La stratégie de la rustine permanente

La stratégie de la rustine permanente

– Introduction. – Le droit de l'environnement est une réponse à la dégradation environnementale. Cette affirmation est bien sûr d'une banale évidence. Le problème est que la société est très lente à admettre que l'environnement se dégrade. Elle ne le fait souvent que contrainte et forcée, lorsque l'évidence se fait trop forte pour être ignorée. Et, même là, la réaction est comme à regret, car toute injonction à la sobriété n'est pas facile à entendre.
On aimerait pouvoir faire fi de ce qui passe à l'autre bout de la planète. Qu'un continent de plastique se forme dans l'océan Pacifique, que certaines régions minières ressemblent au Mordor ou que la forêt amazonienne soit en train de devenir une savane, tous ces événements restent de lointains désastres écologiques que nous ne voyons pas et aimerions oublier. Malheureusement, le réchauffement climatique vient nous rappeler que le problème environnemental est global et que la stratégie qui consiste à délocaliser les problèmes, au loin, n'est pas une solution viable. Et surtout les étés de plus en plus chauds viennent nous dire, de manière aussi pressante que désagréable, que l'inaction n'est pas une option.
Le droit de l'environnement est le pur produit de cette marche à reculons, qui agit par à-coups, sans toujours être accompagné d'un plan d'action clair. C'est cet aspect qu'il convient d'examiner rapidement. Car cette dimension, ajoutée aux chevauchements de législation évoqués précédemment, est ce qui donne au Code de l'environnement son aspect de traité ésotérique.
– La protection administrative de l'environnement. – L'embryon du droit actuel est la législation napoléonienne sur la prévention des pollutions industrielles. Auparavant, sous l'Ancien Régime, la restriction des nuisances était fort inégale et dépendait des sujétions imposées par les corporations, les villes ou les parlements. Suite à un rapport de la section de chimie de l'Institut, fut pris le décret du 15 octobre 1810, complété par une ordonnance du 15 janvier 1815, à propos des manufactures et ateliers insalubres, incommodes ou dangereux. Les établissements étaient répartis en trois classes selon leur éloignement des habitations, et devaient obtenir une autorisation en fonction d'une nomenclature spéciale .
Si la législation actuelle est substantiellement différente, les grandes tendances fondamentales demeurent – ainsi que nous l'avons vu en examinant rapidement la question juridique des éoliennes. Une part importante du droit de l'environnement repose sur une logique administrative, qui opère à partir de nomenclatures : nomenclature ICPE, nomenclature IOTA, nomenclature de l'étude environnementale. Avec une activité encadrée par un régime de contrôle, au début (autorisation, enregistrement ou déclaration), pendant, et à la fin. Et une administration dédiée, que ce soit au niveau local ou à l'échelon national, puisque, désormais, la question d'un grand ministère dédié à l'environnement est un fait acquis. Cela donne un droit particulièrement technique, plus destiné à des ingénieurs qu'à des juristes. Car la logique profonde de ce bloc fondamental est celle d'une protection de l'environnement par la technocratie – au sens noble du terme, d'un gouvernement ou d'une administration où la place des experts techniques et de leurs méthodes est centrale .
Cette démarche, qui cherche d'abord à minimiser l'empreinte écologique des projets industriels (au sens le plus large du terme), touche toutefois sa limite. Les problèmes environnementaux se posent désormais à une telle échelle que cette approche, seule, est nécessairement insuffisante. Car le droit de l'environnement n'a presque aucune prise sur toute une série d'activités, la plupart en fait, avec des conséquences sur la Nature. De sorte que l'administration dédiée au droit de l'environnement a des airs de service comptable d'une entreprise en déficit, qui n'aurait de pouvoir que sur certaines recettes ou dépenses, et serait dans l'impossibilité d'espérer un retour à l'équilibre.

Le « jour du dépassement »

La métaphore précédente, du déficit comptable, est voulue. Elle est la plus évocatrice quand on s'adresse à des confrères, rompus à la gestion de patrimoine. C'est dans cette logique que, chaque année, l'ONG Global Footprint Network calcule le « jour du dépassement de la Terre ». En 1970, c'était le 29 décembre. Chaque année, ce jour arrive plus tôt – hors quelques exceptions (notamment en 2020 où, en raison des « confinements », la date a reculé d'un mois). En 2022, il a été atteint dès le 28 juillet.
Ce calcul s'appuie sur les travaux de Mathis Wackernagel . Il s'agit d'estimer chaque année la capacité biologique de la Terre, en fonction de l'affectation des différents espaces (terres cultivées, pâturages, forêts, terrains bâtis, etc.) et de leur capacité estimée à fournir des ressources renouvelables, à absorber les déchets découlant de leur consommation, et notamment la séquestration du dioxyde de carbone. Ce chiffre est comparé, ensuite, à celui de l'empreinte écologique, qui estime les surfaces pour produire les mêmes ressources, eu égard à l'activité et à la consommation effective de la population. Le déficit, au lieu d'être exprimé en pourcentage, est converti en date.
L'outil ne manque pas de défauts méthodologiques . Il ne peut prétendre au statut de mesure scientifique. En effet, pour les besoins du calcul, les interactions de l'écosystème sont simplifiées afin de rendre fongibles entre eux des phénomènes qui ne le sont pas, en procédant à une conversion chiffrée en surfaces abstraites.
Cette réserve faite, le concept reste un outil de communication très intéressant, au résultat facile à appréhender . N'importe qui, gérant un budget, comprend ce qu'est le fait de vivre plus ou moins au-dessus de ses revenus, en puisant dans son capital. Surtout, il permet de comprendre que le changement climatique n'est pas le problème mais un symptôme – le plus facilement observable – d'une surconsommation, c'est-à-dire d'une inadéquation entre les activités humaines et les ressources disponibles (et notamment un dépassement des capacités de la Nature à stocker du CO2). De ce fait, le « jour du dépassement » n'est pas le même si on l'individualise par pays, puisque celui-ci est corrélé au niveau de consommation : pour les états-Unis, ce fut le 13 mars 2022 ; pour la France, le 15 mai 2022.
– La proclamation de grands principes. – Le droit de l'environnement est constitué d'un autre pan important, qui résulte de l'intégration des grands principes élaborés dans le cadre des conventions internationales relatives à l'environnement. Cet aspect du droit de l'environnement mérite d'être distingué sous deux aspects.
D'une part, le droit de l'environnement est dans l'idée d'accorder des garanties procédurales aux citoyens . Cet aspect découle essentiellement de la Convention d'Aarhus du 25 juin 1998 sur la « démocratie environnementale » . Celle-ci a trois objectifs. D'abord, améliorer l'information environnementale fournie par les autorités publiques. Ensuite, favoriser la participation du public à la prise de décisions ayant des incidences sur l'environnement. Enfin, assurer l'accès à la justice en cas de préjudice écologique. Ces principes ont fait l'objet de différentes directives afin d'être intégrés dans l'ordre juridique communautaire. Ainsi, l'outil « Géoportail », d'usage quotidien par les notaires, est-il une forme d'exécution de la directive « Inspire » du 14 mars 2007. En tout cas, ces principes juridiques se sont adéquatement agencés avec le volet « installations classées » du droit de l'environnement, mentionné précédemment. Il existe ainsi toute une législation sur l'enquête publique en matière environnementale, dont le champ d'application est défini à partir de la nomenclature sur l'étude d'impact .
