs des ICOs s'accordent à se soumettre aux dispositions légales résultant du Code monétaire et financier aux termes desquelles (C. monét. fin., art. L. 561-2, 7o bis ">Lien) sont assujettis aux obligations de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT), notamment : « Les prestataires des services mentionnés aux 1o à 4o de l'article L. 54-10-2 » savoir les services sur actifs numériques suivants :
1o le service de conservation pour le compte de tiers d'actifs numériques ou d'accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques ;
2o le service d'achat ou de vente d'actifs numériques en monnaie ayant cours légal ;
3o le service d'échange d'actifs numériques contre d'autres actifs numériques ;
4o l'exploitation d'une plateforme de négociation d'actifs numériques.
Dans la même démarche de soumission volontaire au visa de l'AMF, le respect du protocole KYC dans le white paper élaboré dans le cadre d'une ICO s'impose dans les faits, même si le porteur de projet d'ICO n'agit pas forcément à titre professionnel et habituel. Cela permet en outre de mieux identifier la provenance des fonds et de pouvoir discerner rapidement les transactions dites « suspectes ».
– Levées de fonds et usages délictueux. – Ce même souci d'encadrer les services financiers en cryptoactifs tout en exposant au public d'investisseurs la réalité des produits offerts, transparaît dans sa documentation en ligne. L'AMF y souligne la nécessaire prudence de mise pour les investisseurs en cryptomonnaies.
Soulignons que cet avertissement est de la même veine que celui figurant dans le rapport Tracfin 2019-2020 Rapport d'analyses des risques de BC/FT 2019-2020, p. 55 et s. (www.economie.gouv.fr/tracfin">Lien). .
L'utilisation et le remboursement des jetons
L'usage des jetons s'opère sur un marché dit « secondaire ». Tant que l'engouement pour le projet financièrement élaboré par une ICO se vérifie, la liquidité des jetons ne devrait pas poser de problème.
Sur le plan pratique, l'utilisation des jetons prendra la forme d'un préachat de services ou de biens proposés par une startup, le souscripteur pouvant espérer que l'émetteur ne proposera pas ensuite les mêmes services ou usages à un grand public non détenteur de jetons, abstention qui concrétiserait l'exécution de bonne foi par l'émetteur de son obligation de moyens (faire son possible pour que le projet aboutisse et procure un profit au détenteur de jetons).
Leur usage demeure plus imprévisible lorsque le plan d'affaires n'est pas sérieux ; leur valorisation fluctue alors de manière extrême, tout comme leur réelle liquidité sur la plateforme d'échange de jetons.
– Anticipation des difficultés. – Une procédure de séquestre des fonds est requise depuis la loi Pacte : l'AMF vérifie notamment que l'émetteur de jetons « met en place tout moyen permettant le suivi et la sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de l'offre » C. monét. fin., art. L. 552-5, 2o. .
En pratique, le séquestre peut prendre la forme d'une consignation des fonds auprès d'une banque, ou auprès de professionnels : auprès d'un compte Carpa du barreau, par l'intermédiaire d'un cabinet d'avocats, ou auprès de la Caisse des dépôts et consignations, via la comptabilité du notaire.
Un contrat de fiducie ne pourrait-il pas aussi être mis en place, avec fonction de garantie de la conservation et du bon usage des fonds levés lors d'une ICO ?
La question du remboursement de son investissement renvoie, plus généralement, au droit commun des contrats et à la notion d'imprévision.
L'improbable application de l'imprévision
– Droit commun des contrats. – Aux termes de l'article 1195 du Code civil (C. civ., art. 1195">Lien) dans sa rédaction issue de l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016">Lien : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant ». Et la résolution du contrat pourra être demandée en cas d'échec des renégociations.
La mise en œuvre de la théorie de l'imprévision dans le cadre d'une opération d'ICO n'est pas définitivement tranchée en doctrine, mais semble rejetée V. A.-S. Choné-Grimaldi, Les contraintes du droit des obligations sur les opérations d'ICO : D. 2018, p. 1171, qui souligne en outre que la loi no 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l'ordonnance de réforme du droit des contrats a inséré un article L. 211-40-1 au Code monétaire et financier rendant l'article 1195 du Code civil inapplicable aux opérations sur titres financiers, et rappelle qu'à défaut même de ce texte, l'acceptation du risque d'imprévision (donc l'exclusion de l'article 1195) est d'évidence le cas en matière d'opérations d'ICO. . On peut se reporter aux analyses doctrinales selon lesquelles l'imprévision n'a pas sa place en matière de contrats aléatoires F. Grua, La distinction des contrats aléatoires et des contrats commutatifs : RTD civ. 1983, 263. , qualification qui sied à l'opération d'ICO. Des explications différentes peuvent être avancées au soutien du rejet de l'imprévision : soit le risque d'échec du projet financé par la levée de fonds est considéré comme prévisible dès la souscription de jetons (le white paper envisageant d'ailleurs expressément ce risque, que ce soit un échec technologique ou économique) ; soit on admet que les risques inhérents à toute ICO ont été à l'avance acceptés, comportant ainsi ab initio une renonciation par le souscripteur à se prévaloir de l'imprévision.
Il a été question dans la présente section d'émission et d'échange de jetons dits « d'usage » sur une blockchain. Les émetteurs peuvent aussi inscrire des titres financiers sur la blockchain. L'opération est alors qualifiée de Security Token Offering (STO).

