Utilisation du bail emphytéotique pour favoriser l’accession au logement

Utilisation du bail emphytéotique pour favoriser l’accession au logement

Le bail emphytéotique utile pour favoriser l’accès à des logements locatifs sociaux…

– Un cadre relativement simple. – L’utilisation du bail emphytéotique pour favoriser l’accession au logement est bien connue des bailleurs sociaux. En effet, de nombreuses collectivités locales, après avoir exercé leur droit de préemption, notamment à des prix élevés dans des zones tendues, confèrent à un bailleur social un bail emphytéotique moyennant une redevance dite « redevance foncière » relativement modique. L’organisme de logement social évite, par ce moyen, d’avoir à financer l’acquisition du foncier, qui reste porté par la collectivité bailleresse. Il optimise son bilan nonobstant le faible niveau des loyers qu’il perçoit. L’intérêt du bail emphytéotique dans cette hypothèse est évident : le contrat est simple, souple dès lors qu’on ne remet pas en cause ses caractéristiques essentielles. Il laisse donc une assez grande liberté à l’emphytéote, ce qui est acceptable compte tenu, d’une part, des liens existant entre le bailleur social et la collectivité locale et, d’autre part, de la réglementation HLM qui encadre très largement l’activité du bailleur social preneur à bail emphytéotique.
– La sécurisation des baux de logements. – L’hypothèse est suffisamment répandue pour que la loi Alur ait fini par prendre en compte la problématique de l’impact de la fin du bail emphytéotique sur un bail d’habitation conféré par l’emphytéote en ajoutant à l’article L. 451-2 du Code rural et de la pêche maritime l’alinéa suivant : « Concernant les locaux à usage d’habitation, régis par les dispositions d’ordre public de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, les contrats de bail conclus par l’emphytéote avec les locataires se poursuivent automatiquement avec le propriétaire de l’immeuble jusqu’au terme de chacun des contrats de bail signés avec les locataires ».

… mais peu utile pour l’accession à la propriété des logements

– Le droit réel du bail emphytéotique ne répond pas au désir d’accession à la propriété des particuliers. – Mais le bail emphytéotique n’est pas utilisé pour l’accession à la propriété du logement par des particuliers, car il présente un inconvénient majeur : la propriété conférée n’est pas perpétuelle. On comprend qu’il soit acceptable pour un preneur exploitant le bien, qui lui procure une rentabilité financière (le preneur rural exploite la terre à moindre coût, le bailleur social exploite l’immeuble d’habitation à moindre coût). Mais le particulier qui souhaite accéder à la propriété de son logement n’exploite pas le bien : il l’occupe. Et les raisons qui incitent les particuliers à devenir propriétaires disparaissent avec un tel montage.
– La possibilité de consentir un bail emphytéotique sur un lot de copropriété dans un immeuble bâti est par ailleurs questionnée. – Or l’accession à la propriété d’un logement dans un immeuble collectif suppose de pouvoir raisonner au niveau du lot de copropriété.
– Incompatibilité des clauses anti-spéculatives avec un bail emphytéotique. – Les travaux de la première commission sur les appels à projets et les chartes promoteurs ont abordé la question des clauses anti-spéculatives dont les formes peuvent être très variées. Incluses dans des actes de vente, de telles clauses ont été validées par la Cour de cassation dans les mêmes conditions que celles que l’on peut stipuler dans les actes à titre gratuit en vertu de l’article 900-1 du Code civil, et dans des termes très simples et clairs : « Mais attendu que, dès lors qu’elle est limitée dans le temps et qu’elle est justifiée par un intérêt sérieux et légitime, une clause d’inaliénabilité peut être stipulée dans un acte à titre onéreux ». En revanche, elles sont clairement incompatibles avec la libre disposition du droit réel qui est une caractéristique essentielle du bail emphytéotique, comme l’ont notamment rappelé les rapporteurs du 109e Congrès des notaires de France. D’où la très grande prudence de la pratique notariale qui évite toute clause restrictive du droit de propriété dans les baux emphytéotiques alors qu’elles sont possibles dans les ventes, ce qui est pour le moins paradoxal car le droit de propriété concernant le droit réel d’un bail emphytéotique devient ainsi plus protégé que le droit de propriété concernant directement un bien.
– Vers une possibilité de contractualiser l’équilibre économique initial du bail emphytéotique. – Peut-on, dès lors, imaginer des clauses n’allant pas jusqu’à entraîner une inaliénabilité ou une restriction au droit de disposer, mais en vertu desquelles les parties contractualiseraient l’équilibre économique ayant permis leur accord financier ? Le bailleur accepterait ainsi de consentir le bail emphytéotique sur la base d’un projet présenté par le preneur, ce dernier s’obligeant « spontanément » au respect de contraintes présentées par lui-même comme étant de l’essence même de son projet. Nous renvoyons aux travaux de la première Commission sur cette question.
Dans les appels à projets innovants à Paris, en Île-de-France et dans certaines métropoles régionales, ces clauses sont principalement :
  • la mise en œuvre du projet de travaux sur la base duquel l’emphytéote a pu réaliser ses hypothèses de bilan financier. En matière de logements, cela permet de garantir que les logements seront bien produits et mis sur le marché ;
  • le maintien des usages et modes d’exploitation anticipés pour le même bilan. En matière de logements locatifs, cela concerne inévitablement le niveau de commercialisation locative (logement intermédiaire par exemple). Mais on pourrait également envisager des clauses anti-spéculatives dans un montage où le bail emphytéotique permettrait un accès à la propriété, fût-elle temporaire.
De telles clauses nécessitent inévitablement la contractualisation d’une sanction ou d’une faculté de rachat (l’emphytéote paie un complément de prix pour ne plus respecter la clause). Ces clauses sont pratiquées dans les ventes et d’autres types de baux, mais ont été disqualifiées pour l’instant par la pratique compte tenu du risque consistant en la perte du caractère réel du bail conféré.