D'autre part, le droit de l'environnement repose sur toute une série de grands principes et objectifs, formulés comme des slogans . En examinant le droit de l'éolien, nous avons vu le principe de précaution et le principe de non-régression. Il en existe d'autres, qui sont autant de formules célèbres : le principe pollueur-payeur, le principe ERC « éviter, réduire, compenser », etc. Par exemple, le principe pollueur-payeur fit l'objet d'une recommandation de l'OCDE en 1972, avant d'être adopté sur le plan communautaire par l'Acte unique européen de 1986, puis proclamé par le Code de l'environnement.
– D'ambitieuses résolutions. – Les beaux principes proclamés placent toutefois le droit de l'environnement dans une situation inédite. Le droit positif conna ît un grand nombre de principes, dont le rôle est fondamental dans l'ordre juridique . Mais, pour l'essentiel, ceux-ci ont été induits et généralisés à partir de règles préexistantes. Ainsi, la loi des 2 et 17 mars 1791 (« décret d'Allarde ») et la loi des 14 et 17 juin 1791 (« loi Le Chapelier ») sont au fondement du « principe de la liberté du commerce et de l'industrie » reconnu par la jurisprudence administrative .
Pour le droit de l'environnement, au contraire, les principes ont été posés avant les règles ; sans compter que les règles qui peuvent se présenter comme des illustrations desdits principes restent peu nombreuses. Le Code de l'environnement n'a rien de la belle architecture du Code civil : il est typique de ces codifications « à droit constant », qui regroupent une législation antérieurement éparse et foisonnante. Dans le cas du Code de l'environnement, on se retrouve toutefois avec le résultat le plus difforme qui soit ; un amalgame curieux de police administrative et de Déclaration des droits de l'homme, du tableau des éléments de Mendeleïev avec une liste de vœux pieux. La nomenclature ICPE, qui parle d'élastomères, de cadmium, ou qui s'attache à savoir si le traitement du lait porte sur plus ou moins de 70 000 litres par jour, côtoie, à quelques articles de distance, des formules de catéchisme laïc, telles que « l'épanouissement de tous les êtres humains » ou « la cohésion sociale et la solidarité entre les territoires et les générations » – sans tout l'échelon de règles intermédiaires qui donnerait sa cohérence à l'ensemble, et qui permettrait, surtout, de passer des grandes déclarations à des actes concrets.
Or, il est en train de se produire un phénomène qui résulte de la conjonction de l'aspect procédural et de la généralité des objectifs proclamés : les justiciables en viennent à « prendre au sérieux » les grands principes du droit de l'environnement . On en a vu une illustration pour le principe de précaution et le principe de non-régression, dans le cas des éoliennes. La tendance n'est donc plus seulement d'invoquer les principes à titre d'argument dans le contentieux contre tel ou tel projet, mais d'aller jusqu'à en déduire des droits substantiels, opposables en tant que tels, contre l'état lui-même .
Ce phénomène s'illustre particulièrement dans le « contentieux climatique » . En France, il est notamment illustré par l'affaire Grande-Synthe où le Conseil d'état reconna ît le caractère contraignant pour l'état de la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre et des objectifs prévus au Code de l'énergie, en tant que déclinaison des engagements internationaux contractés par le pays . Autre enseignement de cet arrêt : la commune est reconnue avoir un intérêt à agir contre l'état, l'inaction contre le réchauffement climatique l'exposant à un risque de submersion, en tant que ville littorale . à la suite de cette décision, dans « l'Affaire du siècle », le tribunal administratif de Paris a aussi considéré que le réchauffement climatique est un préjudice écologique au sens de l'article 1247 du Code civil, et que l'état, par sa carence, en est en partie responsable . Ce contentieux dépasse même, désormais, les juridictions nationales. Par une série de décisions en date du 9 avril 2024, la CEDH a condamné la Suisse pour irrespect de ses obligations en matière de changement climatique (affaire Verein KlimaSeniorinnen Schweiz), en même temps qu'elle rejette les recours contre la France et le Portugal, mais pour des raisons procédurales et non pour des motifs de fond (affaires Carême et Duarte Agostinho).
Sur un schéma similaire, les affaires se multiplient devant les tribunaux administratifs, avec un résultat identique : pollution de l'air, pollution de l'eau, perte de biodiversité ; les motifs ne manquent pas . Pour n'évoquer qu'une seule juridiction, le tribunal administratif de Rennes, les injonctions environnementales y sont multiples : injonction à l'état de renforcer la lutte contre la pollution des eaux par les nitrates , seconde injonction et annulation pour insuffisance de l'arrêté préfectoral pris en suite de cette première injonction , injonction à l'agence régionale de santé (ARS) d'inclure certains polluants dans son classement des eaux de baignade , etc. Cette profusion s'explique par le contexte sanitaire particulier d'une partie du littoral breton ; sujet dont traite la bande dessinée Algues vertes , adaptée tout récemment au cinéma.
Une décision, au sein de cette série, est topique de l'usage judiciaire actuellement fait des grands principes environnementaux . Une association de défense de l'environnement y obtient l'annulation de la décision implicite du préfet des Côtes-d'Armor, qui refusait de faire droit à la demande d'adopter toute mesure administrative contraignante pour les installations agricoles à la source des flux azotés responsables des algues vertes en baie de Saint-Brieuc. En plus de cette annulation, il y a même reconnaissance de la responsabilité de l'état dans le préjudice écologique, avec obligation de réparer. Les arguments juridiques qui entra înent la conviction du juge sont désormais familiers du lecteur à ce stade : l'invocation des objectifs de la directive du 12 décembre 1991 sur la protection des eaux, le principe de précaution à l'article 5 de la Charte de l'environnement, et l'étendue des pouvoirs de police du préfet au titre de l'article L. 511-1 du Code de l'environnement.
Seulement, pour avoir une portée juridique, ces arguments ont besoin de développer tout un argumentaire technique préalable : les conséquences des algues vertes sur le milieu aquatique (ainsi que ses dangers pour l'homme) et le lien entre leur prolifération et le nitrate d'origine agricole. Sont donc invoqués les travaux d'autorités nationales (CNRS, INRAE, IFREMER) aussi bien que locales – outre une thèse de doctorat, soutenue à l'Université de Brest, spécialement sur la situation de l'écologie marine de la baie de Saint-Brieuc.
– Vers une extension de la personnalité juridique ? – Cette extension de la dimension contentieuse reste hors de portée des individus isolés. Elle suppose le secours d'auxiliaires, avocats en droit de l'environnement et experts scientifiques. Cela explique le rôle croissant des associations en matière environnementale, seules à même, par le regroupement qui les constitue, de fédérer les moyens nécessaires.
Il est encore trop tôt pour savoir si ce renforcement de la jurisprudence instillera de véritables changements, ou si cela restera essentiellement symbolique. En effet, pour l'instant, le juge se restreint à des conséquences pratiques qui en minimisent la portée : injonctions de faire, astreinte, réparation par équivalent, pour des montants qui restent relatifs. Il y a une évidente volonté d'éviter l'accusation de « gouvernement des juges », qui s'affranchirait de la séparation des pouvoirs.
