L'autoconsommation électrique

L'autoconsommation électrique

– La volatilité du prix de l'électricité. – Ce qui a été dit précédemment pour l'eau se retrouve également pour l'électricité, même si les raisons sont un peu différentes. Il faut savoir qu'il existe un marché européen de l'électricité, au travers de quatre cents interconnexions, gérées par quarante-trois gestionnaires de réseau (dont RTE pour la France). Le système permet d'assurer des échanges au niveau du continent. Dans ce système, la France était plutôt une exportatrice nette. Mais, en 2022, en raison de travaux sur ses centrales, la France s'est trouvée en situation d'importatrice nette (pour une quantité équivalente à la production annuelle de la centrale nucléaire du Bugey).
Cette interconnexion a plusieurs mérites. D'abord, elle permet une indépendance énergétique à l'échelle du continent. Ce n'est pas sans raison que les derniers raccordés, en urgence en mars 2022, sont l'Ukraine et la Moldavie – qui étaient antérieurement liés au réseau russe. Ensuite et surtout, le système permet d'augmenter la part des énergies renouvelables dans la production. En effet, l'éolien et le solaire sont des énergies intermittentes, et il n'est pas possible de stocker l'électricité à grande échelle. Il peut arriver que l'éolien allemand, par exemple, se retrouve à pleine puissance à un moment où la consommation locale est trop basse pour absorber toute la production ; les interconnexions vont donc permettre d'écouler le surplus. Car il est capital d'équilibrer, à chaque instant, production et consommation. En effet, le réseau européen opère avec un courant alternatif à 50 Hz, et une surproduction ou une sous-production fait varier cette fréquence. Or, si la variation est trop forte, il y a un risque pour le matériel électrique.
Au titre des avantages espérés du système, enfin, il y a le prix, qui était censé être compétitif en raison de la concurrence sur le marché . Mais, sur ce point, le bât blesse sérieusement. De nombreuses boulangeries ou autres entreprises sont aujourd'hui au bord de la faillite à cause de factures d'énergie multipliées par cinq ou dix . Ce point est essentiel pour le propos, même s'il n'est pas aisé à expliquer. En France, pour l'instant, les particuliers et les petites entreprises ont encore accès à un « tarif réglementé » qui protège leur trésorerie – ce tarif concerne en pratique près des deux tiers des contrats souscrits . Mais la fin du tarif réglementé du gaz au 1er juillet 2023 interroge sur la pérennité de celui de l'électricité. Pour le tiers restant des contrats auprès des fournisseurs, le prix relève de l'offre de marché. Dans tous les cas, quels que soient le fournisseur et le tarif, en période « normale » le prix payé par le consommateur se décompose grossièrement ainsi : 50 % de coût de production de l'électricité, 30 % de coût d'acheminement par les réseaux de haute, moyenne et basse tension (le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité [TURPE]), 20 % de taxes (droits d'accise, TVA, contribution tarifaire d'acheminement).
Le fournisseur avec qui un contrat de détail a été souscrit doit se fournir, à son tour, sur le marché de gros, auprès d'un producteur. Même un fournisseur-producteur (comme EDF) peut avoir besoin de s'approvisionner ainsi, lorsque sa production est insuffisante – d'autant que EDF doit céder une part de sa production (100 TWh/an, soit cinq fois la production annuelle de la centrale du Tricastin), à des fournisseurs alternatifs, pour un prix régulé, dans le cadre de l'« accès régulé à l'électricité nucléaire historique » (ARENH).
