Si l’on accepte de placer les chartes en dehors des cases normatives habituelle, leur intérêt devient évident. Cette nature de droit souple leur permet de jouer un rôle d’impulsion de sorte à susciter l’expérimentation de certains dispositifs par les opérateurs privés, les faisant alors apparaître comme un outil complémentaire aux outils classiques du droit de l’urbanisme et de l’action administrative générale, ce qui autorise à penser à leur généralisation. Premièrement, l’élaboration des chartes devrait répondre à une recherche de dialogue avec les acteurs concernés. Deuxièmement, leur contenu et leur portée doivent respecter le principe de légalité et être adapté à leur nature de droit souple, de sorte à être mieux comprises. Troisièmement, il conviendrait d’établir un lien avec les documents de planification lorsque le contenu de ces chartes a vocation à les compléter.
Un statut à parfaire pour favoriser leur discussion, leur compréhension et leur connaissance
Un statut à parfaire pour favoriser leur discussion, leur compréhension et leur connaissance
– Renforcer le dialogue partenarial avec les opérateurs privés en amont dans l’élaboration, et en aval dans la mise en œuvre de la Charte : « des chartes pour et par les habitants ». – En les appréhendant comme un outil de droit souple ces chartes constituent une nouvelle forme d’action publique dont l’intérêt a été mis en avant par le récent rapport de la mission sur la qualité du logement qui appelle de ces vœux « une politique locale de qualité des logements se traduisant par des « chartes » mises en place par les collectivités (préférentiellement les intercommunalités) ou les aménageurs », considérant que « Ce type de démarche (…) tire la qualité vers le haut et contribue à réguler le marché sans pour autant menacer la production ». Malgré l’absence de sanction et d’opposabilité, les chartes constituent un engagement visant à établir un rapport de confiance entre les communes (ou leurs groupements) et les promoteurs. De ce point de vue, la charte s’inscrit au cœur d’un nouveau modèle d’action publique qui suppose, dès lors, en amont la participation du public à l’adoption de la charte (§ I) et en aval, un dialogue itératif dans sa mise en œuvre (§ II).
Le dialogue en amont : l’adoption de la charte
– Le dialogue en amont, lors de l’élaboration de la Charte : la concertation. – La concertation des chartes devrait être envisagée dans le processus d’élaboration car ces chartes ont finalement pour but d’instituer un dialogue des acteurs concernés autour des engagements solennels qu’elles comportent en faveur d’une production écoresponsable de logements de qualité et à prix maîtrisés. Cette concertation ne s’impose pas, que ce soit du point de vue de la Convention d’Aarhus du 25 juin 1998, ratifiée par la France en 2002 mais dont les articles 7 et 8 qui posent des obligations en matière de participation du public n’a pas d’effet direct, de celui du droit de l’union européenne et de droit interne, faute qu’une charte puisse être qualifiée de « projet » ou de « plans et programme » et qu’elles remplissent les critères des textes. Néanmoins, elles peuvent être un pacte de confiance entre les élus des territoires concernés (selon l’échelle pertinente de mise en œuvre de la charte avec une vision holistique de l’habitat et des équilibres territoriaux en particulier en termes d’emploi et de mobilité), les habitants et les opérateurs, pacte qui pourrait parfaitement s’inscrire dans les objectifs nationaux déclinés dans la contractualisation État/collectivités des aides à la production de logements proposés par le rapport Rebsamen. Un tel pacte de confiance serait renforcé par une association préalable des acteurs du logement et des habitants à l’élaboration des chartes. Plus cette participation sera renforcée, plus les objectifs des chartes seront spontanément mis en œuvre.
Cette bonne pratique ne doit pas empêcher la charte de rester un outil de droit souple en laissant aux collectivités concernées une grande liberté dans le choix du processus de participation du public et des divers acteurs concernés lors de l’élaboration de la charte. Un tel processus susciterait davantage l’acceptabilité et, par là même, l’efficacité du dispositif en permettant son appropriation en amont. Cette concertation doit pouvoir se poursuivre après l’adoption de la Charte pour en permettre l’évolution voire développer les ambitions initiales, telle la « Charte qualité des constructions neuves ">Lien» de la ville de Puteaux qui évoque ainsi une « démarche évolutive qui s’appuie sur une concertation permanente avec les acteurs de la construction ».