Débloquer l’utilisation des baux emphytéotiques en autorisant les clauses restrictives du droit de propriété sans faire perdre au bail sa nature réelle

Faute de jurisprudence supprimant ce paradoxe selon lequel on ne peut pas restreindre les droits de l’emphytéote sans faire perdre sa nature réelle au droit conféré, alors qu’il est possible de le faire sur la pleine propriété immobilière par des clauses limitées dans le temps et justifiées par un intérêt légitime, il nous semble indispensable de débloquer l’utilisation des baux emphytéotiques en autorisant de telles clauses restrictives, l’intérêt légitime de la production de logements se suffisant à lui-même.

Un exemple d’ingénierie juridique reposant sur le bail emphytéotique : la propriété à vie

– Un mécanisme inspiré de la common law . – L’idée a émergé d’offrir à l’accédant, placé sur le marché libre, une sorte de « propriété à vie », plus restreinte que la pleine propriété mais plus accessible financièrement, inspirée du leasehold anglais. Un ménage qui cherche à se loger est généralement amené à faire un choix binaire entre la location classique et la pleine propriété. La location est simple, flexible, accessible, mais n’est pas le meilleur choix financier sur le long terme. Elle se conçoit plutôt en début de carrière, en période de transition professionnelle ou personnelle. L’achat en pleine propriété permet inversement au ménage de se constituer un patrimoine à transmettre et de préparer la retraite, donc de sécuriser l’avenir. Mais il est peu accessible. D’où l’idée de se placer entre ces deux alternatives. Le montage ambitionne de réunir la volonté d’un ménage d’accéder à la propriété pour sécuriser un lieu de vie, et celle d’un investisseur (forcément institutionnel compte tenu des garanties notamment de rachat à apporter) de réaliser un profit sur le long terme. Du côté de l’accédant, l’accent est mis sur les besoins de flexibilité et d’épargne, en sacrifiant la fonction de transmission. Ce montage, développé par une société privée d’investissement et de placement immobilier, associe le bail emphytéotique, l’usufruit et une garantie de revente en cours de bail. Une rapide présentation de cette formule (A) permettra, ensuite, d’apporter quelques observations à son égard (B).

Présentation : un ensemble contractuel

– Un bail emphytéotique. – L’investisseur, porteur du foncier, confère à l’accédant à la propriété du logement un bail emphytéotique lui permettant d’obtenir un droit réel, proche de la propriété, sur le logement concerné. L’accédant dispose du logement en vertu de ce droit réel ; il peut librement y faire des travaux, le louer, le céder ou l’hypothéquer. Le financement de l’accession peut donc être opéré au moyen d’un prêt hypothécaire souscrit par l’accédant. Ce droit réel est transmissible à titre gratuit, entre vifs ou en cas de décès. Le contrat est conclu pour une durée de cinquante ans, qui correspond peu ou prou à l’espérance de vie de l’accédant au moment de l’achat.
– Un usufruit viager. – À la fin du bail emphytéotique, dans l’hypothèse où l’accédant n’aurait pas souhaité quitter le logement (par le jeu de la garantie de rachat) avant le terme convenu, mais plutôt voulu continuer de jouir de son logement jusqu’à la fin de sa vie, un usufruit viager prend le relais du bail emphytéotique, pour éviter la perte du droit de propriété et le retour de l’immeuble entre les mains du bailleur. Pour y parvenir, une promesse synallagmatique de cession d’usufruit est conclue dès l’origine, sous les conditions suspensives que le preneur n’ait pas cédé son droit au bail et qu’il soit en vie à l’expiration du bail. En cas de réalisation des conditions suspensives, la constitution d’usufruit est opérée par un acte réitératif, pour l’euro symbolique. À partir de cette date, l’accédant est donc assuré de demeurer dans son logement, mais sans pouvoir le transmettre, puisque son usufruit s’éteindra inévitablement avec lui.
– Une garantie de revente. – L’accédant qui aurait besoin de flexibilité peut céder le contrat qui le lie à l’investisseur, avant le terme du bail emphytéotique, et de sa seule initiative. Aucune clause anti-spéculative ou d’affectation ne le contraint : la cession peut donc se faire au profit d’un tiers, sans condition de ressources et moyennant un prix librement déterminé. Si l’accédant ne trouve pas acquéreur, il bénéficie d’une garantie de revente qui lui permet de céder ses droits à l’investisseur, moyennant un prix fixé à l’avance, qui décroît à mesure que les années s’écoulent, jusqu’à atteindre une valeur nulle au bout de cinquante ans.