– L'électricité est un produit financier. – La transaction entre fournisseur et producteur peut intervenir sur le marché, en direct, ou bien par un intermédiaire. Elle peut aussi intervenir via une bourse numérique. Pour la France, l'Allemagne, la Suisse et l'Autriche, il s'agit d'Epex Spot (qui représente un tiers du marché européen). Sur cette bourse se négocient des produits à court terme, notamment des transactions pour une livraison le lendemain (c'est le Epex Spot day-ahead). Au long de l'année 2020, l' Epex Spot day-ahead était en moyenne autour de 30-50 € du mégawattheure. Lorsque la demande est très inférieure à l'offre, le « spot » peut passer à un prix négatif, où c'est le producteur qui verse de l'argent pour pouvoir écouler une production qui sinon va déséquilibrer le réseau par surproduction. Cela est notamment arrivé le 13 avril 2020 (-6,51 €), en raison d'une forte production des éoliennes alors que la demande était très faible, en période de « confinement » durant la crise du coronavirus. Il peut évidemment se produire l'inverse, avec un prix qui s'emballe à la hausse. C'est ce qu'il s'est produit en 2022 (avec un pic, autour du 29 août, à 733,64 €). En effet, lorsque la demande est très supérieure à l'offre et que les énergies renouvelables ainsi que le nucléaire ne suffisent plus, la fourniture du complément est assurée par une importation d'électricité produite par des centrales à charbon, voire des centrales à gaz, dont le coût marginal est particulièrement important (en raison du prix du gaz, objet de tensions d'approvisionnement, mais aussi en raison des quotas de CO2 que les producteurs doivent acquérir pour cette exploitation polluante). D'où l'intérêt, lors de l'hiver 2022-2023, de l'application « EcoWatt » mise à disposition gratuitement par le gestionnaire du réseau électrique français (RTE) afin que les Français soient informés en temps réel du niveau de leur consommation électrique.
Les fournisseurs et les producteurs ne peuvent se satisfaire de cette volatilité. Pour répondre à une partie de la demande de consommation estimée, ils souscrivent notamment des « contrats à terme » ou « produits futurs », c'est-à-dire des contrats d'achat pour une période déterminée, pour des plages variables, contre un prix déterminé à l'avance . Bien évidemment, à supposer claires les explications précédentes, le prix des contrats à terme résulte d'une anticipation par les parties de la moyenne des prix « spot » pour la période concernée. Et comme l'anticipation des capacités françaises était très défavorable, en raison de l'arrêt d'une part importante du parc nucléaire, le prix des contrats à terme a lui aussi très fortement augmenté en France .
Les fournisseurs sont des agents économiques ; ils n'ont pas vocation à fonctionner à perte. Aussi le prix de détail proposé aux clients est nécessairement corrélé, à un moment ou à un autre, aux hausses durables sur le marché de gros. En mars 2023, la Commission européenne a fait des propositions d'évolution des règles du marché de l'électricité, dans le but de minimiser la variation des tarifs . Mais celles-ci ne remettent pas en cause l'architecture du système. Celui-ci a le mérite de proposer des prix très bas lorsque la consommation est sobre, car la production est assurée par des énergies renouvelables dont le coût de production est faible. En revanche, en cas de pic, le coût marginal peut être ruineux. Nous ne sommes plus dans la France de l'immédiat après-guerre, où l'électricité provenait d'un monopole étatique. Et même si des dispositifs temporaires, comme le « bouclier tarifaire », ont pour but d'occulter les inconvénients du système auprès d'une grande part de la population, il faut retenir que l'électricité est désormais adossée à un marché financier (bien plus complexe d'ailleurs que le résumé sommaire qui en est fait ici) . En caricaturant, on pourrait dire que l'électricité française est passée d'une régulation par l'état à une régulation par le marché.
Heureusement, en 2023, le « spot » est peu ou prou revenu à son niveau antérieur. En outre, même si rien n'est encore concret à l'instant où ces lignes sont écrites, le marché européen de l'électricité devrait évoluer : le 17 octobre 2023, les ministres européens de l'énergie se sont mis d'accord sur un accord d'orientation générale en vue d'une évolution à la marge. Mais ceux qui ont été contraints de négocier leur contrat de fourniture lors de la mauvaise période y restent soumis, sauf à devoir payer d'importants frais de résiliation. Aussi, échaudés par les risques de ce marché, certains agents économiques pourraient logiquement conclure qu'il est prudent d'en être le moins dépendant possible, et donc d'assumer une part d'autoconsommation.
– Une évolution favorable à l'autoconsommation. – Jusqu'à présent, rien n'incitait réellement à l'autoconsommation : ainsi en France, au troisième trimestre 2021, à peine 3 % de l'électricité photovoltaïque a été consommée par son producteur. Pourtant la législation favorise l'installation de panneaux. Si l'on prend l'hypothèse de l'installation photovoltaïque sur le toit d'une maison, l'autorisation est de droit au regard du droit de l'énergie , elle l'est également au titre du droit de l'urbanisme – sauf prescriptions destinées à assurer la bonne intégration architecturale du projet . Au plus, la règle est écartée dans certains secteurs protégés (abords des monuments historiques, par exemple) .
