Vers un nouveau modèle de maîtrise foncière ?

Vers un nouveau modèle de maîtrise foncière ?

L’observation des réformes et des pratiques des dix dernières années conduit à constater que les politiques publiques foncières se sont largement orientées vers des systèmes de dissociation du foncier et du bâti : la création du bail réel immobilier puis du couple OFS-BRS, la vocation de la foncière publique solidaire, les dispositifs mis en place par les EPF pour favoriser la maîtrise des usages et le recyclage des fonciers acquis. Cela rejoint d’ailleurs la tendance générale de la politique immobilière des personnes publiques.
La technique de la dissociation présente en effet plusieurs avantages pour les politiques publiques du logement :
  • d’abord, elle permet de garantir dans le temps l’affectation des biens et, en quelque sorte, conduit à un partage de la propriété sur plusieurs générations d’habitants. Cela permet aussi un recyclage permanent du foncier public, selon les besoins d’intérêt général. On note cependant qu’une loi a été nécessaire à chaque fois pour créer des outils efficaces, car le régime général des baux réels est peu propice aux restrictions des droits des preneurs ;
  • ensuite, sans faire baisser les prix du foncier, ce dispositif permet d’en étaler le coût sur le long terme. Avec des modèles de financement adaptés (prêts Gaïa notamment), cela impacte immédiatement le prix de sortie des logements et solvabilise les ménages. En revanche, certains s’inquiètent de la hausse des coûts foncier susceptible d’être générée par cette capacité d’investissement supplémentaire : « De fait, les subventions des collectivités, les prêts de la Caisse des dépôts, les produits des pénalités SRU pour les EPF, associés au lissage de l’acquisition sur le long terme, apportent des capacités d’intervention supérieures sur les marchés fonciers. Au point que certains constatent « des surenchères sur le foncier ». Des prix fonciers qui déterminent la redevance » souligne Claude Bertolino, directrice générale de l’EPF Paca, dans un article de Cadre de ville. Si cette tendance venait à être vérifiée et à s’accentuer, les pouvoirs publics devrait-il réglementer le nombre d’OFS ?

PLH de Rennes Métropole

La métropole Rennaise affiche sur ce sujet des ambitions sérieuses à travers son prochain plan local de l’habitat (PLH) pour la période 2023-2028, dont les orientations stratégiques ont été adoptées le 2 février 2023 en conseil communautaire. Outre des objectifs en matière de production de logements, l’encadrement des loyers, ou encore le recours plus fréquent au droit de préemption hors zones d’aménagement public pour maîtriser le foncier diffus et freiner l’envolée des prix des terrains constructibles, il est envisagé de généraliser le recours à la dissociation foncière, au travers du BRS mais pas que, dans toutes les opérations publiques et, d’une manière générale, sur le foncier public pour rendre l’achat neuf plus accessible et lutter contre la spéculation foncière. Selon Nathalie Appéré, Maire de Rennes et Présidente de Rennes Métropole, « Le sol est un bien commun et le logement n’est pas une marchandise comme les autres », ce qu’entend bien mettre en œuvre la métropole de Rennes sur ses fonciers.

BRSA

Dédié aux OFS pour la mise en œuvre de leur objet social subsidiaire orienté vers la mixité fonctionnelle, le bail réel solidaire d’activité est créé par voie d’ordonnance en date du 8 février 2023 (Ord. no 2023-80, 8 févr. 2023 relative au bail réel solidaire d’activité). Il complète ainsi les modalités d’intervention de l’OFS, et lui offre un bail constitutif de droits réels permettant de développer une offre commerciale, professionnelle et artisanale à des conditions économiques durablement maîtrisées. Le contrat ainsi crée emprunte largement, en termes de rédaction et de mécanismes, à son homologue en matière de logement : droits réels, de longue durée (entre 12 et 99 ans), avec un prix de cession des droits réels ou un loyer plafonné, un caractère rechargeable et la faculté de pouvoir transmettre les droits sous réserve du respect d’un prix plafond.
Mais il s’en détache aussi largement pour répondre à l’objectif de maintien et/ou diversification de l’offre commerciale et artisanale à un prix abordable qu’on lui assigne.
En accession comme en location, il est réservé in fine à des microentreprises (moins de dix salariés et moins de deux millions d’euros de chiffres d’affaires) répondant à des critères d’éligibilité fondés notamment sur le chiffre d’affaires, le statut ou le type d’activités, fixés dans des conditions qui seront issues du décret d’application à paraître. Le preneur ne peut louer son local ; ceci s’entendant sous réserve de la possibilité réservée aux établissements publics et entreprises publiques locales d’intervenir en tant qu’opérateur dans la perspective de céder les droits réels qu’ils tiennent du contrat pour un prix encadré ou encore louer le local à un niveau de loyer modéré.
L’activité exercée dans les locaux est encadrée dans le bail, et tout changement est subordonné à l’accord préalable de l’OFS.
Les conditions économiques du contrat intègrent la possibilité de composer la redevance d’une part fixe et d’une part variable, ainsi que la valorisation du fonds de commerce dans le cadre de l’indemnisation en fin de bail.
L’utilisation des baux constitutifs de droits réels pour aider à la production de logements ne s’épuise pas dans le BRS : il y a un avant et un après. Avant même l’instauration du BRS, des dispositifs ont été imaginés pour réaliser des logements aidés dans le cadre de baux constitutifs de droits réels. Mais surtout, depuis le BRS, des réflexions existent pour étendre le mécanisme original du bail rechargeable au secteur libre.