Appréciation : une bonne idée, mais qui ne trouve pas de marché suffisant

Force est de constater qu’une telle formule n’a pas connu, pour l’instant, un déploiement à grande échelle, bien que ses promoteurs aient parié sur une adaptation du marché aux évolutions sociétales et tenté de satisfaire à la fois les volontés de l’accédant et celles de l’investisseur. Il semble que, pour le moment, les accédants restent attachés à la simplicité et aux avantages de la pleine propriété et que les évolutions sociétales soient plus lentes en matière de propriété immobilière qu’en bien d’autres domaines. Pour autant, ces expériences sont précieuses car elles permettent de mieux comprendre dans quelles conditions de marché il pourrait être possible d’offrir une alternative à la location ou à la pleine propriété.

Le logement confronté aux évolutions sociétales : arguments et réfutation

1. Il est, selon certains, nécessaire d’adapter la propriété aux évolutions suivantes :
1.1 – L’allongement de la durée de la vie humaine. Certains estiment qu’il a « transformé l’expérience de la transmission », puisque l’on hérite désormais d’un logement plutôt au moment de la retraite qu’en cours de vie professionnelle. Dans la plupart des cas, le réflexe est alors de le vendre.
1.2 – La mobilité accrue des parcours familiaux et professionnels, plus volatils que par le passé. Cette propension croissante au changement viendrait déstabiliser la durée de détention d’un logement. La jeune génération tendrait à se loger au meilleur endroit, à un prix plus attractif, peu lui important de n’être titulaire, sur son logement, que d’un droit « dégradé », puisque temporaire. En d’autres termes, privilégier la valeur dite « d’usage » plutôt que la propriété. Ou encore replacer le logement dans sa fonction première d’abri, de lieu de vie, en renonçant à la dimension patrimoniale et, plus encore, spéculative qu’il peut receler.
2. Ces arguments méritent la plus grande attention, et devront être soigneusement observés à l’avenir. Pour ce qui est du présent, ils nous paraissent, pour le moins, prématurés. À l’heure où ces lignes sont écrites, notre pratique notariale ne les rencontre que très exceptionnellement.
2.1 – Le logement n’est pas un bien de consommation comme un autre ; de ce fait, sa valeur ne peut se réduire à son simple usage. On peut aisément comprendre qu’un bien de consommation tel qu’une automobile, dont la valeur disparaît du fait de son utilisation, présente essentiellement une valeur d’usage. Mais cette affirmation ne correspond pas à ce que nos clients recherchent en voulant accéder à la propriété de leur logement. Dans leur immense majorité, leur comportement, sinon leur discours, traduit au contraire un grand attachement à la pérennité de cet élément majeur (et parfois unique) de leur patrimoine.
2.2 – Ainsi, affirmer que la volonté de transmission du logement s’estompe est à notre avis une erreur. Certes, du point de vue de l’accédant, l’héritage du logement arrive trop tard (d’où la vente), mais du point de vue du disposant, nous constatons quotidiennement que le souhait de transmettre reste très vivace pour sécuriser la vie de sa descendance face aux incertitudes de l’avenir.
– Cible économique et acceptabilité de la propriété à vie. – Le dispositif que nous venons de décrire cible essentiellement les ménages désirant accéder à un logement autrement qu’en location, et qui perçoivent des revenus stables mais insuffisants pour accéder à la pleine propriété de leur logement, dans les quartiers qu’ils désirent, faute d’apport et de capacité d’emprunt suffisants. Ce mécanisme peut les aider à choisir un cadre de vie proche de leur lieu de travail, des écoles et des lieux de transport… Il suppose de privilégier la « valeur d’usage » au seul détriment de la transmission de leur logement. Consentir ce sacrifice n’a de sens que s’il coûte sensiblement moins cher que la pleine propriété. Dès lors, c’est seulement dans les zones les plus tendues que semble pouvoir se développer ce nouveau segment de marché qui subira, en outre, inévitablement la concurrence de territoires proches, mais permettant un achat classique en pleine propriété, qui pour l’instant reste la norme dans la demande des accédants.

Propriété à vie : une formule en manque d’encadrement législatif

Avec la propriété à vie, on touche aux limites d’un dispositif dépourvu de cadre légal propre, et reposant exclusivement sur un ensemble de contrats. Sa nouveauté et sa complexité peuvent intimider les accédants (et, parfois, leurs notaires). Mais elle interroge surtout les banques, qui n’accordent le financement nécessaire qu’après un examen très attentif par leurs services juridiques. Seul un encadrement législatif de cette formule intéressante paraît pouvoir en assurer le développement.