Ces maisons équipées de panneaux photovoltaïques (environ 400 000 en 2020) revendent, pour la plupart, l'électricité qu'elles produisent. Cette revente, au lieu de la consommation, a deux explications. D'une part, en raison de la grande variation de production selon les saisons, le temps ou l'heure de la journée, il est rarement possible à un ménage d'être autonome. D'autre part et surtout, en raison du mécanisme de l'obligation d'achat, il était jusqu'à présent préférable économiquement de revendre sa production. En effet, lorsque l'installation est raccordée au réseau public, il est possible de contraindre EDF ou l'entreprise locale de distribution à acheter son électricité à un tarif aidé, déterminé par l'autorité administrative . S'agissant d'une aide gouvernementale, le dispositif ne subsiste toutefois que pour les installations de moindre importance. Ainsi, pour le photovoltaïque, l'obligation d'achat n'existe plus que pour les installations sur les bâtiments de moins de 500 kWc – sachant que l'installation sur le toit d'une maison est en moyenne de 3 à 6 kWc . Néanmoins, ce système de l'obligation d'achat a un défaut : il n'incite pas le propriétaire à adapter sa consommation en fonction de sa production.
Il existe désormais un cadre juridique pour l'autoconsommation individuelle. Celui-ci permet tout à la fois de consommer sa propre électricité et d'être en même temps raccordé au réseau public afin de pouvoir consommer l'électricité complémentaire nécessaire . Le système est évidemment associé à un compteur qui comptabilise tant l'électricité autoconsommée que l'électricité soutirée sur le réseau public. En période de volatilité des prix, le mécanisme présente évidemment un fort intérêt.
– La plus grande efficience de l'autoconsommation collective. – Sur le plan économique, la mise en commun d'un moyen de production est toutefois plus intéressante que l'autoconsommation individuelle. Cela est particulièrement vrai dans le cas de l'éolien. En raison de multiples paramètres, dont l'effet de frottement près du sol, une seule grande éolienne est bien plus productrice que plusieurs petites.
Une « petite » éolienne d'une puissance de 5 kW coûte environ 10 000 €, possède un diamètre de pales de 5 mètres, et est pleinement efficace avec des vents entre 10 et 40 m/s. En supposant 1 000 heures d'un vent suffisant dans l'année (2 heures 30 par jour, en moyenne), la production électrique totale est de 5 000 kWh, soit la consommation électrique moyenne d'un ménage sur un an. Au contraire, une « grande » éolienne d'une puissance de 1 MW, coûte environ 1 million d'euros, possède un diamètre de pales de 50 mètres, un mât de plusieurs dizaines de mètres également, et est pleinement efficace avec des vents entre 12 m/s et 25 m/s. Avec un vent moyen raisonnable, il est estimé que l'éolienne de l'exemple produit 2 GWh en un an – la consommation de quatre cents ménages !
Il faut en outre prendre en considération que, en ville, la propriété est essentiellement collective. Dans le cadre d'une copropriété, il est juridiquement possible d'avoir une autoconsommation individuelle. Soit une autoconsommation individuelle par les communs (l'appareil de production alimente les parties communes de la copropriété), mais la production dépasse généralement la consommation, de sorte que le surplus doit être vendu. Soit une autoconsommation individuelle par les copropriétaires (la production est raccordée individuellement au point de livraison de chaque lot), mais cet aménagement suppose un important surcoût au titre des multiples raccordements à effectuer. Aussi, pour éviter ces inconvénients, la législation autorise-t-elle désormais l'autoconsommation collective . La particularité est que producteur et consommateur sont branchés sur le réseau basse ou moyenne tension, et la loi leur impose de se lier au sein d'une personne morale organisatrice (PMO). La structure choisie établit à la fois les index de consommation de la part autoconsommée et de l'électricité extérieure . Si la production dépasse le besoin d'autoconsommation, le surplus qui n'aurait pas été vendu à un tiers est cédé gratuitement au gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité .
