Nature juridique des chartes : du droit souple incitant les opérateurs à expérimenter

Nature juridique des chartes : du droit souple incitant les opérateurs à expérimenter

La notion de charte désigne généralement « un document définissant solennellement des droits et des devoirs ». Pourtant, même si certains auteurs ont pu parler « d’OVNI juridique », le rôle des chartes est d’influencer et de guider les comportements, plus que de contraindre les comportements. Or, les documents de portée générale « de nature à produire des effets notables (…) ou ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent » appartiennent à la catégorie du droit « souple », ou soft law.
Bien que relevant du droit souple, les chartes, comme tout acte administratif, doivent être adoptées dans le respect du principe de légalité et sont susceptibles de recours devant le juge administratif. Selon la jurisprudence, est illégal un document de portée générale émanant d’une autorité publique lorsqu’il fixe « une règle nouvelle entachée d’incompétence, si l’interprétation du droit qu’il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s’il est pris en vue de la mise en œuvre d’une règle contraire à une norme juridique supérieure ». En particulier, elles ne peuvent d’ailleurs être opposables aux autorisations de construire, quand bien même la charte aurait été approuvée par délibération du conseil municipal. Au-delà, le juge administratif apprécie la légalité d’un tel document en tenant compte de sa nature et des caractéristiques voulues par son auteur, à savoir une normativité souple, et du pouvoir d’appréciation dont ce dernier disposait.
Dès lors, d’une part, du point de vue de la compétence, de la forme et de la procédure d’adoption d’une charte, toute formulation s’apparentant à une disposition réglementaire et faisant une concurrence à d’autres supports normatifs dont l’élaboration est strictement encadrée, serait illégale. En particulier, lorsque des chartes relèvent du champ du PLU, au-delà des règles de compétences, puisque l’élaboration de ce document est encadrée par une procédure prévue au Code de l’urbanisme qui prévoit notamment une enquête publique, se conformant sur ce point aux directives européennes en la matière, le risque est que la charte caractérise un véritable détournement de procédure, comme l’a déjà pointé une partie de la doctrine.
S’agissant de la compétence, un jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 26 janvier 2023 a ainsi censuré une charte communale au motif de la présence de dispositions impératives en matière « d’aménagement métropolitain » relevant « par leur nature, du plan local d’urbanisme » pour lequel seule la métropole dont était membre la commune auteure de la charte était compétente.
Plus généralement, ce même jugement met en avant le caractère impératif de la formulation de ladite charte, ajoutant ainsi aux règles du PLU et même davantage, le juge rappelant « que les demandes relatives à l’utilisation des sols et à l’implantation des constructions ne peuvent être instruites que dans les conditions fixées par les dispositions législatives et réglementaires du Code de l’urbanisme, qui définissent de manière limitative les informations ou pièces pouvant être exigées par l’autorité compétente ».
D’autre part, du point de vue du contenu de la charte, on insistera notamment sur la vigilance nécessaire, en l’état actuel du droit, quant aux dispositifs qui tentent de mettre en place une certaine préférence locale. Cela pose nécessairement la question du respect du principe d’égalité devant le service public. Il a notamment déjà été jugé qu’était illégale la délibération d’un conseil municipal imposant à tout futur acquéreur d’un logement neuf de justifier d’une résidence antérieure d’au moins cinq ans en Corse. On peut toutefois noter que l’annulation de la délibération semble surtout intervenir en raison du fait que la différence de traitement ainsi mise en place était sans rapport avec l’objectif d’intérêt général poursuivi, consistant à permettre à des personnes ayant des revenus modestes ou moyens d’acquérir leur résidence principale, ce qui, a contrario, autoriserait certaines différences de traitement dans certains cas. Mais, en toutes hypothèses, le principe de préférence locale pourrait également être remis en cause sur le fondement des textes européens, notamment la liberté de circulation des personnes et des capitaux, le principe de non-discrimination et la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. La Cour de justice a en effet déjà jugé qu’était contraire à ces principes européens le fait de soumettre le transfert de biens immobiliers (vente ou location) à la condition que les acquéreurs ou preneurs à bail disposent d’un « lien suffisant » (professionnel, familial, social ou économique) avec la commune dans laquelle se situe le bien. Il est donc impératif que ces politiques de discrimination positives, parfois légitimes localement, puissent être articulées avec ces principes de droit national et européen.
Dans le même sens, il ne peut être porté atteinte au droit de propriété constitutionnellement protégé que sous réserve que cette atteinte soit justifiée par un motif d’intérêt général, proportionnée à l’objectif poursuivi et uniquement sur le fondement d’une loi, puisque détermination des principes fondamentaux du régime de la propriété relève du domaine de la loi. L’encadrement des prix de sortie des logements par les chartes se faisant en dehors de toute habilitation législative, la validité d’un dispositif réglementaire de cette nature pourrait donc être mise en cause.
Malgré les difficultés pointées, les chartes semblent répondre à un véritable besoin pour faciliter la réalisation des programmes de logement. Le rapport de la mission sur la qualité du logement, référentiel du logement de qualité indique à cet égard que : « les maires de plus en plus rétifs à la construction doivent devenir des acteurs à part entière de l’élaboration des programmes immobiliers dès le démarrage des opérations. Les chartes de qualité proposées par certaines municipalités ou intercommunalités démontrent cette possibilité par des cahiers de prescriptions garants d’une négociation productive avec les promoteurs. Le retour d’expérience démontre que contrairement à ce qui avait été pressenti, de tels outils ne constituent pas toujours un frein au secteur de la construction. Les exigences claires imposées à tous dans un cadre défini permettent au contraire, dans bien des cas, d’accélérer l’ensemble des procédures et de fluidifier les opérations : tout est question de bonne utilisation des outils, une charte peut être un bon moyen d’accompagner une politique volontariste de production des logements. » Et d’ajouter : « les chartes promoteurs sont globalement perçues de manière favorable par nombre des acteurs. Elles encourageraient l’implication des élus dans le projet, ce qui aurait tendance à favoriser la qualité. Il est par ailleurs généralement convenu que la création d’un nouveau standard réglementaire même s’il devait se substituer à un texte existant afin de limiter l’inflation normative serait globalement peu opérant et mal perçu ». Le rapport du groupe de travail pour la qualité des logements sociaux dresse le même constat et identifie ces chartes comme un véritable levier de production de logements de qualité, et propose « que soit élaborée à l’échelle de bassin de vie et à l’initiative de la collectivité compétente en matière d’urbanisme une charte territoriale de qualité du cadre de vie ».
Les chartes ne doivent donc pas être rejetées en bloc ; elles sont un outil intéressant pour faire mieux et autrement, à condition d’être produites dans le respect de quelques principes directeurs.