Autorisations d'urbanisme, police de l'eau, atteinte aux espèces protégées et mise en œuvre de l'autorisation d'occupation des sols

Autorisations d'urbanisme, police de l'eau, atteinte aux espèces protégées et mise en œuvre de l'autorisation d'occupation des sols

– La mise en œuvre du permis définitif peut être paralysée par la non-obtention d'une autre autorisation ou son absence de caractère définitif. – Les dispositions relatives aux études d'impact, aux installations, ouvrages, travaux ou activités (IOTA), aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ou à l'interdiction de porter atteinte aux espèces protégées et aux habitats naturels imposent la réalisation d'études ou la sollicitation d'autorisations qui ne sont pas instruites par l'autorité compétente en matière d'autorisation d'urbanisme, et sont donc de ce point de vue autonomes de l'autorisation de construire.
Toutefois, l'autorisation d'urbanisme peut être accordée et devenir définitive avant même l'obtention de certaines autorisations délivrées au titre du Code de l'environnement.
Les dispositions du Code de l'urbanisme relatives aux « opérations pour lesquelles la délivrance d'un permis ou la réalisation des travaux est différée dans l'attente de formalités prévues par une autre législation » sont complétées par deux nouveaux articles L. 425-14 et L. 425-15.
– IOTA. – Désormais, lorsqu'un projet porte sur une installation, un ouvrage, des travaux ou une activité (IOTA) soumis à autorisation parce qu'ils sont susceptibles de présenter des dangers pour la salubrité et la sécurité publiques, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroître notablement le risque d'inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles, le permis ou la décision de non-opposition à déclaration préalable ne peut pas être mis en œuvre avant la délivrance de l'autorisation.
Pour les IOTA non susceptibles de présenter de tels dangers et soumis à un régime de déclaration, le permis ou la décision de non-opposition à déclaration préalable ne peut pas être mis en œuvre avant la décision d'acceptation de l'autorité administrative compétente.
– L'épée de Damoclès de la dérogation « espèces protégées ». – En ce qui concerne les travaux nécessitant l'obtention d'une dérogation à l'interdiction d'atteinte aux espèces protégées, le permis ou la décision de non-opposition à déclaration préalable ne peut pas être mis en œuvre avant la délivrance de cette dérogation.
Les dérogations « espèces protégées » peuvent constituer une autorisation autonome, délivrée dans la majorité des cas par le préfet du département. Mais elles peuvent également être intégrées à l'autorisation environnementale lorsque celle-ci est requise par le projet. Quel que soit le cas de figure, le permis de construire pourra être obtenu, mais ne pourra pas être mis en œuvre avant la délivrance :
  • soit de la dérogation « espèces protégées » autonome (conformément à l'article L. 425-15 du Code de l'urbanisme) ;
  • soit de l'autorisation environnementale en tenant lieu (conformément à l'article L. 425-14 du Code de l'urbanisme et à l'article L. 181-30 du Code de l'environnement).
L'article L. 425-15 du Code de l'urbanisme précise à cet égard que la mise en œuvre du permis de construire est différée jusqu'à l'obtention de la dérogation à l'interdiction de porter atteinte aux espèces protégées et aux habitats naturels sollicitée sur le fondement du 4° de l'article L. 411-2 du Code de l'environnement.
La dérogation « espèces protégées » concerne tous les projets de construction.
Si les articles L. 411-1 et L. 411-2 du Code de l'environnement interdisent, en principe, de porter atteinte aux spécimens et habitats des espèces protégées, le même code prévoit une dérogation dont les conditions de mise en œuvre, cumulatives et au nombre de trois, s'avèrent très strictes : absence de solution alternative satisfaisante, maintien des espèces dans un état de conservation favorable dans leur aire de répartition naturelle, et justification que le projet poursuit une raison impérative d'intérêt public majeur.
L'obligation de déposer une demande de dérogation « espèces protégées » est déclenchée par la réunion de deux conditions : d'une part, la présence d'un ou plusieurs spécimens d'une espèce protégée ou d'habitat(s) sur la zone du projet, d'autre part, l'exigence que ce dernier comporte un risque suffisamment caractérisé pour les espèces protégées, au regard des mesures d'évitement et de réduction prévues.
– Avis du Conseil d'État du 9 décembre 2022. – Saisi par la cour administrative d'appel de Douai le 27 avril 2022 de deux questions relatives au régime juridique de la dérogation « espèces protégées », le Conseil d'État a rendu un avis le 9 décembre 2022 qui vise à éclaircir les modalités d'appréciation de la nécessité de déposer une demande de dérogation. Le Conseil d'État propose un guide permettant d'identifier, d'une part, lorsqu'il est nécessaire de solliciter une dérogation « espèces protégées » et, d'autre part, d'apprécier les conditions selon lesquelles elle peut être octroyée.