Le dialogue en aval : la mise en œuvre de la charte
– Le dialogue en aval, lors de la mise en œuvre de la Charte : les ateliers. – La lecture du contenu des chartes étudiées témoigne aussi de l’ambition d’un dialogue itératif en dehors de toute portée réglementaire au stade de la mise en œuvre de la charte. C’est ce que l’on constate dans la charte de la ville de Lyon, qui a mis en place un « atelier préalable à l’instruction des permis de construire », chargé d’examiner les principaux projets de permis de construire des logements collectifs, des bureaux et des équipements déposés auprès de la Ville de Lyon, hors les grandes opérations d’aménagement (soit environ 100 dossiers par an d’après la charte). Cette instance se compose d’un représentant de la Ville de Lyon (accompagné de différents experts), d’un représentant de la mairie d’arrondissement où se situe le projet, de l’architecte-conseil de la ville, de l’Agence d’urbanisme, de l’architecte des Bâtiments de France lorsque le projet est concerné, et du paysagiste-conseil de la ville. Pour s’inscrire, les promoteurs sont invités à se rapprocher de la mairie d’arrondissement dès la phase de prospection. La charte de Lyon ’indique le déroulement de « l’atelier », lequel se décompose en trois étapes (pouvant être traitées de façon concomitante) qui doivent se réaliser dans un délai objectif de six mois. Un tel dialogue est sans doute la clef du succès des projets en termes d’acceptabilité et de prévention des contestations. Il n’en demeure pas moins que ces processus ne peuvent que s’appuyer sur la volonté des porteurs de projets : toute instauration d’un mécanisme ajoutant une étape dans l’instruction des permis de construire serait illégale. Là encore, ce sont des bonnes pratiques à mettre en place, en démontrant par l’expérience le gain pour les projets, et en emportant finalement l’adhésion volontaire des porteurs de projets à ces processus.
Le dialogue, en amont lors de l’élaboration de la charte, et en aval au stade de sa mise en œuvre, permettrait ainsi de nouer un rapport de confiance entre les parties prenantes : « la confiance plutôt que le litige », la confiance comme alternative à la prolifération normative », fera des chartes une forme de « contrat relationnel » qui s’ajouterait aux outils classiques de l’action publique.
– Favoriser la compréhension des chartes et susciter l’adhésion des opérateurs. – Le risque lié à la validité de certains dispositifs des chartes peut également ressortir du statut qui peut être conféré à la Charte, parfois maladroitement par elle-même. Si certaines chartes ne semblent contenir que de simples déclarations d’intentions, en recourant à une phraséologie simplement incitative (« est préférable » ; « est souhaitable » ; « est privilégié ») et s’apparenteraient alors davantage à ce que l’on nomme des « gentlemen agreement », d’autres paraissent très contraignantes, avec une rédaction impérative et un contenu précis, voire chiffré (prix de sortie, pourcentage de logements sociaux, interdiction des caissons lumineux pour matérialiser l’enseigne des commerces…).
Sans considération sur la légalité des Chartes citées ici à titres d’illustration de la variété des contenus de ces documents, il faut simplement noter qu’il est nécessaire que les collectivités soient vigilantes dans leur rédaction. Autrement, comme l’indique D. Gillig, « loin d’être les partenaires des porteurs de projets de construction, les collectivités qui ont institué une charte promoteur se comportent trop souvent – compte tenu du pouvoir d’immixtion que celle-ci leur confère en dehors de tout cadre juridique – comme un co-promoteur (…) on est très éloigné d’un dialogue et d’une simple négociation entre parties placées sur le même pied d’égalité ». La légitimité de ce mode d’action publique repose en effet sur l’idée d’instaurer un dialogue à partir d’un document destiné à influencer les comportements plus qu’à les réglementer. C’est la clef du succès de ces chartes. Et, dans bien des cas, si les chartes devaient réglementer l’activité des opérateurs concernés, leur validité même serait en cause. On pense notamment aux dispositifs anti-spéculatifs qui peuvent être institués dès lors qu’il s’agit pour les adhérents des chartes de prendre volontairement des engagements de cette nature et de s’y tenir dans leurs opérations, sauf à perdre la « labélisation » de leur programme au titre du rapport de confiance institué par la charte. Mais il est impératif que ces dispositifs ne soient pas formulés comme de véritables règlements.
À cet égard, la signature des chartes entre la collectivité et une partie de ses destinataires trouble la bonne compréhension de leur objectif Le risque d’asymétrie entre ceux qui signent et ceux qui ne signent pas la charte, ceux qui respectent les règles du jeu et ceux qui s’en affranchissent est généralement pointé. Le refus de signer la charte pourrait être ressenti comme limitant leur accès au marché de la commune et complexifier leurs demandes d’autorisations d’urbanisme, la signature des chartes pourrait être vue comme la source de ruptures d’égalité sur un marché concurrentiel, et ainsi être souvent propice à des contentieux ; ce qui réduirait à néant l’effet bénéfique de la charte sur la satisfaction des besoins de production de logements. Pour autant, ces chartes n’ont assurément pas un caractère contractuel. On constate par ailleurs qu’aucune charte ne prévoit de sanction précise du non-respect des engagements pris par les signataires. Cet élément, s’il n’est pas en lui-même de nature à priver d’effet juridique la charte, indique sans doute que la collectivité n’a pas l’intention de déployer d’important moyen dans le suivi de l’exécution des engagements nées de la signature de la charte. Et si une faute devait être constatée, quel serait alors le préjudice invocable par la commune ? Difficile à caractériser dans la mesure où légalement, comme on l’a vu, un promoteur qui ne respecterait pas les prescriptions architecturales de la charte, mais qui se conformerait aux prescriptions d’urbanisme en vigueur, devrait en principe pouvoir obtenir son autorisation d’urbanisme. Dès lors, la signature des chartes est source de confusion. La bonne pratique serait de les considérer comme un document solennel sur le contenu duquel chacun est libre d’adhérer pour témoigner de sa participation à la démarche initiée par la collectivité émettrice. Cet engagement unilatéral de chacun de ses adhérents permet alors d’établir un rapport de confiance et un processus itératif dans la réalisation des opérations.