Pour ce motif de séparation des pouvoirs, la jurisprudence judiciaire a d'ailleurs abandonné sa solution antérieure, en cas de trouble anormal de voisinage provoqué par une éolienne. Car le trouble anormal de voisinage est devenu une notion si large qu'il est aujourd'hui un moyen, parmi d'autres, de protéger l'environnement – mais ici, par la mobilisation du droit civil . Or, désormais, en présence d'une éolienne ICPE, la jurisprudence judiciaire estime que le contentieux de la démolition appartient au seul juge administratif ; elle considère donc ne plus pouvoir ordonner la démolition elle-même, mais seulement des dommages et intérêts .
Consciente des limites de la jurisprudence, une partie de la doctrine propose une évolution juridique encore plus radicale. Outre un renforcement du droit pénal de l'environnement, deux propositions émergent régulièrement sous la plume des auteurs. La première consiste à conférer la personnalité juridique à la Nature ou à certains de ses éléments : par exemple, que les fleuves de la Loire ou du Rhône soient des personnes morales, avec tout ce que cela implique .
La proposition est une forme d'animisme juridique . Ce qui explique l'exotisme des exemples les plus souvent cités par ses promoteurs : la Pacha Mama dans la Constitution de l'équateur ; les droits reconnus au Manoomin, forme de riz sauvage cultivé par une communauté indienne américaine ; Te Awa Tupua, fleuve maori reconnu par le droit néo-zélandais comme étant une entité vivante dotée de la personnalité juridique . L'idée commence toutefois à cheminer dans la tradition juridique romano-germanique : ainsi, le droit espagnol vient-il de conférer la personnalité juridique à la Mar Menor, plus grande lagune d'eau salée d'Europe, et à l'écosystème transformé en « soupe verte » par la pollution .
La seconde proposition part du constat que les atteintes à l'environnement relèvent du temps long : elles obèrent l'avenir des générations futures . La responsabilité de la génération actuelle impliquerait qu'elle ne transmette pas, à ses successeurs, le monde dans un état plus dégradé que celui qu'elle a reçu en héritage . Le principe de non-régression du droit de l'environnement, déjà évoqué, s'en inspire . Jusqu'à présent, les applications concrètes de ce mouvement restaient anecdotiques . L'exemple le plus souvent cité venait de Hongrie, avec l'institution d'un Ombudsman, pour les générations futures, chargé de surveiller et évaluer la législation. Il y a peu, toutefois, le Conseil constitutionnel a consacré le principe selon lequel « le législateur doit veiller à ne pas compromettre les capacités des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins » . Mais il est encore trop tôt pour apprécier la portée concrète de cette règle.

Les limites écologiques de la Terre

Nous avons évoqué longuement, en introduction, la question du réchauffement climatique, parce qu'il s'agit du symptôme le plus visible de la pression exercée par l'activité humaine sur le milieu naturel, particulièrement pour la majorité de la population qui réside dans des aires urbaines. Ce phénomène de hausse des températures est aisément observable, sans nécessiter d'appareil de mesure complexe. Et il est facile à mettre en évidence, par l'évolution de la température annuelle moyenne ; même si la question du réchauffement ne se résume pas à ce seul paramètre.
Dans cette logique, un groupe de scientifiques du Stockholm Resilience Centre et du Potsdam-Institut für Klimafolgenforschung a proposé, en 2009, une nouvelle forme de présentation graphique, pas seulement du réchauffement climatique, mais de l'état global du problème environnemental . Cette modélisation est connue sous le nom de « limites planétaires ». Elle compare, graphiquement, les seuils à ne pas dépasser pour ne pas compromettre les conditions favorables dans lesquelles l'Humanité a pu se développer (en sombre), avec l'estimation de la situation actuelle (en orange).
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Pour le changement climatique, la « frontière » a été définie par un seuil de forçage radiatif à +1 W/m² (nous avons vu en introduction à quoi ce concept correspond, et ce qu'il signifie). Nombre des limites du diagramme reposent sur la mesure de seuils dans le même esprit : érosion de la biodiversité (au-delà de 10 espèces perdues par an pour 1 million), changement d'affectation des sols (si la forêt passe en dessous de 70 % de sa surface avant le défrichement humain), etc. D'autres sont notées comme dépassées, mais sans qu'il n'existe encore de marqueur précis à ce propos : « l'eau verte » (i.e. l'humidité des sols utilisée par les plantes), et surtout les « entités nouvelles » (la pollution sous toutes ses formes).
Le mérite du diagramme est de vouloir présenter les choses d'une manière visuelle, comme le tableau de bord d'une voiture, où, quand clignotent tout à la fois les voyants de l'huile moteur, du liquide de frein, de la pression des pneus et de l'ouverture des portes... on comprend bien qu'il faut réagir. Sur cette base, une part de la doctrine plaide pour une inversion des pratiques : que la société parte d'une recension des ressources, pour définir ensuite son niveau de consommation . Dans la société villageoise de jadis, on pouvait encore fonctionner ainsi : un tiers de la récolte pour la consommation personnelle, un tiers pour replanter, un tiers pour le seigneur et ses gens – et une invitation pour la population « en trop » à aller voir ailleurs. à l'échelle du globe, même avec une bureaucratie tyrannique, ce type de modèle semble bien compliqué à mettre en œuvre.
Qui plus est, en pratique, il n'appara ît pas possible, par la collecte de données, de déterminer précisément où se situe le seuil de bascule dans l'usage des ressources, en dessous duquel on est en sécurité et au-delà duquel la situation devient dangereuse . C'est le paradoxe d'Eubulide : si l'on ajoute grain de sable sur grain de sable, vient un moment où l'on a un tas de sable, sans qu'il soit possible d'affirmer à partir de quel grain le tas a commencé à se former ; et c'est la même chose quand on essaye de fixer « les limites planétaires ». La Nature ne fonctionne pas sur le modèle d'un véhicule standardisé.
– L'inefficience du droit de l'environnement. – Comparaison n'est pas raison, et la métaphore automobile à propos des « limites planétaires » manque l'essentiel : tout conducteur dont le tableau de bord clignoterait comme un sapin de Noël couperait immédiatement le contact. Pour le tableau des « limites planétaires », non. Corinne Lepage, forte de son expérience tant comme ministre de l'Environnement que comme avocate spécialisée en la matière, notait le hiatus entre les textes et leur application. D'un côté, une intarissable logorrhée, plus qu'en toute autre branche du droit : pour les seules années 1990, époque où elle fut ministre, pas loin de 130 lois, 800 décrets, 300 conventions internationales, 35 000 textes et déclarations en tout genre . Et de l'autre côté, parce que le droit de l'environnement contrarie pratiquement tous les intérêts économiques (au sens large du terme), une pratique qui s'ingénie à rendre le droit environnemental le moins efficient possible.
Reprenons le cas des « algues vertes » bretonnes, évoqué précédemment . La catastrophe écologique n'est pas sérieusement contestable : leur concentration conduit à l'asphyxie de la faune et de la flore aquatique, et leur décomposition émet de l'hydrogène sulfuré (H2S), potentiellement mortel pour l'homme. La cause de leur prolifération est aussi connue : ces algues se nourrissent du phosphore et de l'azote (une des « limites planétaires » du diagramme ci-dessus), issus des nitrates. Entre les années 1960 et les années 2000, le taux de nitrate des eaux bretonnes a été multiplié par dix. Et ces nitrates proviennent, pour l'essentiel, de l'agriculture, puisqu'ils sont issus des déjections animales issues de l'élevage et des engrais utilisés pour fertiliser les cultures (lui-même constitué essentiellement de lisier, c'est-à-dire du mélange liquide des déjections animales d'élevage).