En effet, depuis plusieurs années, le silence des textes quant aux critères déclenchant l'obligation de déposer une demande de dérogation « espèces protégées » a été la source d'un contentieux abondant aboutissant à des décisions des juges du fond souvent divergentes.
Ainsi, dans cet avis, le Conseil d'État précise dans un premier temps que la nécessité d'obtenir une dérogation doit être examinée « dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes ». Cette condition induit un certain nombre d'interrogations sur la présence ou non d'un spécimen animal dans une zone. Cette présence pouvant être plus ou moins temporaire selon que le site constitue son territoire d'activités, de passage ou un territoire sur lequel il niche ou bien se reproduit. Cela risque de susciter un certain nombre de débats sur la présence ou non d'une espèce sur la zone du projet en fonction du caractère permanent ou non de sa présence.
Il convient désormais de s'interroger sur la nécessité de disposer de cette information (présence d'espèces protégées sur le terrain) en amont qui pourrait aboutir à une généralisation des études environnementales.
Le Conseil d'État précise que la présence d'un seul spécimen est suffisante pour que la question de la dérogation se pose.
S'agissant de la deuxième condition, relative « au risque suffisamment caractérisé que fait peser le projet sur les espèces protégées », le Conseil d'État précise que « les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte » dans l'évaluation de ce risque.
Ainsi, la Haute juridiction précise qu'il convient de prendre en compte toutes les mesures d'évitement et de réduction qui seront mises en œuvre pour l'appréciation du risque et ne retenir que le risque résiduel.
Cette précision, rappelée par cet avis, soulève de nouvelles questions relatives à la garantie de l'effectivité de ces mesures mises en place par le porteur de projet et au contrôle qui sera exercé par l'administration et enfin par les juges.
Beaucoup de questions se posent qui ne sont pas encore tranchées. Il est possible d'imaginer l'hypothèse dans laquelle, au moment du dépôt de la demande d'autorisation d'urbanisme, aucune espèce protégée n'est présente sur le site du projet ou encore que les mesures de réduction et d'évitement apparaissent suffisantes pour ne pas solliciter une dérogation « espèces protégées », mais qu'elles apparaissent en phase d'exploitation ou en phase travaux. En effet, il n'y a pas de limite à l'invocabilité de l'absence de dérogation « espèces protégées » par un tiers (par ex. : la question de la migration des espèces pourrait bloquer la construction). Les préfets pourraient alors être saisis de demandes d'arrêt d'exploitation jusqu'à la délivrance de la dérogation. Cela pourrait aller jusqu'à un arrêt définitif dans l'hypothèse où la dérogation ne serait pas obtenue.
Il revient au porteur de projet de décider s'il doit demander ou non une dérogation « espèces protégées ». Toutefois, en l'absence de demande de dérogation, et s'il s'avère qu'il a fait une mauvaise appréciation de l'impact des mesures d'évitement et de réduction, sa responsabilité pénale peut être engagée en application de l'article L. 415-3 du Code de l'environnement.
Enfin, l'avis du Conseil d'État laisse en suspens certaines questions centrales pour les porteurs de projets, tout particulièrement s'agissant du niveau d'intensité permettant de considérer le risque comme « suffisamment caractérisé », notion assez vague et source d'insécurité juridique.
Quel est le contrôle du juge sur la notion de « risque suffisamment caractérisé » ? Comment ce risque doit-il être apprécié ? Le Conseil d'État n'a pas défini cette notion. Récemment, le Conseil d'État a précisé que le « risque suffisamment caractérisé » doit être distingué du « risque négligeable » que présente un projet pour les espèces protégées.
Enfin, les recours risquent de se multiplier pour solliciter le juge administratif, dans le cadre de son contrôle, afin qu'il se livre à un examen critique des conclusions de l'étude d'impact sur le risque résiduel. Les juridictions pourraient être amenées à reconnaître l'existence d'un risque caractérisé après avoir examiné les études d'impact.
– Un risque majeur d'atteinte aux efforts du législateur en matière de sécurisation des autorisations de construire. – Cette situation est source d'insécurité juridique importante pour le pétitionnaire et conduit à s'interroger sur ses conséquences sur trente ans de réformes visant à sécuriser les projets.
– Les conditions d'obtention de la dérogation « espèces protégées ». – Enfin, après avoir tranché la question de la nécessité d'obtenir ou non une dérogation « espèces protégées », il conviendra pour le porteur de projet qui sollicite cette dérogation de veiller à ce que son projet réponde à trois conditions distinctes et cumulatives.
Ainsi, à cette étape également, un certain nombre d'interrogations se posent sur la portée et l'articulation de ces conditions.