Pratique des baux constitutifs de droits réels pour la réalisation de logements aidés : politique des EPF et instauration du BEA logement social

Politique de dissociation des EPF. Dans ce contexte où le coût du foncier représente une part de plus en plus importante pour réaliser des logements sociaux, rendant difficile l’équilibre financier de certaines opérations, certains établissements publics fonciers l’Établissement ont donc mené une démarche consistant à faciliter les opérations en cause par le recours à des baux constitutifs de droits réels, afin de déconnecter le prix d’acquisition du foncier du coût des travaux. Le schéma contractuel consiste pour l’EPF à acquérir le foncier auprès de tiers (personnes privées, communes etc.) et confier celui-ci à un opérateur social, à charge pour ce-dernier de réaliser les logements sociaux en sollicitant les prêts et subventions spécifiques et d’en assurer la commercialisation, la gestion et l’entretien. À la lecture des textes relatifs aux subventions et prêts aidés pour la réalisation de logements sociaux (cf. CCH, art. D. 331-1 qui mentionne en son 5° l’acquisition de « droits immobiliers »), rien n’empêche d’obtenir les financements en cause alors que l’opérateur social n’aurait qu’un droit réel immobilier sur l’assiette des constructions. En toute hypothèse, compte tenu des missions de portage des EPF, un débouclage de l’opération pourrait consister en la cession des droits du bailleur à l’opérateur social, ce qui lui permettrait de lisser ce coût d’acquisition de la pleine propriété sur la durée du bail.
Le BEA logement social . Cette solution contractuelle a d’ailleurs fait l’objet d’un dispositif spécial s’agissant du foncier public, prévu à l’alinéa premier de l’article 7 de la loi n° 2009-179 du 17 février 2009 pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés qui dispose que : « Un bien immobilier appartenant à l’État ou à ses établissements publics peut faire l’objet du bail emphytéotique prévu à l’article L. 451-1 du Code rural et de la pêche maritime en vue de la réalisation de logements sociaux. Ce bail emphytéotique est dénommé bail emphytéotique administratif ». Outre le fait que ce dispositif législatif a été spécialement conçu pour permettre notamment à l’État de conclure ce type de contrat pour des opérations de logements sociaux (sans avoir à déclasser les biens de son domaine public le cas échéant puisqu’un tel BEA peut être conclu indistinctement sur le domaine public ou privé) le bail emphytéotique administratif présente un certain nombre de caractéristiques qui le distinguent des baux constitutifs de droits réels civils.
En ce qui concerne la réalisation de travaux sur l’immeuble. Dans un bail emphytéotique administratif, il est loisible au bailleur d’obliger le preneur à la réalisation de travaux déterminés, même si un tel bail ne peut « avoir pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures, la prestation de services, ou la gestion d’une mission de service public, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, pour le compte ou pour les besoins d’un pouvoir adjudicateur ou d’une entité adjudicatrice. » On sait qu’à l’inverse, dans le bail emphytéotique de droit commun, le bailleur ne peut pas imposer la réalisation de travaux au preneur, qui dispose d’une totale liberté à cet égard, la seule contrainte étant qu’il ne peut pas porter atteinte à la valeur du fonds. En revanche, dans un bail à construction, la réalisation de travaux constitue bien une obligation essentielle du contrat.
En ce qui concerne l’affectation de l’immeuble. Ce bail emphytéotique administratif ne peut être conclu par l’État ou l’un de ses établissements publics que pour une opération consistant à réaliser des logements sociaux. Partant, le bailleur est légitime à imposer le maintien de cette affectation. Tel n’est pas le cas dans un bail emphytéotique de droit commun. Dans un bail à construction la destination peut logiquement être imposée compte tenue de l’obligation de réaliser certains travaux.
En ce qui concerne la cession du bail et la location de l’immeuble. Les textes relatifs au bail emphytéotique administratif interdisent au preneur de céder les droits qu’il tient du bail sans l’accord préalable du bailleur. De la même manière, le bailleur peut tout à fait contrôler les locations consenties par le preneur aux occupants de l’immeuble. Tel n’est pas le cas dans les baux constitutifs de droits réels civils.