Les mesures prises ont permis une baisse des nitrates de 25 % environ sur la période 2000-2015, avec une stagnation depuis à un niveau six fois supérieur à celui des années 1970. Pourquoi les mesures ne sont-elles pas plus énergiques et efficaces ? L'explication se trouve, probablement, dans le fait que la Bretagne est la première région agricole de France et, surtout, le haut lieu de l'agriculture industrielle . Bien que la Bretagne possède moins de 7 % de la surface utile agricole française, elle est leader en matière de production : viande porcine (56 % de la production française, soit en valeur absolue : 12 millions de porcs abattus par an), poulets (32 %, soit en valeur absolue : 230 millions de poulets abattus par an), œufs (37 %), lait (23 %). La forte concentration d'engrais d'origine animale permet, à son tour, de soutenir la production légumière (20 % de la production nationale) : choux-fleurs (80 %), artichauts et échalotes (75 %), épinards (49 %), tomates (25 %),etc. Ceci sans compter toute l'industrie agroalimentaire, de transformation, qui est sur place ; raison pour laquelle les deux principaux groupes français de grande distribution – Leclerc et Intermarché – ont leurs racines en Bretagne.
Bref, la Bretagne, c'est trois millions de personnes qui en nourrissent vingt millions. Et l'on peut comprendre que l'état prenne bien évidemment des mesures pour lutter contre le problème écologique – notamment, un « plan de lutte contre les algues vertes », lancé en 2010, reconduit pour la période 2022-2027, avec un budget de 130 millions d'euros sur la durée du plan –, mais pas au point de prendre le risque de déstabiliser la filière économique . Très cyniquement, il est tentant de se satisfaire d'avoir pu concentrer autant de désagréments industriels dans un espace finalement réduit, et pas le plus densément peuplé.
Ironiquement, la situation du littoral breton para ît depuis peu s'améliorer, et l'explication semble à chercher du côté du réchauffement climatique, plus que dans l'efficacité des mesures environnementales de prévention ou de curation. En effet, le transfert de nitrates à la mer dépend des pluies, qui lessivent les sols et emportent les polluants par la même occasion. Or, en 2022 et en 2023, la sécheresse a réduit le débit des cours d'eau, entra înant à son tour une moindre prolifération des algues.
– Le droit de l'environnement protège les ressources utiles à l'Homme. – L'évidente inefficience du droit de l'environnement amène certains auteurs à formuler une critique radicale à son encontre. Ce courant est principalement représenté par la Green Legal Theory, initialement formulée à partir d'une lecture du droit national américain et canadien . Selon cette analyse, le droit de l'environnement ne cherche aucunement à résoudre le dilemme entre production économique et protection de la Nature, sans quoi il viserait la réduction de la consommation (au lieu de l'efficacité énergétique), l'abandon de la voiture (au lieu de la promotion de la voiture électrique),etc. Pour ces auteurs, le droit de l'environnement n'est qu'une « fausse promesse » d'une économie qui cherche seulement à contenir ses propres excès afin de perdurer et se maintenir .
Emportés par leur élan rhétorique, ces mêmes auteurs en concluent que la seule manière de préserver l'environnement est d'abandonner, tout à la fois, l'état libéral et l'économie de libre marché . Face à cette conclusion, portée plus largement aujourd'hui par « l'altermondialisme », il est intéressant, particulièrement pour un congrès à Bordeaux, de convoquer la figure de Jacques Ellul. Historien du droit et ayant fait toute sa carrière dans la capitale de l'Aquitaine, il est aussi l'auteur d'une importante œuvre sociologique, un peu méprisée de son vivant, et que l'on redécouvre aujourd'hui avec intérêt – rééditée pour cette raison par les éditions de la Table ronde.
Pour cet auteur, le fond du problème n'est ni le régime politique ni le régime économique . Dans son analyse, le communisme soviétique (s'il écrivait aujourd'hui, l'auteur prendrait probablement l'exemple du communisme chinois) est un capitalisme comme un autre. Et il n'y avait pas de grande différence entre une usine automobile en URSS et une autre aux états-Unis – hors le bénéficiaire du profit, appareil d'état dans un cas, propriétaires privés dans l'autre . Ce détail mis à part, Ellul considérait que le reste n'était que similitudes : débauche énergétique et productivisme, nécessité d'une bureaucratie pour l'encadrement, création d'un prolétariat ouvrier, et, surtout, pour ce qui nous occupe, dégâts environnementaux à grande échelle.
Car, fondamentalement, le symptôme environnemental n'est pas le fruit d'un système de domination, mais d'une aliénation ; d'une forme de servitude volontaire, comme celle qu'évoquait jadis La Boétie . La différence est que l'asservissement se fait ici à l'égard de la technique, au sens large, et qu'elle fonctionne comme une addiction . Que l'on songe au sentiment de malaise qui nous saisit quand internet ne fonctionne pas ou que notre téléphone portable est déchargé, alors pourtant que nombre d'entre nous ont grandi et évolué sans ces objets. Or, bien évidemment, un système juridique ne perdure pas longtemps s'il est en complète contradiction avec les valeurs de la société. On l'a vu à propos des éoliennes et de la biodiversité : dans l'absolu, l'époque désire ardemment la protection du faucon crécerellette ou de l'aigle du Poitou, et même le retour du dodo sur l' île Maurice si la chose en était possible ; mais pas au prix d'être privé du confort doucereux offert par la technologie – d'autant plus que la plupart d'entre nous ne savent pas distinguer un érable d'un hêtre.
Donc, bien évidemment, on ne peut donner tort à la Green Legal Theory quand elle affirme que le droit de l'environnement n'est qu'une suite de correctifs successifs, les plus limités possibles, face aux excès du développement économique. En ce sens, le droit de l'environnement a plus à voir avec le droit de la consommation qu'avec l'écologie.
Au regard de cette assertion, un exemple sera plus évocateur qu'une longue démonstration. Le premier grand traité de droit maritime est le Mare liberum, « La liberté des mers », de Grotius, publié en 1609. L'ouvrage contredit le principe du mare clausum, issu du traité de Tordesillas, en 1494, où Espagnols et Portugais s'étaient répartis le droit de navigation et de conquête pour la quasi-totalité des océans du globe. La thèse de Grotius est toujours le pivot du droit maritime international : les eaux « internationales » sont de libre accès, et tous ont la possibilité d'y exploiter les ressources halieutiques. Le développement de la pêche industrielle a évidemment accru le risque de surexploitation. C'est la raison pour laquelle, en 1946, une convention internationale est venue réglementer la chasse à la baleine. On peut comprendre ce texte à portée environnementale comme un souci de protection du mammifère marin. Mais, bien plutôt, ce texte est à analyser comme un continuum du principe de liberté hérité de Grotius : une protection de l'industrie baleinière contre elle-même, qui, sans cela, risquerait, par surpêche, de faire dispara ître la ressource à la base de son activité .
Il existe une corrélation entre niveau de revenus et niveau de pollution. Mais l'assertion mérite d'être nuancée, car la pollution n'est pas une fonction linéaire du revenu. Et la raison en est simple : chez beaucoup, passé un certain revenu, le surplus est épargné ou investi, au lieu d'être consommé – outre que les consommations peuvent beaucoup varier d'un groupe à l'autre, avec une dimension ostentatoire plus ou moins prononcée.