Dans un premier temps, le projet devra répondre à des raisons impératives d'intérêt public majeur (RIIPM). Une fois cette condition remplie, le pétitionnaire devra être en mesure de démontrer qu'il n'existe pas d'autres solutions satisfaisantes et, enfin, que le projet ne nuit pas au maintien des espèces dans un état de conservation favorable dans leur aire de répartition naturelle.
L'examen de ces trois conditions par l'autorité administrative permettant d'obtenir ou non une dérogation « espèces protégées » est source d'un contentieux abondant et d'insécurité juridique.
De nombreuses décisions du Conseil d'État et de cours administratives d'appel sont venues apporter des précisions sur les contours de ces conditions et, de ce fait, annuler les dérogations accordées en méconnaissance de ce régime.
Les juges confrontent les intérêts et les objectifs poursuivis : l'atteinte à l'objectif de préservation de la biodiversité ne pourra être admise que si le projet répond à un motif d'intérêt général suffisant.
Que faut-il entendre par « raison impérative d'intérêt public majeur » nécessaire à l'obtention d'une telle dérogation ? Comment apprécier l'existence ou non d'une RIIPM pour accorder une dérogation « espèces protégées » dans le cadre d'un projet ?
Cette notion a fait l'objet de décisions des juridictions administratives qui apportent des précisions en fonction des cas d'espèce traités.
À titre d'illustration, un arrêt récent de la cour administrative d'appel de Nancy précise que la réalisation de logements sociaux en location et en accession ne constitue pas toujours une RIIPM, et par conséquent annule les arrêtés préfectoraux accordant la dérogation « espèces protégées ». Partant, le permis de construire obtenu ne pourra être mis en œuvre.
La cour administrative d'appel de Nancy annule cette dérogation « espèces protégées » au motif que, si le projet présente bien un intérêt public, il ne répond toutefois pas à une RIIPM suffisante pour justifier qu'il soit dérogé à la législation assurant l'objectif de conservation de la faune sauvage aux motifs que :
  • ce projet privé n'était pas nécessaire pour atteindre les objectifs d'intérêt public d'aménagement durable et de politique du logement social dès lors que la commune satisfait, à la date de la décision attaquée, aux exigences de la loi SRU ;
  • il n'est pas établi que ces objectifs ne pourraient autrement être atteints qu'au détriment des terres agricoles environnantes ;
  • il n'est pas démontré que le secteur connaîtrait une situation de tension particulière en matière de logement social en raison d'une hausse démographique prévisible et d'un besoin non satisfait ;
  • d'autres sites permettant le développement de ce type de projets existent sur le territoire de la commune et de la communauté d'agglomération, et il n'est pas établi que le site qui avait été retenu pour le projet serait moins attentatoire à la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage.
Par conséquent, cela impacte directement la mise en œuvre du permis de construire obtenu par les sociétés.
S'agissant de la troisième condition de légalité de la dérogation, relative au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, le Conseil d'État, par un arrêt du 28 décembre 2022, a précisé que l'administration devra procéder en deux temps :
  • dans un premier temps, l'administration doit « déterminer (…) l'état de conservation des populations des espèces concernées » ;
  • dans un second temps, l'administration doit « déterminer (…) les impacts géographiques et démographiques que les dérogations envisagées sont susceptibles de produire sur celui-ci ».
Ainsi, le juge distingue l'appréciation des enjeux de conservation de l'espèce en cause (dans leur « aire de répartition naturelle », cette dernière étant, en règle générale, plus large que le secteur du projet) et l'impact du projet sur cette espèce.
Au cas présent, le Conseil d'État a relevé que les « lacunes » de l'étude d'impact ne permettaient pas de vérifier le respect de cette condition.
La mise en œuvre de cette condition apparaît assez subjective et ne permet pas avec certitude de considérer que la dérogation accordée ne pourra être ultérieurement annulée pour insuffisance de l'étude d'impact sur ce point.
Le contentieux sur la question de la dérogation « espèces protégées » n'est pas encore prêt à diminuer, et le juge administratif risque d'être encore fréquemment saisi pour apporter des précisions sur le régime de ladite dérogation.
– Propositions. – Faute de trouver une solution, cette situation risque de réduire fortement les efforts du législateur : faut-il traiter cette question dans le cadre du permis ? Faut-il prévoir une étude systématique ? Faut-il prévoir des zones de protection ? Faut-il revoir le texte national, qui est plus sévère que le texte européen ?
– ICPE. – La décision d'enregistrement d'une ICPE, ne relevant pas du régime de l'autorisation ou de la déclaration, doit intervenir préalablement à l'exécution du permis de construire, comme l'énoncent les dispositions de l'article L. 425-10 du Code de l'urbanisme.