En tant que contrat administratif, le BEA offre également : (i) un pouvoir de contrôle sur l’activité du preneur (en étant vigilant à ce que ce contrôle ne le fasse basculer dans le champ d’une concession) ; (ii) un pouvoir de modification et de résiliation du contrat pour un motif d’intérêt général.
Ces caractéristiques présentent indéniablement des avantages lorsqu’il s’agit de protéger l’affectation d’un terrain au logement. Mais compte tenu de la nature des opérateurs qui ont vocation à prendre à bail ces terrains, ces avantages peuvent apparaître comme des contraintes, notamment en termes de financement (les règles de cession et de constitution de sûretés, ainsi que les pouvoirs exorbitants du bailleur peuvent faire fuir les financeurs).
C’est sans doute ce qui explique que, depuis la loi no 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, un bail à construction peut également être conclu dans les mêmes termes que le BEA logement social.
L’engouement pour le BRS a en effet conduit à une proposition de loi en vue d’instituer, aux côtés des OFS, des offices de foncier libre pour utiliser la technique de la dissociation en faveur de la création de logements « non aidés ». L’article L. 329-1 du Code de l’urbanisme devait alors être modifié pour prévoir deux types d’organismes foncier : l’OFS et « l’OFL ». L’objet social de cet organisme était le même que celui de l’OFS : acquérir et gérer des terrains en vue de réaliser des logements et des équipements collectifs, au moyen d’un bail de longue durée (le « BRL). Ces baux présenteraient les mêmes caractéristiques que les BRS, dans le secteur libre. Mais, à la différence des OFS, les OFL n’étaient pas assujettis aux objectifs de la politique d’aide au logement et les ménages n’étaient pas soumis à des conditions de ressources. L’objectif était en effet d’ouvrir les avantages de la séparation des droits de propriété entre le foncier et le bâti à d’autres ménages, afin notamment de favoriser l’accès au logement intermédiaire.
La Commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale avait retenu cette proposition en lui apportant une modification importante : la condition d’agrément était supprimée mais ces organismes ne pouvaient être créés que par les SPLA et SPLA d’intérêt national, et les SEM agréées sous réserve que leur capital soit détenu à plus de 50 % par une ou des personnes publiques. Le dispositif devait alors être réservé au secteur public, afin d’écarter tout risque de blocage sur des appropriations massives de foncier et toute dérive spéculative.
Finalement, cette proposition n’a pas été reprise par le législateur. Les moyens alloués à ces structures devant intervenir sur le marché libre n’étaient pas clairement définis et le besoin de rendement des capitaux investis dans les OFL posaient de redoutables question sur le modèle économique et sociétal de ces structures. Et, surtout, le législateur a semble-t-il fait le choix de laisser aux OFS le temps de se déployer et d’influer sur les prix du marché.
Pour l’USH et la Banque des Territoires, « Le haut niveau des prix, couplé à leur augmentation continue, pèse fortement sur les coûts de revient des organismes HLM : le coût du foncier représente en moyenne 23 % du bilan d’une opération pour les bailleurs. Cette surenchère des prix se heurte à la baisse continue des subventions accordées au secteur du logement social, et la Réduction du Loyer de Solidarité (RLS) limite la capacité à dégager des fonds propres ; les bailleurs sont par conséquent très contraints dans leur capacité d’investissement. D’autant que le principe même du logement social qui vise à produire des logements à des niveaux de loyers plafonnés en adéquation avec les revenus des ménages modestes, prive par définition les bailleurs sociaux de marges de manœuvre dont disposerait un acteur privé. Aussi, la concurrence accrue entre opérateurs privés et OLS/I, voire entre les OLS/I entre eux, « encourage la hausse des prix, défavorable aux organismes HLM qui (…) sont contraints dans leurs apports et leurs revenus de sortie par rapport aux promoteurs privés. En résulte qu’ils sont fréquemment relégués sur du foncier résiduel, le seul qui leur soit financièrement accessible, et doivent faire face à la fois à des besoins en viabilisation de terrain plus élevés, et à une moindre attractivité de leurs logements en termes de localisation, desserte, environnement. »
Face à ce constat, il est impératif d’utiliser efficacement les outils d’urbanisme opérationnels pour impulser territorialement une offre de logement abordable et de qualité. Cela suppose en outre le développement d’une logique partenariale entre les acteurs publics.