La tokenisation des instruments financiers

Rappelons que les jetons assimilés à des instruments financiers sont qualifiés de security tokens. On distingue dans le détail :
  • les native security tokens, qui ne sont pas précédés d'une émission classique de titres ; cela renvoie à la catégorie des actions ou obligations ;
  • les non native security tokens qui sont des actifs numériques tokenisant des instruments financiers ayant fait l'objet d'une émission classique ; cela renvoie par exemple aux parts de fonds d'investissement.
Il convient de saisir les enjeux de la tokenisation des titres financiers (§ I) avant d'en aborder le cadre réglementaire (§ II) .
Les STOs, ou Security Token Offerings – terminologie, comme les ICOs, en référence aux Initial Public Offerings – ont pour partie une origine pratique, mais l'actif sous-jacent des jetons émis les fait aussi rentrer dans un champ réglementaire précis D. Legeais, Blockchain et actifs numériques, LexisNexis, 2019, nos 335 et s. .
Certains jetons peuvent être qualifiés d'instruments financiers s'ils en ont les caractères, à défaut d'en avoir la qualification légale JCl. Commercial, Fasc. 535, Actifs numériques et prestataires sur actifs numériques, nos 29 et 30, par D. Legeais. .

Les enjeux de la tokenisation de titres et instruments financiers

L'intérêt de cette offre de titres sur blockchain découle à la fois de son mode de représentation propre (A) , et des buts poursuivis (B).

La procédure d'inscription des titres security token sur la blockchain

Le système blockchain peut être utilisé pour représenter et céder des titres financiers, depuis l'ordonnance no 2017-1674 du 8 décembre 2017 et le décret no 2018-1226 du 24 décembre 2018. En application de l'article L. 211-3 du Code monétaire et financier (C. monét. fin., art. L. 211-3">Lien), cette inscription tient lieu d'inscription en compte, sous réserve de respecter des garanties équivalentes à celles existant dans le cadre d'une inscription en compte classique.
Les valeurs mobilières concernées pour être inscrites dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé (DEEP) sont celles émises sur le territoire français, exclues d'un dépositaire central. Comme tout dispositif blockchain, la tenue des registres est ainsi facilitée, car bénéficiant de ses atouts d'inaltérabilité, de conservation et de rapidité de traitement des opérations.