Ainsi, il existe des disparités mondiales : à revenu équivalent, la pollution par habitant aux états-Unis est au double de celle de l'Union européenne . Tout comme il existe aussi des disparités importantes au sein de la population d'un même pays : en France, les 10 % de ménages les plus riches émettent 2,2 fois plus de CO2 que les 10 % de ménages les plus pauvres – pour un revenu moyen cinq fois supérieur .
Il faut compter une catégorie à part : les milliardaires, dont la contribution est hors norme. Ainsi, en 2018, il était estimé que le plus gros émetteur de la planète – supposément le Russe Roman Abramovich, pour ne pas le nommer – était responsable à lui seul de 33 000 tonnes de CO2. Le 1 er janvier, à 00 heure 15, celui-ci avait déjà brûlé son budget carbone ; les méga-yachts ne sont pas sobres. Pour autant, même si le Français « moyen » n'est pas dans cette démesure, il est lui aussi au-dessus du quota. En effet, son bilan carbone est de 10 tonnes de CO2 par an, à peu près.
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Trois axes d'amélioration ressortent particulièrement : la voiture (2,1 tonnes par an), le chauffage (0,9 tonne par an) et la viande (0,9 tonne par an). Seulement, il faut rappeler ce qui était dit en introduction : l'estimation, pour ralentir le réchauffement à +1,5 °C, serait un budget carbone autour de 2 tonnes par habitant de la planète . En France, le seul fait de bénéficier de l'ensemble des services publics place déjà chacun à 1,3 tonne ! Même le « décroissant » heureux dans sa yourte, ne consommant que les légumes de son potager, ne peut, en l'état, arriver à tenir son quota.
Le changement efficace suppose l'adhésion du collectif . Atteindre un état de société « sobre » en carbone n'est pas seulement un défi d'ingénierie ; cela suppose, au préalable, de créer un nouvel imaginaire commun en substitution de celui de la société de consommation, pour, ensuite, rendre possible et désirable une réorganisation complète de la superstructure sociale .
– L'énergie, première « ressource » environnementale. – De lege lata, le droit de l'environnement reste particulièrement « anthropocentré » : il semble moins se soucier de la Nature en soi que de la protection des ressources naturelles utiles à l'Homme. Or, de toutes les ressources, celle que l'époque identifie comme primordiale et mère de toutes les autres, c'est l'énergie . Car, avec une énergie abondante, il est possible de suppléer à nombre de pénuries. Un exemple parmi d'autres : au prix d'une débauche d'énergie, et si l'on est peu regardant quant aux dégâts sur l'écosystème marin – en raison de la production de saumure –, il est toujours possible de désaliniser de l'eau de mer.
La préoccupation environnementale derrière la question énergétique s'est néanmoins renouvelée. Au début des années 1980, dans le contexte qui a suivi le « rapport du club de Rome », l'inquiétude était principalement l'assèchement des ressources fossiles. à cette époque, il était estimé que les ressources en pétrole seraient épuisées en 2030 – ce qui ne sera pas le cas. La découverte de nouveaux gisements, ainsi que les progrès techniques, ont notamment permis de repousser l'échéance.
Il existe un fort débat sur l'état actuel des réserves, car il n'y a pas d'instance indépendante internationale à ce sujet . Particulièrement, les réserves de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) ne sont évaluées que par les compagnies nationales des états membres. Malgré tout, il est couramment avancé le chiffre de cinquante ans encore, si la consommation reste constante. Le redouté oil peak, « pic pétrolier », moment où l'extraction de pétrole ne fait plus que décliner, a peut-être eu lieu en 2006 – du moins pour le pétrole conventionnel. Mais la production a continué d'augmenter depuis, grâce à l'exploitation du pétrole de schiste (permettant aux états-Unis de redevenir le premier producteur mondial, devant la Russie et l'Arabie saoudite), à la rentabilité compliquée et aux conséquences écologiques importantes .
Dans tous les cas, avant même la considération environnementale, ce qui motive la transition énergétique est un intérêt stratégique bien compris . La révolution industrielle anglaise est liée à son charbon . Le pétrole a modelé la géopolitique mondiale du XX e siècle . Et l'invasion de l'Ukraine est venue rappeler à une partie de l'Europe l'inconvénient des dépendances énergétiques. Au niveau mondial, l'investissement dans les énergies renouvelables est en train de passer devant celui des énergies fossiles . L'intérêt français renouvelé pour le photovoltaïque s'explique en partie par la relative abondance des ressources nécessaires à sa fabrication (silicium, aluminium, etc.), outre sa grande capacité de recyclage. Cela explique aussi le redémarrage de nouveaux projets nucléaires en France, en faisant fi des objections passées, afin de gérer et compenser l'intermittence des énergies renouvelables. Comme un signe des temps, le Japon, qui avait mis à l'arrêt tous ses réacteurs après la catastrophe de Fukushima, est en train de les remettre en service.
Bien évidemment, la transition énergétique a aussi un intérêt environnemental, à condition de s'entendre sur le sens de la formule : on sauvegarde certains intérêts, au prix d'en sacrifier d'autres. L'abandon des énergies fossiles est une nécessité au regard du réchauffement climatique. Mais la transition a néanmoins un coût environnemental. Pour le photovoltaïque, presque entièrement produit en Chine pour l'instant, il faut savoir que la fabrication passe par l'utilisation d'importants bains d'acide – outre que l'énergie utilisée n'est pas spécialement « verte ». Et l'on pourrait multiplier les exemples.
– Un empilement législatif précipité. – Si le droit de l'environnement a bien identifié que l'énergie est devenue un enjeu critique, il faut bien imaginer que le législateur n'a pas dérogé – au contraire – à la logique de la correction « chemin faisant ». Si l'on observe les quinze dernières années, les lois s'encha înent à un rythme soutenu, qui va en s'accélérant : loi du 3 août 2009, « Grenelle I » ; loi du 12 juillet 2010, « Grenelle II » ; loi du 17 août 2015, « transition énergétique pour la croissance verte » ; loi du 8 août 2016, « pour la reconquête de la biodiversité » (la seule de la série à vraiment se soucier de la Nature) ; loi du 30 octobre 2018, « EGAlim » (qui relève plus du droit de la consommation agroalimentaire que de l'environnement, même si l'on a vu que c'est un peu la même chose) ; loi du 8 novembre 2019, « énergie-Climat » ; loi du 22 août 2021, « Climat et Résilience » ; loi du 10 mars 2023, « relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables » ; loi du 23 octobre 2023, « relative à l'industrie verte ».
Pour sortir d'une situation de déficit comptable, il n'y a que deux options : réduire ses charges ou bien augmenter ses revenus. Face au mur énergétique redouté, les premières lois de la série législative ont choisi la première option, et ont eu pour « objectif » de réduire la consommation . On ne va pas multiplier les exemples, et l'on se limitera à la loi « Grenelle I », la première de la série. à raison, celle-ci identifiait le secteur du bâtiment comme le plus gros consommateur d'énergie en France (42,5 % de l'énergie finale totale), et comme un fort contributeur au changement climatique (23 % des émissions nationales de CO2). D'où l'objectif numéro un de la loi, affiché dès son préambule : réduire les consommations d'énergie du parc des bâtiments d'au moins 38 % d'ici à 2020. Sur cette base, la loi posait un certain nombre de règles, logiquement axées sur le droit de la construction et le droit de l'urbanisme.