– Accentuer la connaissance des chartes : annexion aux PLU ? – Pour asseoir leur statut et leur légitimité, peut être conviendrait-il d’établir un lien avec les documents de planification. En effet, si les chartes ne sauraient compléter les règles des PLU, force est de constater que leur objectif est d’inciter à aller au-delà lorsque cela est possible, à orienter vers l’expérimentation de meilleurs pratiques et d’externalités positives. Dès lors que leur contenu porte sur des questions qui relèvent du champ du PLU (ou d’un autre document de planification : SCoT, PLH, PCAET) le lien avec ledit document ne devrait-il pas être clairement établi ? Un tel lien favoriserait une plus grande transparence quant à la combinaison des deux documents.
Ce lien pourrait consister en l’intégration des chartes dans les annexes du PLU. C’est ce qu’ont décidé de faire plusieurs communes et intercommunalités. Certes, les chartes ne rentrent pas dans la liste des annexes prévue par le Code de l’urbanisme. Mais on peut s’interroger sur le caractère exhaustif de cette liste. Surtout, sauf s’agissant des servitudes d’utilité publique (SUP), compte tenu du fait que les annexes n’ont pas de caractère normatif par elles-mêmes, et également parce que leur absence n’entraine pas leur inopposabilité, on peut conclure que les annexes ne revêtent qu’un caractère informatif, et que l’annexion d’une annexe supplémentaire n’emporte pas l’illégalité du PLU. C’est la position que le professeur Pierre Soler-Couteaux a pu exprimer à la lumière des anciens articles L. 126-1">Lien, R. 123-13">Lien et R. 123-14">Lien du Code de l’urbanisme, dont le contenu est resté très sensiblement le même. Pour lui : « Les annexes participent de l’idée que toute personne qui consulte le PLU doit pouvoir y lire et disposer de toutes les contraintes opposables sur le sol. ». On précisera toutefois qu’à l’époque, les articles R. 123-13">Lien et R. 123-14">Lien précisaient expressément que les annexes contenaient à titre d’information les éléments dont la liste suivait, là où les nouveaux articles R. 151-51 à R. 151-53 ne contiennent plus cette précision. L’annexion des chartes promoteurs serait donc un moyen de procéder à leur publicité dans un document avec lequel elles doivent s’articuler, sans pour autant leur conférer un caractère réglementaire.
Ainsi, puisque l’essence même des chartes est, et uniquement, d’influencer de nouveaux comportements, et si les chartes sont davantage discutées, dans leur élaboration et leur mise en œuvre, comprises et connues, elles peuvent alors apparaître comme de véritables laboratoires permettant aux opérateurs d’expérimenter des principes pouvant ensuite être intégrés dans les documents d’urbanisme. Comme l’indique LDV Studio Urbain, « La charte n’est donc pas un outil visant à “infantiliser” les différents acteurs de la fabrique urbaine et montrant le bon chemin, mais davantage un moyen de les légitimer comme des acteurs à part entière de la fabrique urbaine, capables de transcender les exigences définies par les chartes pour proposer des solutions uniques et personnalisées, dans leur degré de liberté ». Il est en effet essentiel que les ambitions en termes de qualité et de production des logements puissent être diffusées et réalisées entre chaque modification ou révision des documents d’urbanisme ; il ne faut pas s’interdire de faire mieux que ce que les documents d’urbanisme en vigueur prévoient, et les chartes permettent cette agilité et cette réflexion permanente, même si elles ne sauraient avoir le même statut normatif que lesdits documents d’urbanisme.
Si les thématiques sont similaires à celles des documents d’urbanisme, les chartes en permettent donc un traitement sous une forme souple’, et permettent de démontrer par l’expérience la pertinence de certains dispositifs, ce qui justifiera ensuite que lesdits dispositifs soient intégrés dans un cadre réglementaire. Ce rôle de laboratoire est déjà, dans les faits, le rôle des chartes. Nous avons par exemple constaté que le PLUi d’Est Ensemble (adopté en février 2020) et le PLHi du même EPT a intégré certains objectifs de la version « 2015 » de la « Charte de la construction pour une ville résiliente ">Lien» de Montreuil, laquelle a ensuite été modifiée pour tenir compte de cette intégration.
L’impulsion véhiculée par les chartes locales dites « promoteur », lorsqu’il en est fait bon usage, présente donc un véritable intérêt pour favoriser la réalisation de programmes mixtes, de qualité, et innovants par les opérateurs privés. Cette incitation à faire mieux, à aller au-delà des règles applicables, se retrouve également dans le cadre des appels à projets urbains innovants.