Les buts d'une STO

L'attrait d'une STO tient aux potentialités enfermées dans ces jetons, dans une volonté de meilleure sécurité de l'investissement.
L'intérêt de la tokenisation
L'intérêt majeur de cette forme de tokenisation réside dans le champ matériel couvert par le sous-jacent du jeton. En clair, le token créé peut, outre le titre financier lui-même, « contenir des informations essentielles relatives à la société ou la qualité de l'investisseur » Ibid., no 32. . Les opérations de vérification de l'identité des souscripteurs sont facilitées et accélérées. Les événements touchant à la vie de ces titres sont par ailleurs automatisés par des smart contracts Sur lesquels, V. infra, Commission 3, nos et s. .
La recherche de l'effacement du risque d'absence de contrepartie
Pour l'information du souscripteur en premier lieu, le DEEP doit être conçu pour permettre aux détenteurs de ces titres de disposer de relevés d'opérations qui leur sont propres. L'accès à l'environnement économique général du jeton semble ainsi meilleur qu'en matière d'ICO, puisque l'investisseur a des droits sur un actif.
Comme en matière d'ICO, les actifs sont rendus plus liquides, mais en théorie les droits ouverts sont plus saisissables qu'un simple droit à l'usage d'un bien ou service, même si tout reposera sur l'efficacité, l'ampleur et la sécurisation du marché secondaire, souhaitable à l'échelon européen.

Le régime juridique des transferts de fonds via les cryptoactifs

Il ne sera pas envisagé ici le détail des textes et mesures réglementaires applicables, mais rappelé leurs références JCl. Commercial, Fasc. 535, Actifs numériques et prestataires sur actifs numériques, no 35, par D. Legeais, qui souligne que les émetteurs doivent de surcroît mettre en place des procédures opérationnelles concrètes pour respecter les règles existantes quant à l'identification des investisseurs (KYC) et la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme (LCB-FT). et mis l'accent sur l'assouplissement intervenu pour certaines STOs.
Comme toute offre au public de titres, un cadre strict existant a vocation à s'appliquer, mais en dessous d'un certain seuil l'AMF a mis en place une procédure simplifiée.

Les STOs et la législation « Prospectus »

La procédure d'IPO – Initial Public Offering – obéit à une triple réglementation :
  • principalement la législation européenne, dite « Prospectus », qui suppose la rédaction d'un document d'information contraignant connu sous le nom de « prospectus » ;
  • la réglementation AMF ;
  • la directive MIF2.

Les STOs et la procédure simplifiée

Un assouplissement est intervenu pour les émetteurs de certaines STOs.
Aux termes de l'article 211-2 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, dans sa rédaction modifiée en juillet 2018, l'offre de titres financiers dont le montant total dans l'Union européenne est inférieur à huit millions d'euros Le montant total de cette offre est calculé sur une période de douze mois suivant la date de la première offre. , ou à la contre-valeur de ce montant en devises, ne constitue pas une offre au public soumise à prospectus visé par l'AMF.
Une procédure simplifiée est mise en place dans ce cas, insérée dans un chapitre II bis du livre II du règlement général de l'AMF intitulé « Information synthétique à diffuser en cas d'offre de titres ouverte au public ne faisant pas l'objet d'un prospectus visé par l'AMF ». Elle tient notamment à l'obligation pour l'émetteur de l'offre de communiquer aux investisseurs, préalablement à toute souscription, un document d'information synthétique (DIS) en application de l'article 212-44 du règlement.
Le contenu du document d'information synthétique n'est pas sans rappeler celui du livre blanc ou white paper propre aux ICOs, mais il ne donne pas lieu à véritable visa ; c'est pourquoi l'émetteur ne peut pas faire publiquement état d'une quelconque revue ou vérification par cet organisme.
Toutefois l'AMF exige le respect d'un certain contenu, savoir Règl. gén. AMF, art. 212-44. :
1) une présentation de l'émetteur et une description de son activité, de son projet et de l'usage des fonds levés, accompagnées notamment des derniers comptes s'ils existent, des éléments prévisionnels sur l'activité, les levées de fonds, les financements et la trésorerie, ainsi que d'un organigramme de l'équipe dirigeante et de l'actionnariat ;
2) une information sur le niveau de participation auquel les dirigeants de l'émetteur se sont eux-mêmes engagés dans le cadre de l'offre proposée ;
3) une information exhaustive sur tous les droits attachés aux titres offerts dans le cadre de l'offre proposée (droits de vote, droits financiers et droits à l'information) ;
4) une information exhaustive sur tous les droits (droits de vote, droits financiers et droits à l'information) attachés aux titres et catégories de titres non offerts dans le cadre de l'offre proposée ainsi que les catégories de bénéficiaires de ces titres ;
5) une description des dispositions figurant dans les statuts ou un pacte et organisant la liquidité des titres ou la mention explicite de l'absence de telles dispositions ;
6) les conditions dans lesquelles les copies des inscriptions aux comptes individuels des investisseurs dans les livres de l'émetteur, matérialisant la propriété de leur investissement, seront délivrées ;
7) une description des risques spécifiques à l'activité et au projet de l'émetteur ;
8) s'ils existent, une copie des rapports des organes sociaux à l'attention des assemblées générales du dernier exercice et de l'exercice en cours ainsi que, le cas échéant, une copie du (ou des) rapport(s) du (ou des) commissaire(s) aux comptes réalisé(s) au cours du dernier exercice et de l'exercice en cours ;
9) la date de la version du document d'information synthétique.
Il est bien précisé que « l'émetteur est responsable du caractère complet, exact et équilibré des informations fournies ».
À cette variété de l'offre de security tokens, s'est ajouté un vaste éventail de prestataires de services de tokenisation, d'émission et de trading d'actifs. Ce sont soit des plateformes spécifiques, soit des offres émises par des acteurs plus traditionnels Ainsi de la banque Falcon, la Bourse suisse, le Lloyd's of London, la Société Générale, cités par D. Legeais : JCl. Commercial, Fasc. 535, préc., no 7 et in Blockchain et actifs numériques, préc., no 340 ; la liste s'étoffant sans cesse. , ce qui montre leur attractivité.
Cela s'explique aussi par le fait que le législateur s'est efforcé de réguler ces acteurs et prestataires.