On ne fera pas ici le catalogue des mesures prises alors. Seul l'épilogue nous importe : en 2020, la consommation n'a pas baissé dans les proportions attendues ; pire, elle n'a pas baissé du tout. Bien au contraire, elle a même légèrement augmenté . La consommation du résidentiel et du tertiaire, ensemble, est aujourd'hui autour de 753 TWh (31 Tricastin). Seule baisse constatée : la part du pétrole ne cesse de diminuer. Et ce fait est cohérent avec ce que l'on peut observer du point de vue notarial : depuis un moment déjà, lors de l'achat d'un bien avec une cuve à fioul, la plupart des clients précisent leur projet d'abandonner un tel système de chauffage.
Au final, donc, il faut constater l'échec à atteindre l'objectif initial. Parfois, mieux vaut un projet moins ambitieux et y parvenir. Car il s'agit malheureusement d'une récurrence du droit de l'environnement, à laquelle il est difficile de se résigner : les déclarations d'objectifs environnementaux étant rarement assorties d'un plan adéquat et cohérent sont, dans la hiérarchie des normes juridiques, un peu l'équivalent de la liste au Père Noël.
– Un choix pour la baisse de CO2, au lieu de la baisse de consommation. – Le législateur n'a pas abandonné son projet de réduire la consommation du secteur immobilier . De nouveaux mécanismes, plus coercitifs que ceux des législations « Grenelle I et II », sont entrés en vigueur. Beaucoup font l'objet d'une mise en œuvre par le notariat, acteur-clé en la matière. Et nous renvoyons donc, à leur propos, au rapport de l'année précédente sur le thème du « logement » . Nous nous bornerons donc ici à la logique environnementale derrière toutes ces règles que le notariat conna ît bien.
Pour une part, l'objectif de réduction de la consommation est aussi porté par la législation en construction-urbanisme . Et celle-ci semble avoir une préférence pour des obligations précises, plutôt que des déclarations d'objectifs fantaisistes. Ainsi, la loi ELAN du 27 novembre 2018 et le décret « Tertiaire » du 23 juillet 2019 ciblent les locaux tertiaires dont la surface d'exploitation est supérieure à 1 000 m2 : ceux-ci ont une obligation (et pas un objectif), de réduction de 60 % à l'horizon 2050 – avec un suivi de la consommation réelle (via la plateforme OPERAT gérée par l'Agence de la transition écologique [ADEME]) pour assurer l'effectivité de la mesure. La même loi ELAN prévoit l'entrée en vigueur d'une nouvelle réglementation environnementale des bâtiments neufs : la « RE 2020 », qui traduit le passage d'une réglementation thermique à une réglementation environnementale, où l'objectif n'est plus seulement l'amélioration de la performance énergétique et du confort des constructions, mais aussi, désormais, la diminution de leur impact carbone.
Pour une autre part, la baisse de consommation est portée par les lois environnementales. S'agissant de la consommation des bâtiments résidentiels, le dernier jalon important est la loi Climat et Résilience, sus-citée . C'est elle qui prévoit, notamment, le mécanisme de l'audit énergétique, désormais en application.
Cette législation va-t-elle entra îner une amélioration substantielle du parc de logements ? L'auteur de ces lignes a un champ d'observation qui est un peu celui de Fabrice del Dongo à la bataille de Waterloo : il est limité, il lui manque la hauteur de vue du généralissime, mais il est quand même assez près d'un bout des événements pour subodorer que tout ne se passe pas pour le mieux . Et, pour ce qui est du bâtiment résidentiel, et par rapport à l'objectif environnemental, il y a quatre problèmes que l'auteur de ces lignes observe dans sa pratique .
Le premier, c'est que l'efficience de la mesure repose in fine sur les locataires, qui ne doivent pas se désintéresser de leur droit à un logement d'une classe minimale. Sur les sites d'annonces en ligne, tous les logements du secteur précisent leur classe d'énergie, puisque cela est obligatoire – mais il n'y a aucune vérification. Or, en pratique, quand les documents sont communiqués au notaire, à l'occasion d'une vente, il appara ît souvent qu'il n'y a jamais eu de diagnostic énergétique avec le bail, surtout quand le bail est établi par le propriétaire lui-même. De fait, on observe évidemment que la classe énergétique est un paramètre de négociation lors de la vente, et que les « passoires énergétiques » se négocient moins cher que des biens similaires et mieux notés. Mais le rabais obtenu n'est pas non plus exceptionnel : avec la somme économisée, l'acquéreur changera probablement la chaudière, voire les fenêtres ; il ne fera certainement pas une rénovation complète.
Le deuxième, c'est que le diagnostic de performance énergétique (DPE), pivot de toute la politique, est assez souvent vécu comme le visa sur un passeport. Tout le monde a conscience du fétichisme administratif autour de ce document, et donc de l'importance d'avoir une bonne note . Il fait évidemment l'objet de crispations par le propriétaire dont le bien est mal noté, qui le vit comme une injustice : « Ah, mais c'était ma résidence principale, et je ne suis pas frileux ! Regardez donc mes factures ! ». Par contre, du côté de l'acquéreur, l'information est souvent traitée uniquement sur le mode de la confirmation de l'intuition qui se forge à la visite du bien : « C'est une passoire, des travaux sont à faire », « ça semble bien isolé ». Parce qu'un acquéreur est aussi un vendeur (soit qu'il achète après avoir vendu, soit parce qu'il vendra ou a déjà vendu), qui, à ce titre, a commandé l'établissement d'un DPE pour son bien, a plus ou moins vu comment il était établi, a essayé de s'intéresser au résultat et de comprendre ses rouages dans les grandes lignes (avec l'espoir, sur un malentendu, d'améliorer sa note). Or, le sentiment majoritairement constaté est que le DPE est intéressant pour donner une tendance, mais sans être non plus d'une grande précision . Comme une impression de faire de la pâtisserie avec un pèse-personne.
Le troisième, c'est qu'il ne semble pas que grand monde se soit saisi de l'audit énergétique. Pour l'instant, l'auteur de ces lignes n'a pas encore vu un audit fait sur la base de devis réels d'artisans. Autant dire que, dans cette hypothèse, l'intérêt de l'acquéreur semble proche de celui que l'on a pour le prospectus sur son pare-brise. Quand le même acquéreur ne demande pas à pouvoir s'en dispenser pour la promesse de vente, tant la chose l'indiffère – parce qu'il a ses devis d'artisan, et qu'il aimerait pouvoir demander son crédit au plus vite, en période de remontée des taux d'intérêt. On le comprend : il y a quand même un faible intérêt à conna ître le coût de travaux, calculé sur la base du prix moyen estimé d'artisans pour la prestation, pour gagner deux ou trois classes énergétiques, c'est-à-dire non pas un gain réellement quantifiable, mais une amélioration de la « Consommation Conventionnelle des Logements » calculée selon la méthode dite « 3CL ». La majorité des logements acquis ne le sont pas par spéculation ou en vue de la location ; ils sont destinés à être habités, à titre de résidence principale ou secondaire. Et ce qui intéresse un agent économiquement rationnel, c'est de pouvoir comparer un coût d'investissement concret avec des économies potentielles calculées à partir de sa propre consommation réelle – si tant est que ce genre de présentation soit possible .