En principe, l'opération d'autoconsommation collective concerne un seul bâtiment. Mais il est possible de lier plusieurs personnes, dans un rayon de deux kilomètres, si la production ne dépasse pas 3 MW (une très grosse éolienne) ; voire, sur autorisation, dans un rayon de vingt kilomètres, en présence d'un habitat diffus . L'autoconsommation collective a toutefois un inconvénient en comparaison de l'autoconsommation individuelle : comme la connexion entre producteur et consommateurs utilise le réseau basse ou moyenne tension, l'opération n'est pas considérée comme une économie d'énergie, mais comme une vente d'énergie. Ce qui implique le paiement de la fiscalité (TVA et droits d'accise sur l'électricité) et le tarif d'acheminement de l'électricité (TURPE).
Le recours au projet collectif, par l'étendue de l'expertise sollicitée, devrait aussi permettre d'éviter les nombreuses déconvenues dont les particuliers ont pu être victimes, et qui donnent mauvaise presse à la transition énergétique : malfaçons dans l'installation, voire arnaques financières diverses. En 2014, l'association « UFC-Que Choisir » recensait 287 plaintes à ce titre, pour la seule ville de Saint-Brieuc . En 2010, le Consuel observait que la moitié des installations photovoltaïques contrôlées et appartenant à des particuliers étaient non conformes, soit avec un risque d'électrocution, soit avec un risque d'incendie . L'étendue de la déconvenue est telle que la jurisprudence montre une particulière bienveillance en la matière. Ainsi, la Cour de cassation applique le droit de la consommation, même dans la situation (la plus courante) où le particulier produit son électricité pour la revendre – ce qui est pourtant un acte de commerce . De la même manière, la jurisprudence a pu sanctionner le banquier, prêteur des deniers finançant l'installation, en entendant de manière très étendue son obligation de conseil – parce qu'il était la seule personne solvable, après la déconfiture de l'installateur . Et sans aller jusqu'à reconna ître une obligation de rendement, la jurisprudence a pu octroyer une garantie lorsque la piètre performance de l'installation porte atteinte à la destination de l'immeuble . De la même manière, elle estime que le simple risque pour la sécurité de l'installation, sans autre dommage encore avéré, est couvert par la garantie décennale .
Ces propriétaires lésés n'ont pas tous été victimes de leur naïveté. Ils subissent plutôt les conséquences de leur manque d'expertise, face à une technologie nouvelle où ils sont sans protection législative particulière, pour une opération qui relève du droit commun du contrat d'entreprise. Situation qu'une mise en commun de l'énergie, par les moyens mobilisés, est plus à même d'éviter. D'ailleurs, le plan REPowerEU précédemment évoqué souhaite la mise en place de communautés de l'énergie pour les énergies renouvelables dans chaque commune de plus de 10 000 habitants. En raison de l'expertise nécessaire ainsi que pour des questions d'échelle, l'individu n'est pas le bon échelon.

Lyon, cité « Ydeal » ?

Le quartier lyonnais de « Confluence », situé au carrefour du Rhône et de la Saône, est une vaste
friche en reconversion et le lieu de nombreuses expérimentations. Ainsi, l' îlot B2, dit « Ydeal
Confluence », comprend cinq bâtiments, pour cent soixante-dix-huit logements, outre crèche, bureaux
et commerces. En partenariat avec EDF ENR, le projet comporte un ambitieux volet d'autoconsommation
collective, puisque 50 % des besoins énergétiques de l'ensemble sont censés être assurés par les
panneaux photovoltaïques sur les toits.

Ce qui est pour l'instant un projet pionnier devrait toutefois être à l'avenir la norme. Dans le
cadre de son plan <em>REPowerEU</em>, décidé à la suite de l'invasion de l'Ukraine, l'Union
européenne entend assurer un droit effectif à l'autoconsommation collective et imposer le solaire en
toiture pour tous les nouveaux bâtiments publics et commerciaux de plus de 250 m<sup>2</sup> d'ici à
2026 ; pour tous les bâtiments publics et commerciaux existants de plus de 250 m<sup>2</sup> d'ici à
2027 ; pour tous les nouveaux bâtiments résidentiels d'ici à 2029. Dès à présent, la loi impose une
généralisation du photovoltaïque : les parcs de stationnement extérieurs d'une superficie supérieure
à 1 500 m<sup>2</sup> devront être équipés, sur au moins la moitié de cette superficie, d'ombrières
intégrant une production d'énergies renouvelables sur la partie assurant l'ombrage ; les bâtiments
non résidentiels neufs ou lourdement rénovés (entrepôts, hôpitaux, écoles...) devront prévoir une
couverture minimum, jusqu'à 50 %, en toitures solaires

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