Le nouveau cadre réglementaire des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN)

Complément de l'offre de tokens nécessaire à l'édification d'un véritable écosystème durable pour les actifs tokenisés et les security tokens, la loi Pacte du 22 mai 2019 et le décret no 2019-1213 du 21 novembre 2019 se sont efforcés d'apporter un cadre rassurant pour les investisseurs, avec là encore un gardien du temple : l'Autorité des marchés financiers (AMF), dont le dispositif figure aux articles 721-1 et suivants de son règlement général.
Les activités visées sont celles du service de conservation pour le compte de tiers d'actifs numériques ou d'accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques ; du service d'achat ou de vente d'actifs numériques en monnaie ayant cours légal ; du service d'échange d'actifs numériques contre d'autres actifs numériques ; de l'exploitation d'une plateforme de négociation d'actifs numériques ; des services de réception et transmission d'ordres sur actifs numériques pour le compte de tiers, de gestion de portefeuille d'actifs numériques pour le compte de tiers ; de conseil aux souscripteurs d'actifs numériques, de prise ferme d'actifs numériques, de placement garanti et non garanti d'actifs numériques C. monét. fin., art. L. 54-10-2. .
Dans le cadre du présent rapport, il ne sera pas repris le détail des réglementations mises en place, mais leurs principales caractéristiques. Deux grandes mesures se dégagent du statut conféré par la loi aux prestataires de services portant sur les actifs numériques : ces derniers doivent être enregistrés et un agrément peut être nécessaire pour certaines opérations. On distinguera donc les activités concernées par la procédure d'enregistrement obligatoire (§ I) de la sollicitation volontaire d'un agrément pour les prestataires français (§ II) .

Les activités concernées par l'enregistrement préalable auprès de l'AMF

Les professionnels concernés sont ceux souhaitant exercer le service de conservation pour le compte de tiers d'actifs numériques ou d'accès à des actifs numériques, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques, et le service d'achat ou de vente d'actifs numériques en monnaie ayant cours légal.
La procédure d'enregistrement prévue par la loi C. monét. fin., art. L. 54-10-3. renvoie à l'examen par l'AMF de l'honorabilité du professionnel, de la composition du capital, de la bonne mise en place de procédures permettant le respect des dispositions consacrées à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Une radiation est possible.