Le quatrième, c'est que les travaux de rénovation, quand ils sont envisagés, le sont a minima. Par contrainte de budget, le choix se porte sur une ou deux améliorations, intuitivement identifiées comme celles qui procureront le retour sur investissement le plus rapide : amélioration à la marge de l'isolation, changement des huisseries, installation d'une pompe à chaleur. Parfois un recours à des aides, « isolation à 1 Euro », « MaPrimeRénov' », notamment ; sans que celles-ci ne permettent plus qu'un « coup de pouce » substantiel, et donc sans orienter vers une rénovation entière et globale . Le chemin est long avant que tout le monde vive dans un habitat à énergie positive .
En fait, le législateur lui-même semble douter que ces obligations articulées autour du DPE conduisent à une baisse significative de la consommation globale des logements . Une évolution est d'ailleurs probable . En attendant, au contraire de la loi « Grenelle I », la loi Climat et Résilience n'a pas un objectif de baisse de la consommation, mais, et la nuance est de taille, un objectif de baisse des émissions de gaz à effet de serre, et ce conformément aux objectifs fixés par l'Union européenne . Et vu que, au stade de la production du moins, le nucléaire et les renouvelables ne produisent pas d'émissions de CO2, et que toute une série d'incitations ou d'obligations conduisent à un basculement vers l'énergie électrique, on comprend que cet objectif-là, pour le coup, est dans le champ du possible. De fait, depuis quelque temps déjà, les émissions de gaz à effet de serre diminuent, dans le secteur du bâtiment.
Quant à la consommation, comme dans le cas des algues vertes, il n'est pas dit que le réchauffement climatique ne vienne pas faciliter les choses, en rendant les hivers plus doux. Si le réchauffement n'amène pas à complètement inverser la perspective, où le principal souci de l'acquéreur ne serait plus le chauffage en hiver, mais le confort du logement lors des étés caniculaires.
– La course à l'énergie. – Tout ce qui précède contribue à rendre primordiale la question énergétique. En conséquence de quoi, les plus récentes des lois en droit de l'environnement sont, paradoxalement, d'abord et avant tout des lois qui cherchent à augmenter la production électrique française. D'ailleurs, l'énergie nucléaire ne relève pas du Code de l'énergie, mais du Code de l'environnement. Et, face à cette paradoxale quête électrique du droit de l'environnement, nombre d'intérêts se trouvent relativisés : la protection de la biodiversité, la législation d'urbanisme,etc.
La loi précitée du 10 mars 2023 est la dernière grande loi « environnementale » . Elle a été prise sous l'impulsion du plan REPowerEU, déjà mentionné. Elle est à l'aboutissement de tout ce que nous avons pu exposer précédemment . Et elle déploie donc trois axes, pour atteindre ses objectifs :
  • une nouvelle forme de planification pour les énergies renouvelables, où l'état suggère les implantations potentielles, où les communes devront s'en saisir pour arrêter des « zones d'accélération », avec un chapeautage par le comité régional de l'énergie pour s'assurer que l'effort est suffisant, avec un mécanisme de va-et-vient (onze étapes en tout !) si les communes n'ont pas compris les suggestions-injonctions du départ ;
  • une volonté de « simplifier les procédures » : une présomption de reconnaissance de la raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) pour certains projets d'énergies renouvelables, l'un des trois critères qui permet de déroger à l'obligation de protection des espèces protégées – si l'aigle du Poitou n'avait pas déjà compris que c'est à lui de s'adapter – ; de nouveaux référents préfectoraux à l'instruction chargés de coordonner les services chargés d'instruire les autorisations, avec un médiateur des énergies renouvelables ; un fonds de garantie pour compenser une partie des coûts subis par les porteurs de projet en cas d'annulation contentieuse de son autorisation, pour l'inciter à son projet avant l'issue des recours, etc. ;
  • une volonté de mobiliser le foncier aisément disponible. Ainsi, pour les panneaux solaires, il y a une obligation d'équiper les parkings extérieurs existants de plus de 1 500 m2, sur au moins la moitié de leur surface. Pour l'éolien, il s'agit de ne pas laisser le quart sud-est et le quart sud-ouest de la France pratiquement épargnés d'éoliennes, en raison de la couverture radar. Aussi, pour passer outre, la loi prévoit l'installation possible de radars de compensation, avec participation de l'état. De l'autre côté, pour que cesse l'implantation au-delà du raisonnable toujours chez les mêmes, l'autorisation devra désormais prendre en compte les effets de saturation visuelle.
– Un législateur perdu dans son œuvre. – Cette législation dans l'urgence est compréhensible. Mais le législateur s'abuse quand il croit simplifier. On ajoute rustine sur rustine, au point que l'on ne voit plus la roue. La création du « référent préfectoral » n'est-elle pas une forme de reconnaissance que la matière est devenue si touffue qu'il convient d'avoir une personne à son secours pour s'y retrouver au milieu des « douze travaux d'Astérix » ?
Le plus dommageable est que, à force d'empiler les réformes, l'essentiel est parfois perdu de vue. Ainsi, la loi du 10 mars 2023 donne une définition de l'agrivoltaïsme qui, pour faire simple, correspond aux panneaux photovoltaïques que l'agriculteur installe, en complément de revenus, sur les bâtiments de son exploitation . L'usage, jusqu'à présent, a été de recourir majoritairement à des sociétés commerciales dédiées. En effet, pour le droit rural, l'agriculture était traditionnellement pensée comme la culture d'un fonds de terre. Cette conception a évolué depuis, et l'activité agricole se définit aujourd'hui, plus largement, par la « ma îtrise et l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal » . Cette définition de l'activité agricole s'est élargie au point d'intégrer la production de certaines énergies renouvelables, mais à la condition, essentielle, que la production d'énergie se fasse majoritairement à partir de produits issus de l'exploitation agricole – la méthanisation, par exemple . Autant dire que la production d'électricité avec des panneaux photovoltaïques n'en fait pas partie.
Ce qui ne veut pas dire que le législateur n'a pas essayé de favoriser cette production d'électricité photovoltaïque agricole. Le problème est qu'il l'a fait sans aucune cohérence . En effet, la loi « Grenelle II », susmentionnée, a explicitement admis la possibilité pour certaines personnes morales d'exploiter de l'électricité au moyen de panneaux fixés à un bâtiment lui appartenant : particulièrement, pour le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) et le groupement foncier agricole (GFA). Le GAEC est rarement propriétaire, la disposition concernait donc plutôt le GFA. Mais, pour le GFA, le problème est que la définition de l'activité agricole n'était pas modifiée dans le même temps, et que le régime fiscal de faveur des GFA (principalement, l'exonération de droits de mutation à titre gratuit) était subordonné par la doctrine fiscale au maintien d'une destination agricole . En conséquence, on a pu voir la jurisprudence déchoir des GFA de tout régime de faveur, y compris pour les terres entièrement rurales, pour quelques panneaux .
La solution de la société commerciale était donc une manière d'isoler le problème, ce qui impliquait aussi de dissocier les espaces juridiques où allaient s'appliquer respectivement le droit commercial et le droit rural : volumes, bail emphytéotique, copropriété. La situation était déjà bien assez complexe, puisque le projet photovoltaïque de l'agriculteur relevait déjà du droit de l'énergie, du droit de l'urbanisme et du droit de l'environnement (les panneaux ne sont pas ICPE, mais il peut y avoir étude d'impact néanmoins) – et donc, paradoxalement, en rien du droit rural . Seulement, ce découpage en deux espaces distincts commençait à toucher ses limites.