La sollicitation d'un agrément pour les prestataires établis en France

La loi Pacte a mis en place une procédure d'agrément facultative C. monét. fin., art. L. 54-10-5. pouvant être sollicité de la part des prestataires qui exercent de manière habituelle l'un des services d'actifs numériques mentionnés plus haut JCl. Commercial, Fasc. 535, Actifs numériques et prestataires sur actifs numériques, nos 89 et s., par D. Legeais. .
Des règles communes à tous les prestataires sont prévues, ayant trait notamment à la souscription d'une assurance responsabilité civile professionnelle et à la mise en place d'outils de sécurité et de transparence : exigence d'un dispositif de sécurité et de contrôle interne adéquat ; d'un système informatique résilient et sécurisé ; d'un système de gestion des conflits d'intérêts ; communication à leurs clients d'informations claires, exactes et non trompeuses, notamment les informations à caractère promotionnel, qui sont identifiées en tant que telles.
Par ailleurs, des règles d'agrément spéciales à certains prestataires ont été créées par la loi Pacte, dont la première est celle d'agir « d'une manière honnête, loyale et professionnelle, servant au mieux les intérêts du client » (Règl. gén. AMF, art. 721-13). Les professionnels concernés figurent aux articles 722-1 et suivants du règlement général AMF :
  • Prestataires de service de conservation pour le compte de tiers d'actifs numériques ou d'accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques. Une convention doit être conclue entre le prestataire et son client, définissant leurs missions et leurs responsabilités. Les prestataires doivent veiller aux garanties de conservation des actifs numériques et s'abstenir d'utiliser des clés cryptographiques sans le consentement exprès des clients, outre la mise en place d'un dispositif de contrôle interne propre à assurer le respect des dispositions relatives au blanchiment d'argent et au financement du terrorisme.
  • Prestataires fournissant le service d'échange d'actifs numériques contre d'autres actifs numériques. Les prestataires agréés doivent satisfaire aux obligations d'honorabilité, de gestion saine et prudente, et là encore de mise en place des procédures de contrôle propres à assurer le respect des dispositions relatives au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme.
  • Règles applicables aux prestataires agréés au titre de la fourniture du service de l'exploitation d'une plateforme de négociation d'actifs numériques. Des obligations similaires au cas précédent existent, outre les moyens d'assurer une négociation équitable et ordonnée, dans les conditions et limites fixées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers.
  • Prestataires assurant des opérations boursières. Ces prestataires assurant les services de transmission d'ordres sur actifs numériques pour le compte de tiers, de gestion de portefeuille d'actifs numériques pour le compte de tiers, de conseil aux souscripteurs d'actifs numériques doivent respecter des obligations spécifiques prévues par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers. Elles concernent l'honorabilité et la compétence nécessaires à l'exercice de leurs fonctions ; le dispositif de contrôle interne propre à assurer le respect des dispositions relatives au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme ; la mise en place d'un programme d'activité structuré notamment sur le plan de la collecte auprès de leurs clients des informations nécessaires pour leur recommander des actifs numériques adaptés à leur situation.
L'objectif affiché est que le cadre d'exercice d'activité des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN), ajouté à celui encadrant les prestataires de services d'investissement (PSI) Sur les financements numériques participatifs, V. supra, no . , assure une protection efficace des investissements sur actifs numériques. Mais le caractère optionnel de l'agrément spécifique à certains prestataires n'est pas forcément la meilleure solution V. étude de S. Tandeau de Marsac, Le conseil en investissement dans les actifs numériques : RD bancaire et fin. 2020, no 3, dossier 19. .
En outre, des interrogations demeurent. Quid postérieurement à la délivrance de l'agrément ? Les différentes obligations incombant aux PSAN font-elles l'objet d'un contrôle permanent ou seulement ab initio ?
Par ailleurs encore, des sanctions autres que le refus de délivrance de l'agrément peuvent-elles être prononcées par l'AMF ? Les PSAN encourent-ils des sanctions judiciaires spécifiques ?
Autant d'éléments qui conforteraient plus sûrement la protection des investisseurs.