– Le développement de l'agrivoltaïsme. – Pour tenir les objectifs énormes évoqués précédemment de développement des énergies renouvelables, la terre agricole se trouve élue comme secteur de choix. En effet, selon les sondages internes aux professionnels du secteur, 1 million d'hectares de terres seraient déjà réservés à titre contractuel – 3,5 % de la surface agricole utile française ! – même s'il est probable que les projets effectifs se limitent à 10 % de ce potentiel . La raison est simple : il est économiquement moins cher d'installer, de raccorder et d'entretenir des panneaux sur des terrains que sur des bâtiments existants – même si le coût moyen de l'agrivoltaïque est autour de 800 000 € l'hectare.
Il ne s'agit pas, toutefois, de remplacer l'agriculture . En effet, les panneaux photovoltaïques mobiles sont placés bien au-dessus des cultures. En modifiant l'inclinaison des panneaux, il est possible, ou bien de laisser passer le soleil pour favoriser la photosynthèse, ou bien de mettre la plante à l'ombre et ainsi limiter l'évapotranspiration, ou bien de la protéger de la grêle. L'ombrière est donc, en théorie, en symbiose avec la culture. Même si, en pratique, il est évident qu'il y aura conflit, et un choix à faire entre le rendement agricole et le rendement électrique. Cette pratique pose toutefois la question du contour de l'activité agricole.
La loi du 10 mars 2023 a donc introduit une définition de l'agrivoltaïsme, complété par un décret n o 2024-318 du 8 avril 2024 . Définition fort longue, qui ne mérite pas d'être citée en entier ici ; il suffit de dire que sa complexité vient de la volonté d'éviter que la ferme photovoltaïque professionnelle puisse être qualifiée d'agriculteur, en faisant pousser trois tomates au pied des panneaux. La précaution est louable. D'autant que l'agrivoltaïsme est éligible aux aides de la politique agricole commune (PAC), et que le législateur souhaite donc éviter un détournement. Sauf que ce souci a conduit à intégrer la réforme dans le Code de l'énergie, et à rajouter un interlocuteur supplémentaire : le projet de l'agriculteur est soumis à l'avis conforme de la commission départementale de préservation des espaces naturels agricoles et forestiers (CDPENAF).
Dans le même temps, l'urbanisme n'est évidemment pas évincé, mais il se complexifie encore, puisqu'il faut, désormais, distinguer deux hypothèses au Code de l'urbanisme : l'installation agrivoltaïque stricto sensu définie par renvoi au Code de l'énergie, et les installations photovoltaïques seulement « compatibles avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière ». Notons d'ailleurs ce paradoxe où c'est le droit de l'urbanisme qui se trouve à l'avant-garde de la protection de la Nature, notamment avec la jurisprudence Photosol (refus de permis de construire, dans l'hypothèse du projet ne permettant pas le maintien d'une activité agricole significative sur le terrain d'implantation de l'équipement) .
Paradoxalement, dans le même temps, le Code rural et de la pêche maritime, lui, a été laissé inchangé, alors qu'il est évidemment le code de référence de la profession agricole. Comme on imagine mal que l'énergie produite ne soit pas très supérieure aux besoins de l'exploitation, on ne voit pas bien l'intérêt économique de l'opération si l'électricité n'est pas revendue. Sauf que la revente d'électricité est une activité commerciale. Et, logiquement, si l'agriculteur est sous le statut du fermage, il exerce alors une activité susceptible de lui faire perdre le bénéfice de son bail rural . Ainsi, à force de réécrire le droit sous l'injonction énergétique, on aboutit à des solutions pratiques indésirables, et l'on perd en cohérence et en lisibilité.
– La tentation de la – tabula rasa . –Au final, avec des exemples tels que celui-là, il est manifeste que le législateur lui-même se perd dans sa propre législation, tant elle devient complexe. Vient un moment où la légistique est aussi du bon sens ; et il est parfois temps de changer la roue, plutôt que de lui adjoindre une rustine de plus. On comprend, bien sûr, l'urgence d'une évolution à marche forcée – c'est ce que nous avons essayé de faire transpara ître en filigrane dans tout le chapitre. Mais cette urgence, au contraire même, ne dispense pas d'énoncer des consignes claires et adaptées. à part du contentieux, voire un désintérêt pratique pur et simple, il ne ressort jamais rien de bon d'une législation bâclée.
On observe que la question « environnementale » centrale est aujourd'hui celle de l'électricité décarbonée. Et que celle-ci a un effet « disruptif » – pour parler le langage de la « start-up nation » – sur l'ensemble des disciplines juridiques liées à l'immobilier. Le principe d'indépendance des législations est une idée fondamentale pour l'intelligibilité du droit. Le problème est que la question énergétique, en étant au carrefour de nombreuses législations, amène ces dernières à se chevaucher et à se gêner mutuellement. Partant de ce constat, deux options sont envisageables. Ou bien ce chevauchement est inéluctable, et il faut alors songer à un rapprochement, voire à une fusion des matières concernées. Ou bien il faut rendre à chaque matière son domaine propre, et sa cohérence.
Si l'on réfléchit en partant d'une hypothèse de tabula rasa, où le droit serait réécrit depuis une page blanche, il y a des choses qui paraissent évidentes. Par exemple que, sur le plan opérationnel, un permis de construire pour une éolienne n'a aucun sens. Autant il peut y avoir une grande diversité architecturale pour les bâtiments, autant rien ne ressemble plus à une éolienne qu'une autre éolienne, en plus d'être aussi monocolore que la « Ford T ». Ce qui pose question, c'est d'abord et avant tout son emplacement et la gêne occasionnée par cet emplacement. Mais il s'agit là d'un problème de planification et d'organisation de l'espace du territoire.
Rationnellement, il conviendrait de réfléchir en entonnoir. D'abord, une détermination positive de toutes les zones d'intérêt potentiel (par la force des vents, par la possibilité de raccordement aux réseaux ; car nous n'avons pas évoqué toute la question du raccordement, mais c'est un problème pratique épineux). Ensuite, une détermination négative de toutes les zones d'exclusion, soit pour des motifs tenant à la protection de la nature (environnement), soit pour des motifs tenant à l'aménagement urbain (urbanisme), en les classant selon un niveau d'intérêt à protéger. Enfin, en fonction de l'intensité du besoin énergétique, dessiner l'étendue des zones où les projets seraient admissibles, en tenant compte de la hiérarchie inverse des intérêts protégés. Et concentrer l'évaluation préalable, la démocratie environnementale et le contentieux sur ces documents de planification. De sorte que, tant que la zone n'est pas saturée, l'autorisation opérationnelle se limiterait à une formalité simple, dont l'enjeu serait de vérifier le respect de toute la législation applicable et de prescrire les aménagements de détail.
Nous n'avons donné ici qu'un exemple, sur un point stratégique. Ce rapide chapitre, dont l'intérêt est aussi de faire saisir au lecteur les grandes lignes du droit « de l'environnement » actuel, ne permet pas d'envisager toute la question des interactions entre l'urbanisme et l'environnement . Son propos était surtout de rappeler que le droit ne peut pas fonctionner par empilement infini de réglementations. L'accumulation finit par rendre le droit illisible, le transforme en source de vexations, et ne mène qu'à l'inefficacité. Or, face au réchauffement, cette dernière est un luxe de moins en moins permissible. La Cour des comptes a d'ailleurs rendu son rapport, en 2023, sur le retard français en matière d'énergies renouvelables, qu'elle explique par un cadre réglementaire inadapté et une planification inopérante .